SG/SM/8192

LA QUETE DU DEVELOPPEMENT EST A UNE ETAPE DECISIVE, ET NOUS DISPOSONS D'OUTILS DE VICTOIRE CONTRE LA PAUVRETE, DECLARE M. KOFI ANNAN A ALCALA

09/04/2002
Communiqué de presse
SG/SM/8192


LA QUETE DU DEVELOPPEMENT EST A UNE ETAPE DECISIVE, ET NOUS DISPOSONS D'OUTILS DE VICTOIRE CONTRE LA PAUVRETE, DECLARE M. KOFI ANNAN A ALCALA


On trouvera ci-après le texte intégral de l'allocution faite aujourd'hui par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, à l'université d'Alcala en Espagne:


    Je vous remercie de ces paroles très chaleureuses.  Permettez-moi de vous dire que c’est un plaisir pour moi d’être en Espagne aujourd’hui pour l’Assemblée mondiale sur le vieillissement.  Je tiens aussi à souligner combien je suis privilégié de recevoir un diplôme de docteur honoris causa de cette éminente institution.


Des liens étroits unissent en fait l’Université d’Alcala et l’Organisation des Nations Unies.  L’UNESCO a reconnu ce haut lieu de la culture, créé il y a plusieurs siècles, comme site du patrimoine mondial. Ce qui est encore plus important que la magnifique architecture de ces bâtiments historiques est ce qui s’y passe à l’intérieur : vous diffusez les connaissances de notre époque et formez les dirigeants de demain.


La communauté d’Alcala est un puits de science pour une autre raison : l’oeuvre intemporelle du fils le plus illustre de la ville, Miguel Cervantès. Don Quichotte appartient à toutes les époques et à toutes les sociétés. Permettez-moi de citer une phrase de cet ouvrage remarquable comme point de départ de mes remarques aujourd’hui :


« Il existe seulement deux familles dans le monde – ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas. ».


Cervantès aurait pu l’écrire sur notre propre temps, en effet, alors que certains jouissent d’une richesse fabuleuse, près de la moitié de l’humanité vit avec moins de 2 dollars par jour.


L’extrême pauvreté, c’est tout cela et plus. Cela implique la quasi-impossibilité de fréquenter l’école et un risque réel de mourir d’une maladie évitable avant l’âge de 5 ans, ou à tout autre âge du VIH/sida. Cela implique d’aller se coucher avec la faim au ventre et de se réveiller sans avoir l’espoir que la situation changera.  Cela implique l’absence de filet de sécurité social en cas de catastrophe et des perspectives réduites d’une vieillesse tranquille et paisible.


Tel est le visage de la pauvreté chronique, endémique et suffocante. Une telle souffrance nous touche tous. La pauvreté préoccupe chacun d’entre nous, et non pas simplement à cause de l’impératif moral qui nous impose d’aider les autres à trouver dignité et paix. Nous pouvons être nantis ou démunis, mais nous appartenons tous à la même famille humaine.  Nul dans ce monde ne peut se sentir confortablement installé dans la vie ou en sécurité, alors que tant de personnes souffrent ou sont dans le besoin.  Comme l’a récemment déclaré un ministre du développement, la pauvreté quelque part est la pauvreté partout.


    L’environnement mondial est un bon exemple.  Les pauvres déboisent souvent de vastes étendues de forêt pour les cultiver, réduisant le nombre d’arbres qui absorbent les gaz à effet de serre et contribuent à lutter contre le réchauffement de la planète. Les pays pauvres manquent aussi souvent des ressources et des technologies nécessaires pour mettre en oeuvre des mesures de protection de l’environnement.


    Les pays pauvres – et notamment ceux dans lesquels existent d’importantes inégalités entre les groupes ethniques et religieux – sont beaucoup plus souvent mêlés à des conflits et entraînés dans des turbulences politiques que les pays riches, avec les conséquences que cela implique, comme les courants de réfugiés et les perturbations économiques qui traversent les frontières.


    Combinez la pauvreté chronique à un sentiment d’injustice ou d’abandon et un manque de moyens légitimes qui permettraient de remédier à ces problèmes, et trop souvent une porte s’ouvre, favorisant un comportement criminel, comme le trafic international de drogues, la violence ou le faux attrait de l’extrémisme politique et religieux.


    La pauvreté entraîne également des coûts d’opportunité considérables, privant le monde des contributions que les pauvres, hommes et femmes, apporteraient par leur travail et leur productivité; par leurs énergies et leurs idées; en s’occupant de leurs enfants et en favorisant le développement de leur société.


    Ces propos n’incriminent nullement les pauvres mais plutôt les tristes circonstances qui leur laissent si peu de choix. Les multiples difficultés auxquelles ils sont confrontés se renforcent mutuellement dans un cercle vicieux dont il est difficile de sortir.  Mais il existe un antidote : le développement – un développement équilibré comprenant l’éducation et la santé; les droits de l’homme, la bonne gouvernance et le régime du droit; des institutions solides et la protection de l’environnement; ainsi que l’application de politiques saines donnant une voix et offrant des possibilités à tous, et en premier lieu aux femmes.


    La quête du développement est aujourd’hui parvenue à une étape décisive. Il y a 18 mois, les dirigeants mondiaux, réunis à l’occasion du Sommet du Millénaire, sont convenus que nous devrions utiliser les 15 premières années de ce nouveau siècle pour lancer une vaste attaque contre la pauvreté, l’analphabétisme et la maladie, et ont fixé un ensemble d’objectifs très précis – les Objectifs de développement du Millénaire.  Et le mois dernier, les mêmes dirigeants se sont à nouveau réunis, cette fois au Mexique, pour la Conférence internationale sur le financement du développement, où ils ont examiné les moyens de mobiliser les ressources nécessaires pour atteindre ces objectifs.


    Le consensus, auquel ils sont parvenus à Monterrey, reflète un changement dans notre perception des pauvres.  Trop souvent, on les a considérés comme des objets de charité.  Nous savons, aujourd’hui, qu’ils ne demandent pas la charité, mais plutôt qu’on les aide à améliorer leur sort. En fait, il existe de vastes ressources inexploitées en matière d’initiative et d’entreprenariat, qui doivent être pleinement associées au processus de développement, mais dont les énergies sont souvent retenues par la pauvreté, une mauvaise gestion des affaires publiques ou des conflits.


    Le Consensus marque également une étape importante vers l’établissement d’un partenariat entre les pays développés et les pays en développement.  Ces derniers continueront évidemment de réformer leur économie, de renforcer leurs institutions, de lutter contre la corruption, d’assurer le respect des droits de l’homme et des principes du droit, et de consacrer des sommes plus importantes aux besoins des pauvres. Les pays développés, quant à eux, les aideront par des mesures d’allégement de la dette et l’ouverture de leurs marchés, en les associant davantage à la prise de décisions concernant l’économie mondiale, ainsi qu’en leur fournissant une aide et des investissements plus importants et mieux ciblés.


    En ce qui concerne la question de l’aide en particulier, Monterrey a permis d’effectuer une véritable percée. Les États-Unis et l’Union européenne ont en effet saisi cette occasion pour annoncer des augmentations substantielles de l’aide publique au développement. Les chiffres annoncés sont loin d’atteindre l’augmentation de 50 milliards de dollars par an que toutes les études sérieuses jugent nécessaire pour réaliser les Objectifs de développement du Millénaire.  Mais ils représentent un changement d’attitude très important. Le déclin de l’aide qui se poursuivait depuis 10 ans commence enfin à s’inverser.  Les arguments en faveur d’une assistance sont en train de l’emporter.


    Je pense parfois que ceux d’entre nous qui sont en faveur d’une assistance sont nos pires ennemis. Pour de bonnes raisons, nous mettons généralement l’accent sur les besoins urgents du moment.   Toutefois, ce faisant, nous oublions parfois les améliorations considérables dans la qualité de la vie que l’assistance a contribué à apporter.  Au cours des 30 dernières années, l’espérance de vie moyenne à l’échelle mondiale est passée de 60 à 70 ans.  Le taux de mortalité infantile est tombé de 100 à 50 pour 1 000 naissances vivantes.  Le taux d’alphabétisation des adultes est passé d’un peu plus de 60 % à près de 80 %. Et, depuis 1980, le nombre de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour a diminué de 200 millions, et ce, alors même que la population augmentait de l,6 milliard de personnes.


    Voilà quelques exemples des résultats que l’aide peut contribuer à obtenir lorsqu’elle est fournie à des pays gouvernés par des dirigeants éclairés, dotés d’institutions efficaces et appliquant des politiques avisées. Diverses études montrent que les pays les plus pauvres en tirent plus d’avantages que les autres; que les ressources allouées à la santé, aux ressources humaines et aux infrastructures publiques permettent d’obtenir des résultats prometteurs; et que même des sommes modestes peuvent avoir un impact important. L’aide qui est liée aux intérêts commerciaux et géopolitiques des donateurs pose parfois des problèmes, au moins en termes de développement.  Nous ne pouvons en effet donner d’une main et prendre de l’autre.  Il ne sert à rien d’aider les producteurs laitiers d’un pays si, en même temps, on exporte du lait en poudre subventionné.  Il ne sert à rien non plus d’ouvrir les marchés aux produits des pays en développement si on maintient d’énormes subventions agricoles et autres qui empêchent ces produits d’être compétitifs.


    Nous disposons des outils nécessaires pour vaincre la pauvreté. Nous avons la technologie et les stratégies.  Et nous avons même, enfin, des indications signalant que la volonté politique et les ressources nécessaires seront disponibles.  L’Espagne, pour sa part, dispose d’un atout d’une immense valeur : elle sait qu’une grande distance peut être parcourue lorsqu’un peuple et ses partenaires y consacrent leur énergie.  Il n’y a pas si longtemps, moins d’un siècle, la paupérisation était le lot quotidien de la plupart des Espagnols.  Plus récemment, l’oppression et les séquelles de la guerre, ont entravé les efforts de développement de l’Espagne.  Comme l’a souligné le Premier Ministre, M. Aznar, à Monterrey, il y a 20 ans, le pays était bénéficiaire de l’aide publique au développement; aujourd’hui il fournit une aide aux autres.  Vous savez les efforts qu’exige la transformation d’un ordre ancien et déshumanisant en un nouveau régime qui libère les énergies d’un peuple pour créer richesse et bien-être.  En outre, votre situation géographique dans la Méditerranée vous maintient en contact avec les aspirations des autres peuples qui ne souhaitent que la possibilité d’améliorer leur propre vie.


    Je vous exhorte à continuer de partager cette connaissance avec le reste du monde.  Vous qui avez plus de choix et de libertés, vous qui avez la chance d’appartenir à une communauté universitaire renommée, vous qui portez un intérêt à cette recherche et pouvez influencer les résultats, vous pouvez et vous devez utiliser ce pouvoir pour créer un monde meilleur, non pas seulement pour les pauvres mais pour tous les peuples.


    Permettez-moi de citer à nouveau votre illustre citoyen. Cervantès a écrit : « La diligence est la mère de la bonne fortune ».  Soyons donc diligents et faisons tout pour aider les plus pauvres à améliorer leurs conditions de vie. Muchas gracias!


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