SG/SM/8550

«SI NOUS VOULONS SAUVER L’AFRIQUE, NOUS DEVONS TOUT D’ABORD SAUVER SES FEMMES» DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

10/12/2002
Communiqué de presse
SG/SM/8550


                                                            SG/SM/8550

                                                            AFR/530

                                                            10 décembre 2002


«SI NOUS VOULONS SAUVER L’AFRIQUE, NOUS DEVONS TOUT D’ABORD SAUVER SES FEMMES» DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL


Discours prononcé par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, à l’occasion de la remise d’un doctorat honoris causa de l’Université du Cap, le 9 décembre à l’université Columbia, à New York:


Je suis profondément touché par l’immense honneur que vous me faites aujourd’hui.  L’Université du Cap est non seulement une institution d’enseignement remarquable et, en tant que telle, une alliée naturelle de l’ONU, mais aussi une source d’inspiration pour le continent et pour le monde, en tant que puissant symbole de la diversité et de la démocratie sud-africaines.


Mon émotion, aujourd’hui, est d’autant plus profonde que je suis entouré d’amis très chers.  Et surtout, je me sens honoré d’être parmi des Africains qui ont enrichi notre continent d’un apport sans égal parmi les membres de notre génération.


Permettez-moi de vous rendre hommage:


–À vous, Docteur Mamphela Ramphele, qui, alors que vous étiez sous le coup d’une interdiction de séjour, aux jours les plus sombres de l’apartheid, et que vous veniez de subir une tragédie personnelle, avez créé des dispensaires, une garderie d’enfants et un programme d’alphabétisation des adultes pour vos concitoyens, et qui, aujourd’hui, assumez un rôle vital à la Banque mondiale à la tête des programmes de santé, d’éducation et de protection sociale.


–À vous, Professeur Njabulo Ndebele, dont les oeuvres de fiction et les oeuvres poétiques ont fait comprendre au monde ce qu’était la vie dans les «townships» sous l’apartheid, et dont les essais nous ont incités à approfondir l’analyse de la démocratie et de la réconciliation.


–À vous, Nelson Mandela, qui êtes allé en prison pour vos convictions, qui en êtes sorti pour donner vie à ces convictions, devenant une légende vivante. Qui avez montré par l’exemple comment le pardon peut transcender le ressentiment pour des faits passés. Madiba, votre action pour les générations futures n’a pas pris fin en même temps que votre mandat de premier président d’une Afrique du Sud démocratique et non raciste.  Par l’intermédiaire de votre fondation et sur le plan individuel, vous vous employez sans relâche au service de la paix, de l’éducation et du bien-être des enfants.


–Et à vous, Graça Machel, qui avez insufflé du courage et de la détermination à ceux qui luttaient pour la libération du Mozambique et qui, depuis, apportez de l’espoir et une vision d’avenir aux hommes, aux femmes et aux enfants, partout en Afrique; qui avez défriché le terrain pour l’ONU dans le domaine de la protection des enfants dans les conflits armés; et qui nous rappelez que le renforcement des capacités de l’Afrique et de l’humanité est un travail qui ne s’arrête jamais, un travail de chaque instant.  Comme vous l’avez dit, Graça, (je cite) «Si nous voulons vraiment avancer dans notre développement en tant qu’êtres humains, c’est maintenant que nous devons déclarer la guerre à ce qui prive de la capacité d’agir, à savoir la pauvreté et l’absence de démocratie dans notre monde.»


Graça, vous êtes le témoignage vivant du fait que la survie de l’Afrique dépend de ses femmes.  Et si on veut une Afrique plus forte, ses femmes doivent rester fortes.


Depuis des décennies, nous savons que, pour l’Afrique, la voie la plus sûre vers le développement est de donner à ses femmes la liberté, le pouvoir et le savoir nécessaires pour leur permettre de prendre des décisions qui sont déterminantes pour leur propre vie ainsi que celle de leur famille et de leur collectivité.


En Afrique, ce sont les femmes qui, dans une très large mesure, doivent veiller sur les jeunes, les vieux, les malades, les mourants, assurer la survie des familles, et trouver des moyens d’existence durables, tout en assurant la continuité de la vie elle-même.


Dans les organismes des Nations Unies, nous savons depuis toujours que notre action au service du développement repose sur un partenariat fructueux avec l’agricultrice africaine et son mari.


Étude après étude, tout prouve qu’il n’y a aucune stratégie de développement efficace qui ne donne aux femmes un rôle de premier plan.  Lorsque les femmes y participent sans réserve, les résultats apparaissent immédiatement: la santé des familles s’améliore, ainsi que leur alimentation; leur revenu, leur épargne et leurs investissements augmentent.  Et ce qui est vrai pour les familles l’est également pour les collectivités – et devient vrai pour les pays.


Aujourd’hui, sur ce facteur de survie que sont les femmes en Afrique australe pèsent deux graves menaces, qui se renforcent mutuellement: la famine et le sida.  Beaucoup d’entre vous qui êtes ici ce soir le savent mieux que moi – et surtout vous, Graça.  Mais il est absolument vital que le reste du monde le sache aussi.


Plus de 14 millions de personnes sont menacées par la famine au Lesotho, au Malawi, au Mozambique, au Swaziland, en Zambie et au Zimbabwe.  Parallèlement, les peuples de ces six pays, qui sont essentiellement agricoles, luttent contre une grave épidémie de sida. Ce n’est pas une coïncidence: le sida et la famine sont directement liés.

À cause du sida, le savoir-faire agricole se perd, les initiatives de développement agricole diminuent, les zones rurales offrent de moins en moins de moyens d’existence, la capacité de travailler la terre chute et le revenu des ménages s’effrite, alors que le coût des soins aux malades croît de façon exponentielle.


Par ailleurs, le sida se propage de manière spectaculaire et à un rythme anormalement rapide chez les femmes.  D’après le bulletin de 2002 sur le sida, paru il y a juste quinze jours, pour la première fois, les femmes représentent 50% des victimes de l’épidémie sur le plan mondial – et, en Afrique, à l’heure actuelle, ce pourcentage atteint 58%. Aujourd’hui, le sida a le visage d’une femme.


On peut difficilement imaginer une combinaison de problèmes plus destructrice ou plus paralysante.  Le sida a déjà causé des souffrances indescriptibles en tuant deux millions et demi d’Africains, rien que cette année, et en faisant 11 millions d’orphelins africains depuis le début de l’épidémie. Maintenant, il prive les pays africains de leur capacité de résister à la famine, en affaiblissant précisément les mécanismes qui permettent aux populations de se défendre – les mécanismes de survie fournis par les femmes.


Revenons sur le problème de la famine tel qu’il se présentait avant l’ère du sida.  Devant toutes les famines pour lesquelles nous disposons de données, les femmes se sont avérées plus résistantes que les hommes.  Leur taux de survie était supérieur et les mécanismes qui leur permettaient de faire face étaient plus efficaces.


Les femmes utilisaient leurs connaissances des aliments de substitution qu’elles pouvaient trouver pour nourrir leur famille même en période de sécheresse.


Comme les sécheresses revenaient à peu près tous les dix ans, les femmes qui avaient connu la ou les deux dernières sécheresses devenaient extrêmement utiles du fait des compétences qu’elles transmettaient aux femmes plus jeunes.


Les femmes mettaient en place et entretenaient des réseaux sociaux qui aidaient les collectivités à partager le fardeau.


Les femmes donnaient ainsi le meilleur exemple d’adaptation à la famine en résistant aux souffrances de la faim et en poursuivant leur vie, tout en veillant à la survie de leurs enfants.


Mais aujourd’hui, en affaiblissant les femmes africaines, le sida réduit les compétences, l’expérience et les réseaux qui maintenaient leur famille et leur collectivité en vie.


Avant même de tomber malade, la femme doit souvent s’occuper de son mari malade – le temps dont elle dispose alors pour planter, récolter et vendre peut chuter de 60%.


Quand son mari meurt, elle se retrouve souvent privée de crédit, de réseaux de distribution et de droits fonciers.

Quand elle développe la maladie et que son système immunitaire ne fonctionne plus normalement, elle n’a plus la possibilité de lutter contre les souffrances de la faim.  Elle tombe malade et est incapable de travailler et de s’occuper de ses enfants.


      Quand elle meurt, le foyer s’effondre souvent complètement, laissant des orphelins qui doivent se débrouiller tout seuls.  Ses enfants – surtout les filles – sont retirés de l’école pour travailler à la maison ou à la ferme. Ces filles n’ont pas les compétences qui permettaient à leur mère d’assurer les moyens d’existence de la famille.  En même temps, par le jeu extrêmement cruel du double fardeau, ces filles
– privées d’éducation et de la confiance que celle-ci procure – sont encore moins en mesure de se protéger contre le sida.

Chers amis, ces pays sont vraiment en danger d’extinction.  Nous devons absolument les sauver.  Nous devons faire en sorte que le double fardeau que la crise actuelle fait porter aux femmes ne rompe pas le cycle même de la vie. Pour que l’Afrique survive, il faut que ses femmes survivent.


Cette crise est différente des famines précédentes.  C’est pourquoi nous devons aller au-delà des opérations de secours que nous avons menées dans le passé.


Il n’est pas suffisant d’envoyer de la nourriture. La communauté internationale doit lancer une opération globale.  Permettez-moi de préciser à ce sujet que le détournement politique de vivres qui font cruellement défaut n’y aura aucunement sa place.  Aucun dirigeant africain ne devrait jamais s’abaisser jusqu’à cette exploitation cynique de la misère humaine.


Notre opération doit associer l’assistance alimentaire et les nouvelles techniques agricoles au traitement et à la prévention du VIH/sida.


Il faut mettre en place des systèmes intégrés d’alerte et d’analyse rapides pour le VIH et la famine.


Il faut mettre au point de nouvelles techniques agricoles adaptées à une main d’œuvre décimée.


Il faut redoubler d’effort pour éliminer la stigmatisation du VIH et faire tomber le mur de silence qui entourent la maladie.  Dans le monde du sida, le silence est synonyme de mort.


Il faut apporter sur une grande échelle des réponses novatrices pour aider les plus vulnérables – surtout les orphelins – et subvenir à leurs besoins, et élaborer des mesures spéciales pour permettre aux enfants qui vivent dans des collectivités touchées par le sida de continuer à fréquenter l’école.  L’éducation est l’arme la plus puissante en matière de prévention de l’épidémie chez les jeunes.


Il faut avant tout que cette nouvelle opération internationale place les femmes au centre de notre stratégie de lutte contre le sida.

Certains exemples montrent qu’il y a de l’espoir et qu’il y a des raisons d’espérer. Il ressort du dernier bulletin sur l’épidémie que le taux d’infection par le VIH continue de baisser en Ouganda.  En Afrique du Sud, le taux d’infection des femmes âgées de moins de 20 ans commence à diminuer.  Il semble donc que les efforts de prévention portent leurs fruits.  En Zambie, le taux d’infection par le VIH semble baisser chez les femmes des zones urbaines et les jeunes femmes des zones rurales.  En Éthiopie, le taux d’infection des jeunes femmes au centre d’Addis‑Abeba a baissé.


Nous devons faire fond sur ces succès et les reproduire ailleurs, ce qui exige dynamisme, partenariat et imagination.  Et, bien sûr, il faut pour cela des ressources, fournies par la communauté internationale et par les gouvernements africains.


Graça, je vous ai citée tout à l’heure à ce sujet et j’espère que vous m’excuserez si je le fais à nouveau: «Si vous réussissez à mobiliser des ressources pour la guerre, pourquoi n’arrivez-vous pas à mobiliser des ressources pour la vie?».  Et, comme je l’ai déjà dit, les femmes ont non seulement les bonnes réponses, mais elles posent aussi les bonnes questions.


C’est pourquoi, en Afrique, ce sont les femmes qui maintiennent la vie. Et c’est pourquoi, si nous voulons sauver l’Afrique, nous devons tout d’abord sauver ses femmes.


*   ***   *

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.