SANS RESPECT DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA JUSTICE SOCIALE, LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET POUR LA SECURITE INTERNATIONALE AURA DES EFFETS CONTRE-PRODUCTIFS, DECLARE KOFI ANNAN
Communiqué de presse SG/SM/8196 |
HR/CN/989
SANS RESPECT DES DROITS DE L’HOMME ET DE LA JUSTICE SOCIALE, LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET POUR LA SECURITE INTERNATIONALE AURA DES EFFETS CONTRE-PRODUCTIFS, DECLARE KOFI ANNAN
Il souligne qu’au Moyen-Orient les normes internationales en matière
de droits de l’homme et de droit humanitaire sont systématiquement violées
Le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, a fait aujourd'hui la déclaration suivante devant la Commission des droits de l'homme à Genève:
«C'est toujours un grand plaisir pour moi de participer aux réunions de votre commission. Comme vous le savez, j'ai cherché, depuis que je suis Secrétaire général, à mettre les droits de l'homme au centre de toute l'action de l'Organisation des Nations Unies. J'attache donc une grande importance aux travaux de votre commission et leur accorde une attention particulière.
Évidemment, j'attache aussi beaucoup d'importance aux travaux du Haut Commissaire et de ses collaborateurs, dont certains prennent, personnellement, de grands risques pour servir la cause des droits de l'homme. Permettez-moi de rendre un hommage particulier à ceux qui ont perdu la vie dans l'exercice de leurs fonctions.
Au cours des cinq dernières années, la présence de Mary Robinson au poste de Haut Commissaire a été extrêmement bénéfique pour l'Organisation. Mary a apporté avec elle non seulement le grand prestige qu'elle avait acquis dans ses fonctions antérieures mais aussi, ce qui est plus important, un courage et une détermination inépuisables à défendre la cause des droits de l'homme dans le monde entier.
Les pauvres, les opprimés et les victimes de l'injustice dans tous les pays ont des raisons de lui être reconnaissants. Trouver un successeur à sa mesure est une des tâches les plus difficiles qui m'attend dans les mois à venir.
Mary, permettez-moi, au nom de toute la communauté mondiale, de vous remercier de ce que vous avez fait, de vous adresser tous mes vœux de succès pour l'avenir et d'exprimer l'espoir, mais aussi ma conviction que, quelles que soient vos fonctions, vos talents continueront à être mis au service de la justice et des droits de l'homme universels.
Cette session de la Commission des droits de l'homme est probablement une des plus importantes qu'elle ait jamais tenues.
Nous nous réunissons avec pour sombre toile de fond la situation désespérée en Israël et dans le territoire palestinien occupé – une situation qui est devenue un outrage de l'humanité. Je reviendrai sur ce point à la fin de mon allocution.
Mais nous nous réunissons aussi avec pour sombre toile de fond les événements survenus aux États-Unis le 11 septembre dernier et ce qui s'est produit depuis dans de nombreux pays, et qui en a été la conséquence directe ou indirecte.
Ce jour-là, plusieurs milliers d'êtres humains ont été brutalement privés du plus fondamental de tous les droits de l'homme – le droit à la vie – par un acte prémédité de terreur absolue, que beaucoup ont qualifié de crime contre l'humanité.
Cet acte abominable exprimait un état d'esprit dans lequel les droits de l'homme cessent d'avoir un sens. Nous ignorons toujours, et nous ne saurons peut-être jamais, les motifs précis de ceux qui l'ont perpétré. Tout ce que nous savons, c'est que, pour quelque raison que ce soit, ils étaient parvenus au point où la vie – la leur et celle des autres – avait perdu toute valeur à leurs yeux. Ils étaient prêts à utiliser n'importe quel moyen, aussi dur, cruel et destructif soit-il, pour réaliser leur objectif politique.
Voilà à quoi nous nous heurtons. C'est ce mal-là que nous devons affronter et combattre, où que nous le rencontrions.
Il s'ensuit que nous ne pouvons pas instaurer la sécurité en sacrifiant les droits de l'homme. Ce serait donner aux terroristes une victoire dépassant tous leurs espoirs.
Je suis au contraire convaincu qu'un plus grand respect des droits de l'homme, ainsi que de la démocratie et de la justice sociale, s'avérera à long terme le seul moyen efficace de prévention contre la terreur.
Nous devons continuer à lutter pour donner à chaque habitant de notre planète une raison d'apprécier ses propres droits et de respecter ceux des autres. Nous devons en même temps réaffirmer constamment la primauté du droit et le principe selon lequel certains actes sont à ce point ignobles en eux-mêmes qu'aucune cause, aussi noble soit-elle, ne peut les justifier.
La fin ne justifie pas les moyens. Bien au contraire, les moyens ternissent et peuvent pervertir la fin.
Il ne fait pas de doute qu'il existe un noyau de terroristes à l'esprit si fermé que nous n'avons plus sur eux aucune prise. Contre ceux-ci, nous n'avons pas d'autre choix que de nous défendre physiquement, toujours avec une grande vigilance, en faisant preuve d'une justice exemplaire lorsqu'ils tombent entre nos mains, et, si nécessaire, par la force militaire.
Mais ce faisant, agissons dans le cadre de la loi. Et prenons garde, en nous défendant, de ne pas faire le jeu de l'ennemi ou de ne pas lui servir d'agent de recrutement.
La vigilance est essentielle, mais en l'exerçant, ne perdons pas de vue des principes fondamentaux tels que la présomption d'innocence. Nous ne devons pas oublier non plus que même les coupables conservent certains droits fondamentaux, comme ceux qui sont énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international sur les droits civils et politiques : "Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants".
Prenons garde, à notre tour, de ne pas tomber dans le piège en pensant que notre objectif est d'une importance si cruciale que sa réalisation justifie le recours aux pires moyens. En agissant ainsi, je crains qu'au lieu de prévenir le terrorisme, nous ne l'encouragions.
Nous devons au contraire veiller à ce que les mesures de sécurité que nous prenons s'inscrivent résolument dans le cadre de la loi. En défendant la primauté du droit, nous devons nous-mêmes respecter la loi.
Quant à la justice, elle doit en fait constituer à la fois les moyens et la fin de notre combat contre le terrorisme.
Ceux qui sont responsables de tueries ne doivent plus échapper à la justice, qu'il s'agisse de terroristes, de chefs de guerre ou de dictateurs.
C'est pourquoi je me réjouis tant que nous ayons atteint hier le seuil historique des 60 ratifications requises pour l'application du Statut de la Cour pénale internationale. Le Statut prendra donc effet le 1er juillet et, d'ici l'année prochaine, la Cour devrait être opérationnelle.
Cela ne déchargera pas les États de la responsabilité qui leur incombe de poursuivre et de sanctionner les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par leurs citoyens ou dans les limites de leur juridiction. Cela ne sapera pas non plus leur capacité d'agir en ce sens.
Au contraire, tous les États seront ainsi fortement encouragés à améliorer les normes qu'ils appliquent dans ce domaine, étant donné que la Cour n'aura compétence que lorsque l'État concerné au premier chef sera incapable d'intervenir ou refusera de le faire.
Au cours des années, je pense que la pratique et les procédures de la Cour constitueront un étalon en matière de justice internationale, par rapport auquel seront évaluées les normes de tous les États.
C'est un principe bien connu que justice doit non seulement être faite mais aussi être clairement perçue comme étant faite. Lorsque les criminels sont punis, aucune personne honnête ne devrait pouvoir douter de l'équité de la condamnation ou de la peine.
La justice n'exige pas seulement de sanctionner les coupables; elle demande aussi que les innocents reçoivent un traitement équitable.
Il faut donc veiller à ne pas se montrer soupçonneux à l'égard de communautés entières ni les soumettre à des tracasseries en raison d'actes commis par certains de leurs membres. Nous ne devons pas non plus permettre que la lutte contre le terrorisme serve de prétexte pour réprimer l'opposition ou la dissidence légitime.
Lorsque je me suis adressé à cette Commission en 1999, j'ai dit qu' « aucun gouvernement n'avait le droit de se servir de la souveraineté nationale comme écran pour masquer des violations des droits de l'homme et des libertés fondamentales de sa population». Je pense que ceci est davantage accepté aujourd'hui que ce ne l'était alors. On peut en trouver un bon exemple dans le rapport récent sur la responsabilité de protéger, établi par la Commission indépendante qui a étudié tous les aspects de ce problème. Après de larges consultations dans toutes les régions du monde, la Commission a conclu qu'il était largement entendu que les États ont la responsabilité de protéger et de faire respecter les droits de l'homme de leurs citoyens. Lorsqu'ils ne le font pas, ou lorsqu'ils deviennent eux-mêmes une menace pour leurs citoyens, cette responsabilité incombe à la communauté internationale.
Le terrorisme fait partie des menaces contre lesquelles les États doivent protéger leurs citoyens. Ils ont non seulement le droit, mais aussi le devoir de le faire. Mais ils doivent prendre les plus grandes précautions pour que la lutte contre le terrorisme ne devienne, pas plus que la souveraineté, un concept fourre-tout utilisé pour masquer ou justifier des violations des droits de l'homme.
Tout sacrifice des libertés fondamentales dans la lutte contre la terreur n'est pas seulement répréhensible en soi mais a, en fin de compte, des effets contraires à ceux recherchés.
Tous les efforts doivent être faits pour assurer un traitement équitable à ceux qui sont les plus en butte aux préjugés, comme les minorités religieuses et autres, et les migrants. Jamais la nécessité de faire preuve de tolérance n'a été aussi impérieuse.
Souvenons-nous que la diversité est ce qui confère sa splendeur à l'espèce humaine et lui a permis de progresser, car il y a toujours un enrichissement mutuel résultant des échanges entre les groupes d'expérience et de culture différentes. Chaque fois que nous ne respectons pas le droit de l'autre à pratiquer une foi ou une conviction différentes, ou le droit de constituer des communautés différentes ayant leur propre mode de vie, notre humanité s'en trouve diminuée.
Ce que nous ne pouvons ni ne devons tolérer, c'est le recours à la violence par des membres d'une communauté contre une autre. Toutes les attaques contre des mosquées, des églises, des synagogues et d'autres centres de vie communautaire doivent cesser.
Ces questions figuraient déjà à l'ordre du jour de votre Commission avant le 11 septembre. En fait, la semaine précédente, nous les examinions dans le cadre de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée.
Je tiens à souligner que ce qui s'est passé le 11 septembre n'a en aucune manière réduit l'importance des questions soumises à votre examen; bien au contraire, ces événements l'ont en fait augmentée. Il est plus urgent que jamais de mettre en place des mécanismes efficaces de protection des minorités et autres groupes vulnérables.
La Commission des droits de l'homme a, quant à elle, un rôle crucial à jouer dans la mise au point et la supervision de ces mécanismes. Et dans la lutte contre le terrorisme, son rôle doit compléter celui du Conseil de sécurité.
Bien sûr, le Conseil et son Comité contre le terrorisme doivent eux-mêmes être attentifs aux droits de l'homme dans la poursuite de leurs importants travaux. Le Conseil assume la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, mais la Commission a la responsabilité spécifique de promouvoir la réalisation des droits de l'homme au niveau international. Elle doit donc tout faire pour protéger ceux dont les droits sont menacés, que ce soit en conséquence directe du terrorisme ou au nom du contre-terrorisme.
Les organes politiques et les organes chargés des droits de l'homme doivent clairement comprendre que leurs tâches sont complémentaires et déployer des efforts énergiques afin de coordonner leur action. Ce n'est qu'en agissant ainsi que nous pourrons espérer intervenir efficacement face aux défis auxquels nous sommes confrontés.
Et maintenant, permettez-moi d'aborder la question du recours à la force militaire.
Le recours à la force militaire peut s'avérer nécessaire dans certains cas, pour nous défendre contre le terrorisme, ou contre d'autres types d'attaque. Mais veillons à n'y recourir qu'en cas de légitime défense ou en application des décisions du Conseil de sécurité.
Lorsque nous y avons recours, veillons à respecter la loi – le droit international de la guerre. S'en prendre aux civils et recourir à un usage excessif de la force à d'autres fins que celle d'atteindre des objectifs militaires légitimes constituent des violations du droit international humanitaire qui doivent être dénoncées.
Tout jugement porté sur l'utilisation de la force par les États doit se fonder sur la rigueur morale et intellectuelle. Il nous faut toutefois appliquer les mêmes critères lorsque nous jugeons les actions des mouvements de résistance armée. Massacrer des civils innocents revient à violer le droit international et à compromettre la légitimité de la cause que l'on prétend servir. Cela est bien entendu vrai des commandos-suicide qui s'attaquent aux civils et dont les actes sont aussi haïssables sur le plan moral qu'ils sont nuisibles sur le plan politique.
Il va sans dire que je pense là en particulier à ce qui se passe au Moyen-Orient, où les normes internationales en matière de droits de l'homme et de droit humanitaire sont systématiquement violées.
Nous ne pouvons tous qu'être profondément bouleversés au spectacle de tant de morts inutiles, de tant de destruction et de détresse, ainsi que par l'érosion de la retenue et le durcissement de la sensibilité morale. J'ai déjà indiqué clairement ma position au Conseil de sécurité et lors des contacts directs que j'ai eus avec les dirigeants des deux parties.
Ces dernières sont maintenant enfermées dans une logique de guerre. Il nous faut les faire passer à une logique de paix.
Pour que la paix et la sécurité soient de nouveau à portée, nous devons aborder les questions de base : l'occupation; la violence, y compris le terrorisme; et la tragique situation économique des Palestiniens. Nous devons également nous souvenir qu'une des causes du conflit actuel a été le refus obstiné de reconnaître des droits de l'homme fondamentaux.
La tâche de la communauté internationale, et de cette commission, est d'amener les deux parties à adopter de nouveau des normes de conduite civilisée; d'insister sur le respect des droits de l'homme et du droit humanitaire; et d'exiger l'accès des organisations à vocation humanitaire, ainsi que le respect de la liberté d'expression.
En déclarant sans plus tarder qu'ils s'engagent à respecter les normes de base existant en matière de droits de l'homme et de droit humanitaire, les dirigeants des deux parties feraient un pas dans la bonne direction. Je les appelle solennellement à faire une telle déclaration immédiatement.
Un des enseignements tirés de l'histoire de l'Organisation des Nations Unies est qu'elle ne peut se permettre de demeurer neutre face aux grands défis moraux. Nous sommes confrontés à ce type de défi aujourd'hui. Le mépris total des droits de l'homme et du droit humanitaire est quelque chose que nous ne pouvons accepter. Nous devons faire savoir à ceux qui sont responsables qu'ils seront jugés par l'histoire.
Je plaide une fois encore pour le respect du droit international, notamment du droit international humanitaire, à chaque fois que la force est utilisée, soit par des États soit par des mouvements de résistance. Il nous faut en particulier faire en sorte que les quatre Conventions de Genève soient respectées. Leur objectif est on ne peut plus clair et leur libellé suffisamment général pour s'appliquer à l'ensemble des conflits armés, quelles qu'en soient les circonstances.
Il n'est guère besoin de les réinterpréter. Il faut désormais les respecter.»
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