LA PAIX NE SE REALISE PAS SEULEMENT AU MOYEN D’ACCORDS ET DE TRAITES. ELLE DOIT ETRE EDIFIEE A PARTIR DE FONDATIONS
Communiqué de presse SG/SM/8143 |
LA PAIX NE SE REALISE PAS SEULEMENT AU MOYEN D’ACCORDS ET DE TRAITES.
ELLE DOIT ETRE EDIFIEE A PARTIR DE FONDATIONS
On trouvera ci-après le discours que le Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan a prononcé, le 28 février à Berlin, devant le Bundestag:
C'est pour moi un grand honneur de prendre la parole devant votre auguste assemblée, et un honneur d'autant plus insigne que je suis parmi les rares non-Allemands à y avoir été invité, et seulement le troisième depuis que vous avez pris vos quartiers dans cet édifice magnifiquement restauré de la capitale historique.
Mais c'est aussi un grand plaisir, car l'Allemagne est un membre exemplaire de l'Organisation des Nations Unies et un modèle de citoyenneté mondiale. Depuis que j'occupe le poste de Secrétaire général et, en vérité, bien avant cela, je n'ai eu qu'à me féliciter de ma collaboration avec le Gouvernement et le peuple allemands.
L'approche généreuse et constructive que vous avez adoptée à l'Organisation des Nations Unies vous fait d'autant plus honneur que l'on se souvient encore du temps où l'Allemagne était considérée comme un "État ennemi" et qu'à cause de la guerre froide et de la partition de votre pays, la République fédérale a dû attendre plus de 20 ans avant de pouvoir être admise à l'Organisation.
Dans cette ville, et même dans ce bâtiment, vous avez soigneusement préservé, en guise d'avertissement pour les générations futures, quelques traces des terribles ravages causés par la guerre. Rares sont les peuples, me semble-t-il, qui sont aussi profondément épris de paix que le peuple allemand d'aujourd'hui et rares sont ceux, s'il en existe, qui ont de meilleures raisons historiques de l'être.
La chose qui m'a le plus épaté, en ces 12 ans qui se sont écoulés depuis que vous avez opté pour la réunification, c'est la façon dont vous avez su dépasser vos inhibitions historiques concernant votre rôle dans le monde, y compris le déploiement de la force militaire, et décidé d'assumer votre part de responsabilités dans le maintien de la paix et la sécurité internationales.
Je sais que la transformation n'a pas été facile, qu'elle a exigé courage et ingéniosité de la part de vos hommes politiques et des élus rassemblés ici.
Bien sûr, ce n'est qu'une des nombreuses contributions que la République fédérale a apportées à la paix et la stabilité, en Europe et ailleurs. Votre détermination à construire l'Europe, vos efforts pour conjuguer coopération, stabilité politique, progrès économique et union monétaire, ainsi que votre souci de renforcer les institutions démocratiques témoignent que vous avez parfaitement compris que la paix est une structure extrêmement complexe, qui doit reposer sur de multiples fondations.
Le rôle que vous jouez pour consolider la paix dans les Balkans est particulièrement important et je me félicite que Michael Steiner soit maintenant mon Représentant spécial au Kosovo.
Cependant, vos activités ne se limitent pas à l'Europe et à ses alentours immédiats, ce dont je me réjouis. L'Allemagne est un des rares pays à s'être intéressé de près à l'Afghanistan, et ce avant les événements du 11 septembre. Depuis lors, vous avez intensifié votre contribution, notamment en coordonnant les efforts internationaux tendant à constituer, ou reconstituer, une force de police professionnelle et efficace en Afghanistan.
C'est là une contribution essentielle à l'instauration d'une paix durable dans ce pays qui, après une longue et regrettable période d'oubli, est maintenant au centre de l'attention.
Ce dont je veux vous entretenir aujourd'hui, c'est la consolidation de la paix, au sens le plus large du terme. L'Afghanistan n'est pas, tant s'en faut, le premier pays où l'ONU est appelée à intervenir, avec d'autres partenaires, pour faciliter ce processus. Et ce ne sera certainement pas le dernier.
Il semble que ce soit une des tâches que la communauté internationale nous assigne de plus en plus volontiers.
Dans beaucoup de pays qui viennent de sortir de la guerre, nous sommes censés à la fois consolider la paix et la maintenir, en déployant les célèbres Casques bleus, sous la bannière de l'ONU.
Dans certains cas, comme au Kosovo et maintenant en Afghanistan, on considère que des contingents lourdement armés répondant à des règles d'engagement "musclées" sont nécessaires pour maintenir la paix. Les États Membres préfèrent alors se charger eux-mêmes de l'aspect militaire, dans le cadre de "coalitions volontaires" autorisées par le Conseil de sécurité, tout en laissant à l'ONU le soin de coordonner les multiples tâches civiles que la communauté internationale entreprend dans de telles circonstances.
Mais même lorsque l'on a affaire à des contingents placés sous le commandement des Nations Unies, le volet militaire est souvent intégré à des éléments civils dans le cadre de missions polyvalentes, dont le mandat va au-delà du maintien de la paix au sens strict : il s'agit véritablement de jeter les fondations d'une paix durable.
Par le passé, les Casques bleus étaient déployés pour faire respecter un cessez-le-feu pendant que les parties tentaient de parvenir à un règlement politique. Trop souvent, faute de règlement, leur présence finissait par s'éterniser. Cependant, depuis la fin de la guerre froide, il est devenu d'usage de déployer les Casques bleus en application d'accords politiques déjà conclus, pour aider les pays concernés à mettre en œuvre lesdits accords.
Les contingents de l'ONU ne sont plus un élément statique que l'on ne peut retirer sans rompre un précaire équilibre militaire et provoquer la reprise des hostilités. Ils jouent désormais un rôle beaucoup plus dynamique, dans le cadre d'opérations complexes mettant en jeu de multiples partenaires, de manière à instaurer une paix suffisamment solide pour perdurer après leur retrait.
Le maintien de la paix est une mission noble tout autant que nécessaire. Pourtant, l'ONU ne peut s'en acquitter avec succès que si deux choses sont bien claires :
Premièrement, il s'agit d'un processus extrêmement complexe conjuguant des tâches multiples, dont chacune influe inéluctablement sur le succès ou l'échec des autres.
Deuxièmement, il s'agit d'un processus long et ardu, où aucun raccourci n'est possible. Quiconque s'y engage doit être prêt à travailler sur le long terme.
Pour illustrer le premier point, on pourrait prendre l'exemple de la formation et du suivi de forces de police locale, exemple qui vous intéresse au premier chef étant donné le rôle que votre pays s'apprête à assumer en Afghanistan.
En l'absence d'un appareil judiciaire honnête et efficace, d'un système pénitentiaire digne de ce nom et d'institutions de défense des droits de l'homme, un tel travail ne servira pratiquement à rien.
Après tout, à quoi bon constituer une force de police efficace si, une fois que les délinquants sont arrêtés, il n'y a pas de prison où les mettre ou si celles qui existent font injure à la dignité humaine?
D'ailleurs, à quoi bon arrêter les délinquants, s'il n'est pas possible de les juger dans un délai raisonnable devant un tribunal respectant des normes internationales minimales ou si les moyens manquent de recueillir les preuves nécessaires pour emporter une condamnation?
Pour prendre un autre exemple, à quoi bon organiser des élections, même si elles se déroulent dans des conditions irréprochables, si les candidats ne sont pas libres de faire campagne, si les médias ne sont pas autorisés à les couvrir, si les perdants n'acceptent pas les résultats du scrutin ou si les gagnants s'arrogent le droit d'ignorer l'opinion de tous les autres ?
On ne restaure pas la paix en organisant des élections, si on ne soutient pas en même temps les institutions démocratiques et si on n'apporte pas ne serait-ce qu'une amorce de réponse aux problèmes sociaux de la population.
Dans un autre domaine, à quoi bon reconstruire les logements des réfugiés si on ne parvient pas à les convaincre qu'ils peuvent retourner chez eux en toute sécurité?
À quoi bon les persuader de rentrer, s'il n'existe aucune perspective de développement susceptible de leur permettre d'employer leurs talents et de nourrir leur famille?
Dans le même ordre d'idée, il est vain de désarmer les factions armées, si les garçons et les jeunes gens ainsi démobilisés n'ont pas d'école où aller et pas d'emploi à espérer.
Toutes ces tâches, dans les domaines humanitaire, militaire, politique, social et économique, sont interdépendantes et doivent être abordées de façon intégrée. Nous n'accomplirons rien de durable si nous ne les menons pas toutes de front, dans le cadre d'une stratégie globale et cohérente. Si les ressources manquent pour mener à bien l'une quelconque de ces tâches, le succès de toutes les autres risque d'être compromis.
Or, la triste vérité c'est qu'à l'heure actuelle, l'ONU et les autres institutions n'ont pas les moyens d'élaborer une telle stratégie, et encore moins ceux de la mettre à exécution. Pourtant, on lui demande souvent de faire les deux.
Le système tel qu'il existe actuellement est trop compartimentalisé. Au sein du Secrétariat, nous avons pu surmonter cet obstacle avec un certain succès et je m'emploie depuis un certain temps déjà à coordonner les activités de fonds et programmes tels que l'UNICEF, le PNUD, le Programme alimentaire mondial, le HCR et le Haut Commissariat aux droits de l'homme. Nous nous efforçons également à rendre plus cohérente l'action du système dans son ensemble, lequel comprend bien évidemment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
Il reste que les décisions les plus importantes sont prises au niveau des gouvernements nationaux, soit à titre individuel, soit dans le cadre d'organes intergouvernementaux comme le Conseil de sécurité, l'Assemblée générale et ses commissions, ainsi que, car l'ONU agit rarement seule dans ce type d'opérations, les organes correspondants d'organisations telles que l'OTAN ou l'OSCE.
Pour compliquer davantage les choses, chaque entité du système a ses propres interlocuteurs au sein des gouvernements nationaux, ce qui peut donner lieu à des conflits de priorité dans les capitales et à des malentendus au niveau des institutions onusiennes. Ainsi, il est plus que probable que l'UNICEF a d'autres interlocuteurs nationaux que le Département des opérations de maintien de la paix.
Trop souvent, cet état de choses conduit à des approches fragmentaires, ce qui est précisément le contraire de ce que nous voulons. Souvent, les mandats confiés à l'ONU et à d'autres institutions dépassent leurs capacités. Souvent, les ressources viennent à manquer, ne sont pas disponibles pour les tâches les plus urgentes ou ne sont pas versées en temps voulu.
L'intervalle entre le moment où les contributions sont annoncées et celui où elles sont effectivement versées est déjà source de préoccupation dans le cas de l'Afghanistan. Bien que des montants considérables aient été promis, les sommes reçues sont insuffisantes. Or, pour consolider la paix, il faut savoir tirer parti de l'élan donné par la reconstruction. Au nombre des priorités les plus urgentes, je citerai les traitements des enseignants, la fourniture de semences et la création d'emplois dans les villes comme dans les campagnes. Les projets à impact rapide peuvent faire toute la différence dans les premiers stades d'une opération de consolidation de la paix, surtout pour ce qui est d'acquérir une certaine crédibilité aux yeux de la population.
Cela m'amène au second point : inscrire ses efforts dans le long terme.
J'ai dit au début de mon exposé qu'après avoir connu une longue et regrettable période d'oubli, l'Afghanistan était au centre de l'attention.
Malheureusement, cette indifférence est le sort que rencontrent tous les pays en guerre, dès qu'ils ne font plus la une des journaux.
Or, je suis convaincu, et je suis sûr que vous serez de mon avis, qu'il aurait mieux valu, non seulement pour l'Afghanistan mais aussi pour le reste du monde, accorder à ce pays une attention soutenue dès 1989 lorsque les Soviétiques se sont retirés, au lieu de le laisser sombrer dans l'anarchie.
Dans d'autres cas, en Angola par exemple, les accords de paix font long feu et le pays retombe dans la guerre et l'anarchie, prolongeant les souffrances et la destruction et réduisant à néant les espoirs de la population. Au Rwanda, la communauté internationale a cru assister à l'application d'un accord de paix alors même qu'un génocide se préparait.
Nul doute que, lorsque cela se produit, la responsabilité la plus lourde incombe aux parties qui ont violé l'accord et recouru à la violence. Mais la communauté internationale a elle aussi sa part de responsabilité, parce qu'elle a sous-estimé la force de la méfiance et de la haine qui persistent après les conflits ou celle de la tentation de reprendre les armes lorsque les ex-combattants n'ont pas d'autre exutoire à leur énergie.
L'enseignement que l'ONU a tiré de ces expériences est que tout comme les conflits n'éclatent pas dans le vide, la paix ne se réalise pas seulement au moyen d'accords et de traités. Elle doit être édifiée à partir des fondations, comme c'est le cas en l'Afghanistan aujourd'hui.
Je ne veux pas dire que les missions devraient rester indéfiniment dans les pays qui sortent d'un conflit. Au contraire, il faut aider ces pays à devenir autonomes. Les personnels de maintien et de consolidation de la paix doivent toujours appuyer les efforts nationaux dans ce sens et non se substituer aux autorités locales. Leur but doit être de repartir aussi vite que possible dès que les conditions garantissant la stabilité sont réunies.
Mais leur retrait ne doit en aucun cas être abrupt ou prématuré. C'est pourquoi j'espère que le mandat de la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan (ISAF) sera reconduit.
Il importe d'assurer une transition sans heurts, de bien la planifier et de l'assortir d'un calendrier précis, en étroite collaboration avec les autres organismes, qu'ils soient bilatéraux, multilatéraux, gouvernementaux, non gouvernementaux, humanitaires ou de développement, qui continueront à travailler sur place bien longtemps après le retrait de l'opération de maintien de la paix. Plus la collaboration avec et entre tous ces organismes est étroite, meilleures seront les chances de voir le processus de consolidation se poursuivre après le retrait.
C'est la raison pour laquelle je cherche dans la mesure du possible à faire du Coordonnateur-résident dans le pays concerné l'adjoint du Chef de la mission de maintien de la paix. On peut ainsi avoir l'assurance que les programmes de développement seront lancés à un stade précoce de l'opération et que le transfert de responsabilités se fera plus facilement une fois que la mission sera achevée. Parallèlement, je m'emploie à mettre en place des liens aussi étroits au Siège entre les services chargés du développement et ceux qui sont responsables de la paix et de la sécurité.
Cependant, ces efforts n'aboutiront que si les États Membres qui fournissent les ressources humaines et financières nécessaires à ces missions sont disposés à coordonner les activités de leurs ministères et services de la même manière.
Les États Membres qui fournissent des contingents insistent toujours pour connaître la "stratégie de sortie". Ils le font à juste titre, car aucun État ne souhaite laisser indéfiniment ses soldats en terre étrangère, alors qu'aucun règlement politique ne se dessine.
Pour répondre à ces États, l'ONU a adopté un slogan s'appliquant à la période de transition : "Pas de sortie sans stratégie". Une fois que l'on s'est engagé à aider un ou plusieurs peuples à reconstruire la paix après qu'une guerre a dévasté leur pays et fait naître une profonde méfiance, on doit être prêt à aller jusqu'au bout et à ne repartir qu'une fois que sont en place les structures nécessaires pour poursuivre le processus.
Sinon, tout le travail accompli aura été vain, et ceux qui ont travaillé sans compter pour la paix, souvent au péril de leur vie, auront la désillusion de voir le fruit de leurs efforts réduit à néant après leur départ.
Notre objectif, Mesdames et Messieurs, doit être de réaliser une paix durable et un développement durable, le second étant d'ailleurs une des conditions du premier.
Le peuple allemand qui, après la seconde guerre mondiale, a su si magistralement reconstruire son pays avec l'aide de ses amis et alliés de la communauté internationale, est peut-être mieux placé que d'autres pour comprendre exactement ce que je veux dire.
L'histoire allemande aurait sans doute été bien différente si les alliés occidentaux s'étaient retirés deux ou trois ans après la fin de la guerre, ou s'ils ne vous avaient pas aidés à créer la République fédérale et à reconstruire l'économie.
Nul ne conteste que les succès remportés sont avant tout imputables aux Allemands eux-mêmes, et vous pouvez être fiers de ce que vous avez accompli. Mais j'y vois aussi un exemple éclatant de ce qu'il est possible de faire lorsque des partenaires extérieurs, résolus à promouvoir la paix, travaillent avec un peuple pour l'aider à surmonter les amères séquelles de la guerre.
Je sais que les Allemands pensent comme moi et que c'est la raison pour laquelle l'Allemagne prend une part toujours plus active aux efforts déployés pour aider des pays qui viennent de subir les ravages de la guerre à en surmonter les séquelles et à rétablir la paix.
À ce propos, je tiens à vous féliciter d'être parmi les pays les plus généreux en ce qui concerne l'aide publique au développement, et ce en termes absolus. J'espère tout de même que vous ferez encore mieux, en augmentant le pourcentage de votre PNB que vous y consacrez.
Je veux aussi vous remercier de tout cœur de contribuer si généreusement à ramener la paix dans des pays lointains avec lesquels vous n'avez aucun lien direct, comme vous le faites aujourd'hui en Afghanistan et comme vous l'avez fait naguère en Sierra Leone, éliminant ainsi, pour reprendre les mots de votre Président fédéral, toute zone d'indifférence.
[Et je voudrais vous féliciter d'avoir ratifié le Statut de la Cour pénale internationale. Dans les prochains jours, nous devrions atteindre les 60 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur. Nous savons, pour en avoir fait l'expérience amère, que l'on ne saurait construire de paix véritable sur l'impunité. La paix a besoin de justice et de dissuasion, de magnanimité et de réconciliation.]*
Dans les mois et les années qui viennent, l'Allemagne sera appelée à en faire plus, sur le plan de la paix durable comme sur celui du développement durable. En votre qualité de parlementaires, vous avez un rôle crucial à jouer, car vous êtes le pont institutionnel entre l'État et la société civile, et l'indispensable chaînon entre le local et le mondial. Vous êtes donc très bien placés pour faire en sorte que l'ONU soit plus efficace et plus attentive aux besoins et aux aspirations du peuple que vous représentez.
Je rends hommage à ce que vous avez déjà accompli et compte renforcer encore ma fructueuse collaboration avec le Gouvernement et le peuple allemands.
* Ce paragraphe a été modifié pour refléter ce que le Secrétaire général a voulu dire.
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