KOFI ANNAN EXHORTE LES JUGES DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE A RENDRE DES JUGEMENTS QUI SUSCITENT LE RESPECT DE TOUS POUR LA JUSTICE INTERNATIONALE ET LA FORCE DU DROIT
Communiqué de presse SG/SM/8628 |
L/3026
KOFI ANNAN EXHORTE LES JUGES DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE A RENDRE DES JUGEMENTS QUI SUSCITENT LE RESPECT DE TOUS POUR LA JUSTICE INTERNATIONALE ET LA FORCE DU DROIT
On trouvera ci-après la déclaration du Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, à la Réunion inaugurale des juges de la Cour pénale internationale (CPI) qui s’est tenue à La Haye, le 11 mars:
Il a fallu de nombreuses années à l’humanité pour en arriver à ce moment.
En vertu de l’engagement solennel qu’ils ont pris ici, en audience publique, ces 11 hommes et ces 7 femmes, venus de toutes les régions du monde et représentant de nombreuses cultures et traditions juridiques différentes, ont pris sur eux-mêmes d’incarner notre conscience collective.
Pendant des siècles, et surtout au siècle dernier, cette conscience a été heurtée par des crimes innommables : des crimes dont les victimes se sont comptées non par dizaines, mais par dizaines de milliers, voire par millions.
Ces crimes avaient eu un tel coût pour l’humanité en 1945 qu’il a été jugé nécessaire de créer des tribunaux spéciaux, à Nuremberg et à Tokyo, pour en juger les principaux auteurs. Ces tribunaux ont établi un principe fondamental, à savoir que ceux qui prennent part à des violations flagrantes du droit international humanitaire ne peuvent pas se décharger de leur responsabilité sur l’État au nom duquel ils ont agi. Ils doivent répondre personnellement de leurs actes et en subir les conséquences.
Depuis, la communauté internationale s’est employée à mettre en place une cour pénale internationale permanente chargée de juger et de punir les auteurs d’actes de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité : massacres, réduction en esclavage, viols, tortures et autres crimes odieux – commis non seulement contre la population d’autres nations, mais également contre la leur.
Une étape très importante a été franchie au cours de la dernière décennie avec la création des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. Ces Tribunaux ont montré qu’il était possible de traduire devant un organe judiciaire impartial, représentant les grands systèmes juridiques du monde, des personnes de toutes conditions accusées de crime contre l’humanité.
Et pourtant, il nous a fallu 50 ans pour nous mettre d’accord sur la forme à donner à cette cour et sur l’étendue de ses pouvoirs. Il a fallu évaluer soigneusement de nombreux aspects – en particulier l’incidence éventuelle d’une telle cour sur le processus délicat que l’on engage en cherchant à abattre des régimes tyranniques pour les remplacer par des régimes plus démocratiques résolus à défendre les droits de l’homme.
On nous dit que, parfois, la justice doit céder le pas devant les intérêts de la paix. Il est vrai que la justice ne peut fonctionner que lorsque la paix et l’ordre social sont assurés. Néanmoins, nous savons désormais que l’inverse est également vrai : sans justice, il ne peut y avoir de paix durable.
Certes, dans tout tribunal, il y a toujours une place pour la clémence et la compassion. Mais la clémence ne s’applique qu’après que la culpabilité et les responsabilités ont été clairement établies et reconnues.
La responsabilité individuelle est d’une importance cruciale pour deux raisons:
Premièrement, il faut décourager ceux qui sont tentés de commettre des crimes horribles ou qui sont poussés par d’autres à le faire, en leur faisant comprendre qu’un jour ils devront personnellement rendre des comptes. Ce moyen de dissuasion n’existait pas dans le passé. Aujourd’hui, il est aussi nécessaire que jamais, et il le sera tout autant à l’avenir.
Et deuxièmement, ce n’est qu’en identifiant clairement les individus responsables de ces crimes que nous pouvons éviter à des communautés entières d’être tenues collectivement pour responsables. C’est cette notion de culpabilité collective qui est le véritable ennemi de la paix, car elle encourage les communautés à se haïr les unes les autres, génération après génération.
Quant à la compassion, les premiers à y avoir droit sont, bien entendu, les victimes.
Pour ceux qui ont été massacrés, tout ce que nous pouvons faire est d’essayer de leur donner dans la mort la dignité et le respect dont ils ont été si cruellement privés dans la vie.
Aux survivants, qui sont également les témoins, et à ceux qui pleurent des êtres chers, nous devons une justice qui doit non seulement punir mais aussi guérir. Cela veut dire que vous, les juges, devrez faire preuve d’une grande patience et d’une compassion immense, et d’une détermination inébranlable à faire triompher la vérité. La justice doit s’imposer non seulement dans le résultat final mais également dans les procédures.
Et surtout, cette Cour existe pour ceux qui pourraient être un jour des victimes. En effet, si ce tribunal répond à notre attente, cela n’arrivera pas parce que l’existence de ce tribunal aura fait reculer les criminels en puissance.
C’est pourquoi il est si important que vous, les juges et tous les fonctionnaires de la Cour, fassiez preuve dans toutes vos actions et décisions d’une intégrité et d’une impartialité irréprochables.
Dans toutes vos fonctions – fonctions judiciaires et administratives et fonctions de représentation –, vous devez agir sans peur, sans avantager personne, guidés et inspirés par les dispositions du Statut de Rome.
Vos jugements doivent témoigner d’une sagesse telle qu’elle commande le respect de tous pour la justice internationale et la force du droit.
L’honnêteté et l’efficacité de l’administration de la Cour doivent être au-dessus de tout reproche.
Tout votre travail doit rayonner de clarté morale et juridique, donnant vie aux dispositions du Statut de Rome et aidant les États parties à assumer leur part de responsabilité. Cette aide constituera une part importante de vos tâches.
Une tâche cruciale attend d’ailleurs les États parties à très courte échéance, à savoir la nomination d’un procureur.
On n’insistera jamais trop sur l’importance de cette fonction. L’expérience des Tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda nous apprend que rien ne vaut les décisions et les déclarations publiques du Procureur pour établir la réputation de la Cour, en particulier dans les premières étapes de son action.
C’est pourquoi il est absolument indispensable de trouver une personne du plus haut calibre pour assumer cette lourde responsabilité. C’est le moment ou jamais d’oublier les intérêts nationaux et de n’avoir en vue que les qualifications personnelles des candidats.
Une fois que le choix sera fait, les États auront la responsabilité de coopérer avec la Cour – en arrêtant les inculpés, en fournissant des preuves et en faisant appliquer les sentences prononcées. Cette coopération est essentielle pour le succès de la Cour.
La volonté résolue montrée jusqu’ici est de bon augure. L’Organisation des Nations Unies se réjouit à la perspective de travailler avec la Cour pénale internationale au service d’une cause, qui est la cause de l’humanité tout entière.
* *** *