DEVANT «L’ASSEMBLEE GENERALE DE L’ONU» TENUE A L’UNIVERSITE MCGILL, LA VICE-SECRETAIRE GENERALE EXPLIQUE LES TENANTS ET LES ABOUTISSANTS DU MULTILATERALISME
Communiqué de presse DSG/SM/186 |
DSG/SM/186
4 février 2003
DEVANT «L’ASSEMBLEE GENERALE DE L’ONU» TENUE A L’UNIVERSITE MCGILL, LA VICE-SECRETAIRE GENERALE EXPLIQUE LES TENANTS ET LES ABOUTISSANTS DU MULTILATERALISME
Vous trouverez ci-dessous l’allocution prononcée par la Vice-Secrétaire générale, Mme Louise Fréchette, à la cérémonie d’ouverture de la simulation d’Assemblée des Nations Unies organisée par l’Université McGill (McMUN) au Canada (Série annuelle de conférences Lester B. Pearson), à Montréal, le 23 janvier 2003:
C’est avec un grand plaisir que je me joins à vous aujourd’hui. En tant que haut fonctionnaire de l’ONU, je trouve très encourageant de savoir que vous êtes d’ardents partisans de l’Organisation. En tant que Canadienne, je ne saurais trop me féliciter de la manière dont ceux d’entre vous qui êtes Canadiens défendent la tradition d’engagement actif sur la scène internationale, qui est celle de notre pays. Et en tant qu’admiratrice de Lester Pearson, en l’honneur duquel cette série de conférences a été baptisée, je me félicite de voir que vous êtes, vous-mêmes, attachés à cette vision d’un ordre mondial pacifique et prospère, fondé sur la liberté, la tolérance et la coopération. Je vous remercie donc de m’avoir adressé cette invitation.
Vous êtes venus de tous les endroits d’Amérique du Nord et d’ailleurs pour participer à ce qu’on pourrait considérer comme un jeu sérieux. Je parle de jeu puisqu’il s’agit d’une simulation, d’un jeu de rôles, d’un jeu qui tient à la fois d’une partie d’échecs et de Monopoly, mais d’un jeu sérieux également, car c’est une expérience hautement instructive que de se mettre dans la peau d’un autre et d’endosser, si je puis dire, la pauvreté ou la puissance d’un autre pays pour imaginer comment l’on s’acquitterait de la tâche complexe qu’est l’art de gouverner dans un monde riche de possibilités mais également d’embûches.
J’ai en effet souvent pensé que si les peuples des différents pays pouvaient, ne serait-ce que pour un jour, échanger les lieux où ils habitent, comme dans la vieille histoire du Prince et du Mendiant, cela leur ferait le plus grand bien. Un Montréalais pourrait, par exemple, être transposé à Maputo, non pas comme touriste, mais transformé par magie en Mozambicain, de sorte qu’il ait à affronter les obstacles et les difficultés de la vie dans un pays en développement. Cela contribuerait assurément à favoriser la compréhension mutuelle, qui est l’idée maîtresse de cette « assemblée des Nations Unies » et d’autres manifestations analogues qui sont organisées dans le monde entier.
Cette session a lieu à un moment particulièrement inquiétant pour les peuples du monde. Une dizaine d’années auparavant, nombre d’entre nous pensaient que la fin de la guerre froide avait libéré le monde, non seulement d’une terrifiante course aux armements, mais également de l’arbitraire politique qui avait empêché l’humanité de s’attaquer réellement à la tyrannie, à la violence armée et à la pauvreté. Nous étions convaincus que les obstacles les plus redoutables, qui faisaient entrave au progrès de l’humanité, avaient été relégués dans le passé.
Mais le monde est plus complexe que jamais. Ces quelque 10 dernières années ont été marquées par des génocides et des violations atroces des droits de l’homme. Et, en ce moment même, la perspective d’une guerre en Iraq, la prolifération nucléaire dans la péninsule de Corée, la violence au Moyen-Orient et le terrorisme en général suscitent de vives inquiétudes. L’épidémie mondiale de sida continue de s’étendre, le réchauffement de la planète est une réalité et la pauvreté extrême est plus qu’un fléau; c’est un acte d’accusation. Francis Fukuyama, lui-même, qui s’est rendu célèbre en postulant que nous étions arrivés à la « fin de l’histoire » –l’histoire s’entendant comme ayant abouti au règne de la démocratie libérale et du capitalisme axé sur l’économie de marché– avait suggéré, au lendemain des attaques terroristes contre le World Trade Centre, que l’histoire avait peut-être pris un nouveau départ.
Il est clair que les activités de l’ONU au quotidien témoignent de cette incertitude. Je voudrais vous faire faire un bref tour d’horizon et vous donner un aperçu général de nos travaux pour vous faire comprendre quelles sont nos motivations et quels sont nos objectifs concrets. J’espère que je pourrai vous donner une idée des tâches qui nous attendent, mais aussi quelque raison de croire en l’avenir.
Je commencerai par décrire certaines des préoccupations et des activités récentes du Secrétaire général. Il se rend aujourd’hui à Paris pour participer à des pourparlers organisés en vue de mettre un terme à l’escalade du conflit qui a éclaté en Côte d’Ivoire, un des pays auparavant les plus stables et les plus prospères de l’Afrique.
Même lorsqu’il se trouve loin du Siège ou lorsqu’il s’emploie à résoudre une crise, il reste en contact avec les autres et, surtout, il garde à l’esprit les autres problèmes qui revêtent un égal caractère d’urgence.
Il y a une semaine aujourd’hui, il s’entretenait avec le Président Chavez du Venezuela sur les mesures à prendre pour empêcher que l’impasse dans ce pays ne dégénère en violence.
Au début de la semaine, il s’est réuni avec des ministres des affaires étrangères qui assistaient à une réunion de haut niveau du Conseil de sécurité consacrée au terrorisme et a, à cette occasion, tenu en particulier à souligner qu’il ne fallait pas sacrifier les droits de l’homme et l’état de droit au nom de la lutte antiterroriste.
Hier, il s’est entretenu avec l’un de ses envoyés spéciaux –le Canadien, Maurice Strong– qui vient de rentrer de la République démocratique populaire de Corée, que vous connaissez sous le nom de Corée du Nord, où il s’était rendu en vue d’évaluer la situation humanitaire.
Et, de toute évidence, le Conseil se réunira lundi prochain pour entendre les inspecteurs en chef des Nations Unies qui doivent rendre compte de la progression – ou non – de leurs travaux en Iraq.
Au cas où vous penseriez qu’il s’occupe exclusivement des questions de paix et de sécurité, je précise qu’il consacre aussi une énergie considérable aux problèmes de développement économique et social.
Il y a une semaine aujourd’hui, il présidait une réunion du Groupe des 77 pays en développement –qui s’est en fait étendu à 128 pays. À cette occasion, il a appelé l’attention sur deux problèmes en particulier: il faut veiller à ce que les négociations en cours sur les droits de propriété intellectuelle n’empêchent pas les pays pauvres de se consacrer à la lutte contre le sida et d’autres problèmes de santé publique et il faut accorder une attention accrue à la question des migrations, qui touchent des centaines de millions de personnes, qui mettent à rude épreuve les pays d’origine, de transit et de destination, et qui posent de graves problèmes en matière de droits de l’homme, de culture et de relations transfrontières.
De mon côté, je m’emploie à faire en sorte que l’ONU –cette énorme machine composée de départements, de groupes de travail, de mécanismes, etc.– appuie les efforts du Secrétaire général et exécute les tâches qui lui sont dévolues. Ces jours-ci, je consacre une bonne partie de mon temps à présider un comité directeur sur l’Iraq et un groupe directeur sur l’effort de réforme que le Secrétaire général a engagé lors de son entrée en fonctions, il y a six ans.
Et l’ONU, ce n’est pas seulement le Siège de New York, c’est aussi tous les bureaux qui sont établis sur tous les continents.
À Genève aujourd’hui, le Comité des droits de l’enfant est en session pour examiner les rapports présentés par l’Estonie, l’Italie, la Roumanie et les Îles Salomon.
À Vienne, c’est le Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants qui se réunit.
À Addis-Abeba, les ministres africains des finances rencontrent leurs homologues européens pour examiner les résultats des récentes conférences mondiales consacrées au commerce, à l’aide ou au développement durable.
De hauts fonctionnaires de l’ONU participent en outre à deux réunions qui, selon les points de vue, se complètent ou sont diamétralement opposées. Je veux parler du Forum économique mondial de Davos, où les participants proviennent généralement du secteur privé, et du Forum social mondial de Porto Alegre, qui rassemble essentiellement des organisations non gouvernementales.
Et, évidemment, il y a la journée ordinaire, non pas de celui qui tient les rênes, mais de nos collègues sur le terrain, qu’ils soient en première ligne dans les situations de conflit et les catastrophes ou dans des endroits ignorés des médias.
Certains aident à apporter des réponses au drame qui se déroule en Afrique australe, où des dizaines de millions de personnes doivent faire face à une cruelle sécheresse, au sida et à la montée de la pauvreté.
D’autres aident à créer des emplois en Amérique latine et dans les Caraïbes, où les crises économiques et celles qui les ont accompagnées ont porté les chiffres du chômage à leurs niveaux les plus élevés depuis 20 ans.
D’autres encore examinent avec les autorités sri-lankaises la question du retour des réfugiés et des personnes déplacées en raison de la guerre civile, à la suite de la signature d’un cessez-le-feu.
À ces milliers de personnes, et à ces centaines de problèmes, correspond une liste –qui ne cesse de s’allonger– d’objectifs apparemment disparates à réaliser pour répondre aux aspirations et aux besoins de l’humanité. Mais il y a, au coeur de ce projet, un fil conducteur, un principe commun, un ciment qui unit tous ces éléments; c’est l’impératif de la coopération multilatérale.
Les domaines qui nécessitent une action multilatérale sont aujourd’hui plus nombreux que jamais. Les problèmes peuvent traverser les frontières plus librement que les personnes. Ce n’est que grâce à une action multilatérale que nous pourrons être à l’abri des pluies acides, du commerce illicite des drogues ou du problème croissant de l’infâme traite des êtres humains. Ce n’est que grâce à une action multilatérale que nous pourrons assurer la mise en place d’un système commercial mondial qui offre des avantages et des possibilités à tous les êtres humains. Ce n’est que grâce à une action multilatérale que nous pourrons lutter contre le terrorisme. Les États peuvent se défendre chacun de leur côté en menant des représailles contre les groupes terroristes et les pays qui les accueillent ou les appuient. Mais seules la vigilance concertée et la coopération entre tous les États, allant de pair avec l’échange systématique et constant de renseignements, offrent quelque réel espoir de priver les terroristes des facilités dont ils disposent.
Toutefois, il ne suffit pas de proclamer les vertus du multilatéralisme et de s’attendre à ce que les peuples et les pays s’unissent pour s’acheminer joyeusement vers un bien-être partagé. Le fait est que certains intérêts entrent en conflit. Les problèmes sont complexes. Des idées en apparence raisonnables sont souvent difficilement acceptées ou sont mises en échec par des groupes de pression bien organisés. Certaines solutions méritoires ont des conséquences inopinées. On peut trouver une volonté politique pour certains problèmes mais pas pour d’autres. Même si des règles existent, cela ne signifie pas qu’elles seront respectées, dans un monde où il reste à vaincre la soif de richesse et la criminalité. Et les gouvernements peuvent parfois se montrer si méfiants des règles et des lois qui semblent empiéter sur leur pouvoir et leurs prérogatives qu’ils ne parviennent pas à voir qu’il y a un intérêt à ce que tous les pays suivent les mêmes règles du jeu –règles qu’ils ont tous négociées de concert.
Qui plus est, le multilatéralisme lui-même a ses imperfections. Il aide assurément à répartir le poids des difficultés, à encourager la confiance et à apporter une légitimité aux mesures qui sont prises, par exemple pour faire face à une menace contre la paix et la sécurité. Mais les initiatives multilatérales peuvent aussi être pesantes, limitant l’action au rythme du plus lent ou du plus hésitant. Le multilatéralisme peut être mis à rude épreuve lorsque les États choisissent ce qui leur convient selon les circonstances –lorsqu’il s’agit d’un choix à la carte qui se fonde sur des motivations politiques plutôt que sur un engagement de principe. La logique du multilatéralisme exige une action plus cohérente, et une forte volonté politique pour encourager le lancement d’initiatives.
La raison d’être du système des Nations Unies est de servir de lieu d’échange, d’outil, de moyen par lequel des actions multilatérales peuvent être entreprises, conçues et menées à bien. Nous avons appris, au cours de ces quelque 10 dernières années, à mieux répondre aux défis qui nous étaient lancés. Nous avons mis un terme aux guerres en Bosnie et en Sierra Leone. Le Timor oriental a accédé à l’indépendance. Le système des Nations Unies, les groupes de la société civile et les entreprises du secteur privé collaborent de manière plus étroite que jamais, chacun reconnaissant la nécessité d’unir ses efforts à ceux des autres.
Et les États Membres ont adopté une déclaration qui ouvre la voie à de profonds changements: la Déclaration du Millénaire, expression d’une vision commune pour le XXIe siècle, qui englobe une série d’objectifs de développement ambitieux certes, mais réalisables, pour le nouveau millénaire, tels que l’enseignement primaire universel, la réduction de la mortalité juvénile et la réduction de moitié du nombre de personnes souffrant de la faim, autant d’objectifs qui doivent être réalisés d’ici à 2015. L’élan donné à la réalisation de ces objectifs a reçu une nouvelle impulsion à la suite des promesses faites par les principaux pays donateurs d’ouvrir leurs marchés, d’alléger la dette et d’enrayer le déclin de l’aide publique au développement, qui était particulièrement préoccupant.
La collaboration entre les pays peut modifier la donne. Des pays qui défendent la primauté du droit peuvent faire avancer la cause d’un monde plus juste. Des pays qui règlent un problème ensemble créent la confiance – confiance entre eux et confiance dans les institutions et cadres multilatéraux, qui peut, à son tour, aider à résoudre d’autres problèmes.
Vous-mêmes, dans vos simulations, verrez bientôt combien la négociation internationale peut être difficile, complexe et, admettons-le, ingrate. Mais vous aurez également un aperçu de ce que l’on peut accomplir lorsqu’on s’écoute réellement les uns les autres, et vous comprendrez que les liens qui nous unissent sont bien plus nombreux que les problèmes qui nous divisent.
J’espère que votre intérêt ne faiblira pas lorsque vous quitterez cette « assemblée ». Trop souvent, nous avons vu les conférences mondiales se conclure en grande fanfare par un accord sur un plan d’action, pour constater quelques mois plus tard que peu de mesures réelles de suivi avaient été prises. Ce problème n’a été ressenti nulle part de manière plus douloureuse qu’en Afrique. Et il n’y a pas de problème pour lequel il soit plus important aujourd’hui de changer notre manière d’agir que la nécessité de mettre un terme à la progression du sida, en Afrique et ailleurs. L’incapacité de maintenir son attention sur un problème est le plus grand obstacle à tout ce que l’ONU s’efforce de réaliser.
J’espère aussi que vous êtes disposés à vaincre certains obstacles, ou à accepter ceux qui surgiront sur votre chemin. Nous ne viendrons jamais à bout du réchauffement de la planète, à moins que les pays les plus riches modifient leurs modes de consommation. Nous ne ferons pas reculer la pauvreté dans le monde, à moins que les pays nantis fassent bien davantage pour venir en aide aux plus démunis.
Votre génération peut et doit améliorer ce qui a été fait par ma propre génération. Mettons-nous dès aujourd’hui au travail. Je vous souhaite une « assemblée » stimulante et qui réponde à vos attentes.
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