SG/SM/8759

FORUM ECONOMIQUE MONDIAL : KOFI ANNAN SE PRONONCE POUR UN RENFORCEMENT DE LA SOLIDARITE ET DE LA SECURITE COLLECTIVE

23/06/2003
Communiqué de presse
SG/SM/8759


                                                         ECO/31


FORUM ECONOMIQUE MONDIAL : KOFI ANNAN SE PRONONCE POUR UN RENFORCEMENT DE LA SOLIDARITE ET DE LA SECURITE COLLECTIVE


On trouvera ci-après l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, à l’occasion de la séance plénière de clôture du Forum économique mondial sur le thème «Visions pour un avenir commun», tenue au bord de la mer Morte (Jordanie) le 23 juin 2003 :


Merci, mon cher Klaus [Schwab] – et bravo d’avoir organisé cette remarquable réunion, ici et maintenant.


Nous sommes en effet, ici et maintenant, à la croisée des chemins.


Ici même, il y a des milliers d’années, de grandes cités, aujourd’hui disparues étaient florissantes; en ce lieu, même les pierres évoquent la naissance et la chute des empires.


Cette région, qui a vu naître les trois grandes religions monothéistes et certaines des réalisations les plus extraordinaires de l’humanité, a aussi montré, époque après époque, que «l’homme pouvait être un loup pour l’homme».


Ces dernières décennies, en particulier, ce berceau de la civilisation est devenu le creuset plein de fiel d’un conflit qui déchaîne des réactions passionnelles dans le monde entier. Cette partie du monde a pris du retard et est restée en marge des grandes avancées de l’âge moderne, non seulement en ce qui concerne le progrès matériel et technique mais aussi, malheureusement, celui des connaissances et des libertés. Ces trois dernières années ont été particulièrement violentes et tragiques; Arabes et Israéliens, souvent des civils innocents, ont subi d’intolérables souffrances Et il est fort à craindre, hélas, que la violence ne continue.


Quand je parle des Arabes, je ne pense pas seulement aux Palestiniens. Je pense aussi aux Iraquiens, qui ont terriblement souffert du conflit, des sanctions et d’innommables atteintes aux droits de l’homme.


Et ils ne sont pas au bout de leurs souffrances.


Engageons-nous à faire en sorte qu’ils aient enfin l’occasion de tourner cette page douloureuse de leur histoire, en déterminant leur avenir politique et en assurant le contrôle de leurs ressources naturelles, comme ils en ont incontestablement le droit.


Comme l’a affirmé le Conseil de sécurité, le jour où les Iraquiens se gouverneront eux-mêmes doit venir rapidement. Si nous parvenons à rendre à l’Iraq les moyens de se gouverner lui-même, 2003 pourrait être, pour cette grande nation, l’année d’un nouveau départ.


Il pourrait en être de même pour les Israéliens et les Palestiniens.


Ce mois-ci, non loin d’ici, les deux premiers ministres se sont engagés à suivre l’itinéraire qui doit conduire à la paix, la feuille de route élaborée pour eux par le Quatuor. Les actes de violence ne doivent pas les en détourner. La communauté internationale, sous la ferme impulsion du Président Bush, doit les aider à progresser sur cette voie et veiller à ce qu’ils honorent leurs engagements.


La présence ici même de tant de personnalités internationales, du monde des affaires ou de la société civile comme du monde politique, est éloquente: c’est un vote de confiance dans l’avenir de la région et un encouragement à ceux qui oeuvrent à l’instauration d’une paix juste, durable et globale.


Je parlais tout à l’heure de croisée des chemins; je ne pensais pas seulement à cette région. Je pensais au monde entier.


Un siècle nouveau vient de commencer et nous ne savons pas encore de quoi il sera fait. Le siècle passé, pour sa part, a connu deux époques contrastées.


Pendant la première moitié, deux guerres mondiales ont ravagé la planète entière, ou peu s’en faut, et partout la liberté a été mise à mal par le totalitarisme.


Les horreurs se sont multipliées, pour culminer avec l’Holocauste et  Hiroshima. Si l’histoire avait continué sur cette lancée, notre vie, aujourd’hui, serait  bien sombre.


Quoique imparfaite, la deuxième moitié du siècle a marqué une nette amélioration par rapport à la période précédente.


Oui, d’indicibles atrocités, allant parfois jusqu’au génocide, ont de nouveau été perpétrées.


Oui, de nouvelles guerres, d’une rare brutalité, se sont déchaînées, et cette région en a connu plus que sa part.


Oui, d’effroyables atteintes aux droits de l’homme ont continué d’être commises.


Et oui, la guerre froide, avec son précaire équilibre de la terreur nucléaire, a fait peser une terrible menace sur l’humanité tout entière. Une simple erreur d’appréciation de la part de l’une des superpuissances aurait suffi à la faire disparaître.


Heureusement, cela n’a pas eu lieu. Et nous avons bien d’autres raisons de nous réjouir. Dans l’ensemble, la deuxième moitié du XXe siècle a connu des avancées spectaculaires.


On a vu l’économie mondiale renaître de ses cendres après 1945 et se développer comme jamais auparavant.


On a assisté à des progrès techniques prodigieux. Les habitants des pays industrialisés jouissent d’une prospérité inégalée et vivent des expériences que nos grands-parents n’auraient jamais pu imaginer.


Bien entendu, une grande partie du monde en développement n’en est pas encore là. Des milliards d’hommes vivent dans une misère abjecte.


Mais là encore, les raisons d’espérer ne manquent pas. La mortalité infantile a considérablement baissé grâce à l’amélioration des soins de santé primaires et du niveau d’instruction des mères. Parallèlement, l’alphabétisation a progressé.


Les peuples du monde en développement se sont affranchis du joug du colonialisme et ceux du bloc soviétique ont conquis leur liberté politique. La démocratie n’est pas encore universelle, mais elle est à présent la norme et non plus l’exception.


Tout cela est-il le fruit du hasard?


Certainement pas. Si c’est arrivé, c’est parce qu’en 1945 un groupe de dirigeants visionnaires a décidé que la deuxième moitié du XXe siècle serait radicalement différente de la première.


Ils avaient compris que l’humanité n’avait qu’une seule planète et que si elle n’apprenait pas gérer ses affaires avec plus de prudence, tous les êtres humains risquaient d’en pâtir, voire d’en mourir.


C’est pourquoi ces dirigeants ont énoncé les règles devant régir les relations internationales et créé un réseau d’institutions, mondiales ou  régionales, politiques ou techniques, au sein desquelles les nations pouvaient œuvrer ensemble au bien commun. Au cœur de ce dispositif,  l’Organisation des Nations Unies, qui rassemble toutes les nations résolues à vivre en paix.


Au fil des ans, les efforts conjugués des ces organisations ont permis à une part croissante de l’humanité de vivre dans la liberté et la prospérité, dans un monde où des personnes de nationalités et à de cultures différentes pouvaient se regarder sans crainte et sans méfiance, comme des partenaires avec qui échanger idées et marchandises, et ce à leur avantage mutuel.


C’était un monde de plus en plus ouvert et de plus en plus libre, où la confiance gagnait du terrain. C’était un monde porteur d’espoir où, sur chaque continent, les parents pouvaient se dire que leurs enfants vivraient mieux qu’eux.


La question se pose aujourd’hui: le XXIe siècle ressemblera-t-il davantage à la première ou à la seconde moitié du XXe?


S’il ressemble à la première, il sera plus violent encore, plus intolérant, plus destructeur. Les États et les sociétés se replieront sur eux-mêmes, au mépris de la diversité et des droits de l’homme, rejetant en bloc les marchandises, les idées  et les gens venus d’ailleurs.


Au lieu d’améliorer la vie quotidienne, les technologies nouvelles renforceront l’impact de décisions malavisées. La planète sera en ruine et ceux qui survivront au désastre se regarderont avec crainte et suspicion.


Mais ce n’est certes pas là ma «vision pour un avenir commun». L’avenir que j’envisage est bien différent et il dépend de nous d’en faire une réalité.

C’est un avenir où l’humanité s’appuierait sur les acquis de la deuxième moitié du XXe siècle et les porterait toujours plus loin.


Un avenir où les êtres humains seraient solidaires les uns des autres et où les États assureraient collectivement la sécurité de la planète et le bien-être de ses habitants.


Bien entendu, les gouvernements seraient avant tout responsables de leur propre population. Mais là où le besoin s’en ferait sentir, d’autres viendraient apporter leur aide. L’idéalisme ne serait plus considéré comme de la naïveté, mais serait apprécié à sa juste valeur.


Les marchés seraient vraiment concurrentiels et équitables. Les pauvres pourraient améliorer leur niveau de vie en vendant librement leurs produits sans que les barrières commerciales et les subventions ne faussent la concurrence.


Les peuples travailleraient ensemble au bien de l’humanité et prendraient soin de leur maison commune, la Terre, en préservant ses richesses pour que les générations futures puissent en profiter à leur tour.


Les décisions d’intérêt mondial seraient prises dans le cadre d’instances mondiales, au premier rang desquelles l’ONU. Tous les Etats Membres respecteraient les vues des autres et s’efforceraient en toute bonne foi de parvenir au consensus.


Et lorsqu’un problème nouveau surgirait, appelant une solution inédite, ils sauraient procéder aux changements nécessaires, y compris au sein des institutions internationales.  Ces changements seraient évalués à l’aune des progrès qu’ils  permettent de réaliser vers la sécurité, la liberté, la justice et la prospérité universelles.


L’an dernier, à New York, devant ce même Forum, j’ai dit que nous étions entrés dans le nouveau millénaire par une porte de feu, évoquant bien entendu les attentats  terroristes dont cette ville a été la cible en septembre 2001.


Le défi était de taille: ces attentats nous ont poussés à nous unir contre des ennemis communs pour assurer leur défaite. Mais, plus fondamentalement, c’était un défi lancé à notre conception de l’humanité, à notre conviction commune que loin d’inspirer la peur, la diversité doit être source de richesse et de créativité.


Ces attentats nous ont fait prendre conscience qu’il fallait essayer de mieux nous comprendre; ils nous ont incités à nous tendre la main par-delà les frontières culturelles et religieuses, à faire preuve de générosité et de clairvoyance, à accepter des sacrifices pour la cause de la paix et à reconnaître notre responsabilité à l’égard de nos contemporains.


Mes chers amis, engageons-nous à relever ce défi. Il ne faut pas que la porte de feu s’ouvre sur une terre désolée. Il faut que nos enfants puissent penser à ce moment de l’histoire et se dire qu’ici, sur les bords de la mer Morte, nous sommes  entrés sur une terre tournée vers la vie et porteuse d’espoir.


*   ***   *

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.