POUR KOFI ANNAN, SEUL LE CONSEIL DE SECURITE PEUT LEGITIMER UNE DECISION DE RECOURIR A LA FORCE POUR REPONDRE A DES MENACES GENERALES A LA PAIX ET A LA SECURITE INTERNATIONALES
Communiqué de presse SG/SM/8600 |
SG/SM/8600
10 février 2003
POUR KOFI ANNAN, SEUL LE CONSEIL DE SECURITE PEUT LEGITIMER UNE DECISION DE RECOURIR A LA FORCE POUR REPONDRE A DES MENACES GENERALES A LA PAIX ET A LA SECURITE INTERNATIONALES
On trouvera ci-après l’allocation que le Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, a prononcée le 8 février à Williamsburg en Virginie, à l’occasion de la Journée de la Charte marquant le 310ème anniversaire du Collège William et Mary.
Vous me faites un honneur insigne en me décernant ce diplôme honoris causa, et l’honneur est d’autant plus grand que je partage cette distinction avec le général Zinni et Monsieur Brinkley, dont la remarquable contribution à la paix et à la prospérité mondiales mérite d’être saluée.
C’est aussi un grand plaisir pour Nane et pour moi d’être parmi vous en cette occasion solennelle.
La seule chose qui m’attriste, et je suis sûr que c’est aussi votre cas, est que les festivités de cette année sont endeuillées par l’accident tragique de la navette Columbia survenu la semaine dernière et, en particulier, par la perte d’un de vos anciens étudiants les plus remarquables, David Brown.
Comme vous le savez, ses compagnons d’infortune, tout aussi brillants que lui, venaient d’horizons très divers, puisqu’un membre de l’équipage était d’origine indienne et un autre israélien. L’exploration de l’espace transcende les frontières et la perte de la navette Columbia est une perte pour toute l’humanité. Des événements comme celui-là viennent nous rappeler que nous appartenons tous à la grande famille des hommes.
Aujourd’hui, cette famille traverse une période d’angoisse et de profond désarroi face à l’escalade de la violence au Moyen-Orient, aux risques de prolifération nucléaire et au spectre de nouvelles attaques terroristes. Quant à la perspective d’une guerre en Iraq, elle suscite bien entendu la plus vive inquiétude, ici aux État-Unis comme dans le reste du monde.
Beaucoup se demandent ce que fait l’Organisation des Nations Unies pour écarter une telle menace.
N’a-t-elle pas été créée pour préserver les générations futures du fléau de la guerre?
Si. Ses fondateurs, qui avaient connu deux guerres mondiales, savaient les terribles ravages et les indicibles souffrances que la guerre entraîne dans son sillage et étaient résolus à tout faire pour que le monde ne passe plus par de telles épreuves.
Ce grand dessein, nous ne devons jamais le perdre de vue. La guerre est toujours une catastrophe, une option qui ne devrait être envisagée que lorsque tout le reste a échoué et lorsqu’il est clair que ne pas la faire serait pire encore. Si la guerre éclate de nouveau en Iraq, elle causera probablement des pertes et des souffrances terribles au peuple iraquien et sans doute à ses voisins aussi. Nous avons tous le devoir, et les dirigeants de l’Iraq les premiers, de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour prévenir cette guerre.
Cela étant, les fondateurs de l’Organisation n’étaient pas des pacifistes. Ils savaient que, parfois, il faut répondre à la force par la force. C’est pourquoi ils ont inscrit dans la Charte des Nations Unies la possibilité d’une action coercitive à la faveur de laquelle la communauté des nations pourrait s’unir pour faire échec à l’agression.
Il y a 12 ans, quand l’Irak a envahi le Koweït, c’est en vertu de ces dispositions que l’ONU a agi. Dans un premier temps, le Conseil de sécurité a donné à l’envahisseur la possibilité de se retirer pacifiquement. Ce n’est qu’après que son offre a été repoussée qu’il a autorisé le recours à la force.
Cette décision était douloureuse mais nécessaire. Le Conseil de sécurité n’a pas éludé ses responsabilités. Sous son autorité, une large coalition s’est peu à peu constituée, avec les États-Unis à sa tête. Onze des vingt-six pays qui ont envoyé des forces pour libérer le Koweït étaient des pays musulmans. Il y a là je crois une leçon à tirer pour les événements d’aujourd’hui.
Malheureusement, l’Iraq n’a toujours pas honoré toutes les obligations qu’il a souscrites en 1991, aux termes de l’accord de cessez-le-feu. En particulier, le Conseil de sécurité ne s’est pas encore convaincu que l’Iraq n’a plus aucune arme de destruction massive.
Cette question ne saurait être l’affaire d’un seul État mais concerne la communauté internationale tout entière. Lorsque les États décident de recourir à la force, non pas dans l’exercice de la légitime défense mais pour faire face à des menaces plus générales à la paix et à la sécurité internationales, rien ne saurait se substituer à la légitimité que confère le Conseil de sécurité de l’ONU. Les États et les peuples du monde entier attachent une importance fondamentale à cette légitimité et à la légalité internationale.
Les armes de destruction massive et leur terrible pouvoir dévastateur sont un exemple de ces menaces. Cette question revêt la plus haute importance et elle est loin de ne concerner que l’Iraq. Elle oblige la communauté internationale à réexaminer avec le plus grand soin les fondements de sa sécurité.
Il importe au plus haut point qu’elle place ce réexamen sous le signe de l’unité, car ce n’est pas en affaiblissant mais en renforçant les traités multilatéraux de désarmement et de non-prolifération que l’on pourra accroître la sécurité. Seule une approche multilatérale et collective permettra de mettre un frein à la prolifération des armes de destruction massive et rendre ainsi la planète plus sûre.
A l’évidence, rien ne pourrait nous éloigner davantage de ce but que l’utilisation d’armes de destruction massive. J’exhorte donc solennellement toutes les parties à ne pas utiliser de telles armes, ni en Iraq ni ailleurs. Ceux qui en utiliseraient ou en ordonneraient l’utilisation porteraient une immense responsabilité.
Espérons que ces craintes ne se concrétiseront pas. L’Organisation des Nations Unies se doit d’explorer toutes les voies de règlement pacifique avant de recourir à la force.
Il y a à peine trois mois, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1441, dans laquelle il a confié un mandat renforcé aux inspecteurs des Nations Unies en Iraq. Cette résolution a été négociée avec patience et persévérance et a pu, de ce fait, être adoptée à l’unanimité, ce qui l’a dotée d’une autorité encore plus grande, fondée sur le droit, l’effort collectif et la légitimité unique que confère l’Organisation des Nations Unies. On a assisté là à un exercice magistral de diplomatie multilatérale au service de la paix et de la sécurité.
Investis de leur nouveau mandat, les inspecteurs de l’ONU sont retournés en Iraq après quatre ans d’absence. Les inspections peuvent donner des résultats, comme nous l’avons vu au début des années 90. A l’époque, les inspecteurs de l’ONU avaient détruit plus d’armes et d’installations que tous les bombardements.
C’est en grande partie grâce à la sommation du Président Bush – et aux pressions qui ont suivi – que les inspecteurs sont aujourd’hui de retour en Iraq.
Ils ont présenté leur premier rapport au Conseil le 27 janvier, et ils lui en présenteront un autre vendredi prochain. Tout le monde est d’accord pour dire que l’Iraq doit désarmer, et de sa propre initiative. Tant le Conseil de sécurité, parlant d’une seule voix, que la Ligue arabe et les voisins de l’Iraq, ont été clairs sur ce point.
De même, tout le monde accorde une confiance absolue à MM. Blix et ElBaradei, qui dirigent les équipes d’inspecteurs avec le plus grand professionnalisme. Ce week-end, ils sont de nouveau à Bagdad pour, une fois de plus, bien faire comprendre à l’Iraq ce qu’il doit faire pour s’acquitter, dans l’esprit et dans la lettre, de son obligation de désarmer. L’exposé éloquent que le Secrétaire d’Etat, Colin Powell, a fait au Conseil mercredi a sans aucun doute renforcé leur position.
Si nous pouvons amener l’Iraq, grâce à des inspections efficaces et crédibles, à s’acquitter pleinement de ses obligations et à désarmer, nous en serons largement récompensés. L’Iraq cessera d’être une menace pour ses voisins et un message très clair aura été lancé à tous les autres pays qui pourraient être tentés de mettre au point ou d’acquérir des armes de destruction massive. Le régime de la non-prolifération s’en trouvera renforcé partout dans le monde.
Dans sa résolution 1441, le Conseil a décidé qu’il se réunirait immédiatement s’il était informé que l’Iraq avait commis une nouvelle violation patente de ses obligations ou s’était ingéré dans les activités d’inspection. Il a aussi rappelé, dans ce contexte, qu’il avait averti l’Iraq à plusieurs reprises des graves conséquences auxquelles il s’exposait s’il continuait à manquer à ses obligations.
Si l’Iraq ne saisit pas cette dernière chance et persiste à faire fi de ses obligations, le Conseil sera une nouvelle fois amené, sur la foi des constatations des inspecteurs, à prendre une décision douloureuse, plus difficile et peut-être plus lourde de conséquences que celle qu’il avait dû prendre en 1990. Le moment venu, le Conseil devra assumer ses responsabilités.
Je sais d’expérience que c’est quand ses membres sont à l’unisson qu’il assume le mieux ses responsabilités et qu’il est le plus efficace. Il lui faudra agir avec fermeté, prudence et discernement et convaincre l’opinion que son action est résolue, efficace, crédible et raisonnable.
Si le Conseil parle d’une seule voix, comme il l’a fait quand il a adopté la résolution 1441, ses décisions auront plus de poids et il aura plus de chance d’atteindre son objectif, à savoir une solution globale permettant au peuple iraquien, qui a connu tant de souffrances, de reprendre pleinement sa place au sein de la communauté internationale.
En diplomatie, réussir, c’est convaincre le plus grand nombre. En l’occurrence, c’est renforcer l’autorité du Conseil de sécurité et consolider l’ordre mondial, en particulier dans le domaine de la paix et de la sécurité.
C’est d’autant plus important que les événements en Iraq ne se produisent pas dans le vide. Ils influent – en bien ou en mal – sur d’autres questions cruciales pour les Etats-Unis et pour le monde entier, notamment sur le climat dans lequel s’inscrit le combat contre le terrorisme international.
Plus large sera le consensus concernant l’Iraq, plus nous aurons de chances de gérer efficacement, ensemble, les conflits meurtriers qui font rage dans le monde et qui appellent une action d’urgence: Israël et la Palestine, le Congo, la Côte d’Ivoire, sans oublier l’Afghanistan, où il reste beaucoup à faire pour stabiliser la situation.
Au-delà des conflits, nous avons bien des problèmes à régler dans le monde, selon le programme arrêté par les dirigeants des pays du monde quand ils se sont tous réunis à l’ONU en 2000.
Dans la Déclaration du Millénaire, adoptée à cette occasion, ils se sont fixés des objectifs clairs, non seulement dans le domaine de la paix, de la sécurité et du désarmement, mais aussi en ce qui concerne le développement et l’élimination de la pauvreté, en particulier en Afrique, la protection de l’environnement, la lutte contre le VIH et le sida, l’enseignement pour tous, filles et garçons, l’aide aux réfugiés et aux déplacés, les droits de l’homme, la démocratie et la bonne gouvernance.
C’est à l’aune de notre capacité à atteindre les objectifs du Millénaire, et non pas seulement à régler la situation en Iraq, que devra être mesuré le succès de l’Organisation des Nations Unies au XXIe siècle.
Il faut bien comprendre que l’Organisation des Nations Unies n’est pas une entité à part, étrangère, qui cherche à imposer son programme. L’Organisation des Nations Unies, c’est nous: c’est vous et c’est moi. C’est une alliance qui regroupe 191 pays du monde, dont chacun a une contribution à apporter. Votre pays n’est pas seulement le plus puissant d’entre eux; il figure aussi parmi ceux qui ont joué un rôle déterminant dans la création de l’ONU en 1945 et dans l’action qu’elle mène depuis.
Quand les Etats-Unis jouent un rôle moteur en faisant patiemment jouer la diplomatie pour convaincre et forger des coalitions, l’ONU y gagne, et eux aussi. L’Organisation des Nations Unies est le plus utile à ses membres, y compris les Etats-Unis, quand elle fait front uni et permet à l’action collective de l’emporter sur la discorde.
Je demande à tous les Américains ici présents de bien réfléchir à ce que je viens de dire; je m’adresse en particulier à vous, les étudiants de cette illustre université pour laquelle servir la collectivité est une tradition. Beaucoup d’entre vous sont sur le point de choisir une carrière. J’espère que vous serez nombreux à entrer dans la fonction publique. Mais j’espère surtout que, quelle que soit votre profession, vous essayerez tous de vous rendre utiles en contribuant au bien-être de vos semblables, non seulement vos concitoyens mais aussi et surtout tous ceux qui vivent sur d’autres continents, dans la pauvreté et le malheur, et aspirent à se libérer du joug de la nécessité et de la peur.
Je vous remercie.
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