SG/SM/8778

KOFI ANNAN INVITE LES DIRIGEANTS AFRICAINS A ASSUMER PLEINEMENT LEURS ROLES ET RESPONSABILITES DANS LES AFFAIRES DU MONDE

10/07/03
Communiqué de presse
SG/SM/8778


                                                                                                                                                                AFR/660


KOFI ANNAN INVITE LES DIRIGEANTS AFRICAINS A ASSUMER PLEINEMENT LEURS ROLES ET RESPONSABILITES DANS LES AFFAIRES DU MONDE


On trouvera ci-après l’allocution prononcée, le 10 juillet 2003, par le Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, à l’occasion du Sommet de l’Union africaine qui se tient à Maputo au Mozambique:


Permettez-moi tout d’abord de remercier nos hôtes, le Président Joaquim Chissano et le peuple mozambicain, de leur chaleureux accueil et de leur merveilleuse hospitalité. Permettez-moi aussi d’exprimer ma reconnaissance au Président Thabo Mbeki pour l’énergie qu’il a déployée et le rôle moteur qu’il a joué à la tête de l’Union africaine durant sa première année d’existence, année où les défis n’ont pas manqué.


Il y a en effet un an que, lançant un appel à tous les Africains pour qu’ils réinventent leur destin, vous avez fondé ensemble cette Union, pour améliorer les conditions de vie de tous les peuples du continent et permettre à l’Afrique d’assumer pleinement son rôle et ses responsabilités dans les affaires du monde.


La naissance de votre Union a marqué un tournant: l’Afrique a pris conscience que c’était avant tout à elle de forger son propre avenir et que la meilleure façon –je devrais dire la seule façon– d’y parvenir est de se rallier autour des besoins et des aspirations de vos peuples.


Le thème du présent Sommet – assurer l’application du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique – montre que vous êtes résolus à entreprendre cette mission avec le sérieux et l’attention qu’elle mérite.


Il montre que vous avez décidé de donner à l’Union africaine un rôle central dans la réalisation des objectifs stratégiques du Nouveau Partenariat, dans les domaines de la paix et de la sécurité, de la démocratie, de la bonne gouvernance, de l’atténuation de la pauvreté et de la saine gestion de l’économie.


Votre détermination n’a d’ailleurs pas échappé au reste du monde, comme en témoignent les engagements pris par le Groupe des Huit dans leur Plan d’action pour l’Afrique, ainsi que les initiatives lancées par le Président Bush et l’Union européenne pour consacrer davantage de ressources à la lutte contre le VIH/sida en Afrique.


Nous aussi, à l’Organisation des Nations Unies, continuerons de vous soutenir et de défendre votre cause auprès des pays développés pour qu’ils consentent davantage d’efforts en faveur de l’Afrique, par exemple en augmentant le volume de l’aide publique au développement, en supprimant les droits de douane et les subventions, en prenant des mesures d’allègement de la dette et en s’engageant davantage  encore dans  la lutte contre le sida.


C’est d’ailleurs ici et aujourd’hui, à l’occasion de ce Sommet, que le Programme des Nations Unies pour le développement va lancer son nouveau Rapport sur le développement humain, qui cette année est consacré aux objectifs de développement du Millénaire. Le Rapport contient un certain nombre d’idées novatrices sur la manière d’atteindre ces objectifs, en Afrique comme dans le reste du monde. Les pays donateurs sont invités à appuyer les réformes dans les pays en développement par un apport accru de ressources et en développant les échanges. Et tous les pays, riches ou pauvres, y sont vivement engagés à placer les objectifs du Millénaire au centre des processus décisionnels, au niveau national comme à l’échelle mondiale. La clef de la réussite, c’est la responsabilité; celle des gouvernants à l’égard de leurs citoyens aussi bien que celle des partenaires du développement les uns envers les autres.


Plus l’Afrique se montrera résolue à appliquer des réformes, plus grandes seront nos chances d’atteindre les objectifs du Millénaire. Dans ce contexte, le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique et, bien utilisé, son mécanisme d’évaluation intra-africaine, ont un rôle essentiel à jouer.


Comme les ministres des finances africains l’ont déclaré lors de leur conférence le mois dernier, le partenariat de l’Afrique avec le reste du monde doit reposer sur le suivi de la performance des donateurs aussi bien que celle des bénéficiaires, de même que sur la cohérence des politiques, la responsabilité partagée et la confiance mutuelle. J’ajouterai qu’il doit aussi justifier la confiance que vos peuples ont placée en vous.


C’est ce sens des responsabilités qui doit prévaloir face à tous les problèmes que connaît le continent. Permettez-moi d’en mentionner quelques-uns qui me semblent particulièrement importants.


Les conflits armés continuent de causer d’effroyables souffrances aux hommes, aux femmes et aux enfants africains, tout en ayant des conséquences désastreuses sur le développement du continent tout entier. Des progrès ont toutefois été enregistrés récemment et des perspectives de paix se dessinent dans quelques pays, notamment au Burundi, en Côte d’Ivoire et au Soudan. Espérons que nous pourrons bientôt en dire autant de la Somalie. Et, même si on est encore loin du compte, le processus de paix en République démocratique du Congo a marqué d’importants progrès.


À cet égard, il est encourageant que, dans tous les processus de gestion et de règlement des conflits que je viens de citer, la détermination des dirigeants africains a été l’élément décisif. Et il n’est pas de meilleur exemple que le Mozambique de ce que la volonté politique peut produire.


Mais, au Libéria et en République démocratique du Congo, dans l’Ituri et les Kivus, nous continuons hélas d’être les témoins d’événements tragiques. Des horreurs sans nom ont été commises, qui devraient être un sujet de honte pour tous les Africains, pour tous les êtres humains. Ces événements nous montrent, malheureusement, que l’Afrique ne dispose pas, tant s’en faut, des mécanismes dont elle a besoin pour empêcher un conflit d’éclater ou faire respecter les principes élémentaires du droit international humanitaire.


L’Organisation des Nations Unies et le reste de la communauté internationale auront beau nommer des envoyés, demander l’ouverture de négociations et dépenser des milliards de dollars pour financer des missions de maintien de la paix, tout cela restera vain s’il n’existe pas ici même, en Afrique, la volonté politique et les capacités nécessaires. C’est pourquoi les membres de l’Union africaine doivent impérativement mettre au point une stratégie commune de règlement pacifique des conflits. J’espère que chacun d’entre vous, en tant que dirigeant africain, se donnera pour mission de convaincre les jeunes du continent que la vie et la sécurité de tous les Africains sont sacrées, et que rien ne vaut les bienfaits de la paix.


Je tiens ici à saluer tous les Africains qui ont dépensé des trésors d’énergie, d’imagination et de persévérance pour mettre fin aux conflits, en particulier les responsables de la CEDEAO, de la CEMAC et de l’IGAD, ainsi que votre Président sortant, le Président de l’Afrique du Sud.


Une paix durable, c’est bien plus que l’absence de conflits. La paix ne peut durer que si elle s’accompagne de démocratisation et de bonne gouvernance. Comme on le sait, les pays démocratiques ne se font généralement pas la guerre. Plus les pays démocratiques seront nombreux, plus grandes seront nos chances de voir une paix durable régner dans l’ensemble de la région.


Qui dit démocratie, dit alternance du pouvoir. Les mérites d’un changement périodique et pacifique de gouvernement ont été maintes fois démontrés, dans toutes les parties du monde. La démocratie est une lutte perpétuelle, mais une lutte pacifique.  Et s’il faut, pour la réaliser,  limiter la durée des mandats, eh bien qu’on la limite!


La démocratisation doit aller de l’avant. Une telle évolution vers une véritable démocratie pluraliste est en bonne voie ou a déjà abouti dans de nombreux pays africains. D’autres, en revanche, en sont encore loin. Mais la démocratie ne se résume pas à la tenue d’élections. Elle exige que chacun, y compris le gouvernement et le parti au pouvoir, respecte l’état de droit. Elle exige des institutions viables qui garantissent les droits fondamentaux de tous les citoyens, y compris des minorités. Elle exige la vigilance constante d’une société civile dynamique. Elle doit aller de pair avec la lutte contre la pauvreté et l’action en faveur du développement. Et elle implique un investissement massif dans l’éducation et l’émancipation des femmes – la plus rentable des stratégies de développement.


Et s’il est vrai que le développement des échanges dépend largement du démantèlement, par les pays développés, des systèmes de subventions et de droits de douane, l’Afrique doit elle aussi faire des efforts: accroître sa compétitivité économique, promouvoir le commerce intrarégional afin de compenser l’étroitesse des marchés et renforcer sa capacité de participation aux négociations commerciales internationales.


Dans le même temps, il faut réformer l’agriculture afin d’éliminer les crises alimentaires à répétition. La récente famine en Éthiopie et en Érythrée nous rappelle de manière tragique que l’Afrique a désespérément besoin de se donner les moyens de nourrir ses habitants et de faire à son tour la révolution verte qui a réussi ailleurs. Elle devra pour ce faire prendre des mesures radicales et agir sur plusieurs fronts, exploiter pleinement les technologies, anciennes ou nouvelles, et inscrire la gestion des terres et de l’eau dans la durée.


L’insécurité alimentaire est inextricablement liée à la menace la plus grave qui pèse sur l’Afrique aujourd’hui, la propagation du VIH/sida; la bataille devra donc s’engager aussi sur ce front.


Les terribles effets du sida sur la sécurité alimentaire ne sont que trop évidents. Mais les ravages de la maladie sont encore bien plus graves. À l’heure où l’Afrique essaie de construire son avenir, certaines régions du continent parviennent à peine à survivre au jour le jour. Les efforts de l’Afrique sont systématiquement minés par un virus si impitoyable qu’il fauche de jeunes adultes au seuil de leurs années les plus productives et spolie ainsi tout un continent de ses futures élites. Un virus qui prive des enfants de leurs parents, qui les force à abandonner l’école, qui laisse toute une génération sans soins et sans éducation – et donc encore plus exposée à l’infection. Et le virus s’attaque de plus en plus souvent aux femmes, qui sont le ciment de la famille africaine, les mères nourricières de l’Afrique et l’espoir de survie du continent.


C’est pourquoi la lutte contre le sida n’est pas seulement un combat contre une pandémie. Elle est également indispensable si nous voulons édifier une Afrique plus forte. Ce n’est que si nous parvenons à enrayer la propagation du mal que nous pourrons espérer réaliser tous les autres objectifs du Millénaire.


Les gouvernements africains, les États-Unis et l’Union européenne consacrent désormais beaucoup plus de ressources à la lutte contre le VIH/sida, mais c’est encore insuffisant. Il faudra deux fois plus d’argent, cette année, l’année prochaine, et toutes les années suivantes, pendant très longtemps encore.


Mais vous aussi devez redoubler d’efforts. Comme l’a dit notre hôte, le Président Chissano, avant ce Sommet, «nous devons en faire plus pour combattre et vaincre le sida. Nous devons nous montrer résolus et prendre des mesures énergiques face à une maladie qui risque de décimer les populations africaines et de nous ramener des années en arrière dans notre développement».


Nous savons par expérience qu’il est possible de faire reculer le fléau. Certains pays africains y sont parvenus. Mais il ne faut pas agir en ordre dispersé. Il faut au contraire une mobilisation coordonnée dans toutes les sphères de la société. Il faut de l’initiative – dans les services publics, les écoles, les quartiers, les lieux de culte, les familles, de la part des hommes et des femmes qui vivent avec la maladie, dans les communautés les plus touchées. Il faut donner aux jeunes les moyens de devenir les agents du changement – notamment en instruisant les filles – afin qu’ils aient les connaissances, la maturité et les moyens nécessaires pour se protéger contre le virus. Et c’est à vous de montrer la voie, en brisant le terrible mur du silence qui continue d’entourer la maladie et en faisant de la lutte contre le sida une priorité absolue. C’est la mienne, et je sais que c’est également celle de plusieurs d’entre vous.


Je viens d’évoquer quelques domaines essentiels où l’Afrique devrait,  selon moi, montrer qu’elle prend son destin en main.


Comme par le passé, la famille des Nations Unies travaillera en étroit partenariat avec vous pour relever tous ces défis. Elle sera à vos côtés, au niveau des pays, qu’il s’agisse d’éducation, de gouvernance, de développement agricole ou de lutte contre le sida; et elle appuiera les principales institutions de l’Union africaine. Nous continuerons de travailler avec vous à la consolidation de la paix en Afrique et au renforcement des capacités de règlement des conflits. Et nous continuerons aussi à travailler avec vous pour que le nouveau dispositif de paix et de sécurité pour l’Afrique profite du renforcement des capacités africaines de maintien de la paix et de l’engagement actif de l’ONU.


Monsieur le Président, il y a quelque temps, vous avez évoqué dans un discours la signification du mot partenariat, que l’on semble aujourd’hui utiliser à tort et à travers (j’avoue que je l’ai fait cinq fois aujourd’hui!). Vous avez dit que, sans en avoir cherché la définition dans le dictionnaire, vous saviez comment les pays développés pouvaient devenir de véritables partenaires pour l’Afrique. Ils seront de vrais partenaires, avez-vous déclaré en substance, quand ils se soucieront autant de notre intérêt que du leur, quand ils comprendront, accepteront et respecteront le fait que nous Africains, avons une contribution à apporter à notre propre développement et à celui de l’humanité tout entière.


L’Union africaine vous donne la possibilité, le droit et la responsabilité de montrer la réalité de cette contribution au monde, qui vous devra, en retour, une contribution égale.


Je vous remercie. Thank you very much. Choukran. Muchas Gracias. Muito obrigado.


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