SG/SM/9044

L’ACCEPTATION DU LEADERSHIP AMERICAIN DEPEND DE SON ANCRAGE DANS LE MULTILATERALISME, LE DIALOGUE ET LA PRIMAUTE DU DROIT, AFFIRME KOFI ANNAN

3/12/03
Communiqué de presse
SG/SM/9044


L’ACCEPTATION DU LEADERSHIP AMERICAIN DEPEND DE SON ANCRAGE DANS LE MULTILATERALISME, LE DIALOGUE ET LA PRIMAUTE DU DROIT, AFFIRME KOFI ANNAN


On trouvera ci-après le discours que le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan,a prononcé aujourd’hui à Los Angeles devant le « World Affairs Council »:


Merci, John [Negroponte], de ces paroles fort aimables.

Et merci, Eli [Broad] et Larry [King], et vous tous ici présents, de l’accueil  chaleureux que vous nous avez réservé.


Ma femme, Nane, et moi-même sommes très heureux de nous retrouver parmi nos amis à Los Angeles, et de nous joindre au World Affairs Council au moment où il célèbre son cinquantième anniversaire.


Voilà 50 ans que vous vous acquittez d’une noble mission. Vous faites venir en Californie des dirigeants, des hommes politiques et des diplomates – des Etats-Unis comme d’autres pays du monde – pour qu’ils parlent aux Californiens de questions d’intérêt mondial et s’inspirent à leur tour de l’originalité de pensée si caractéristique de la Californie.


Pour beaucoup de gens, la Californie incarne les Etats-Unis. Elle se caractérise par son ouverture, sa créativité, sa diversité et sa confiance en l’avenir.


De fait, chaque fois que je viens en Californie, j’en repars dynamisé et revigoré. Et je me dis  « Je reviendrai ».


Chers amis,


J’ai choisi de parler ce soir d’une question qui me tient particulièrement à cœur: l’importance de l’Organisation des Nations Unies pour l’avenir de l’humanité.


Cela me ramène au demi-siècle qui a précédé la création de l’Organisation des Nations Unies en 1945, une des époques les plus destructrices et les plus terrifiantes de l’histoire de l’humanité. Deux fois en l’espace d’une génération, la planète s’est trouvée entraînée dans une guerre mondiale. Aucun continent n’a été épargné. Une bonne partie de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique ont été dévastées.


Après la Première Guerre mondiale, sous l’impulsion du Président Wilson, la Société des nations a été créée pour maintenir la paix. Malgré de véritables progrès dans les domaines économique et social, la Société des nations a échoué, paralysée par l’isolationnisme américain, la politique d’apaisement des Européens et la désunion des démocraties face à des Etats totalitaires puissants et militaristes.


Les espoirs de Woodrow Wilson ont été anéantis avec l’invasion de la Pologne et l’attaque contre Pearl Harbor. Les horreurs se sont multipliées, culminant avec l’holocauste et Hiroshima. Si le cours des choses n’avait pas changé, l’avenir aurait été très sombre.


Heureusement, les choses ont changé. Les alliés victorieux de la Seconde Guerre mondiale ont décidé de créer une organisation mondiale qui ferait rempart contre les souffrances que venait de connaître le monde et pourrait préserver les générations futures du fléau de la guerre.


Et le Président Roosevelt, ayant tiré une leçon importante de l’échec de la Société des nations, prit alors l’initiative. Il ne croyait pas qu’une organisation internationale était vouée à l’échec et que les Etats-Unis devaient une fois de plus s’isoler et compter uniquement sur leur puissance militaire.


Au lieu de cela, il a décidé qu’il était dans l’intérêt de son pays de promouvoir la mise en place d’une nouvelle organisation internationale suffisamment forte et crédible pour faire échec à toute velléité d’agression. Il voulait une organisation qui permettrait aux grandes puissances de jouer un rôle spécial et d’exercer leur ascendant de manière légitime et collective.


Nombre de grands hommes d’État du monde entier partageaient sa vision, qui a pris forme ici même, en Californie. A San Francisco, en juin 1945, les représentants de 50 nations, dont le Président Truman, ont signé la Charte des Nations Unies.


L’engagement des Etats-Unis envers l’Organisation des Nations Unies n’a pas été le produit d’une politique partisane. La ratification de la Charte des Nations Unies a même été l’un des grands actes bipartisans de l’histoire américaine. Le Sénat s’est prononcé par 89 voix contre 2 en faveur de cette charte et des hommes d’État républicains tels qu’Arthur Vandenberg et John Foster Dulles l’ont soutenue avec enthousiasme.


Le successeur républicain de Truman, le Président Eisenhower, s’est révélé tout aussi foncièrement attaché à l’Organisation des Nations Unies. Dans l’un des actes les plus visionnaires de l’histoire contemporaine, il proposa à l’Assemblée générale le concept « L’atome au service de la paix », qui permit d’endiguer le développement des capacités d’armement nucléaire. Ce fut également Eisenhower qui insista sur la primauté de l’Organisation des Nations Unies lors de la crise de Suez en 1956.


Depuis sa création, l’Organisation des Nations Unies porte par conséquent l’empreinte des Etats-Unis et les dirigeants américains l’ont toujours considérée comme essentielle à la sécurité du pays.


Son bilan est loin d’être parfait. Le Conseil de sécurité, à savoir les cinq membres permanents et les 10 membres siégeant par roulement, n’a pas pu empêcher des atrocités telles que celles commises par les Khmers rouges au Cambodge, le nettoyage ethnique dans l’ex-Yougoslavie et le génocide au Rwanda.


Il n’a pas su non plus mettre un terme à nombre de guerres coloniales brutales, à de terribles guerres civiles et à plusieurs conflits internationaux sanglants, notamment en Indochine, en Asie du Sud, au Moyen-Orient et dans la région des Grands Lacs en Afrique.


Pour paraphraser un autre Américain, Henry Cabot Lodge, que l’un de mes prédécesseurs, Dag Hammarskjöld, aimait à citer, l’Organisation n’a pas envoyé l’humanité au paradis, mais elle a joué un rôle vital pour la préserver de l’enfer.


Malgré l’équilibre précaire de la terreur nucléaire, qui aurait pu sonner le glas de l’humanité à tout moment, le monde n’a plus connu de conflit universel comme il l’avait fait deux fois en l’espace de 30 ans.


L’Organisation des Nations Unies a permis d’aborder de nombreuses questions de sécurité et contribué à écarter la menace d’holocauste nucléaire. Elle a offert aux Etats une tribune essentielle pour débattre et échanger leurs vues, notamment lors de la crise des missiles cubains.


Elle a également servi à contrer la Corée du Nord, et aussi l’Iraq au lendemain de l’invasion du Koweït, permettant ainsi de préserver la paix et de faire cesser l’agression.


L’ONU a joué un rôle essentiel dans le règlement de la crise des otages au Liban et du conflit entre l’Iran et l’Iraq et dans le rétablissement d’une paix durable au Kosovo.


Ce sont les soldats de la paix qui ont empêché les conflits au Moyen-Orient, au Cachemire, à Chypre, en Géorgie et ailleurs de dégénérer et de déstabiliser encore davantage la planète.


Grâce à l’ONU, la paix a été rétablie dans de nombreux pays, notamment au Cambodge, en El Salvador, au Guatemala, au Mozambique, en Namibie, en Sierra Leone et au Timor oriental, pour ne parler que des 15 dernières années.


C’est aussi grâce à l’ONU que l’amorce d’un règlement, selon des principes largement acceptés, s’est fait jour pour de nombreux conflits. Le plus  important est celui du Moyen-Orient pour lequel les résolutions 242, 338 et 1397 du Conseil de sécurité demeurent la base communément admise d’une solution prévoyant deux Etats.


L’Organisation des Nations Unies a également apporté une aide à des millions de personnes touchées par la guerre, la famine et les inondations.


Dans le domaine économique et social, les organismes des Nations Unies, notamment la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce et le GATT qui l’a précédée, ont permis de faire au cours du demi-siècle qui vient de s’écouler des progrès remarquables.


L’économie mondiale ne s’est pas seulement relevée des effets dévastateurs de 1945, elle a pris un essor sans précédent. Des progrès techniques remarquables ont également été accomplis.


Même dans les pays en développement où des milliards de personnes vivent encore dans une pauvreté abjecte, la croissance économique a été spectaculaire. La mortalité infantile a diminué et l’analphabétisme a reculé.


La variole a été éradiquée. La sécurité aérienne s’est améliorée et un coup d’arrêt a été donné à l’appauvrissement de la couche d’ozone.


Au fil des traités et des dispositifs qui ont été mis en place pour assurer la protection et la promotion des droits de l’homme, c’est une charte internationale des droits qui s’est constituée.


Dans plusieurs parties du monde, les femmes ont fait valoir leurs droits, de même que les groupes ethniques opprimés.


Le monde en développement s’est débarrassé du joug du colonialisme et l’ONU a joué un rôle crucial à cet égard. Ce n’est qu’après la décolonisation qu’elle a acquis sa véritable dimension planétaire; l’ONU compte à présent 191 Etats Membres.


De l’Afrique du Sud au bloc soviétique, des milliards d’êtres humains ont enfin pu accéder à la liberté politique.


Au fil du temps, en grande partie grâce aux succès que je viens d’évoquer, des gens issus de nations et de cultures différentes ont cessé de se craindre et de se méfier les uns des autres et en sont venus à se voir comme des partenaires potentiels avec lesquels échanger marchandises et idées, pour le plus grand bénéfice de chacun.


À mesure que la logique d’empire cédait le pas à l’expansion économique, le monde devenait de plus en plus ouvert, de plus en plus confiant.


Mais, par-dessus tout, c’était un monde d’espoir.  Or, un tel espoir n’allait pas de soi. Les raisons sur lesquelles il reposait étaient multiples, et les Etats-Unis y étaient évidemment pour beaucoup.


Les succès remportés pendant cette période supposaient une coopération sans précédent entre les gouvernements et les peuples du monde, coopération dont l’ONU était le plus souvent le théâtre.


Et c’est lorsque les Etats-Unis se sont entendus avec d’autres Etats Membres pour fixer et atteindre des objectifs communs que cette coopération a été la plus fructueuse.


Il y a à peine trois ans, réunis au Siège de l’ONU, les dirigeants de la planète ont adopté la Déclaration du Millénaire, où sont énoncés les objectifs à atteindre à l’aube du nouveau siècle.


Ils sont convenus que l’ONU devait contribuer de manière plus active à définir notre avenir commun.


Le nouveau siècle était pour eux à la fois un défi et une chance à saisir, l’occasion pour l’humanité d’accomplir des progrès mesurables sur de nombreux fronts : paix, sécurité, désarmement, droits de l’homme, démocratie et bonne gouvernance. Ils se sont engagés à protéger les plus vulnérables et à répondre aux besoins spéciaux de l’Afrique, et ont préconisé la mise en place d’un système commercial ouvert et équitable.


Ils se sont engagés à atteindre les objectifs fixés en matière de développement en l’espace de 15 ans, à savoir, réduire de moitié la misère et la faim dans le monde; assurer l’éducation primaire universelle; enrayer la propagation du VIH/sida, du paludisme et d’autres maladies; réduire la mortalité infantile des deux tiers et la mortalité maternelle des trois quarts.

Et puis, il y a eu le 11 septembre 2001 et les horribles attentats terroristes perpétrés contre les Etats-Unis, menaçant de tuer dans l’œuf la nouvelle ère d’espoir et de confiance qui s’annonçait.


Alors que nous nous recueillions sur le lieu même de la tragédie, à quelques kilomètres à peine du Siège de l’ONU, nous avons été nombreux à pressentir qu’au lieu de promettre des lendemains qui chantent, le XXIe siècle risquait de ressembler à la première moitié du XXe, en plus dangereux.


Nous avons vu le danger que des extrémistes violents aussi intraitables qu’insaisissables, et susceptibles de se procurer des armes au terrible pouvoir de destruction, faisaient courir à la planète.  Et nous avons aussi pressenti d’autres dangers. Le danger de voir les frontières se refermer; celui que l’autre, parce qu’il appartient à une religion ou à une culture différente, redevienne un ennemi en puissance; que des libertés conquises de haute lutte soient restreintes ou étouffées; que la marche vers la démocratie et les droits de l’homme soit stoppée net; que la recherche de solutions à des conflits anciens et à des injustices persistantes ne soit remise aux calendes grecques; que des mesures de légitime défense ne se traduisent, directement ou indirectement, par davantage de destructions.


Tous les gouvernements de la planète, ou presque, ont immédiatement compris que la meilleure manière, et peut-être la seule manière, d’empêcher que cela ne se produise était d’affronter les dangers ensemble.


À l’ONU, les gouvernements se sont déclarés solidaires des Etats-Unis, à qui ils ont reconnu le droit d’agir en légitime défense comme le prévoit l’Article 51 de la Charte. Ils sont convenus de conjuguer leurs efforts pour appréhender les terroristes et les traduire en justice et pour les couper de leurs sources de financement. Après la défaite des Taliban, l’ONU a présidé à la création d’un gouvernement intérimaire largement accepté en Afghanistan.


Le monde a rarement été aussi uni que dans les mois qui ont suivi les attentats du 11 septembre – uni et solidaire des Etats-Unis.


Mais comme ce moment d’unité semble loin aujourd’hui!


De nouvelles divisions se sont fait jour. Des dissensions ont opposé la coalition qui est intervenue en Iraq et les nombreux gouvernements qui étaient contraires à une telle intervention.


Des malentendus regrettables ont surgi, tant au sein du monde musulman qu’en Occident.


L’échec des négociations commerciales de Cancún, qui auraient dû concrétiser les promesses de Doha, a fait apparaître de nouveaux désaccords entre le Nord et le Sud.


Les gouvernements et les médias, en sont venus aux insultes, chacun refusant de prêter attention aux préoccupations des autres. En fait, en voulant faire taire tous ceux qui ne sont pas d’accord, on risque de se priver de conseils avisés.


Dans un tel climat d’acrimonie, certains n’ont pas hésité à mettre en cause l’importance du rôle de l’ONU.


Je considère pour ma part que tous ces événements ne font que confirmer l’utilité de l’ONU. L’action collective est nécessaire pour mettre fin à la prolifération des armes de destruction massive et pour reconstruire les sociétés en perdition.


De même, une action collective est tout aussi indispensable pour faire progresser les droits de l’homme et la démocratie, pour enrayer le réchauffement de la planète et la destruction de l’environnement et pour stopper la propagation du VIH/sida, domaine dans lequel le Président Bush a pris quelques initiatives encourageantes.


Les dangers que je viens d’évoquer sont bien réels, de même que les ennemis à combattre. Cependant, notre pire ennemi est peut-être la peur. Si nous nous laissons gouverner par elle, semant du même coup la division, nous risquons de perdre la plupart des acquis que nous avons engrangés en un demi-siècle.


Si, au contraire, nous nous laissons guider par la confiance et la volonté de vivre dans un monde aux valeurs partagées régi par des règles communes, je suis convaincu que nous pouvons venir à bout de l’isolement et du désespoir que les terroristes s’emploient à fomenter et faire face à nos ennemis par la force conjuguée des nations.


Il faut évidemment une figure de proue. Les Etats-Unis sont à présent la seule superpuissance de la planète. Mais un tel pouvoir suppose une responsabilité aussi grande.


Je pense que le monde est prêt à accepter le leadership des Etats-Unis, mais je pense aussi que ce leadership suscitera davantage d’admiration et moins de ressentiment, et sera en fait plus efficace, s’il s’exerce dans un cadre multilatéral, repose sur le dialogue et l’instauration progressive d’alliances par la diplomatie et s’il contribue à renforcer la primauté du droit dans les relations internationales.


Ce sont exactement les principes sur lesquels se fonde l’ONU, et les Etats-Unis y sont pour beaucoup. Ils sont plus importants que jamais, à l’heure où, sous l’effet de la mondialisation, notre planète devient plus petite, où les décisions des puissants ont des répercussions jusque dans les coins les plus reculés et où les extrémistes menacent de nous faire replonger dans l’anarchie.


En 1945, les Etats-Unis ont joué un rôle moteur dans la création de l’ONU; le monde y a gagné une institution irremplaçable et une raison d’espérer.


L’ONU n’est pas parfaite, mais elle est indispensable à la sécurité et au progrès de toutes les nations, y compris la vôtre.


Sachons en tirer parti et veillons à la rendre plus efficace pour que le droit, la liberté et la paix l’emportent sur la guerre, la tyrannie et le terrorisme.


Je crois fermement que l’ONU représente l’espoir pour les femmes comme pour les hommes, pour les pauvres comme pour les riches et pour tous les pays, qu’ils soient grands ou petits.


Je vous remercie.


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