KOFI ANNAN DECLARE «PAS DE SOLUTION AU PROBLEME DE L’INSECURITE ALIMENTAIRE EN AFRIQUE SANS LE REGLEMENT DES PROBLEMES DU SIDA ET DE GOUVERNANCE»
Communiqué de presse SG/SM/8623 |
AFR/573
KOFI ANNAN DECLARE «PAS DE SOLUTION AU PROBLEME DE L’INSECURITE ALIMENTAIRE
EN AFRIQUE SANS LE REGLEMENT DES PROBLEMES DU SIDA ET DE GOUVERNANCE»
Vous trouverez ci-après les remarques liminaires du Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, à la réunion du Groupe de contact du G-8 sur la sécurité alimentaire en Afrique qui se tient aujourd’hui au Siège:
Je suis heureux de vous accueillir à l’Organisation des Nations Unies pour cette première réunion de votre groupe de contact.
Le moment est on ne peut mieux choisi pour examiner la question de la sécurité alimentaire en Afrique. La dernière crise alimentaire qui a frappé le continent nous a, plus que jamais, mis face à la nécessité d’adopter de toute urgence une stratégie propre à interrompre la succession de crises et à déclencher une révolution verte en Afrique. Mais cela suppose que nous prenions des mesures radicales sur plusieurs fronts.
L’Afrique a déjà connu des crises alimentaires; elle a déjà fait face à des maladies mortelles; elle a déjà eu à régler des problèmes de gouvernance dans des États aux capacités et aux ressources limitées.
Mais rarement les difficultés qu’elle a connues se sont-elles conjuguées comme aujourd’hui. L’Afrique est actuellement aux prises avec trois grands problèmes dont la combinaison lui est fatale : l’insécurité alimentaire, le sida et l’extrême pénurie des moyens nécessaires pour gouverner et assurer les services publics. Tout cela en sus de conflits qui touchent une grande partie du continent.
Nous ne trouverons pas de solution au problème de l’insécurité alimentaire si nous ne nous efforçons pas, en même temps, de régler ceux du sida et de la gouvernance.
L’insécurité alimentaire dont souffre l’Afrique a des causes structurelles. La plupart des agriculteurs africains exploitent de petits lopins de terre qui ne produisent pas suffisamment pour répondre aux besoins de leurs familles. De plus, ils n’ont aucun pouvoir de négociation et n’ont accès ni à la terre, ni aux moyens de financement, ni à la technologie.
Cette situation rend les agriculteurs plus vulnérables encore aux sécheresses successives et à la pandémie de sida qui continue à prendre de l’ampleur.
L’Afrique compte aujourd’hui 30 millions de séropositifs et c’est elle qui a perdu la plus grande partie des quelque 20 millions de personnes mortes du sida dans le monde. Dans certaines régions du continent, plus de 40% des habitants sont séropositifs et la proportion de mal nourris est similaire.
Avec 7 millions d’agriculteurs africains déjà emportés par la maladie, les effets dévastateurs du sida sur la production alimentaire ne sont que trop évidents. Les taux de contamination augmentent parmi les Africaines, qui représentent 80% des petits exploitants agricoles du continent et, traditionnellement, fournissent les moyens permettant de faire face à une crise alimentaire. D’après les chiffres les plus récents, les femmes comptent aujourd’hui pour 58% des Africains contaminés.
À cause du sida, le savoir et le savoir-faire se perdent faute d’être transmis d’une génération à l’autre. Tant au niveau des ménages qu’à celui de l’État, des ressources qui devraient être consacrées à la production alimentaire servent à financer les soins de santé. Et les pénuries alimentaires, qui entretiennent la malnutrition, la pauvreté et l’inégalité, favorisent aussi, à leur tour, la propagation de la maladie.
Pour que ce cycle de destruction prenne fin, un énorme effort s’impose de toute évidence sur le plan de la gouvernance. L’Afrique a besoin d’institutions fortes, d’une main-d’œuvre plus qualifiée et de politiques novatrices. Or, paradoxe caractéristique de l’ère du sida, les moyens dont disposent les pays du continent pour gouverner et assurer les services publics sont en train d’être anéantis par la maladie elle-même.
Le sida décime la main-d’œuvre, fauchant les membres les plus qualifiés et les plus productifs de la société: les enseignants, les fonctionnaires, les médecins, les scientifiques. Dans tous les secteurs, les pertes en vies humaines entraînent dans leur sillage une crise de la gouvernance et du développement absolument désastreuse.
Dans leur ensemble, les problèmes que connaît l’Afrique sont bien plus graves que pris séparément. Pour qu’ils puissent être surmontés, tant l’Afrique que la communauté internationale doivent les aborder sous un angle nouveau, de façon intégrée. Les réponses à court terme doivent faire place à une réévaluation de l’ensemble de notre stratégie de développement; c’est à long terme même qu’il nous faut penser, même face aux crises les plus immédiates.
Voici ce que nous devons faire:
–Nous devons agir avec plus de détermination pour surmonter les crises immédiates et, simultanément, gérer leurs causes structurelles : par exemple, fournir des secours alimentaires et, en même temps, trouver des moyens efficaces d’assurer, à terme, la sécurité alimentaire du continent.
–Nous devons faire plus pour prévenir la propagation du sida et soigner ceux qui sont déjà atteints, notamment veiller à ce qu’ils aient accès à des traitements d’un prix abordable.
–Nous devons, plus encore qu’actuellement, combattre le sida de façon globale et multisectorielle, et nous devons redoubler d’efforts pour abattre le mur de honte et de silence qui entoure encore la maladie dans bien des pays.
–Nous devons tenir notre engagement de rendre l’instruction accessible à tous, y compris les quelque 40 millions d’enfants africains qui, aujourd’hui, ne vont pas à l’école, et veiller à ce que ceux qui sont inscrits à l’école, en particulier les filles, ne cessent pas d’y aller quand la famille est frappée par la sécheresse ou le sida.
–Nous devons renforcer les moyens d’action des petits exploitants agricoles africains, par exemple en soutenant des projets de microfinancement, et accorder une attention particulière aux femmes, qui jouent un rôle essentiel dans l’alimentation et dans la lutte contre le sida.
–Nous devons faire en sorte que, lorsqu’un appel est lancé en vue de réunir des articles non alimentaires en cas de situation d’urgence, les contributions cessent d’être si terriblement insuffisantes. Pour se remettre, les collectivités ont absolument besoin de ces secours, qu’il s’agisse d’articles destinés aux orphelins, aux écoles ou aux services de lutte contre le sida, ou encore de semences et d’outils.
–Nous devons, en collaboration avec les collectivités rurales, mettre au point de nouvelles techniques agricoles et technologies de gestion des ressources naturelles qui permettent des économies de travail et puissent être utilisées là où une partie de la main-d’œuvre a disparu.
–Nous devons relancer la recherche agricole financée par des fonds publics, domaine qui a connu un déclin catastrophique, et redonner de l’importance aux travaux scientifiques, en particulier ceux qui portent sur l’enrichissement des sols, la gestion des ressources en eau et les cultures à rendement élevé adaptées à l’Afrique. Il faudrait notamment examiner sans parti pris les nouvelles technologies susceptibles de déclencher une révolution verte en Afrique, y compris les biotechnologies.
–Nous devons soutenir la création et le fonctionnement d’institutions africaines fortes, capables de mettre directement au service des petits agriculteurs les immenses connaissances scientifiques et technologiques dont dispose le monde, qui ne cessent de se développer.
–Nous devons prendre des mesures déterminées pour créer l’infrastructure physique nécessaire, notamment pour les transports, les services publics et l’irrigation.
–Nous devons créer des marchés qui fonctionnent bien et qui, en permettant d’augmenter les recettes et de réduire les coûts, répondent aux besoins des pauvres d’Afrique.
Mesdames et messieurs, il s’agit là d’un programme ambitieux. Pour qu’il se concrétise, il faudra dégager des ressources et consentir des investissements sans précédent; il faudra relancer l’aide publique au développement en faveur de l’agriculture africaine, dont le montant a été ramené, au cours des 10 dernières années du XXe siècle, de 4 à 2,6 milliards de dollars.
Vous, les pays les plus riches du monde, êtes particulièrement bien placés pour fournir ces ressources. Les gouvernements, tant ceux des pays du Nord que ceux des pays du Sud, doivent tenir compte du fait que l’agriculture est un pilier du développement.
Il faudra aussi que les pays riches cessent de verser des subsides agricoles, ce qu’ils font actuellement à concurrence de plus de 300 millions de dollars par an. Ce n’est qu’à cette condition que l’agriculture africaine deviendra vraiment viable. Le Président Chirac a mis la question sur le tapis quand il a demandé, le mois dernier, que tous les pays développés suspendent leurs subventions aux exportations de produits agricoles à destination de l’Afrique.
Enfin, nous devrons aider les pays d’Afrique à faire des progrès sur le plan de la gouvernance en redonnant à l’État les moyens d’assurer les services publics essentiels. Là où nous parlions de renforcement des capacités, il nous faut désormais parler de renouvellement des capacités.
Nous n’arriverons à nos fins que si nous sommes prêts à nous engager sur des voies nouvelles. Dans certains pays, la crise est si grave que l’État ne fonctionne que moyennant un appui extérieur à court terme, qui prend la forme de services bénévoles et d’activités d’assistance technique supplémentaires.
Dans les mois et les années à venir, nous devrons adopter une démarche plus systématique, plus globale et mieux ciblée. Nous devrons collaborer. Pour le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique, il s’agira d’un test décisif. J’espère que le G-8 participera à l’effort commun. Son Plan d’action pour l’Afrique pourrait se révéler extrêmement utile.
Mesdames et messieurs,
Les organismes des Nations Unies unissent déjà leurs forces pour mener la campagne coordonnée qui s’impose. J’espère que vous nous aiderez, nous et les gouvernements des pays d’Afrique, à mettre au point les stratégies révolutionnaires dont nous avons besoin pour vaincre le triple fléau qui accable l’Afrique et mettre fin aux crises alimentaires qui se succèdent sur le continent.
J’ai entamé mes remarques avec un message de détresse. Permettez-moi de conclure avec un message d’espoir. Certes, les problèmes qui vous occupent sont d’une ampleur et d’une gravité sans précédent. Mais votre présence ici, aujourd’hui, me laisse à penser que nous sommes, plus que jamais, d’accord sur la nécessité d’y faire face. Ensemble, nous devons manifester la volonté politique de les surmonter.
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