En cours au Siège de l'ONU

DH/360

LES EXPERTS PORTENT UN ŒIL CRITIQUE SUR LA SITUATION DES DROITS CIVILS ET POLITIQUES EN COLOMBIE

15/03/2004
Communiqué de presse
DH/360


Comité des droits de l’homme

Quatre-vingtième session

après-midi


LES EXPERTS PORTENT UN ŒIL CRITIQUE

SUR LA SITUATION DES DROITS CIVILS ET POLITIQUES EN COLOMBIE


La délégation colombienne invitée à répondre aux nombreuses questions sur les groupes paramilitaires, et les violations des droits des femmes et des populations minoritaires


Les agissements criminels des groupes armés paramilitaires d’« autodéfense »; les nombreuses violations des droits des femmes, victimes d’agressions sexuelles et de comportements sexistes, et les nombreuses violations des droits humains, civils et politiques des minorités autochtones et afro-colombiennes ont été les points relevés cet après-midi par les experts du Comité des droits de l’homme après la présentation qui leur a été faite du cinquième rapport périodique de la Colombie sur l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.


Après avoir entendu les réponses de la délégation colombienne aux questions écrites que le Comité lui avait communiquées, les experts, dont M. Hipolito Solari Yrigoyen, de l’Argentine, Mme Ruth Wedgwood, des Etats-Unis et M. Nigel Rodney, du Royaume-Uni, se sont dits peu satisfaits par les mesures prises par le Gouvernement colombien pour faire face aux actes de violence perpétrés par les groupes paramilitaires dont on sait notoirement, a dit M. Rodney, qu’ils sont soutenus par les forces armées nationales de Colombie.  Selon des informations vérifiées émanant d’ONG opérant sur le terrain, des éléments de la police et des forces armées nationales opèrent régulièrement au sein des groupes d’autodéfense, a relevé M. Rodney en demandant à la délégation colombienne pourquoi ces agents gouvernementaux n’étaient pas traduits devant les tribunaux. 


S’étonnant du faible nombre d’enquêtes menées par le Gouvernement sur les enlèvements et disparitions de personnes, ainsi que sur les déplacements forcés de groupes vulnérables, et sur les nombreux viols et trafics de femmes, les trois experts ont estimé insuffisantes les réponses fournies par la délégation colombienne qui, dans son exposé, avait reconnu l’existence persistante de la traite des femmes en Colombie.  Dans son prochain rapport, a demandé l’expert du Royaume-Uni, le Gouvernement colombien devra donner des réponses précises aux questions concernant les déplacements forcés, qui s’apparentent à un « nettoyage territorial » bénéficiant à certains groupes ou personnes sur le plan foncier.  Quant à l’enrôlement d’informateurs et de collaborateurs civils dans les mesures que prend le Gouvernement pour combattre les groupes armés, les experts ont émis des doutes sur la capacité du Gouvernement colombien à contrôler et vérifier les informations fournies.  M. Franco Pasquale, de Malte, a demandé plus d’informations sur cette collaboration, qu’il a estimé malsaine, entre le Gouvernement et des individus, et a fait part de l’opposition du Comité à toute rémunération de ces informateurs. 


Concernant les droits des femmes, Mme Christine Chanet, de la France, a rappelé l’égalité des droits des personnes, qui est inscrite dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.  Cette égalité ne semble pas exister, selon les informations du rapport de la Colombie, dans l’application des lois condamnant l’avortement, a-t-elle souligné, en relevant que les femmes ayant recours à l’avortement restent passibles de condamnations pénales dans ce pays, y compris en cas de viol ou d’inceste.  Pour ce qui est des violences à l’encontre des femmes et des groupes vulnérables, la délégation colombienne avait auparavant répondu que le Gouvernement faisait tout ce qui était en son pouvoir pour venir en aide aux femmes, mais qu’il se heurtait à des habitudes et à des facteurs culturels difficiles à changer.


A l’ouverture de sa 80ème session ce matin, le Comité des droits de l’homme avait adopté son ordre du jour et son programme de travail.  Le Président du Comité, M. Abdelfattah Amor (Tunisie) avait alors tenu à rappeler aux ONG prenant part aux travaux de la session que le Comité attachait beaucoup d’importance à leur contribution, notamment en ce qui concerne leur analyse sur la situation des droits de l’homme dans les pays dont les rapports sont examinés.  A la demande de certaines ONG, le Comité a décidé d’examiner leurs informations à huis clos.  Le Comité a ensuite adopté le rapport du Groupe de travail sur les communications (plaintes), qui a tenu 10 réunions au Siège depuis le 8 mars, et a examiné un certain nombre de communications concernant 16 Etats parties.  Le Groupe soumettra 48 recommandations à la plénière pour examen.


Le Comité des droits de l’homme, qui est composé de 18 experts indépendants, poursuivra l’examen du rapport de la Colombie demain, mardi 16 mars, à 10 heures.


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L’ARTICLE 40 DU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES


Cinquième rapport périodique de la Colombie (CCPR/C/COL/2002/5)


Dans ce rapport, le Gouvernement de la Colombie déclare qu’il a adopté le 12 août 1992 la « Politique de promotion, de respect et de garantie des droits de l’homme et d’application du droit international humanitaire ».  Conformément à ses obligations constitutionnelles et légales, et aux impératifs moraux qui guident son action et qui s’inspirent du respect et de la dignité de la personne humaine, l’un des objectifs de cette politique consiste à œuvrer pour que les droits de tous les habitants de Colombie soient respectés.  Cet objectif constitue la base même de la légitimité du Gouvernement.  Concernant les troubles que connaît la Colombie, le Gouvernement indique que l’un des thèmes prioritaires du processus de paix engagé à la suite des accords de paix consiste à humaniser le conflit et à assurer le plein respect du droit humanitaire international.  Le Décret 127 de janvier 2001 a institué le Programme présidentiel de promotion, de respect et de garantie des droits de l’homme et d’application du droit humanitaire international, dont une des tâches est d’aider le Président de la République à promouvoir et à coordonner les actions destinées à garantir une protection adéquate des droits de l’homme et l’application du droit international humanitaire.


Conformément aux principes établis lors de la Conférence de Vienne de 1993, le Gouvernement colombien travaille à l’élaboration d’un plan national d’action dans le domaine des droits de l’homme et du droit international humanitaire, qui se fonde sur l’intégralité des droits de l’homme et l’interdépendance de toutes les sources génératrices de droits, sans préjudice des priorités à accorder à l’action visant à protéger les droits à la vie, à la liberté et à l’intégrité physique.  Cette action doit avoir un caractère national et elle doit se perpétuer quelles que soient les priorités et orientations des gouvernements successifs.  En outre, son orientation doit être concertée.


Dans le cadre de l’humanisation du conflit armé, la Colombie exclut l’utilisation des mineurs au sein des forces militaires, une norme qui, selon ce rapport, a une portée supérieure aux dispositions internationales en vigueur en la matière.  Le Gouvernement conduit un ambitieux programme de protection des enfants abandonnés des suites du conflit armé, programme qui prévoit une assistance, une rééducation et une réinsertion sociale complète des mineurs.  La Colombie a également pris des mesures en vue d’assurer l’élimination des mines antipersonnel.  Conformément aux termes de la Convention d’Ottawa, qu’elle a ratifiée, la Colombie met en œuvre, dans le cadre du Programme présidentiel, un programme de prévention des accidents dus aux mines, et d’assistance aux victimes de ces engins.


Concernant les poursuites internes en rapport avec les atrocités commises lors du conflit armé, l’adoption par la Loi 599 du 24 juillet 2000 du nouveau Code pénal, marque un progrès important en Colombie pour le respect des engagements internationaux pris par l’Etat, indique le rapport.  Les comportements punissables nouvellement introduits dans le Code pénal sont un pas important dans la nécessaire adéquation normative que la ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale exigera de façon à rendre effectif le principe de complémentarité.  Ce principe permettra à la justice d’être saisie des crimes de guerre dont la gravité concerne toute la communauté internationale, garantissant le déroulement d’une procédure internationalement reconnue.  Certaines des graves violations aux dispositions du droit international humanitaire qui sont passibles de sanctions selon le Codé pénal colombien sont les suivantes: les homicides, passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à 40 ans; les lésions corporelles, qui sont passibles d’une peine de prison de plus de six ans; la torture, passible de peines pouvant atteindre 20 ans; les violences sexuelles, condamnables par des peines de neuf ans d’emprisonnement; les prises d’otages, passibles de 30 ans de prison.  En 2000, 3 706 actes de prises d’otages ont eu lieu en Colombie.  Le délit d’entrave aux activités médicales et humanitaires est passible de six ans de prison, tandis que le fait de contraindre une personne à participer à une lutte armée est passible lui aussi de six années de prison.  Dans le cadre de l’évocation des normes de la Constitution politique de 1991, le Gouvernement colombien rappelle dans ce rapport que l’article 11 de cette Constitution stipule que le droit à la vie est inviolable, et que la peine de mort n’existe pas.


Illustrant un cas patent de violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, le rapport fait état des évènements survenus à Bella Vista, siège municipal de Bojayá, dans le département de Chocó, au mois de mai 2002, où des actions menées par des groupes armés illégaux ont fait 119 tués au sein de la population civile.  Répondant à l’appel du Gouvernement, le Directeur du Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en Colombie a conduit, du 9 au 12 mai, une mission humanitaire sur les lieux des évènements.  Selon les informations recueillies, les massacres ont éclaté après les combats que se sont livrés les guérilleros des FARC et des forces illégales « d’autodéfense ».  Les 500 habitants de Bella Vista qui s’étaient réfugiés dans une église ont été atteints par un engin explosif lancé par les FARC, 119 personnes trouvant alors la mort, souligne le rapport de la mission.  Le document indique aussi que le groupe paramilitaire dénommé « Unités d’autodéfense de Colombie » (AUC) doit également être tenu pour responsable des faits survenus à Bella Vista, Bojoyá, les 1er et 2 mai 2002.  Concernant la responsabilité éventuelle de l’Etat, le rapport de la mission déclare que cette obligation n’a pas été respectée.  L’Etat sera donc responsable des morts violentes et des lésions corporelles infligées aux civils, ainsi que des dommages causés aux biens civils, lors des faits relatés.  Cette responsabilité entraîne l’obligation d’accorder réparation aux victimes et à leurs proches, déclare le rapport du Bureau du Haut Commissariat des droits de l’homme en Colombie.


      Dans son rapport, le Gouvernement colombien fait mention de la création par l’Assemblée constituante de 1991, de la fonction de Défenseur du peuple, qui est un organisme chargé de veiller « à la promotion, à l’exercice et à la diffusion des droits de l’homme ».  L’Assemblée, stipule le rapport, a ainsi répondu à la fois aux exigences nationales et internationales.  Elle a décidé de se conformer au modèle prévalant dans la région, qui consiste à confier cette responsabilité à un organisme autonome et spécialisé.  Les fonctions assignées au Défenseur du peuple par la Constitution consistent, entre autres, à aider tous les habitants de la Colombie et les Colombiens vivant à l’étranger à exercer et à défendre leurs droits devant les autorités compétentes ou des organes privés; à faire connaître les droits de l’homme et recommander les mesures à prendre à cet effet; à faire valoir le droit d’habeas corpus et engager l’action en protection, sans préjudice du droit des intéressés; à présenter des projets de loi dans les domaines relevant de sa compétence; et à présenter au Congrès des rapports sur ses activités. 


En parlant de la situation des droits de l’homme des populations autochtones en 2001, le Gouvernement indique dans ce rapport qu’il déploie des efforts considérables, par le biais du Programme de protection des populations autochtones du Ministère de l’intérieur, pour les protéger.  Grâce à ces efforts, le nombre d’homicides dont cette population a été victime a diminué en comparaison de l’année 2000, au cours de laquelle le Département administratif de la sécurité (DAS) en avait enregistré plus de 25.  Selon les informations du DAS, 57,14% des actes commis contre les populations autochtones entre janvier 1999 et juin 2001 sont imputables à des inconnus et à des délinquants de droit commun, 26,79% aux guérilleros du FARC et de l’ELN, et 16,7% aux groupes d’autodéfense.  En 2001, l’Unité des droits de l’homme de la Fiscalia General, un organisme gouvernemental spécialisé créé en 1994 pour faire face aux violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, a ouvert une enquête sur la disparition d’un membre de la communauté indigène Embara Katio de Tierralta, de la préfecture de Cordoba.  Cette affaire vient s’ajouter aux sept procès ouverts en 2000, dont quatre pour homicides, sur des actes commis contre des indigènes.


Concernant la situation des droits de l’homme des journalistes en 2001, le rapport indique qu’elle s’est considérablement dégradée par rapport à l’année 2000.  Selon l’Observatoire du Programme présidentiel pour les droits de l’homme, 24 actes violant les droits de l’homme ont été commis contre des journalistes en 2001, dont 17 homicides, sept menaces, trois séquestrations et trois attentats.  Les groupes d’autodéfense viennent en tête de la liste des auteurs de menaces contre des journalistes.  L’Etat s’emploie à faire la lumière sur ces affaires devant la justice, déclare le rapport.  S’agissant des droits de l’homme des syndicalistes, le rapport de la Colombie indique que 24 d’entre eux ont été assassinés en 2001, tandis que trois étaient séquestrés.  Un syndicaliste est porté disparu, et un attentat a été perpétré contre des représentants syndicaux.  L’Unité des droits de l’homme a entamé en 2001 neuf actions en justice pour violations des droits de l’homme des syndicalistes, qui viennent s’ajouter aux huit enquêtes ouvertes en 2000.  Quant à la situation dans les prisons colombiennes en 2001, le Gouvernement stipule dans le rapport que selon l’Institut national pénitentiaire et carcéral (INPEC), le taux de surpeuplement dans ces prisons était de 31,74%.


Pour ce qui est des déplacements forcés affectant certaines populations colombiennes, le rapport indique que selon les chiffres du Réseau de solidarité sociale (RSS), 130 877 personnes ont été déplacées en 2000, tandis que ce chiffre était en nette augmentation en 2001 pour atteindre 190 454 déplacés, soit une augmentation de 31,28%.  Les groupes d’autodéfense ont été responsables de 32,68% des déplacements forcés; les guérilleros de 31,10%, et les forces armées de l’Etat colombien, de 1,20%.  Selon le rapport, les déplacements forcés causés par la force publique ont nettement baissé, passant de 6% en 2000 à 0,20% en 2001.


Présentation du rapport par l’Etat partie


M. LUIS GUILLERMO GIRALDO, Chef de la délégation de la Colombie, a déclaré au Comité que le Président de la Colombie avait, au lendemain de son élection, demandé le maintien d’un bureau du Haut Commissariat aux réfugiés à Bogota.  La Colombie permet à des ressortissants de tous pays, travaillant en faveur des droits de l’homme, de mener leurs activités sur son territoire sous la couverture d’ONG reconnues.  L’objectif central de la sécurité démocratique, qui est le concept mis en œuvre en Colombie, est de permettre à tous les citoyens colombiens de jouir de tous leurs droits politiques et civiques.  Il ne s’agit pas pour le Gouvernement de construire un Etat fort, mais de bâtir un cadre de gouvernance qui permette aux citoyens colombiens de s’épanouir.  Notre Gouvernement respecte le rôle assigné par la Constitution au Défenseur des droits de l’homme.  En même temps, nous évitons de devenir un Etat faible qui serait incapable d’assurer la sécurité à ses citoyens.  Notre politique nous a permis de réduire les déportations de populations, les crimes contre les populations autochtones, les meurtres de journalistes et les divers abus des droits de l’homme perpétrés en Colombie.  Lors des derniers scrutins électoraux, les sièges locaux de la région de Bogota ont été remportés par des partis d’opposition, ce qui est une preuve de la vitalité de la démocratie colombienne.  La Colombie est soucieuse de faire avancer la cause des droits de l’homme, et nous accueillons positivement les demandes du Comité des droits de l’homme, a assuré le représentant.


Réponse de la délégation aux questions soumises par les experts


Cadre constitutionnel et juridique dans lequel le Pacte est appliqué (article 2)


S’agissant de la compatibilité entre la Loi 223 sur la lutte contre le terrorisme et le Pacte international, la délégation colombienne a expliqué que la loi, qui découle d’une réforme constitutionnelle, limite certains droits liés à la liberté et à l’inviolabilité du domicile et des communications.  Elle a précisé toutefois qu’une série de mesures avaient été prises pour éviter les abus.  La délégation a ainsi évoqué les différentes limites du champ d’application de la loi et cité le strict respect du principe de proportionnalité ainsi que les mécanismes de contrôle administratif, judiciaire et politique.  La délégation a aussi expliqué que le pouvoir judiciaire accordé à l’armée, dans le cadre de la loi, reste soumis aux règles et procédures imposées à tous les fonctionnaires judiciaires. 


Quant à la question relative au décret 128 de 2003, la délégation a expliqué que le but ultime est de multiplier les désertions au sein des organisations armées illégales.  Le décret prévoit que les personnes qui ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité mais qui n’ont jamais été jugés ni condamnés puissent faire valoir auprès du Comité opérationnel pour le dépôt des armes (CODA) leur droit à certaines faveurs.  Organe administratif, le CODA fonde sa décision sur l’appartenance réelle de la personne concernée à une organisation armée illégale et sur sa véritable volonté de renoncer à la lutte armée.  Le décret, a encore expliqué la délégation, découle de la Loi 182 de 2002.


Répondant à une question sur la réforme de la justice, la délégation de la Colombie a indiqué que le projet de texte n’était pas encore soumis à l’examen du Parlement.  Concernant les mesures adoptées par l’Etat colombien pour combattre et démanteler les groupes paramilitaires, elle a dit que le Président de la Colombie avait jeté les bases d’un dialogue avec ces groupes tout en élaborant une politique nationale de sécurité.  La porte reste ouverte à tous les groupes armés illégaux voulant participer à des négociations.  L’objectif du Gouvernement est de réintégrer les membres des groupes paramilitaires dans la société, et c’est pourquoi le Gouvernement colombien avait demandé aux Nations Unies de nommer un médiateur pour établir des contacts entre l’autorité publique et ces groupes armés.  En décembre 2002, le Gouvernement avait créé une commission chargée de mener des pourparlers avec les groupes armés illégaux, a poursuivi la délégation.  Ce dialogue est en cours, la condition de sa poursuite étant cependant le maintien d’un cessez-le-feu.  Le Gouvernement colombien voit d’un œil favorable l’intervention dans ce processus d’une délégation de l’Organisation des Etats américains (OEA), dont le rôle est de soutenir les efforts visant l’arrêt des hostilités.


La mise en place de mécanismes juridiques est indispensable pour garantir le respect du cessez-le-feu en Colombie.  C’est pourquoi, le Gouvernement, sous la houlette du Président de la République, a élaboré un projet de loi que toutes les parties seront invitées à débattre.  Lors de sa venue à l’Assemblée générale des Nations Unies, le Président colombien avait demandé à la communauté internationale de soutenir en Colombie un dialogue public, large et démocratique sur ce projet de loi qui devrait donner naissance à un mécanisme juridique reconnu par toutes les parties.  Le projet actuel contient des mesures d’établissement des faits et d’indemnisation des victimes, a dit la délégation.  Nous voulons trouver une formule qui fasse justice aux victimes tout en soutenant le renforcement du processus de paix, a souligné la délégation.  Au cours de l’année écoulée, a-t-elle précisé, 700 membres des groupes d’autodéfense ont été réintégrés à la société colombienne.


Poursuivant, la délégation a indiqué que l’autorité publique est le seul organe de coercition de l’Etat, en soulignant que sa légitimité s’appuie sur sa volonté de lutter contre tous les groupes armés illégaux, ou contre toute personne qui menace la liberté et les droits des Colombiens.  La délégation a aussi rappelé qu’en vertu du décret 324 de 2000, a été créé un centre de coordination de la lutte ces groupes armés, qui est composé de représentants des Ministères de la défense, de l’intérieur et de la justice, ainsi que du Procureur de la République, du Commandant des forces armées et du Directeur général de la police nationale.


Elaborant sur l’administration de la justice, la délégation a indiqué que le Procureur de la République est habilité à adopter des mesures visant à garantir la comparution des présumés coupables devant le tribunal.  En vertu de cette procédure, le Procureur prend des mesures juridictionnelles fondées sur des éléments de preuve.  Il dirige l’enquête et assure l’administration de la preuve.  Voulant dissiper une ambiguïté sur le prétendu lien entre les groupes paramilitaires et les agents de sécurité de l’Etat, la délégation a évoqué les statistiques des Ministères des droits de l’homme et de la justice.  Entre août 2001 et janvier 2004, 64 décisions d’ouverture d’enquêtes et plusieurs mesures privatives de liberté ont été prises.  La délégation a particulièrement insisté sur les 75 accusations qui ont été faites à l’encontre de personnes appartenant au Corps de sécurité de l’Etat.  Depuis 2000, la force publique, qui est chargée d’éradiquer ce lien, fait état d’une augmentation de 85% des interpellations des forces d’autodéfense.  S’agissant du travail judiciaire, le Procureur de la République avance des chiffres selon lesquels les arrestations des membres des forces de légitime défense illégales ont augmenté de 133% entre 2002 et 2003, soit respectivement 1 336 et 3 663 personnes.


Répondant à une question sur les mesures prises pour garantir l’application des décisions relatives au Protocole facultatif au Pacte, la délégation colombienne a indiqué que le Gouvernement avait décidé de donner effet aux recommandations du Comité.  La Colombie examine soigneusement chaque décision, recommandation ou décision du Comité.  La Loi 288, adoptée en 1996, a été examinée par la Cour constitutionnelle de Colombie, qui est parvenue à la conclusion qu’il était possible d’exécuter les sentences finales prises avant l’adoption de la Loi.  Dans le cadre de la Loi 288 de 1996, une Commission interministérielle se réunit régulièrement pour examiner l’application des décisions du Comité des droits de l’homme.  La Constitution de la Colombie reconnaissant la protection des droits fondamentaux, toute personne peut demander un recours exécutoire sur le cas qui la concerne si elle estime que la décision judiciaire ne la satisfait pas.


Egalité des droits entre hommes et femmes; principe de non discrimination et promotion de la famille et de l’enfant (article 3)


Répondant à la question du Comité relative au nombre limité de condamnations contre les nombreuses violences sexuelles et sexistes que connaît la Colombie, la délégation a indiqué que le nombre réduit de condamnations contre ces violences sexuelles ou sexistes pouvait s’expliquer par le manque de bases statistiques viables sur la question.  Il faut aussi être conscient du fait que de nombreuses victimes sont réticentes à faire savoir ce qui leur est arrivé, de peur d’être stigmatisées par la société, a-t-il ajouté.  Cependant, le Gouvernement de Colombie encourage les victimes à rechercher la protection que l’Etat leur accorde.


S’agissant des ressources allouées aux programmes en faveur des femmes, des familles et des enfants, le représentant a indiqué que depuis le dernier rapport, le Gouvernement avait réduit de 25% le taux d’analphabétisme des enfants colombiens, et qu’il avait pu aider sur le plan alimentaire 4 200 familles de personnes déplacées, grâce à l’appui du Programme alimentaire mondial (PAM).  La Colombie a elle-même versé 20 millions de dollars à ces programmes d’alimentation d’urgence, et plus de 400 millions de pesos colombiens en faveur de la promotion de l’habitat pour les groupes déplacés.  Elle a en outre versé sept millions de dollars en faveur des minorités afro-colombiennes déplacées.  


Etats d’exception (article 4)


      Répondant à une question des experts, la délégation a indiqué qu’aucune initiative n’a été prise pour limiter les compétences de la Cour constitutionnelle en supprimant son droit de statuer sur la légalité des mesures d’urgence.  Le Gouvernement, a-t-il été précisé, n’a jamais envisagé de modifier le pouvoir que la Cour exerce lorsqu’il décrète un état d’exception. 


Droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne; interdiction de la torture (articles 6, 7 et 9)


Concernant le projet du Gouvernement de recruter un grand nombre de « soldats paysans » qui participeraient à la guerre contre la guérilla tout en continuant à vivre dans leur propre communauté, la délégation a rappelé que la stratégie n’est pas nouvelle et qu’elle remonte à la Loi 48 de 1993.  Il s’agit d’assurer aux habitants des régions éloignées la protection de leurs droits.  Ces unités, a affirmé la délégation, ont donné de bons résultats dans 450 communes sur les 1 600 que compte la Colombie.  Aujourd’hui, le Gouvernement reçoit, en moyenne, trois demandes par jour émanant de communes qui veulent se doter, à leur tour, d’unités de « soldats paysans ».  


A une question des experts sur les enquêtes judiciaires en Colombie, la délégation colombienne a répondu qu’il était quasiment impossible, étant le nombre considérable de meurtres et d’agressions commis, de mener des enquêtes sur tous ces actes criminels.


L’Etat colombien a-t-il créé des réseaux d’informateurs et de collaborateurs chargés de fournir des renseignements contre les groupes armés aux forces de sécurité?  Comment sont évaluées ces informations et à quel genre de contrôle obéissent les informateurs?  A ces questions, la délégation a indiqué que toute information fournie était soumise aux autorités policières et judiciaires.  Les informateurs ne reçoivent aucune rémunération pour les renseignements qu’ils fournissent, a-t-il précisé.  Il s’agit d’assurer la sécurité de communautés, a-t-il poursuivi, en citant la réduction du nombre d’enlèvements, de vols de voitures et d’assassinats ciblés que les informations fournies ont permis.  Le Gouvernement tient à rappeler que ces actions entrent dans le cadre de la lutte contre la criminalité endémique et le terrorisme rampant qui minent la Colombie.  Cette lutte ne peut être menée à bien qu’avec le soutien de la population.


Revenant aux questions concernant la protection de la famille et la lutte contre les violences familiales, la délégation colombienne a indiqué que les efforts déployés par le Gouvernement se heurtaient à des résistances culturelles et structurelles.  Le programme « Femmes promotrices du développement », lancé par l’Etat, a cependant permis d’initier diverses actions, dont le renforcement des institutions, en vue d’intégrer les aspects sexospécifiques dans les actions menées au niveau national.  La Colombie veut appliquer ces politiques dans toutes les actions de l’administration publique.  Un programme de prévention de la violence familiale basé sur l’éducation des individus est en cours.  Ce programme vise à changer la culture de la société colombienne, génératrice de violence.  La violence entre les sexes est une donnée persistance de la société colombienne, où se perpétue notamment le phénomène de la traite des femmes.  Tous les efforts du Gouvernement visent à assurer aux femmes une égalité des droits.  Concernant la question relative aux droits sexuels et génésiques de la femme, la Colombie reconnaît explicitement ces droits et investit dans ce domaine.  Le Gouvernent investit dans la lutte contre le VIH/sida et cherche à limiter le nombre d’avortements.  La Colombie condamne l’avortement, et réprime à la fois l’homme et la femme qui s’en rendent coupables.  Les peines sont cependant atténuées dans les cas de viol ou d’insémination artificielle forcée de la femme.


La Colombie soutient les Conventions de Genève et s’engage à poursuivre les auteurs d’actes de génocide, a ensuite déclaré la délégation colombienne en réponse à une question du Comité.  Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, la Colombie n’a cependant pas connu de crimes qui pourraient s’apparenter au génocide, a-t-elle indiqué.  Concernant les déplacements forcés de populations, que connaissent tous les pays issus de la colonisation espagnole des Amériques, le Gouvernement reconnaît que des actes de cette nature se produisent encore contre des populations autochtones.  Ces actes, dont certains font en ce moment l’objet de poursuites judiciaires, sont condamnés par le Gouvernement colombien.


S’agissant du « nettoyage social » qui vise les enfants des rues, les homosexuels, les prostitués et les petits délinquants, la délégation colombienne a expliqué que le phénomène est lié au conflit et qu’il a été créé par les organisations de légitime défense illégales contre lesquelles le Gouvernement mène une lutte acharnée.


Questions supplémentaires des experts


Souhaitant des précisions supplémentaires, M. HIPOLITO SOLARI YRIGOYEN de l’Argentine a fait part de ses sentiments mitigés à l’égard du rapport de la Colombie.  Il est difficile, a-t-il fait remarquer, de voir l’impact réel des « innombrables » organismes d’Etat et mesures législatives en matière de droits de l’homme.  Passant d’abord en revue les aspects positifs du rapport, l’expert a invoqué les documents des Nations Unies, ceux des ONG, ses propres sources et celles de la presse régionale, pour dénoncer une aggravation de la situation des droits de l’homme.  Aujourd’hui, le nombre de personnes victimes de violence politique a atteint une moyenne de 20 par jour, et celui des personnes disparues n’est pas plus encourageant comme en atteste l’enlèvement de la candidate aux élections présidentielles, Ingrid Bettancourt.  L’expert a aussi dénoncé le fait que la première mesure que le Président ait prise, après son investiture, ait été de déclarer l’état d’exception.  L’expert a ainsi dit avoir du mal à comprendre le concept de « nation en arme » qui, a-t-il estimé, viole le principe de la distinction entre armée et population civile.  Passant ensuite à la réforme constitutionnelle qui, selon l’expert, comporte des dispositions enfreignant les droits de l’homme, il s’est, par exemple, demandé si le mandat même du CODA ne revient pas à cautionner l’impunité.  Comment expliquer l’augmentation du nombre de combattants dans les groupes paramilitaires? a-t-il encore demandé en souhaitant en connaître davantage sur le nombre d’interpellations effectuées.  Enfin, l’expert a jugé étrange qu’un Etat partie au Pacte confie à une commission ministérielle le pouvoir de donner effet ou non aux décisions de la Commission des droits de l’homme.  Il a aussi critiqué les dispositions relatives aux objecteurs de conscience.


Evoquant, pour sa part, la question de la violence domestique, Mme RUTH WEDGWOOD des Etats-Unis a dit ne pas comprendre l’absence de statistiques sur le nombre de procès et des poursuites judiciaires.  Elle s’est aussi interrogée sur l’existence dans le pays de programmes de formation judiciaire.  Commentant aussi la question de l’avortement, elle a souligné que les poursuites criminelles ne peuvent que stigmatiser la femme comme criminelle.  Qu’en est-il alors des grossesses dues à des actes violents tels que l’inceste?  Quelles mesures le Gouvernement prévoit-il pour protéger ces femmes-là.  De manière générale, est-ce que des programmes de conseils juridiques ont été mis en place?  Les femmes connaissent-elles les voies de recours qui leur sont offertes? a demandé l’experte.  Abordant la question des personnes déplacées parmi les minorités ou les populations autochtones, Mme Wedgwood a voulu savoir qui des autorités locales ou du Gouvernement est chargé de la question.  Elle a aussi voulu savoir si ces minorités ou populations autochtones ont droit au chapitre politique. 


A son tour, M. NIGEL RODLEY du Royaume-Uni a dénoncé les violations massives des droits de l’homme de la part des forces de l’Etat et des éléments paramilitaires « établis avec l’assentiment des forces de sécurité ».  Jugeant « agréable » d’entendre parler des programmes pour démanteler ces éléments, l’expert s’est inquiété des dispositions prévoyant l’amnistie éventuelle de personnes désireuses de déposer les armes.  Qu’en est-il si, après octroi de l’amnistie, il apparaît qu’une de ces personnes a été impliquée dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité?  Peut-elle faire valoir l’amnistie dont elle a bénéficié?  Venant au pouvoir de la Cour constitutionnelle, l’expert a voulu en savoir plus sur les propositions visant à limiter sa compétence sur la déclaration d’un état d’exception.  Revenant aussi sur la question des « paysans soldats », l’expert s’est interrogé sur la différence entre ces derniers et les autres militaires.  S’agit-il « de la même version du même monstre qui, à l’instar de Frankenstein, finira par échapper à tout contrôle? », a ironisé l’expert avant de demander des clarifications sur les statistiques relatives aux poursuites judiciaires à l’encontre des membres des organisations dites illégales.  Il est, par ailleurs, revenu au concept de « solidarité sociale » par lequel tout Colombien doit dénoncer quiconque s’opposant aux militaires.  Les ONG auraient-elles raison quand elles dénoncent la volonté du pouvoir en place d’écraser toute opposition? s’est interrogé l’expert, en demandant les chiffres précis des déplacements forcés et des disparitions.  Quels en sont les auteurs et dans quel type de segment de la population opèrent-ils?  S’attardant aussi à la question du « nettoyage social », il a dénoncé un climat favorable à l’élimination sommaire de personnes « dites à problèmes ».  Si les paramilitaires et les forces de légitime défense ont été montrés du doigt, qu’en est-il des militaires? a conclu l’expert.


Emettant des doutes quant à la question des informateurs et des collaborateurs, M. FRANCO DEPASQUALE, de Malte, a souhaité connaître la différence entre ces deux catégories de personnes et leur nombre.  Quels sont les rapports entre l’Etat et les ONG s’agissant des droits de la femme, a-t-il, par ailleurs, demandé avant que M. WALTER KALIN de la Suisse ne pose d’autres questions sur le déplacement interne.  Il a demandé plus de renseignements sur la suite donnée à l’avis de la Cour constitutionnelle selon lequel la manière dont les personnes concernées sont traitées constitue un mépris des droits constitutionnels.  La situation d’Ingrid Bettancourt a été également évoquée par Mme CHRISTINE CHANET de la France qui s’est, par ailleurs, déclarée heurtée par les réponses données à la question de l’avortement, compte tenu du taux élevé de décès causés par les avortements clandestins.  Faire entrer dans le système pénal une femme qui a avorté après avoir subi un viol et passer outre les concepts de faits justificatifs et de circonstances atténuantes est difficilement compréhensible, a tranché l’experte en ajoutant qu’une telle situation ne saurait perdurer.  Y a-t-il un mécanisme qui constituerait une dérogation au Pacte? s’est inquiété, à son tour, M. IVAN SHEARER de l’Australie qui s’est aussi interrogé sur les mécanismes d’application du Protocole facultatif.


Composition de la délégation de l’Etat partie


MM. Guillermo Giraldo, Représentant permanent de la Mission de la Colombie auprès des Nations Unies; Carlos Franco, Directeur du Programme des droits de l’homme auprès de la Vice-Présidence de la République; Andrès Ramírez, Procureur général adjoint de la République; Gustavo Dajer, Représentant permanent adjoint de la Mission de la Colombie auprès des Nations Unies; Nicolàs Rivas, Représentant permanent adjoint de la Mission de la Colombie auprès des Nations Unies; et Mme Luz Marina Gil, Représentante du Ministère de la défense.


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