SG/SM/9011

KOFI ANNAN APPELLE LES DIRIGEANTS LATINO-AMERICAINS A CORRIGER LES INEGALITES ECONOMIQUES CROISSANTES

17/11/2003
Communiqué de presse
SG/SM/9011


KOFI ANNAN APPELLE LES DIRIGEANTS LATINO-AMERICAINS A CORRIGER LES INEGALITES ECONOMIQUES CROISSANTES


On trouvera ci-après l’allocution que le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a faite, le 14 novembre, au XIIIème Sommet ibéro-américain qui se tient à Santa Cruz de la Sierra en Bolivie:


C’est pour moi un grand honneur d’être invité à participer à ce sommet.


Je me joins à vous avec beaucoup d’humilité, car je suis originaire d’un autre continent mais j’admire depuis longtemps la vitalité et la diversité de la culture latino-américaine et la richesse de ses racines autochtones, africaines, espagnoles et portugaises.


Ce sommet couronne 10 jours palpitants.  J’ai été reçu avec une hospitalité des plus chaleureuses dans quatre de vos pays, pays qui, malgré leurs nombreux problèmes intérieurs, nous ont accueillis, mes collaborateurs et moi-même, de façon inoubliable.


C’est particulièrement vrai du pays qui nous accueille aujourd’hui, la Bolivie.  Nous sommes tous conscients des épreuves difficiles que les Boliviens ont connues ces dernières semaines et des graves problèmes auxquels ils doivent encore faire face.  Monsieur le Président, je suis sûr que je me fais l’écho de tous ici présents en disant que nous vous sommes d’autant plus reconnaissants de l’hospitalité généreuse que vous et votre peuple nous avez offerte.


Permettez-moi d’ajouter que dans la région cet accueil chaleureux n’est pas une surprise.  La plupart des Etats d’Amérique latine sont des membres fondateurs de l’ONU.  Nombre d’entre eux fournissent des contingents à nos opérations de maintien de la paix et, au fil des ans, le monde a bénéficié des services de nombreux diplomates, penseurs et hommes d’État remarquables originaires d’Amérique latine.


Je pense bien sûr en particulier à mon éminent prédécesseur, Javier Pérez de Cuellar, mais aussi à mon cher ami Sérgio Vieira de Mello, qui a aidé tant de gens dans tant de régions du monde et qui, il y a moins de trois mois, a payé de sa vie son dévouement au peuple iraquien.  La douleur que nous avons tous ressentie devant cette disparition rapproche l’ONU et le monde ibéro-américain.


S’il avait vécu plus longtemps, Sérgio aurait assurément accompli bien davantage en tant que Haut Commissaire aux droits de l’homme.  Et cela n’aurait pas été surprenant car l’Amérique latine a contribué à la constitution du mouvement mondial de défense des droits de l’homme que nous connaissons aujourd’hui.


Vos peuples ont fait preuve d’un grand courage en résistant aux dictatures militaires des années 70.  Ils ont montré au monde que les formes non violentes de résistance exigent au moins autant de courage et de talent que les autres mais peuvent être plus efficaces, et qu’une société civile active est un élément essentiel pour la démocratisation.  Ils continuent à faire preuve de courage dans leurs efforts de réconciliation en mettant un terme à la tradition d’impunité.


De fait, votre région est la seule du monde en développement où la démocratie est désormais quasiment universelle.  Cette réussite inspire le monde et il convient de la préserver.  Le monde entier bénéficie des succès de la démocratie de l’Amérique latine.


Il est donc très inquiétant d’apprendre que des enquêtes récentes montrent une baisse du soutien à la démocratie dans la région.


Pourquoi en est-il ainsi?  Je crois que nous connaissons tous les raisons.


Grâce à vingt années d’efforts pour adapter vos économies au nouveau marché mondial, vous avez réussi à combattre l’inflation, à accroître et à diversifier vos exportations et à attirer des volumes significatifs d’investissement étranger direct.  Mais, dans la plupart des cas, vos peuples n’ont pas vu leurs conditions de vie s’améliorer comme ils l’espéraient.


L’Amérique latine en général réussit relativement bien dans les efforts qu’elle déploie pour réaliser plusieurs des objectifs de développement énoncés dans la Déclaration du Millénaire, par exemple réduire les taux de mortalité infantile et maternelle et assurer l’égalité entre garçons et filles dans le système scolaire et l’éducation primaire pour tous.


Dans l’ensemble, vous avez accru les dépenses sociales en les ciblant mieux. Et je dois rendre un hommage particulier au Président Lula, qui a mis en place un programme novateur pour nourrir tous ceux qui ont faim au Brésil.


Mais la réalisation de l’objectif primordial énoncé dans la Déclaration du Millénaire, l’élimination de l’extrême pauvreté et de la faim, a été entravée dans toute la région par le cercle vicieux de l’insuffisance décevante de la croissance économique et de la persistance des inégalités.


Alors que 10% des ménages se partagent environ 50% de la richesse nationale, la pauvreté s’est aggravée, non seulement en chiffres mais aussi en proportion de la population, cette proportion ayant atteint 43% l’année dernière.  Des inégalités aussi marquées ralentissent la croissance économique et privent les pauvres de leur part de cette croissance.


Les possibilités d’emploi ont été restreintes au cours des vingt dernières années, en particulier pour les pauvres, qui se retrouvent en masse dans un secteur informel bien trop important.  Même pendant les années de croissance de 1990 à 1997, sept emplois sur 10 ont été créés dans le secteur informel qui n’offre que peu ou pas de soutien aux petits patrons et aux employés dans les domaines de la formation, des technologies, du crédit ou de la protection des droits de propriété. 


Les terres restent concentrées en la possession de quelques familles, alors que le reste de la population rurale parvient à peine à survivre. Beaucoup ont quitté les campagnes pour s’entasser dans des «barrios» ou «favelas» surpeuplés, avec un minimum de services publics.


Certains groupes souffrent de façon disproportionnée.  Les personnes d’ascendance africaine demeurent marginalisées, ainsi que les autochtones, qu’ils soient en majorité ou en minorité.  La forêt amazonienne, que les populations autochtones ont préservée pendant de nombreux siècles et qui est un des poumons de la planète, continue de rétrécir, année après année.  


Dans presque toutes les communautés, les femmes non plus ne peuvent accéder pleinement au marché du travail et à la prise de décisions, ce qui veut dire que la société ne bénéficie pas de tous leurs talents.


Et plus les gens sont pauvres, plus ils sont victimes de la violence et de l’anarchie omniprésentes, et plus ils se sentent exploités et opprimés par ceux qui détiennent le pouvoir et la richesse.


Malgré vos efforts intenses pour éliminer la culture de drogues illicites, l’industrie de la drogue continue de prospérer, en défiant l’état de droit au moyen de réseaux parallèles qui, dans nombre de vos pays, contrôlent des régions entières et des secteurs entiers de l’économie.  La région andine, en particulier, est profondément affectée.


Trop souvent, semble-t-il, les populations pensent que certains d’entre vous, leurs dirigeants élus, sont indifférents à leur sort.


C’est déjà une mauvaise chose en soi, et je n’ai pas besoin de vous dire que, de plus, cela menace votre stabilité.  Dans un pays après l’autre, tout récemment ici-même, en Bolivie, on a vu des tensions sociales graves provoquer des soulèvements politiques.


C’est tout à votre crédit d’avoir su gérer ces crises par des procédures constitutionnelles, sans retourner à un régime militaire.  Vos peuples ont toujours manifesté un attachement obstiné à la démocratie, aussi imparfaite fût-elle.  Mais pouvez-vous être sûrs qu’il en sera indéfiniment ainsi, si vous ne parvenez pas à régler les graves problèmes sociaux qui font tant de mécontents?


D’aucuns peuvent être tentés, vu les résultats médiocres obtenus jusqu’ici, de tourner le dos au marché mondial, voire à la démocratie pluraliste.  Mais rien dans l’histoire récente ne montre qu’un pays peut mieux réussir en s’isolant de l’économie mondiale ou en privant son peuple de la liberté de choix politique.  De fait, tout donne à penser le contraire.


Que pouvez-vous donc faire de plus?


Carlos Fuentes a écrit il y a plus de 10 ans que les États démocratiques d’Amérique latine doivent faire ce que jusqu’ici l’on attendait seulement des révolutions: amener le développement économique avec la démocratie et la justice sociale. Il en est toujours ainsi aujourd’hui. Les dépenses publiques doivent viser plus résolument à améliorer le sort des pauvres, et il faut lutter contre la corruption et l’abus de pouvoir.


Une stratégie de développement digne de ce nom ne peut ignorer les inégalités criantes entre les différents groupes sociaux, et c’est encore plus vrai lorsque les différences socioéconomiques coïncident avec des divisions ethniques.  Il convient d’accorder une attention spéciale aux besoins de ceux, minorités ou majorités, d’origine africaine ou autochtone, qui partagent l’expérience amère de la marginalisation.  Et les inégalités en matière de propriété foncière doivent être résolues par des réformes agraires novatrices.  Certains d’entre vous ont déjà pris des mesures dans cette voie.


Comme la plupart de vos pays sont considérés comme des pays «à revenu moyen» et non comme «pays moins avancés», je vous engage à ne pas vous satisfaire des objectifs de développement énoncés dans la Déclaration du Millénaire, mais à viser plus haut.  Ne devriez-vous pas essayer, d’ici à 2015, non seulement de réduire de moitié mais d’éliminer totalement l’extrême pauvreté dans vos pays, de réduire de moitié toute forme de pauvreté et de réduire de façon visible les inégalités en termes de richesse et de revenus?


Dans le domaine de l’éducation, le Sommet des Amériques va déjà au-delà de l’enseignement primaire universel et a fixé des objectifs et des indicateurs pour l’enseignement secondaire. Je m’en félicite, mais je vous invite à aller encore plus loin: l’enseignement secondaire pour tous et l’égalité d’accès à l’emploi pour les hommes et les femmes, à tous les niveaux, et aux postes de responsabilité dans les secteurs public et privé.  Ces objectifs devraient s’inscrire dans le cadre d’efforts plus larges visant à étendre les droits des citoyens.  La démocratie implique et la tenue d’élections et la citoyenneté démocratique fondée sur l’extension des droits civils, politiques, économiques et sociaux.


Voilà certains des principaux thèmes du nouveau programme mis au point par la Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), qui vise à remédier aux faiblesses du «Consensus de Washington».  Par ailleurs, le Programme des Nations Unies pour le développement effectue une étude sur l’état de la démocratie dans la région, à laquelle ont participé de nombreuses personnalités éminentes d’Amérique latine.  J’espère que cette étude incitera la région à redoubler d’efforts pour renforcer les institutions démocratiques.


Je sais que les pays à revenu moyen connaissent des problèmes particuliers, comme une vulnérabilité spéciale face à la volatilité des flux financiers, l’inadaptation des mécanismes internationaux face au fardeau de la dette, le besoin d’améliorer leur technologie et de trouver les bons créneaux d’exportations sur les marchés mondiaux, ainsi que des tensions sociales qui apparaissent lorsque la mondialisation permet à certains secteurs ou à certains groupes de se développer très rapidement alors que d’autres stagnent ou connaissent une ruine subite.


Nous avons besoin de nouvelles orientations pour la coopération internationale avec ces pays.  J’ai demandé au Département des affaires économiques et sociales de l’ONU de se pencher sur la question dans le contexte du processus de financement du développement, et j’espère que les gouvernements espagnol et portugais, entre autres, seront nos alliés.


En effet, vous ne devriez pas vous sentir isolés face à ces problèmes.


Dans la communauté ibéro-américaine, vous vous efforcez déjà de vous faire mutuellement profiter de vos différents avantages et expériences – dans les domaines économique et social et en matière de droits de l’homme, de culture et de technologie.


Vous pouvez également collaborer avec les autres Membres de l’ONU pour réaliser le huitième objectif du Millénaire: un partenariat mondial pour le développement.  Vous l’avez effectivement fait, lors de la Conférence de Monterrey au Mexique l’année dernière, qui s’est traduite par des nouveaux engagements financiers pour le développement, et vous le ferez à nouveau lorsque vous retournerez au Mexique le mois prochain pour signer, à Merida, la Convention des Nations Unies contre la corruption, l’un des principaux obstacles au développement.


Vous pouvez également coopérer pour défendre les intérêts du monde en développement dans le système commercial mondial, comme vous l’avez fait à Cancún en septembre dernier.  Il est décevant que le cycle de Doha y ait déraillé, mais nous pouvons le remettre sur les rails si le monde en développement fait preuve à la fois d’unité et de souplesse et si le monde développé réagit de même.  De fait, nous devons le faire, pour mettre un terme au scandale que constituent en matière de commerce agricole l’inégalité d’accès aux marchés et la concurrence déloyale qui privent vos économies de leur meilleure chance de croissance.


Il y a beaucoup d’autres moyens d’améliorer vos perspectives d’avenir en travaillant avec la communauté internationale, en particulier les Nations Unies. Je pense notamment aux efforts que vous faites pour réduire le fardeau de la dette et améliorer l’appui fourni par les institutions financières internationales, et pour persuader le monde développé d’accepter sa part de responsabilité en ce qui concerne le fléau des drogues illicites, et d’agir pour limiter la demande aussi bien que l’offre, tout en donnant aux agriculteurs une vraie possibilité de développer et d’exporter des cultures de substitution.


Au cours de mes voyages dans la région andine, j’ai pu me rendre compte à quel point la nécessité de mettre en place de nouvelles formes de coopération internationale pour aider la région faisait l’objet d’intenses discussions. Ces discussions sont importantes et permettent l’émergence de nouvelles idées.  Je suis prêt à vous aider à développer des initiatives concrètes qui permettraient à la communauté internationale de répondre aux besoins spéciaux de la région andine.


Je compte également que cette région, où les traditions multilatérales sont fortes, apportera une contribution vitale au débat mondial sur la paix et la sécurité qui vient de débuter.


Par le Traité de Tlatelolco, vous avez montré au monde que les armes de destruction massive peuvent être éliminées grâce à un accord multilatéral.


Au cours de cette année difficile, victimes de pressions insistantes et souvent contradictoires, le Mexique, le Chili et l’Espagne ont assumé de lourdes responsabilités en tant que membres du Conseil de sécurité.


Plusieurs d’entre vous ont déjà fait des interventions importantes à l’Assemblée générale.


Je pense que vous serez tous d’accord avec moi pour dire qu’il faut réagir aux nouvelles menaces non pas par une action préventive unilatérale mais par l’action collective, et je me réjouis que deux personnalités latino-américaines aient accepté de faire partie du Groupe de haut niveau dont j’ai annoncé la création la semaine dernière.


Le Groupe étudiera les menaces à la paix et à la sécurité internationales auxquelles nous sommes actuellement confrontés, définira les éléments d’une réponse collective et fera des recommandations sur les adaptations qu’il peut être nécessaire d’apporter à nos règles et mécanismes internationaux, y compris les principaux organes de l’ONU elle-même, pour faire face à ces menaces.  J’ai demandé aux membres du Groupe de me faire un rapport à temps pour que je puisse soumettre des recommandations à la prochaine session de l’Assemblée générale.


C’est un honneur pour moi d’être avec vous aujourd’hui.  La communauté ibéro-américaine est un exemple remarquable de sens des responsabilités et d’appui réciproques, entre des pays qui diffèrent par leur niveau de développement, leur style de gouvernement ou encore leur perception des affaires mondiales.


Le monde entier bénéficierait d’une coopération encore plus étroite entre les peuples d’Amérique latine et leurs cousins de la péninsule ibérique et de leur participation encore plus énergique à la recherche de solutions à nos problèmes communs.


¡Muchas gracias!


Muito obrigado!


Je vous remercie.


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