«AIDONS LES AFGHANS A S'AIDER EUX-MEMES», DECLARE M. KOFI ANNAN EN DEMANDANT UNE AIDE RAPIDE DE 1,3 MILLIARD DE DOLLARS ET DE 10 MILLIARDS AU REDRESSEMENT DE L'AFGHANISTAN SUR 5 ANS
Communiqué de presse SG/SM/8108 |
AFG/183
«AIDONS LES AFGHANS A S'AIDER EUX-MEMES», DECLARE M. KOFI ANNAN EN DEMANDANT UNE AIDE RAPIDE DE 1,3 MILLIARD DE DOLLARS ET DE 10 MILLIARDS AU REDRESSEMENT DE L'AFGHANISTAN SUR 5 ANS
On trouvera ci-dessous le texte de l'allocution prononcée aujourd'hui à Tokyo par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, à la Conférence internationale sur l'assistance à la reconstruction en faveur de l'Afghanistan :
Au cours de son histoire récente, le peuple afghan a enduré pratiquement tous les fléaux qui affligent l'humanité :
Il a connu les ravages de la guerre;
Il a subi le joug d'une occupation étrangère;
Il a été en butte à la tyrannie et à l'incurie;
Sous leurs yeux, les atteintes les plus graves aux droits fondamentaux, en particulier des femmes et des enfants, sont devenues la norme.
La nature n'a pas davantage épargné ce pays au rude relief, où se sont succédé sécheresse, famines, tremblements de terre et intempéries extrêmes.
Une génération d'enfants afghans a grandi dans la détresse et le désespoir. Bon nombre d'entre eux, nés en exil, n'ont vu leur pays qu'en photo.
Mais les Afghans sont un peuple fier, qui possède une longue et riche histoire et une culture raffinée. Ouvert et hospitaliers envers leurs amis et leurs partenaires, ils sont farouchement hostiles à tout ce qui menace l'indépendance et l'unité de leur pays. Grâce à leur courage, à leur patience et à leur détermination, ils ont su préserver la souveraineté de l'Afghanistan tout au long d'une histoire souvent tumultueuse. Et aujourd'hui ce sont ces qualités-mêmes qui nous donnent l'espoir de voir l'Afghanistan sortir enfin de sa longue nuit.
À l'heure où le pays s'écarte peu à peu du bord du gouffre, il y a une chance à saisir en Afghanistan. Pour la première fois depuis plusieurs décennies, les Afghans ont cessé de s'entre-déchirer. Pour la première fois depuis longtemps, la communauté internationale a une vision commune de l'avenir de ce pays. En donnant au peuple afghan l'occasion de faire la paix avec lui-même et avec ses voisins, les événements de ces derniers mois nous font espérer en l'émergence d'un nouvel Afghanistan, d'un État capable d'assurer la sécurité des populations et de leur fournir des services essentiels, notamment en matière de logement et d'enseignement, bref, d'un État qui, échappant à la déliquescence, assume ses responsabilités et réalise ses aspirations.
Aux quatre coins du pays, de Afghans issus de tous les groupes ethniques se sont dits prêts à tout faire pour saisir cette chance et pour que l'adversité d'aujourd'hui fasse le lit des succès de demain.
Mais l'évolution des événements n'est nullement prédéterminée et la réussite n'est en aucune façon assurée. Il est arrivé plus d'une fois que des pays replongent dans le conflit alors même que la paix semblait prendre racine. Nous sommes ici aujourd'hui pour éviter, en faisant notre part, que l'Afghanistan ne connaisse le même sort. Nous sommes réunis ici pour soutenir les Afghans dans tout ce qu'ils entreprendront afin de tirer le meilleur parti possible de ce moment historique.
Je tiens à remercier le Gouvernement et le peuple japonais d'avoir généreusement accueilli cette conférence; ce geste témoigne du rôle crucial que le Japon joue dans les affaires de la planète. Notre gratitude va aussi aux autres co-présidents de la conférence, à savoir l'Arabie saoudite, les États-Unis d'Amérique et l'Union européenne, pour leur action aussi prompte qu'efficace. Le plus important, cependant, ce n'est pas la vitesse à laquelle les contributions sont annoncées, mais la mesure dans laquelle les engagements pris sont tenus; il s'agit de savoir si nous sommes capables d'apporter immédiatement au pays l'aide dont il a désespérément besoin et de soutenir l'effort à plus long terme.
Nous devons aider les Afghans à s'aider eux-mêmes. Ni l'Organisation des Nations Unies ni aucune autre entité ne peut se substituer à un gouvernement performant bénéficiant du soutien populaire. C'est aux Afghans qu'il appartient de tracer la voie que suivra leur pays, et de prendre la direction et la responsabilité des opérations.
Heureusement, nous ne partons pas de zéro. L'Afghanistan peut compter sur un vaste réservoir de compétences diverses et j'espère que de nombreux Afghans qui vivent actuellement à l'étranger rentreront chez eux pour contribuer à la reconstruction du pays. Pour sa part, l'ONU emploie quelque 2 200 Afghans recrutés localement, et les ONG plusieurs milliers d'autres, dont 5000 courageux démineurs. Ils ont eu à surmonter d'énormes difficultés et ont vu beaucoup de leurs collègues mourir au service de la paix alors qu'ils essayaient d'atténuer les souffrances de la population. Je tiens à leur rendre hommage aujourd'hui.
Un autre formidable atout dont l'Afghanistan peut tirer parti est la force de ses femmes. Il n'y a pas si longtemps, les Afghanes détenaient des postes de responsabilité et formaient une bonne partie du cadre de médecins, d'enseignants et de fonctionnaires du pays. Ces dernières années, les dirigeants ont empêché l'Afghanistan de bénéficier des compétences de ces femmes, mais aujourd'hui, elles ne demandent qu'à reprendre du service. Je sais que le Président Karzai à l'intention de les y aider. Il sait mieux que quiconque que l'Afghanistan a besoin de l'énergie et des talents de toute la population.
En matière de reconstruction, les besoins du pays sont immenses. Ils sont décrits dans le document que vous avez devant vous. Il s'agit notamment de :
- assurer la réinsertion des anciens combattants pour qu'ils participent activement au redressement économique du pays;
- relancer l'activité économique
- mettre en place un système judiciaire et des institutions démocratiques plus justes ainsi que des mécanismes de protection des droits de l'homme;
- fournir des services de base comme l'eau potable, l'assainissement, l'enseignement, les soins de santé et l'infrastructure routière;
- faire en sorte que le pays ne soit plus un havre pour les terroristes et les trafiquants de drogue. À ce propos, je me félicite que l'Autorité intérimaire ait pris en bon départ en promulguant la semaine dernière un décret interdisant la culture du pavot à opium.
- mettre fin à la culture de violence contre les femmes;
- garantir la protection des enfants et de leurs droits;
- assurer la sécurité sur tout le territoire et pas seulement à Kaboul, sans quoi tous les autres objectifs que je viens d'énumérer resteront hors d'atteinte. Il faut mettre en place de toute urgence une force de sécurité nationale et de services de police professionnels.
Pour atteindre ces objectifs, quelque 10 milliards de dollars seront nécessaires pendant les cinq prochaines années. C'est ce que coûtera la reconstruction et c'est le montant que nous nous sommes fixé comme objectif aujourd'hui. Je souligne toutefois que les sommes qui seront consacrées à la reconstruction de l'Afghanistan ne doivent pas être être déduites des ressources qui ont déjà été allouées à l'aide humanitaire. De plus, l'aide apportée ne doit pas l'être au détriment d'autres pays pauvres et vulnérables. Nous avons tous pu constater ces derniers mois à quel point il est dangereux de laisser les États et les sociétés se désintégrer.
L'expérience nous enseigne que le redressement et la reconstruction ne vont pas sans la remise en place d'institutions politiques légitimes. L'accord signé à Bonn concernant la mise en place d'un gouvernement largement représentatif est un jalon important, dont découle tout le reste. Il exprime la volonté des factions afghanes de mettre fin une fois pour toute au conflit qui les oppose et d'accepter un règlement pacifique. Je voudrais, si vous le permettez, saluer le courage et la détermination dont le Président Karzai a fait preuve depuis qu'il a été élu à la tête de l'Autorité intérimaire. Mon Représentant spécial, Lakhdar Brahimi, et son équipe font tout ce qu'ils peuvent pour aider l'Autorité à avancer vers la paix et la stabilité. Mais nous savons tout que ce sera là un processus long et difficile.
En fait, nous ne sommes pas encore sortis de la phase d'urgence. La survie de huit millions d'Afghans dépend des secours humanitaires; cinq millions de personnes devront passer un autre hiver dans des camps de réfugiés ou de déplacés, et il faut les aider à rentrer chez eux le plus tôt possible. La sécheresse menace, pour la quatrième année consécutive. Des projets de reconstruction à impact rapide doivent être menés afin que les bénéfices de la paix deviennent tangibles pour les citoyens ordinaires. Il faut débarrasser le pays des mines et des minutions non explosées dont il est truffé et venir en aide aux victimes des mines. Il faut aussi que l'Autorité intérimaire ait les moyens de payer ses fonctionnaires et de faire face aux dépendes courantes, sans quoi les Afghans ne lui feront plus confiance.
C'est, pourquoi avant même de penser à satisfaire les besoins à long terme, il faut dégager sur-le-champ 1,3 milliard de dollars pour faire pace aux besoins les plus urgents. Ce montant comprend 237 millions de dollars pour les frais de fonctionnement de l'Autorité intérimaire, 376 millions pour des projets à impact rapide et 736 millions pour l'assistance humanitaire.
Les secours, le relèvement et la reconstruction sont inextricablement liés. Nous devons agir en même temps sur tous ces fronts en évitant, comme il arrive trop souvent, toute solution de continuité entre les interventions à court terme et les programmes à long terme. Ce n'est qu'en fournissant l'aide nécessaire dans l'immédiat que l'on pourra stabiliser le pays avant de commencer l'effort de reconstruction.
Un Afghanistan en paix, qui protège les droits de ses citoyens, s'acquitte des ses obligations internationales, refuse de donner asile aux terroristes et jouit du respect et du soutien de ses voisins, c'est tout à fait possible. Les séquelles d'un régime illégitime, sectaire, violent et répressif ne disparaîtront pas du jour au lendemain, mais nous pouvons aider les Afghans à se ménager l'espace politique et économique dont ils ont besoin pour recommencer.
Dans deux mois, ce sera la rentrée pour 1, 5 millions de filles et de garçons, qui commenceront une nouvelle année scolaire dans un nouvel Afghanistan. Pour beaucoup de filles, ce sera la première fois qu'elles seront autorisées à aller à l'école. Des fournitures scolaires et des locaux sûrs sont nécessaires, de même que des enseignants, qu'il faudra déployer dans le pays et puis payer. Si nous voulons aider la génération montante à rompre avec l'histoire récente du pays, c'est par là que nous devons commencer, avant de consolider les acquis grâce à des nouveaux programmes scolaires et à des activités de formation de capacités. Le meilleur placement, pour un pays, c'est d'investir dans sa ressource la plus précieuse, c'est-à-dire son peuple : les femmes comme les hommes, les filles comme les garçons.
Vous qui êtes réunis dans cette salle représentez le poids et la volonté collective de la communauté internationale. Le peuple afghan, meurtri mais résistant, se tourne vers nous pour demander de l'aide. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, leur tourner le dos. Les organismes des Nations Unies sont résolus à fournir un travail d'équipe dans ce pays qui aura sans doute besoin de notre attention et de notre assistance pendant de longues années. Mais j'espère que nous pourrons un jour repenser à la conférence d'aujourd'hui comme au moment où la communauté internationale a reconnu ses responsabilités, écouté sa conscience et fait preuve de compassion en répondant massivement à l'appel d'un pays dans le besoin. La route que les Afghans doivent emprunter est ardue. Ne les laissons pas cheminer seuls.
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