SG/SM/8892

LA PROMOTION DE L’ETAT DE DROIT ET DE LA JUSTICE SONT DES ELEMENTS FONDAMENTAUX DU RELEVEMENT DES SOCIETES SORTANT DE CRISE, ESTIME KOFI ANNAN

24/09/03
Communiqué de presse
SG/SM/8892


            SC/7881


LA PROMOTION DE L’ETAT DE DROIT ET DE LA JUSTICE SONT DES ELEMENTS FONDAMENTAUX DU RELEVEMENT DES SOCIETES SORTANT DE CRISE, ESTIME KOFI ANNAN


La déclaration suivante a été prononcée aujourd’hui devant le Conseil de sécurité par le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan:


    Le Conseil de sécurité a la lourde responsabilité de promouvoir la justice et l’état de droit dans le cadre des efforts qu’il déploie pour maintenir la paix et la sécurité internationales, que ce soit à l’échelle internationale ou au niveau du relèvement de sociétés sortant d’une crise.


    C’est à ce dernier volet que je consacrerai aujourd’hui mon propos. L’Organisation des Nations Unies a pris conscience, au travers des opérations multiples et complexes qu’elle a menées, que l’état de droit n’est pas un luxe et que la justice n’est pas une question subsidiaire.


    D’aucuns –nous l’avons vu– ont perdu confiance en un processus de paix donné parce qu’ils avaient le sentiment qu’ils n’étaient pas à l’abri de la criminalité, qu’ils ne pourraient pas rentrer chez eux dans de bonnes conditions de sécurité, qu’ils ne pourraient pas reconstruire les bases d’une vie normale ou que l’on ne s’attaquerait pas au problème des injustices passées.


    Nous avons vu qu’en l’absence d’un mécanisme crédible permettant d’appliquer la loi et de régler les différends, le recours à la violence et à l’illégalité tendaient à s’imposer.


    Nous avons également vu que la tenue d’élections dans un contexte de trop grande fragilité de l’état de droit ne favorisait guère l’instauration d’une gouvernance démocratique durable.


    En abordant ces problèmes, on touche à un certain nombre de questions délicates –la souveraineté, les traditions, la sécurité, la justice et la réconciliation. Les difficultés qui se posent dans ce domaine sont d’ordre non pas seulement technique mais également politique. Nous sommes appelés à prêter notre concours aux États en vue de l’élaboration et de l’application de programmes destinés à la prise en compte de ces questions, à promouvoir la volonté politique nécessaire et à mobiliser un large soutien à ce processus.


    L’année dernière, nous avons constitué un groupe d’étude sur l’état de droit dans les opérations de paix. Le rapport final du groupe a permis de prendre toute la mesure de l’expérience et des compétences acquises par l’Organisation dans ce domaine, en révélant par ailleurs qu’il restait encore beaucoup à faire.


    Nous devons envisager dans une perspective globale la question de la justice et de l’état de droit, en y intégrant tout l’appareil de la justice pénale –non seulement la police mais aussi les avocats, les procureurs, les juges et les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire– et aussi de nombreux éléments qui se situent en dehors du cadre de la justice pénale.


    Nous devons mieux utiliser les ressources dont nous disposons. Sur le plan interne, nous avons pris des mesures destinées à renforcer la collaboration entre tous les organismes et, ainsi, à nous permettre de mieux cerner les questions liées à la justice et à l’état de droit dans les rapports que nous soumettons au Conseil. J’espère que cette démarche favorisera la prise de décisions à l’échelon du Conseil et l’efficacité de l’action sur le terrain, afin que les composantes de la justice et de l’état de droit fassent partie intégrante des opérations de paix.


    Nous avons besoin de ressources importantes et diverses. Aucun mandat ne pourra être mené à bien sans la mise à disposition, dans les délais voulus, d’un financement adéquat et bien coordonné. Nous avons également besoin d’un personnel de qualité –femmes et hommes–, dont l’affectation pourra s’effectuer rapidement. Il nous faudra peut-être aussi rechercher, en dehors du système des Nations Unies, les ressources qui nous permettront de combler notre déficit éventuel de compétences.


    L’action que mène l’Organisation dans ce domaine doit être fondée sur les dispositions de la Charte, les normes des Nations Unies en matière de droits de l’homme et d’administration de la justice et les principes du droit international humanitaire, des instruments relatifs aux droits de l’homme, du droit des réfugiés et du droit pénal.


    Cela étant, les interventions uniformisées ne constituent pas une solution viable. Il convient d’associer dès le départ les protagonistes de la scène locale –magistrature, experts de l’administration, société civile et secteur privé. Dans la mesure du possible, nous devrions guider plutôt que diriger, et renforcer plutôt que remplacer. L’objectif doit consister à voir s’implanter, au terme de l’intervention de l’Organisation, des institutions nationales fortes.


    Avons-nous pleinement pris conscience de ces enseignements? Le cas du Libéria aura valeur de test. Le Conseil a suivi mes recommandations en inscrivant, dans sa décision relative à la mise en place de la Mission des Nations Unies au Libéria (MINUL), d’importantes composantes concernant l’état de droit. J’espère que les questions relatives à l’état de droit conserveront toute leur importance tout au long du processus de budgétisation et de déploiement. J’espère aussi que le Conseil s’inspirera à l’avenir de cette démarche pour faire face aux situations de sortie de conflit.

Monsieur le Président,


    Permettez-moi de dire quelques mots au sujet du problème de la justice due aux victimes de crimes passés.


    Il est essentiel de mettre un terme au climat d’impunité si l’on veut restaurer la confiance publique et mobiliser un appui international en faveur de l’application des accords de paix.


    Nous devons toutefois nous rappeler aussi que le processus qui consiste à rendre justice aux victimes peut prendre de nombreuses années et qu’il ne doit pas s’imposer aux dépens de la nécessité plus immédiate d’instaurer l’état de droit.


    Les mécanismes transitoires mis en place aux fins de l’administration de la justice doivent non seulement tendre à établir les responsabilités individuelles vis-à-vis des crimes graves mais aussi tenir compte de la nécessité de parvenir à la réconciliation nationale. Nous devons adapter les mécanismes de la justice pénale aux besoins des victimes, qu’il s’agisse de particuliers ou de la société. Si nécessaire, l’action des tribunaux devra être complétée par celle de mécanismes tels que les commissions «vérité et réconciliation».


    Les objectifs de la justice et ceux de la réconciliation apparaissent parfois contradictoires. Il appartient à chaque société de rechercher le juste équilibre dans ce domaine.


    Ce faisant, il convient de respecter les normes internationales pertinentes. Il ne devrait pas y avoir d’amnistie pour les crimes de guerre, le génocide, les crimes contre l’humanité et autres manquements graves aux droits de l’homme et au droit international humanitaire. Par ailleurs, les droits des accusés doivent être scrupuleusement respectés.


    Nous savons également qu’il ne saurait y avoir de véritable paix sans justice.


    Or, la recherche inexorable de la justice peut parfois constituer un obstacle à la paix. Si nous insistons, partout et toujours, pour sanctionner ceux qui sont coupables de manquements graves aux droits de l’homme, il peut s’avérer difficile, voire impossible, de mettre un terme à l’effusion de sang et de sauver les civils innocents. Si nous insistons, partout et toujours, pour appliquer des normes strictes de justice, une paix encore fragile peut ne pas y survivre.


    Par ailleurs, si nous fermons les yeux sur la quête de la justice uniquement pour parvenir à un accord, les bases de cet accord s’en trouveront fragilisées et nous créerons ainsi des précédents regrettables.


    Il n’existe pas de réponses toutes faites à de tels dilemmes moraux, juridiques et philosophiques.


    Dans certains cas, il nous faudra peut-être accepter une justice quelque peu imparfaite ou recourir à des solutions intermédiaires telles que les commissions «vérité et réconciliation». Il nous faudra peut-être remettre à plus tard le jugement de ceux qui se sont rendus coupables d’actes répréhensibles.


    Parfois aussi, nous devrons peut-être accepter, pour le court terme, un certain niveau de risque pour la paix, en espérant ainsi mieux garantir cette paix pour le long terme.


    L’ONU doit faire face à ces problèmes délicats lorsqu’elle prend part à des négociations de paix. Depuis 1999, j’ai donné à mes envoyés spéciaux des directives dans ce domaine.


    Ces problèmes constituent également de véritables dilemmes pour le Conseil. Pour chaque cas, le Conseil doit s’efforcer de trouver un équilibre entre les exigences de paix et de justice, en étant conscient de leur caractère souvent antagoniste et du fait qu’il n’est pas toujours possible de les concilier pleinement.


    Nous savons que le retard mis à instaurer l’état de droit compromet la paix durable et que la justice est à la base de la paix véritable. Traduire ces enseignements en actes concrets constitue un défi redoutable. J’ai partagé avec vous quelques réflexions sur la manière dont nous pourrions relever ce défi, et reste disposé à participer à la suite des délibérations du Conseil sur cette question.


    J’espère surtout que la réunion de ce jour marque la volonté renouvelée du Conseil de placer les questions de la justice et de l’état de droit au cœur de l’action qu’il mène en faveur du relèvement des pays déchirés par la guerre.


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