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SG/SM/8298

LE SECRETAIRE GENERAL SALUE L’INAUGURATION DE L’UNION AFRICAINE COMME NOBLE ET EXALTANTE

08/07/2002
Communiqué de presse
SG/SM/8298


                                                            AFR/428


LE SECRETAIRE GENERAL SALUE L’INAUGURATION DE L’UNION AFRICAINE

COMME NOBLE ET EXALTANTE


Il prévient que pour construire une Union «faite pour durer»,

rigueur, volonté politique, patience et bonne gouvernance sont indispensables


On trouvera ci-dessous le texte de l’allocution prononcée par le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, à l’occasion du sommet inaugural de l’Union africaine, tenu le 8 juillet à Durban (Afrique du sud) :


Je souhaite, en premier lieu, exprimer au nom de ma délégation et en mon nom propre notre sincère reconnaissance à mon frère et ami le Président Thabo Mbeki, à la Ville de Durban, ainsi qu’au Gouvernement et au peuple d’Afrique du Sud, pour leur accueil chaleureux et la merveilleuse hospitalité dont ils ont fait preuve en cette occasion historique.


Je voudrais également remercier Amara Essy, Secrétaire général de l’Organisation de l’Unité africaine, pour la tâche difficile et sans doute ingrate qui fut la sienne, de diriger l’OUA pendant cette phase de transition et de nous conduire à ce point crucial.


Nous sommes arrivés au moment présent par un chemin long et tortueux.


Il y a 39 ans, lorsque vos prédécesseurs, en avance sur leur temps, se sont réunis à Addis-Abeba pour fonder l’Organisation de l’unité africaine, ils n’auraient pas pu, même s’ils l’avaient voulu, se réunir ici, à Durban.


L’Afrique du Sud n’en était alors qu’au début de la phase la plus aiguë et la plus douloureuse de sa lutte contre l’apartheid, et bien d’autres pays d’Afrique se trouvaient encore sous le joug du colonialisme.


Pour beaucoup de nos frères et sœurs, le chemin de la liberté allait se révéler plus long et plus difficile que la plupart d’entre nous n’osaient l’imaginer en 1963.


Le chemin de la prospérité, hélas, s’est révélé plus insaisissable encore.


Et le chemin de l’union était semé d’embûches.


Pourtant l’apartheid et le colonialisme ont bel et bien été vaincus. Et l’OUA, qui a été la voix résolue de l’Afrique sur ces deux questions, mérite qu’on lui sache plus largement gré qu’on ne le fait parfois de la part importante qu’elle a prise dans ce processus.

L’OUA a d’autres succès encore à son actif.


C’est elle qui a défini d’importantes doctrines panafricaines – comme le respect des frontières existantes et, dans un passé plus récent, l’affirmation que des élections libres et honnêtes sont le seul moyen valable de provoquer des changements politiques.


C’est elle aussi qui a favorisé la conclusion d’accords de paix entre plusieurs de ses membres, qui a mis sur pied un mécanisme de prévention des conflits et qui a commencé à doter l’Afrique de capacités en matière de maintien de la paix.


Le fait que vous pouvez aujourd’hui proclamer la naissance de l’Union africaine est un hommage rendu au mérite de l’OUA. Cette naissance est un moment solennel et, plus important encore, un moment porteur d’espoir.


L’idée d’une Union – d’Africains qui s’aident mutuellement et qui oeuvrent ensemble à la recherche de solutions communes à leurs problèmes communs – est une idée noble et exaltante. Dans plusieurs parties de l’Afrique, elle a déjà produit des résultats au niveau sous-régional.


L’expérience acquise dans d’autres régions du monde – notamment en Europe – a aussi montré que l’unité régionale peut apporter des bienfaits concrets.


L’Europe en 1945 a été complètement dévastée par la guerre – de façon bien plus générale que ne l’est l’Afrique aujourd’hui. La paix et la prospérité qu’elle connaît à l’heure actuelle offrent un contraste frappant, et l’on ne saurait nier que cet état de chose est dû, au moins en partie, à l’intégration régionale.


Mais gardons-nous de prendre nos espoirs pour des réalités.


Ne nous risquons pas à compromettre ce que nous avons déjà réalisé.


Et gardons-nous d’imaginer qu’une fois proclamée, notre Union deviendra une réalité sans plus d’effort de notre part.


Un examen de l’expérience européenne suffirait à nous détromper. Chaque étape du chemin suivi par l’Europe a eu son lot de difficultés, et, encore aujourd’hui, les Européens ne sont à l’abri ni des doutes ni des divergences alors qu’ils s’apprêtent à élargir leur Union vers l’Est.


Quant aux Africains, ils se sont lancés dans la construction de leur Union alors que les conditions sont objectivement bien moins favorables :


•     Ils ont affaire à un espace géographique beaucoup plus vaste, et possèdent bien moins de ressources.


•     Ils partent d’un stade de développement industriel bien moins avancé.


•     Leur économie est dans bien des cas soumise au fardeau d’une dette insoutenable, ou paralysée par les séquelles de guerres au cours desquelles, pendant des générations, des puissances extérieures ont exploité et prolongé les querelles du continent.


Pour construire avec quelques chances de succès une Union dans de telles conditions, il faudra beaucoup de vigueur et une volonté politique de fer, ainsi que la patience voulue pour se prêter à des négociations et des compromis qui paraissent interminables.


Je suis convaincu que nous, Africains, avons ces qualités, ou tout au moins que nous sommes capables de les acquérir.


Nous avons des traditions africaines dont nous pouvons nous inspirer – des traditions qui nous enseignent la valeur de la démocratie fondée sur le consensus.


Trop souvent, à des époques récentes, la démocratie a été évoqué à mauvais escient pour décrire des situations où l’on vote sans avoir d’abord procédé à un débat libre et honnête, et où ceux qui ont obtenu 51 % des voix revendiquent le droit de ne pas tenir compte des 49 % restants.


Mais telle n’est pas la vraie démocratie africaine. Dans la démocratie africaine, les dirigeants écoutent les citoyens, et la majorité écoute la minorité.


Nos traditions nous enseignent le respect mutuel, le partage du pouvoir et le droit pour chacun, hommes et femmes, d’avoir voix au chapitre.


Consentement et consensus, obtenus à travers de longs et patients débats, sont au coeur de bon nombre de ces traditions. Gardons-les à l’esprit, et résistons à la tentation de prendre au plus court ou d’accepter des solutions imposées par la force.


Les empires d’autrefois, édifiés par la conquête militaire, étaient chose simple par comparaison avec ce que vous tentez aujourd’hui. Mais, aussi, étaient-ils plus fragiles que sera votre Union, si elle se construit sur la base d’accords volontaires entre pays démocratiques, négociés par des dirigeants élus et ratifiés par le libre vote des peuples ou de leurs représentants.


Telle est l’Union que nous devons bâtir – une Union faite pour durer.


Une telle Union ne saurait se substituer aux États souverains qui la composent. Tout au contraire, elle doit les consolider en permettant à chacun de puiser des forces chez les autres.


En dernière analyse, seule une Union composée d’États forts peut être forte elle-même. Et les États doivent puiser leur force non dans la puissance militaire mais dans le soutien de leur peuple, manifesté à travers une société civile forte.


Cela, vous l’avez fort bien compris – et c’est la raison pour laquelle dans votre Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique, vous avez tant insisté sur la gouvernance.


Les États, comme vous le savez bien, ne sont jamais aussi forts que lorsqu’ils sont solidement ancrés dans les principes du droit et qu’ils sont l’expression du libre consentement des citoyens.


Telle est la signification de ce nouveau partenariat : un modèle de développement africain s’épanouissant dans un climat favorable aux investissements.


Oui, les Africains ont besoin d’une aide provenant de l’extérieur – de la part de ceux qui ont récemment mieux réussi qu’eux, ou qui ont eu plus de chance.


Ces pays extérieurs sont devenus extrêmement cyniques au cours des décennies. Il leur arrive d’invoquer telles ou telles carences de l’Afrique pour excuser leur propre inertie.


Mais je pense que des changements s’amorcent sur ce plan-là.


Certains d’entre vous étaient avec moi au Canada il y a deux semaines, lorsque nous nous sommes réunis avec les dirigeants du Groupe des Huit et qu’ils ont annoncé leur plan d’action pour l’Afrique.


Avons-nous obtenu tout ce que nous demandions à cette réunion? Non, certainement pas. Mais je pense que nous avons tous senti chez ces dirigeants un nouveau respect pour l’Afrique.


Ils nous respecteront encore plus lorsqu’ils nous verront régler concrètement les conflits qui défigurent notre continent. Et je veux bien dire les régler. Les gérer ne suffira pas.


L’image persistante de l’Afrique comme continent en crise tend à dissuader les investisseurs étrangers de voir, ou d’exploiter, les possibilités que leur offre l’Afrique. Et la prime de risque qu’elle impose aux pays où il n’existe pas de conflit est presque aussi élevée que celle qui pèse sur les pays où sévit un conflit.


Aussi est-il de l’intérêt de tous les pays de la région de promouvoir la paix – et cela veut dire aussi participer à la lutte qui est menée sur le plan international contre le terrorisme.


On a tendance dans le reste du monde à oublier que le terrorisme a fait de nombreuses victimes africaines.


Mais évitons de rappeler ce fait. Ne nous posons pas en victimes, mais plutôt en personnes, hommes et femmes, résolues à faire en sorte que, selon les paroles du Président Mandela, « la renaissance de l’Afrique prenne profondément racine et fleurisse toujours, quelle que soit la saison ».


« Renaissance » est un terme français qui est couramment employé en anglais. C’est donc le terme qui convient pour évoquer un projet africain qui doit surmonter les divisions héritées des rivalités des empires coloniaux – et un projet régional étroitement lié au projet universel de l’Organisation des Nations Unies.


Votre Union et notre Organisation des Nations Unies oeuvrent à la réalisation des mêmes objectifs : le règlement pacifique des différends, le développement économique et social et le plein exercice des droits de l’homme.


Notre Charte, comme la vôtre, considère que des organisations régionales fortes peuvent renforcer l’Organisation des Nations Unies et la compléter.


Il y a un an, tous les pays du monde se sont réunis dans cette ville et ont pris la décision de combattre le racisme, la xénophobie et l’intolérance. Le mois prochain, ils auront l’occasion de se réunir de nouveau, cette fois à Johannesburg, à l’invitation de ce généreux pays. J’espère qu’ils seront là dans une plus grande harmonie et animés d’une conviction toujours plus ferme.


Cette fois-ci, les enjeux seront encore plus considérables : nous devons définir un mode de développement qui non seulement puisse être partagé par tous les pays, mais aussi qui puisse durer et dont puissent jouir les générations futures. Dans cette partie de l’Afrique, déjà frappée par la sécheresse et menacée de famine, il n’est guère besoin que l’on vous rappelle l’urgence de cette tâche.


Il ne nous reste plus, nous Africains, qu’à nous efforcer de convaincre le reste du monde de se joindre à nous le mois prochain pour commencer à mettre en oeuvre les mesures dont nous savons tous qu’elles sont nécessaires à un développement durable authentique.


Ce faisant, l’Afrique fera plus que regarder en face ses propres difficultés, elle montrera la voie au reste du monde.


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