SAVOIR C’EST POUVOIR ET CEUX QUI FOURNISSENT DES INFORMATIONS HONNETES AUX PEUPLES SONT LES MEILLEURS ALLIES DE L’ONU, DECLARE KOFI ANNAN SUR LE SERVICE MONDIAL DE LA BBC
Communiqué de presse SG/SM/8552 |
SG/SM/8552
10 décembre 2002
SAVOIR C’EST POUVOIR ET CEUX QUI FOURNISSENT DES INFORMATIONS HONNETES AUX PEUPLES SONT LES MEILLEURS ALLIES DE L’ONU, DECLARE KOFI ANNAN SUR LE SERVICE MONDIAL DE LA BBC
Il annonce une série d’émissions sur
les événements marquants du Millénaire
Discours du Secrétaire général, M. Kofi Annan, au Service mondial de la BBC, le 10 décembre 2002:
Bien avant l’Internet, la BBC connectait le monde par la radio. Le marchand avec ses marchandises, la paysanne avec ses récoltes, le bureaucrate dans sa tour, le réfugié dans sa fuite, ont depuis de longues années en commun, avec beaucoup d’autres, outre un désir fondamental de progrès et de paix, un vif intérêt pour une bonne radio.
Les derniers résultats du cricket, une histoire croustillante, une chanson, et beaucoup plus que tout cela, bien sûr: des nouvelles non censurées, qui, souvent, déchiraient le voile de la tyrannie; des analyses impartiales, des idées nouvelles, diffusées à l’abri de toute ingérence politique; des émissions dans des dizaines de langues différentes, une véritable célébration de la diversité. En d’autres termes, des émissions qu’il fallait absolument écouter, si vous aviez la chance de jouir de cette liberté, et dont l’horaire organisait votre emploi du temps quotidien. Pour beaucoup, le World Service de la BBC était une indispensable bouffée d’oxygène – un moyen d’apprendre, de s’éclairer, et de continuer à espérer.
J’ai grandi au Ghana, pendant la lutte pour l’indépendance, et presque partout, au moment où on annonçait l’émission, je me souviens dans quel silence attentif les parents comme les instituteurs s’apprêtaient à écouter les toutes dernières nouvelles. À la maison comme à l’école, la BBC était constamment présente.
Même aujourd’hui, l’indicatif si facilement reconnaissable, à l’heure juste, appelle l’humanité tout entière à l’attention, la réveille, l’informe et l’émancipe.
À ce jour, partout dans le monde, pour tous les auditeurs, quelle que soit leur condition sociale, les émissions de la BBC annoncent toujours quelque événement appelant d’urgence l’attention.
Y a-t-il eu quelque nouvelle attaque terroriste?
Quelle nouvelle éruption de haine ethnique ou de fanatisme religieux a détruit la vie d’un enfant?
Un autre morceau de la calotte polaire s’est-il détaché dans la mer?
La pluie est-elle arrivée, apportant une rémission à des millions de paysans frappés par la sécheresse?
Les toutes dernières statistiques du sida offrent-elles un quelconque espoir de voir la maladie refluer?
Les dernières négociations commerciales offrent-elles l’espoir que les obstacles au commerce et les subventions, qui privent les pays pauvres d’un accès équitable au marché mondial, seront démantelés?
C’est bien la mission – et même l’obligation – de la radio que de nous faire prendre connaissance des conflits et des catastrophes qui surviennent dans le monde; heureusement il y a aussi parfois de bonnes nouvelles.
Les progrès techniques sont pleins de promesses, ils laissent espérer que beaucoup de besoins humains seront satisfaits.
De plus en plus de gens vivent sous un régime démocratique, et peuvent prendre part aux décisions qui influent sur leur vie quotidienne. Et le développement économique et social se poursuit, sans bruit, dans les cliniques, dans les classes, loin des feux de l’actualité. De nombreuses informations nous apprennent que le sort des hommes s’améliore progressivement et le World Service, heureusement, nous le rappelle.
Et pourtant, à l’aube du XXIe siècle, nous sommes face à un étrange paradoxe: plus nous savons de choses sur une question donnée, mieux nous nous connaissons les uns les autres, et plus nous agissons, les uns envers les autres, comme des étrangers.
Nous vivons tous sur la même planète, ballottés par les mêmes vents, exposés aux mêmes changements. Mais au lieu de faire cause commune – de saisir ensemble les possibilités qui s’offrent à nous, de nous défendre contre les mêmes menaces – nous laissons se creuser un fossé entre nous : entre les riches et les pauvres, entre ceux qui sont libres et ceux qui sont asservis, entre les privilégiés et les humiliés, entre ceux qui profitent de la mondialisation et ceux qui sont laissés pour compte.
Cet énorme fossé est un affront à la dignité humaine. Il laisse nos sociétés vulnérables, chacun de nous mal à l’aise. Nous devons impérativement le combler, et pour cela manifester une volonté nouvelle de solidarité.
De nombreux éléments de coopération mondiale, de nombreux moyens de lancer des passerelles existent déjà, la tâche des Nations Unies est maintenant de tisser ensemble tous ces fils. Si importants qu’ils soient, les programmes de développement n’y suffiront pas. Il faut aussi offrir une tribune de dialogue. En promouvant des valeurs universelles telles que la tolérance, la liberté, la justice et l’égalité des droits. Et en les faisant connaître par-delà les frontières, d’une culture à l’autre, pour qu’elles inspirent le comportement des individus et la conduite des nations.
En lieu et place de la «Realpolitik», nous devons conforter le respect de la légalité. Le siècle dernier nous a apporté deux guerres mondiales, l’holocauste et le génocide, et pour que tout cela soit à jamais révolu, nous devons construire un système de sécurité collective. Dans un monde où les problèmes sont par essence transnationaux, nous devons propager des valeurs transnationales.
Rien n’est plus l’ennemi de cette grande oeuvre que le conflit armé. La guerre, plus que toute autre chose, est ce qui amène les hommes à élever des murs, et à se blottir derrière eux.
La guerre absorbe des ressources qui pourraient être utilisées à l’investissement productif.
Elle entrave le commerce, provoque des pénuries.
Elle ferme les voies qui permettraient de sortir de la pauvreté, dépouille les pauvres de tout espoir.
Elle asservit même les enfants, qui risquent d’être blessés ou tués, de vivre la solitude de l’orphelin, mais peuvent également être enrôlés contre leur gré, les garçons comme soldats, obligés de manier des armes aussi grandes qu’eux, et les filles comme esclaves sexuelles.
Quand je pense aux victimes des guerres d’aujourd’hui, je pense avant tout aux Africains. Chers frères et sœurs africains, je sais que vous partagez mon sentiment de colère et de dégoût devant les souffrances que connaît notre continent et le pillage de ses ressources naturelles, à un moment où nous devons faire face à la fois à la famine et au sida. Trop souvent, nos efforts sont entravés par de mauvais dirigeants, la corruption ou une administration inefficace.
Mais il ne faut pas perdre espoir. Dans beaucoup de parties de l’Afrique – par exemple en Angola, au Soudan, en Sierra Leone, en République démocratique du Congo, et maintenant au Burundi – on progresse vers la paix. Les Africains ont pris en charge leurs propres problèmes et leur propre destin. Cela devrait nous donner assez d’audace pour répudier une fois pour toute l’idée d’un continent qui serait perpétuellement en crise.
Je pense ensuite aux auditeurs du Moyen-Orient – les Israéliens et les Palestiniens qui se trouvent piégés dans un cycle mutuellement destructeur de haine et de méfiance, qui attire non seulement le malheur sur les deux peuples, mais aussi assombrit les perspectives de toute la région.
Pourtant, la solution est claire, largement comprise: la terre contre la paix, les deux États vivant côte à côte. C’est ce que nous souhaitons tous aux Nations Unies, et nous travaillons avec diligence, avec nos amis américains, européens et russes, pour ranimer l’espoir d’un règlement pacifique.
Chaque vie perdue avant que nous ne parvenions à ce résultat est un gaspillage d’autant plus tragique qu’il est évitable.
Et puis, je pense, bien sûr, à ceux d’entre vous qui m’écoutez en Iraq, sous la menace de nouvelles hostilités. Un règlement pacifique est pourtant possible, si votre gouvernement se conforme aux obligations qui lui incombent en vertu des résolutions du Conseil de sécurité.
Comme vous le savez, votre gouvernement vient de faire la déclaration de ses programmes d’armement, comme le Conseil lui en avait fait l’obligation. Les équipes d’inspecteurs font leur travail, cherchant à vérifier l’exactitude de cette déclaration, et à s’assurer que les armes de destruction massive qui pourraient exister encore seront bien détruites.
Pour que l’Iraq retrouve le chemin de la paix et de la prospérité, il est essentiel que le travail de désarmement puisse être achevé. Vous ne pouvez espérer que les sanctions soient levées aussi longtemps que votre gouvernement sera en possession d’armes de destruction massive. Ce serait vous tromper que de suggérer autre chose.
Dans l’intervalle, le programme «pétrole contre nourriture» organisé par les Nations Unies continue de s’efforcer de vous fournir ce dont vous avez besoin, tant que les sanctions économiques sont en place. Mais nous espérons tous vous voir bientôt délivrés de cette nécessité, libérés des sanctions, de la menace de la guerre et de l’oppression.
Les espoirs que nourrit pour vous l’humanité tout entière sont les mêmes que pour tout autre pays.
Chacun souhaite vous voir jouir des droits et des possibilités qu’offre notre époque – la liberté de dire ce que vous pensez, d’élever vos enfants comme vous l’entendez, de voir vos espérances exaucées.
Je n’oublie pas les nombreuses régions du monde où la paix et la sécurité sont en péril.
Du Cachemire à la Colombie, du Népal à la Somalie, trop nombreuses sont les situations instables que l’Organisation des Nations Unies suit avec une vive inquiétude parce que des populations souffrent et parce que les hostilités pourraient dégénérer à tout moment.
Même si toutes ces situations trouvaient une solution, nous ne ferions que préparer le terrain pour entreprendre la tâche à long terme qui est la nôtre, à savoir la lutte contre la pauvreté et les fléaux qui l’accompagnent – la maladie, l’analphabétisme et la pollution; la lutte pour la démocratie et les droits de l’homme; la lutte pour le développement sous toutes ses formes.
Dans cette lutte, les adversaires d’hier doivent devenir les alliés d’aujourd’hui. Il nous faut modifier notre conception de l’univers et comprendre qu’aujourd’hui plus que jamais, l’intérêt mondial et l’intérêt national coïncident.
Nous n’avons pas besoin d’un météorologue pour nous dire dans quelle direction souffle le vent, ni dans quelle direction va le monde en ce siècle nouveau. L’information existe. Le World Service s’est d’ailleurs déjà chargé de nous la communiquer.
C’est ainsi que nous savons que même la croissance démographique la plus modeste entraînera une augmentation spectaculaire de la demande de services sociaux et mettra à rude épreuve notre environnement naturel, tout particulièrement dans les villes du monde en développement où cette croissance devrait essentiellement avoir lieu.
Nous savons aussi que même si nous répondons aux objectifs fixés d’un commun accord en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement de la planète provoquera de notre vivant des changements climatiques extrêmes ainsi que d’autres catastrophes.
Toutefois, ce scénario n’est pas gravé dans la pierre. Il est encore temps de léguer à nos enfants un monde qui ne soit pas fait uniquement de contraintes, mais où les choix restent possibles.
Nous disposons en ce siècle nouveau d’un programme d’action où chacun peut reconnaître ses besoins et aspirations. Il s’agit de la Déclaration du Millénaire que les dirigeants du monde entier ont adoptée d’un commun accord il y a deux ans lorsqu’ils se sont réunis à l’Organisation des Nations Unies à l’occasion du Sommet du Millénaire. Cette déclaration contient une récapitulation de toutes les conclusions des grandes conférences mondiales tenues au cours des 10 dernières années.
Notre tâche la plus urgente aujourd’hui est de mettre en œuvre les objectifs du Millénaire en matière de développement – un ensemble d’objectifs clairement définis pour des tâches aussi fondamentales que la réduction de la misère, l’enseignement primaire pour tous et la lutte contre la propagation du sida, du paludisme et d’autres maladies mortelles.
Il s’agit d’objectifs minimaux et réalistes qui doivent être atteints dans un délai précis: 2015, soit à peine 12 ans.
Ces objectifs sont réalisables par des gens comme vous dans tous les pays, unissant leurs efforts dans le cadre d’une action commune.
Cette semaine, nous avons célébré la Journée des droits de l’homme, journée qui est pour nous l’occasion de réitérer notre engagement de respecter les droits imprescriptibles de chaque être humain.
Toutefois, les hommes jouissent non seulement de droits mais aussi d’un pouvoir immense lorsqu’ils mettent en commun leurs énergies au service d’une cause.
À maintes reprises, nous avons pu voir au cours des dernières années des gouvernements, des entreprises et d’autres grandes puissances contraints de repenser leurs politiques et de les adapter sous la pression de mouvements représentant la société civile.
C’est ainsi que la construction de barrages a été abandonnée, que des routes ont été déviées et que des quartiers ont été préservés.
C’est ainsi que les dettes de pays pauvres ont été annulées ou rééchelonnées.
C’est ainsi qu’une Convention contre les mines terrestres a été adoptée.
C’est ainsi que le Statut du Tribunal pénal international est entré en vigueur.
C’est ainsi que certaines compagnies pétrolières ont même affecté des ressources financières au nettoyage de l’environnement et à la fourniture de services sociaux aux communautés vivant à proximité de leurs puits de pétrole.
Rien de tout cela n’aurait été possible si des milliers et des milliers de personnes, souvent dans de très nombreux pays, ne s’étaient pas unies pour faire valoir leurs droits et n’étaient pas intervenues activement pour faire changer les choses.
Voilà le type de mouvement dont nous avons besoin pour atteindre les objectifs du Millénaire, mouvement dans lequel vous, les peuples du monde entier, êtes engagés sans réserve et avec passion.
La contribution la plus importante que l’Organisation des Nations Unies peut apporter est de vous tenir informés.
Nous devons vous dire quelles sont les promesses que vos dirigeants ont faites en votre nom et les mesures que doivent prendre tous les gouvernements et toutes les sociétés s’ils veulent tenir ces promesses – afin que vous sachiez comment se comporte votre pays.
Plus vous en savez et mieux placés vous serez pour exiger que l’on fasse ce qu’il faut.
Pendant la durée du mandat qu’il me reste à courir, je remettrai tous les ans à l’Assemblée générale des Nations Unies un rapport sur les succès et les échecs de la communauté internationale dans l’application de la Déclaration du Millénaire. Nous devons aussi aider tous les pays en développement à établir leur propre rapport annuel et soyez certains que nous ne cesserons de rappeler aux pays développés également les responsabilités qui leur incombent à cet égard.
J’ai le grand plaisir d’annoncer que le World Service Trust de la BBC apportera aussi son concours à cette entreprise et qu’il collaborera avec nous à la production d’une série d’émissions intitulée «Millennium Milestones» (Événements marquants du Millénaire), qui décriront les initiatives prises pour mettre en oeuvre les objectifs du Millénaire et dans quelles mesures ces initiatives influent sur les conditions de vie dans le monde entier.
J’espère que vous serez nombreux à participer à ce projet. J’espère que vous tous pourrez voir ou entendre les résultats obtenus et les mettre à profit dans les actions que vous menez vous-mêmes pour améliorer la vie des communautés au sein desquelles vous vivez.
Comme le dit le proverbe, savoir c’est pouvoir. Une grande partie de notre travail à l’Organisation des Nations Unies a pour objectif de vous conférer à vous, les peuples du monde entier, un pouvoir plus grand d’agir sur votre vie et votre environnement. Mieux informés vous serez, et plus nos chances de succès seront grandes, et ceux qui vous fournissent des informations précises et honnêtes sont nos meilleurs alliés.
Qu’il me soit permis de remercier une fois encore le World Service de l’occasion qu’il m’a offerte de m’adresser à vous aujourd’hui et de l’excellent travail qu’il accomplit. Qu’il puisse continuer à prospérer pendant au moins 70 ans encore!