DEVANT LE CONGRES NATIONAL EQUATORIEN, KOFI ANNAN INSISTE SUR LE RENFORCEMENT DE LA DEMOCRATIE, LE DEVELOPPEMENT ET LE MULTILATERALISME
Communiqué de presse SG/SM/8998 |
DEVANT LE CONGRES NATIONAL EQUATORIEN, KOFI ANNAN INSISTE SUR LE RENFORCEMENT DE LA DEMOCRATIE, LE DEVELOPPEMENT ET LE MULTILATERALISME
Voici l’allocution prononcée par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, devant le Congrès national équatorien à Quito, le 10 novembre 2003:
La décoration que vous me remettez aujourd’hui me touche beaucoup, et je vous en remercie, mais c’est surtout un grand honneur pour moi de m’adresser à ce congrès.
Je suis arrivé en Équateur il y a seulement deux jours mais j’ai déjà de très nombreuses impressions de ce pays si riche de par sa nature, son patrimoine, son histoire et sa diversité. De la vieille ville de Quito aux merveilles culturelles de Cuenca et aux fiers gratte-ciel de Guayaquil, de la jungle et des volcans du continent à la beauté sidérante des îles Galapagos, l’Équateur offre des trésors inépuisables aux visiteurs étrangers, et j’ai beaucoup de chance d’être l’un d’eux.
J’ai aussi pu voir par moi-même certaines des difficultés qui sont les vôtres et auxquelles vous faites face avec beaucoup d’attention: de l’amélioration de la gouvernance et de la lutte contre la pauvreté à la protection de l’environnement, de la démarginalisation de vos populations autochtones à la situation humanitaire et aux problèmes des réfugiés, de l’action en faveur de la paix et de la sécurité régionales à la lutte pour la justice sociale et une bonne administration de la justice.
Aujourd’hui, face à cette chambre, j’ai sous les yeux la preuve vivante des efforts que fait l’Équateur pour consolider la démocratie.
Vos travaux au sein de cette assemblée montrent que la vraie démocratie exige plus que des élections. La gouvernance démocratique exige de solides institutions et requiert la participation et l’obligation de rendre des comptes, un débat public libre et animé sur les questions d’actualité, et un électorat éduqué et éclairé appelé à faire des choix dignes de ce nom. Elle exige aussi le respect du principe de la primauté du droit, essentiel au bon fonctionnement de toute société.
L’Équateur n’est pas le seul pays à faire face à des problèmes de gouvernance. Aujourd’hui, dans de nombreux pays du monde, la démocratie se trouve fragilisée. Nombreux sont ceux qui ont le sentiment que les décisions touchant à leur bien-être échappent à leur contrôle, sinon à celui de leurs représentants élus. De plus en plus nombreux sont ceux qui pensent qu’ils n’ont pas leur mot à dire dans les processus économiques, environnementaux et politiques qui affectent leur vie quotidienne. Et les sentiments d’exclusion et de marginalisation ne cessent de grandir.
Ce sentiment de malaise nous rappelle que, pour prospérer, la démocratie a besoin de notre vigilance constante. Il faut que les représentants élus comme vous soient tenus de rendre des comptes à leurs électeurs. Il faut aussi que vous soyez le creuset d’un consensus social, afin que les réformes nécessaires au progrès, à la justice sociale, à la stabilité et à la prospérité bénéficient du soutien populaire. Il faut enfin une société civile dynamique et vigilante qui étaye les institutions officielles d’un gouvernement démocratique. Le débat ouvert et l’électorat éclairé qui nourrissent la démocratie supposent que les gens s’organisent librement, indépendamment de l’État, autour des idéaux, problèmes et causes qui leur importent.
Dans un pays aussi divers que l’Équateur, il est particulièrement important d’encourager et de favoriser cette approche participative. Vos populations autochtones contribuent à la riche diversité culturelle de votre société. Pour tout ce qui les concerne, leur priorité est de participer – non seulement pour s’assurer que leurs problèmes spécifiques seront pris en compte, mais aussi pour pouvoir apporter une contribution positive s’agissant des nombreux problèmes nationaux et internationaux auxquels vous êtes, et nous sommes, confrontés.
De même, on ne peut faire avancer la cause de la démocratie sans progresser sur le front du développement. En effet, la démocratie est bien plus solide lorsque l’on sait que la pauvreté recule, que la société devient plus juste et que ces victoires seront durables.
Je sais qu’au sein de l’Organisation des Nations Unies, l’Équateur est un partenaire résolument engagé dans la mission que nous nous sommes donnée, celle d’atteindre les objectifs de développement énoncés dans la Déclaration du Millénaire, qui reflètent les engagements pris par tous les gouvernements du monde pour construire un monde meilleur au XXIe siècle.
Ces huit engagements, qui vont de réduire de moitié l’extrême pauvreté à arrêter la propagation du VIH/sida ou à universaliser l’éducation primaire et doivent tous être réalisés d’ici à 2015, sont des objectifs simples mais solides, que chaque être humain, qu’il vive à New York ou à New Delhi, à Accra ou à Ambato, peut facilement défendre et comprendre. Ces engagements se soucient d’abord et avant tout de l’être humain, obéissent à un calendrier et sont mesurables. Ils jouissent en outre d’un soutien politique sans précédent et, encore plus important, il est tout à fait possible de les atteindre.
Mais il ne faut pas perdre de temps. Traduire ces objectifs dans la réalité dépend d’un certain nombre de facteurs. Au niveau national, l’Équateur doit prendre l’initiative en mettant en oeuvre les politiques et les réformes nécessaires pour poser les fondements de la réalisation de ces objectifs. Cette première étape exigera de tous les Équatoriens qu’ils fassent preuve de persistance et d’unité, et je fais toute confiance à cette assemblée pour qu’elle joue son rôle lorsqu’elle discutera et adoptera le budget de la nation. Mais un important soutien international est aussi nécessaire, sous la forme d’un vrai partenariat entre l’Équateur et la communauté internationale.
Je sais que je peux compter sur votre soutien dans cette entreprise. Vous et vos voisins de la région mesurez la valeur des institutions multilatérales et savez combien il importe de rechercher des solutions collectives aux problèmes communs relevant du mandat de l’Organisation des Nations Unies.
Pour ne prendre qu’un exemple, le fait que l’Amérique latine ait réussi à créer une zone exempte d’armes nucléaires grâce au Traité de Tlatelolco suscite beaucoup d’admiration et a incité d’autres régions du monde à faire de même.
En tant que fervents défenseurs du multilatéralisme, vous partagez probablement la préoccupation que suscitent aujourd’hui chez de nombreux États Membres les récents événements du Moyen-Orient, en particulier la guerre en Iraq. Ces événements ont beau se dérouler loin d’où nous sommes, leurs conséquences affectent le monde entier.
L’action militaire lancée en Iraq sans l’autorisation du Conseil de sécurité a soulevé un peu partout des doutes concernant l’efficacité de notre système de sécurité collective, doutes que j’ai moi-même exprimés dans mon dernier rapport sur l’application de la Déclaration du Millénaire et dans mon discours à l’Assemblée générale le 23 septembre.
Jusqu’à présent, il était communément admis qu’en cas d’agression armée les États ont un droit naturel de légitime défense, comme le prévoit l’Article 51 de la Charte des Nations Unies. Toutefois, lorsqu’une menace plus large pèse sur la paix et la sécurité internationales, la solution doit être recherchée collectivement par le biais d’une décision du Conseil de sécurité.
Aujourd’hui, cependant, d’aucuns nous disent que cette doctrine est trop restrictive. Ils font valoir qu’on ne peut pas demander aux États d’attendre d’être attaqués, par exemple par un groupe armé clandestin doté d’une arme de destruction massive, pour se défendre et qu’en pareil cas, ils sont autorisés à prendre des mesures préventives.
Selon moi, si les États se sentent autorisés à agir ainsi de manière unilatérale, sans l’approbation préalable du Conseil de sécurité, sans respecter les pratiques établies, cela ne rendra pas le monde plus sûr mais au contraire plus dangereux. En fait, cela risque de nous faire revenir au monde d’avant la création de l’Organisation des Nations Unies, dont les fondateurs espéraient faire sortir l’humanité.
De la même manière, je pense qu’il ne suffit pas de dénoncer l’unilatéralisme, mais qu’il faut aussi chercher à comprendre les raisons pour lesquelles certains États se sentent particulièrement vulnérables, raisons qui les conduisent à agir ainsi. Nous devons être capables de les convaincre que les menaces qu’ils perçoivent peuvent être et seront efficacement écartées par notre système de sécurité collective.
Et, bien sûr, nous devons également être capables de faire face à d’autres menaces, qui pour beaucoup d’entre vous dans cette partie du monde, peuvent paraître plus imminentes et réelles que les armes de destruction massive, à savoir la menace d’un conflit civil ou ce que l’on a coutume d’appeler les « menaces invisibles », telles que l’extrême pauvreté, l’inégalité des revenus d’une société à l’autre et au sein d’une même société, la propagation des maladies contagieuses, les changements climatiques et la détérioration de l’environnement. Il s’agit, là aussi, de menaces graves.
Nous n’avons heureusement pas à choisir. L’Organisation des Nations Unies doit faire face à toutes ces menaces et à tous ces défis, nouveaux et anciens, « invisibles » et « manifestes ». Nous combattons sur tous les fronts car ils sont tous liés. Un monde dans lequel plusieurs millions d’êtres humains continuent de subir une répression brutale et de vivre dans une profonde misère ne sera jamais totalement sûr, pour personne, même pour les plus favorisés.
C’est en songeant à cela que j’ai demandé un examen en profondeur du système international, afin de voir quels changements lui apporter pour qu’il soit mieux à même d’affronter les menaces et les défis de ce nouveau siècle. J’ai précisé que cet examen devait concerner les principaux organes de l’ONU, le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale, le Conseil économique et social, voire le Conseil de tutelle, qui a achevé sa mission historique mais qui pourrait peut-être jouer un nouveau rôle vu les nouvelles responsabilités que les États Membres ont confiées à l’ONU ces dernières années.
Aux fins de cet examen, je viens de nommer un groupe de personnalités éminentes à qui j’ai demandé d’étudier les défis qui menacent actuellement la paix et la sécurité, les solutions offertes par une action collective, et le fonctionnement des principaux organes de l’ONU.
Ce groupe examinera en premier lieu les menaces contre la paix et la sécurité, mais il devra également se pencher sur d’autres problèmes mondiaux dans la mesure où ceux-ci peuvent influencer ces menaces ou être liés à elles et j’espère qu’il recommandera des mesures propres à renforcer l’Organisation des Nations Unies grâce à la réforme de ses institutions et de ses procédures, voire même suggérer des réformes radicales.
J’ai demandé à ce groupe de me faire rapport en temps voulu pour que je puisse faire des recommandations à l’Assemblée générale à sa prochaine session. Mais les décisions ultimes, les décisions qui modifieront les règles du système ou ses institutions, ne peuvent être prises que par les États Membres.
En d’autres termes, aux États et donc à vous aussi, les parlementaires. Même si les réformes décidées n’ont pas besoin d’être officiellement avalisées par le Parlement, elles doivent être le résultat d’amples discussions au sein de chaque État et entre les États. Les peuples du monde entier, au nom desquels l’ONU a été créée, doivent se sentir pleinement représentés dans le processus de prise de décisions. Il ne fait donc aucun doute que les parlements nationaux comme le vôtre ont un rôle essentiel à jouer.
S’agissant des questions nationales et internationales, votre rôle est un rôle pivot. C’est dans les parlements que le dynamisme de la société civile rencontre la responsabilité gouvernementale et qu’un dialogue s’instaure pour traduire des idées, des choix éthiques et des orientations politiques dans la législation qui contribue à définir la société et la manière dont un pays est gouverné.
J’espère que vous tirerez le meilleur parti des possibilités que vous offre votre fonction et je suis sûr que nous coopérerons de plus en plus étroitement dans les années à venir.
Muchas gracias. Merci beaucoup.
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