LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE L’ONU REND UN JUGEMENT EN FAVEUR D’UN ANCIEN FONCTIONNAIRE
ORG/1358
13 septembre 2002
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE L’ONU REND UN JUGEMENT EN FAVEUR D’UN ANCIEN FONCTIONNAIRE
Au mois de mars de cette année, le Tribunal administratif des Nations Unies a fait part à l’Administration de son jugement concernant le cas de M. Bangoura. Ce dernier a bénéficié d’une série de contrats à durée déterminée au Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID), à Vienne. Le Tribunal a estimé que la décision de l’Organisation de ne pas renouveler l’engagement de M. Bangoura relevait d’un abus de pouvoir de la part de l’Administration. Dans son jugement, le Tribunal critiquait également le fait que le cas de M. Bangoura ait été évoqué par l’Administration lors d’une conférence de presse en janvier 1997. Le Tribunal a sommé l’Administration de verser à M. Bangoura des compensations d’un montant de 50 000 dollars pour dommages subis, y compris à sa réputation, et de publier son jugement dans un communiqué de presse.
On trouvera ci-joint le texte, en français et en anglais, du jugement no 1029 du Tribunal administratif des Nations Unies. La version française constitue la version officielle du jugement.
* *** *
NATIONS AT
UNIES
Tribunal administratif Distr.
LIMITEE
AT/DEC/1029
21 novembre 2001
ORIGINAL: FRANÇAIS
__________________________________________________________________________________
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
Jugement no 1029
Affaire no 1054 : BANGOURA Contre: Le Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DES NATIONS UNIES,
Composé comme suit : M. Julio Barboza, vice-président, assurant la présidence; M. Spyridon Flogaitis; Ms. Brigitte Stern;
Attendu qu’à la demande de Cheickh M. Tidyane Bangoura, ancien fonctionnaire de l’Organisation des Nations Unies, le Président du Tribunal a, avec l’accord du défendeur, prorogé jusqu’au 28 février 1999 le délai fixé pour l’introduction d’une requête devant le Tribunal;
Attendu que, le 28 novembre 1998, le requérant a introduit une requête dans laquelle il priait le Tribunal de :
“a) …
…
ii) … [D]e bien vouloir entendre les témoins …
b) …
c)
i) Ordonner au défendeur d’annuler la décision du 9 janvier 1997 relative à la mise en congé immédiat du requérant (…);
ii) Ordonner au défendeur d’annuler la décision du PNUCID [Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues] en date du 26 juin 1996 relative à la non-prorogation de l’engagement temporaire du requérant, dans la mesure où cette décision viole une règle de procédure, repose sur une erreur de fait et de droit, omet de tenir compte de faits essentiels, est entachée de détournement de pouvoir et tire du dossier des conclusions manifestement erronées (…);
iii) Ordonner au défendeur d’annuler la décision de non paiement du salaire de janvier 1997 du requérant, de ses émoluments de congés accumulés et de tout autre émolument antérieur à sa séparation de service le 31 janvier 1997 (…);
c) …
i) Ordonner au défendeur de publiquement retirer les déclarations diffamatoires tenues contre le requérant et de présenter au requérant des excuses en bonne et due forme (…);
ii) Ordonner au défendeur de réhabiliter totalement le requérant en :
- réintégrant le requérant administrativement dans le personnel de l’Organisation des nations Unies;
- prenant le cas du requérant ‘équitablement en considération’ aux fins d’une nomination de carrière…
iii) Ordonner au défendeur d’indemniser le requérant pour l’énorme préjudice subi et les dommages causés à sa carrière onusienne et à ses chances d’emploi, notamment les dommages imputables au fait que le requérant soit encore inemployable du fait des déclarations diffamatoires tenues contre lui par le porte-parole du Secrétaire général le 9 janvier 1997 (…);
iv) Ordonner au défendeur de présenter au requérant des excuses en bonne et due forme pour la procédure d’investigation illégalement ouverte contre le requérant pour une plainte de harcèlement sexuel (…);
v) Ordonner au défenseur de présenter au requérant des excuses en bonne et due forme pour la procédure d’investigation illégalement ouverte contre le requérant pour une plainte de harcèlement sexuel (…);
vi) Ordonner au défendeur d’annuler toutes considérations faites et décisions prises contre le requérant sur la base de la procédure d’investigation illégalement ouverte contre le requérant pour une plainte de harcèlement sexuel;
vii) Ordonner que le requérant soit indemnisé du fait du préjudice subi et des dommages qui lui ont été causé par la confiscation de tous ses émoluments au-delà des délais prescrits par l’Administration (…);
d) Le montant de l’indemnité que le requérant réclame pour le cas où le Secrétaire général déciderait, dans l’intérêt de l’organisation des Nations Unies, de verser une indemnité pour le préjudice subi conformément à la faculté que lui donne le paragraphe 1 de l’article 9 du Statut:
…
… [L]e Tribunal de considérer, vu la gravité des faits, le caractère profondément arbitraire et les conséquences extraordinairement dommageables des décisions contestées, qu’il s’agit, en l’occurrence, d’un ‘cas exceptionnel’ qui autorise le versement d’une indemnité plus élevée que le montant qu’il alloue habituellement, à savoir :
i) Indemnité pour le tort moral grave du fait de l’ouverture d’une procédure illégale pour des allégations de harcèlement sexuel et des conséquences de cette procédure sur sa réputation sociale et professionnelle :
Quatre mois de salaire net de traitement de base.
ii) Indemnité pour le tort moral grave infligé du fait du traitement injuste et des vices de procédure de l’Administration de décembre 1994 à nos jours :
Trois mois de salaire net de traitement de base.
iii) Indemnité pour le préjudice grave causé à la carrière onusienne, à la carrière professionnelle en général et aux chances du requérant de trouver un emploi correct…
Six années de salaire net de traitement de base.
…»
Attendu qu’à la demande du défendeur, le Tribunal a prorogé jusqu’au 31 mars 1999 puis successivement jusqu’au 17 novembre 2000 le délai imparti au défendeur pour produire sa réplique;
Attendu que le défendeur a déposé sa réplique le 14 novembre 2000;
Attendu que le requérant a déposé des observations écrites le 25 mai 2001;
Attendu que, le 30 mai 2001, le requérant a présenté une pièce supplémentaire;
Attendu que le Tribunal a décidé, le 6 juillet 2001, qu’il n’y aurait pas de procédure orale en affaire;
Attendu que, le 26 juillet 2001, le Tribunal a décidé d’ajourner l’examen de cette affaire jusqu’à sa session d’automne;
Attendu que les faits de la cause sont les suivants :
Le requérant est entré au service du PNUCID à Vienne le 2 janvier 1992 comme attaché de liaison (adjoint de première classe) en vertu d’un engagement à court terme de trois mois. Après que son engagement a été prolongé plusieurs fois, le requérant a été affecté à Abidjan (Côte d’Ivoire) le 1er octobre 1994 comme Directeur assistant du PNUCID à la classe L-III. Il a été réaffecté au Bureau régional du PNUCID à Nairobi (Kenya) le 29 décembre 1994.
Dans son rapport daté du 15 septembre 1995, un jury chargé d’enquêter sur des allégations de harcèlement sexuel contre le requérant a conclu que celui-ci avait eu une attitude indécente. Par la suite, le Sous-Secrétaire général à la gestion des ressources humaines a adressé au requérant un blâme écrit « pour son attitude indécente et indélicate».
Les 12 octobre, 8 novembre et 20 décembre 1995, le Bureau du Personnel à Vienne a demandé au requérant de s’acquitter dans les meilleurs délais de toutes les obligations financières non réglées qu’il avait contractées auprès d’un certain nombre d’établissements, dont la Bank Austria, l’Evangelishes Krankenhaus et l’Erste Österreichische Sparkasse Amt qui avaient saisi le Bureau du personnel. Le requérant a contesté toutes ces créances dans ses lettres datées des 26 octobre et 21 novembre 1995.
A la suite de la rationalisation des bureaux extérieurs du PNUCID qui a abouti à la fermeture ou à la rétrogradation d’un certain nombre de ses bureaux de par le monde, le requérant a été informé le 26 juillet 1996 que son poste n’avait plus sa raison d’être, qu’il n’y avait pas à l’époque de postes vacants correspondants à son profil, que son engagement pour une durée déterminée qui devait expirer le 30 septembre 1996 serait prolongé de trois mois afin de l’aider à chercher un autre emploi et qu’il ne pourrait pas être maintenu en fonctions au-delà du 31 décembre 1996. Le requérant et le PNUCID ont l’un et l’autre entrepris sans succès de trouver des possibilités d’emploi au requérant.
Le 9 décembre 1996, le requérant a demandé par écrit au Directeur exécutif adjoint du PNUCID de prolonger son contrat afin de l’aider à trouver un autre poste. Dans sa réponse du 13 décembre 1996, le Directeur exécutif adjoint du PNUCID a informé le requérant que les efforts faits pour lui trouver un poste ailleurs au sein du système des Nations Unies s’étaient révélés infructueux et a confirmé de nouveau que son engagement ne pourrait pas être prolongé au-delà de la fin de l’année. Le 16 décembre 1996, le Directeur du Bureau régional du PNUCID à Nairobi a écrit au Directeur exécutif adjoint du PNUCID pour demander « à titre exceptionnel » que le contrat du requérant soit renouvelé pour une dernière période de 30 jours « afin que son départ de Nairobi puisse s’effectuer le plus normalement possible », demande à laquelle il a été fait droit le même jour, le contrat du requérant étant prolongé jusqu’au 31 janvier 1997.
Le 5 janvier 1997, le Washington Post désigne nommément le requérant dans un article faisant état de malversations financières, de harcèlement sexuel et de népotisme présumés de la part du Secrétaire général sortant dont il était «proche». Le 9 janvier 1997, le prote-parole par intérim du nouveau Secrétaire général a déclaré qu’à la suite de consultations entre le Secrétaire général, le Directeur général de l’Office des Nations Unies à vienne (ONUV) et le Directeur exécutif du PNUCID, le requérant avait été mis en congé spécial avec le traitement et que son contrat ne serait pas renouvelé au-delà de sa date d’expiration à la fin du mois de janvier 1997. Le porte-parole par intérim a précisé que la mesure avait été prise « pour faute et mauvaise gestion », qu’il n’en avait pas été prise précédemment parce qu’il fallait apprécier les accusations en toute prudence et équité et parce qu’il y avait six jours seulement que le Secrétaire général avait pris fonctions, et d’ajouter que celui-ci n’avait été informé de l’affaire qu’en prenant connaissance de l’article en question. Le 10 janvier 1997, le Chef de la Section de la gestion des ressources humaines a, par mémorandum daté du 9 janvier 1997, informé le requérant que le Secrétaire général avait décidé de le mettre en congé spécial à plein traitement avec effet immédiat, et ce, jusqu’à la fin de son contrat en cours.
Le 13 janvier 1997, le Chef de la Section de la gestion des ressources humaines informait le requérant que son indemnité de départ ainsi que son traitement de janvier étaient retenus en attendant qu’il produise la preuve qu’il s’était acquitté de ses obligations non réglées et que les créances avaient été réglées par convention écrite entre les parties. Par la suite, des lettres ont été adressées aux créanciers les informant que les indemnités de départ du requérant ne seraient pas versées pendant deux mois afin de permettre à ceux d’entre eux « qui avaient obtenu un jugement d’un tribunal compétent » de présenter leurs réclamations.
Le 17 janvier 1997, le requérant a demandé par écrit au Secrétaire général de reconsidérer sa décision du 10 janvier 1997 de le mettre en congé spécial à plein traitement jusqu’à la fin de son contrat.
Le 6 avril 1997, le requérant a fait appel devant la Commission paritaire de recours des décisions de le mettre en congé spécial à plein traitement, de ne pas lui verser ses indemnités de départ, de ne pas renouveler son contrat et de tenir publiquement des propos diffamatoires à son encontre.
Le 23 juin 1997, le requérant a demandé à la commission paritaire de recours de Vienne d’ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de la décision de ne pas verser ses indemnités de départ et son traitement de janvier.
La Commission paritaire de recours a déposé son rapport sur la demande en sursis à l’exécution le 17 septembre 1997. Elle a estimé que rien ne justifiait qu’il soit sursis à l’exécution de la décision entreprise dans la mesure où il y avait déjà été procédé et où il n’en était résulté aucun préjudice irréparable pour le requérant et a, de ce fait, rejeté la demande. La Commission a en outre recommandé au Secrétaire général de ne prendre aucune décision préjudiciable aux intérêts du requérant tant qu’il n’avait pas été statué sur le recours ou qu’il n’avait pas été prononcé définitivement sur l’affaire et de produire, dans les meilleurs délais, la réplique du défendeur de sorte qu’elle puisse examiner l’affaire quant au fond. Le 30 septembre 1997, le Secrétaire général adjoint à la gestion informait le requérant que le Secrétaire général avait accepté la recommandation de la Commission paritaire de recours tendant au rejet de la demande en sursis à exécution et pris note des deux autres recommandations faites par celle-ci.
La Commission paritaire de recours a adopté son rapport sur le fond le 3 juillet 1998. Ses conclusions et recommandations se lisent comme suit :
« F. Conclusions et recommandations
VI. Demande de versement d’indemnité de licenciement
43. La Commission relève que la cessation de service du requérant est intervenue après l’expiration de son engagement pour une durée déterminée le 31 janvier 1997. Elle relève également qu’aux termes de la disposition 209.2 du Règlement du personnel applicable aux agents engagés au titre de projets d’assistance technique, la cessation de service qui résulte de l’expiration, à la date fixée, d’un engagement de durée déterminée n'est pas un 'licenciement' au sens de ladite disposition, et que, par suite, et comme stipulé dans la lettre de nomination du requérant en date des 11 février et 15 mars 1994, ne constituant pas un licenciement, cette cessation de service n'ouvre pas droit à indemnité de licenciement. La demande du requérant tendant au versement d'une indemnité est dès lors rejetée.
VII. Demande de réintégration
44. La Commission a recherché si le requérant avait un droit acquis à conserver son emploi du fait qu'il avait été au service de l'Organisation pendant une période de cinq ans, soit de janvier 1992 à janvier 1997. Toutefois, la Commission doute que le requérant ait acquis un tel droit du fait que sa période de service a été interrompue notamment lorsqu'il a été engagé comme consultant et du fait que la période de cinq ans n'a été accomplie que grâce à la dernière prolongation d'un mois accordée en janvier 1997. La Commission relève qu'un peu plus de deux mois avant l'expiration du contrat du requérant … le défendeur avait informé celui-ci que son engagement de durée déterminée ne serait pas renouvelé lorsqu'il viendrait à expiration le 30 décembre 1996, qu'il devait chercher un autre emploi et … s'est sérieusement efforcé en vain de lui trouver un autre emploi au sein du système des Nations Unies. La Commission en conclut que … rien n'autorisait … le requérant à escompter que son contrat serait prolongé. Sa demande de réintégration est dès lors rejetée.
VIII. Demande tendant à voir rapporter la décision de mettre le requérant en congé spécial à plein traitement et retirer les propos diffamatoires tenus contre lui
45. S'agissant de la décision prise par le défendeur de mettre le requérant en congé spécial à plein traitement, la Commission relève que … la disposition 205.3 a)i)du Règlement du personnel donne au Secrétaire général la faculté, dans des cas exceptionnels, de mettre un fonctionnaire en congé spécial à plein traitement s'il estime que ce congé sert les intérêts de l'Organisation…
46. La Commission note toutefois que le porte-parole par intérim du Secrétaire général a déclaré à la presse que le requérant avait été mis en congé administratif et que son contrat, qui était sur le point d'expirer, ne serait pas renouvelé pour faute et mauvaise gestion de sa part et que cette décision avait été prise après que le Washington Post ait consacré à cette affaire un article (faisant état de faute et de malversation financière de la part du requérant) (…).
47. De l'avis de la Commission, constituent des propos diffamatoires toutes déclarations fausses et dont la fausseté est connue ou aurait dû être connue de l'auteur. Il n'est pas douteux au vu des pièces du dossier que ces deux éléments constitutifs sont présents en l'espèce. La Commission se préoccupe vivement de ce que le porte-parole par intérim du Secrétaire général ait spontanément livré à la presse des informations au sujet du requérant, qu'il savait ou aurait dû savoir fausses. Ce faisant, il a complètement méconnu le principe de la présomption d'innocence. La Commission estime que dans la mesure où le défendeur n'a pas nié que les déclarations faites par son porte-parole par intérim l'avaient conduit à mettre le requérant en congé spécial à plein traitement et où aucune enquête n'avait été ouverte pour déterminer la véracité des allégations portées dans la presse contre le requérant, la décision prise par le défendeur à cet égard était entachée d'arbitraire et d'abus de pouvoir discrétionnaire et de violation de la légalité vis-à-vis du requérant. De même, et pour les motifs sus-exposés, la Commission juge diffamatoires les déclarations en cause. Elle recommande par conséquent que le défendeur retire publiquement les déclarations diffamatoires en cause et présente formellement des excuses au requérant. En outre, la Commission considère que les propos diffamatoires ont eu pour effet de porter atteinte à la réputation du requérant et d'hypothéquer ses perspectives de carrière. Par suite, elle recommande que soit versée au requérant à titre d'indemnisation une somme équivalent à deux mois de traitement de base net à la date de sa cessation de service.
IX Demande de versements des sommes dues au requérant
48. Pour ce qui est du refus de verser au requérant son traitement de janvier 1997, le solde de ses jours de congé annuel ainsi qu'une prime de rapatriement pour sa famille et lui-même, la Commission est d'avis qu'aux termes de la disposition 203.13 b) du Règlement du personnel, le Secrétaire général peut opérer des retenues sur les traitements et autres émoluments des agents engagés au titre de projets à titre de remboursement de dettes contractées envers l'Organisation et envers des tiers et que l'instruction administrative ST/AI/399 arrête les modalités pratiques de l'application de cette politique.
49. La Commission estime que, outre les dettes contractées par le requérant envers l'Organisation au titre d'appels téléphoniques privés, reconnus par celui-ci, ces appels ayant été identifiés, deux créances de tiers ont été relevées…
50. Tout en considérant que le défendeur a sans doute agi dans les limites de l'instruction ST/AI/399 en ne versant pas au requérant les émoluments visés au paragraphe 48 ci-dessus, la Commission se préoccupe vivement de ce que le défendeur a invité des tiers à produire contre le requérant des créances juridiquement établies. Considérant qu'il y a presque un an et demi que les versements de départ du requérant ne lui sont pas versés, la Commission recommande que, à moins que…les créances soient pleinement et juridiquement établies dans un délai de trois mois à compter de la date du présent rapport, les versements de départ doivent être débloqués en faveur du requérant."
Le 28 novembre 1998, le requérant a introduit devant le Tribunal la requête mentionnée plus haut.
Le 17 février 1999, le Secrétaire général adjoint à la gestion a fait tenir au requérant copie du rapport et l’a informé de ce qui suit :
«Le Secrétaire général a… pris note de la conclusion de la Commission selon laquelle votre cessation de service résultant de l’expiration de votre engagement de durée déterminée ne constitue pas un licenciement ouvrant droit à indemnité de licenciement et y souscrit. Il a également pris note de la conclusion de cette dernière selon laquelle dans la mesure où vous étiez titulaire d’un engagement de durée déterminée qui avait pris fin et qui ne vous autorisait nullement à compter sur son renouvellement ou sa conversion en quelque autre type d’engagement et où le poste que vous occupiez n’avait plus sa raison d être, vous n’étiez nullement fondé ni en droit ni en fait à compter que votre contrat serait prolongé et souscrit à cette conclusion. Le Secrétaire général convient avec la Commission que ces deux prétentions susmentionnées doivent être rejetées et a décidé de ne pas y donner suite.
En ce qui concerne la décision de vous mettre en congé spécial à plein traitement jusqu’à l’expiration de votre engagement, le Secrétaire général note que la décision est conforme à la disposition 205.3 a)i) du Règlement du personnel qui l’autorise à prendre une telle mesure s’il estime que l’intérêt de l’Organisation le commande. Le Secrétaire général n’accepte pas la conclusion de la Commission selon laquelle en l’absence d’une enquête en vue de déterminer la véracité des allégations portées contre vous dans la presse, la décision de vous mettre en congé spécial à plein traitement était entachée d’arbitraire, d’abus de pouvoir discrétionnaire et de violation de la légalité…
En ce qui concerne les déclarations que le porte-parole par intérim du Secrétaire général à l’époque a faites à la presse, le Secrétaire général a pris note de la constatation faite par la Commission que celles-ci étaient diffamatoires parce qu’elles étaient fausses et parce que le porte-parole par intérim les savait ou aurait dû les savoir fausses. On retiendra que la décision de ne pas renouveler votre contrat et de vous mettre en congé spécial à plein traitement jusqu’à l’expiration de votre contrat résultait d’une `faute` même si techniquement, aucune mesure disciplinaire n’avait été prise contre vous. Toutefois, sur le fond, cette décision était amplement justifiée. Cela étant, le Secrétaire général n’accepte pas la recommandation que celle constatation a inspirée à la Commission sur ce point.
S’agissant de la décision de ne pas vous verser votre traitement de janvier 1997 et vos indemnités de cessation de service, le Secrétaire général a pris note de l’inquiétude qu’a inspirée à la Commission le fait que l’Administration ait invité des tiers à présenter contre vous des créances juridiquement établies, encore que l’instruction SR/AI/399 l’autorisait à opérer les retenues en cause. Le Secrétaire général considère qu’en l’espèce les faits ne semblent pas justifier une telle inquiétude dans la mesure où la décision prise par l’Administration de demander à des créanciers présumés de présenter leurs créances juridiquement établies contre vous n’avait été pris qu’après que vous ayez été informé de ces créances et que vous n’ayez pas entrepris de les payer, régler ou éteindre autrement.
… Le Secrétaire général a également pris note de la recommandation de la Commission selon laquelle les indemnités de départ devraient vous être versées étant donné le laps de temps pendant lequel elles avaient été retenues, à moins que des créances…soient pleinement et juridiquement établies dans un délai de trois mois à compter de la date du apport de la Commission.
Notant que la Commission n’a formulé aucune recommandation au sujet des dettes que vous avez contractées envers l’Organisation, le Secrétaire général a décidé en application de la disposition 103.18b) ii) du Règlement du personnel d’opérer sur vos indemnités de départ des retenues au titre des appels téléphoniques privés que vous aviez effectués et qui avaient été identifiés comme tels, ainsi que des frais d’expédition par DHL encourus par le PNUCID. Le Secrétaire général a également décidé que, dans la mesure où la créance de l’Austrian Bank avait été juridiquement établie, le solde de vos indemnités de départ après paiement de vos dettes envers l’Organisation serait versé à l’Austrian Bank.
…»
Le 2 mars 1999, le requérant a demandé à la Commission paritaire de recours d’ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de la décision de verser le solde de ses indemnités de départ à l’Austrian Bank dont la créance contre lui avait été juridiquement établie. Tout en décidant qu’elle n’était pas en mesure de se prononcer sur cette demande, la Commission a déclaré qu’il ne serait pas dans l’intérêt de l’Organisation de donner suite à la décision « avant que le Tribunal ne se soit prononcé» en l’espèce. Le 12 avril 1999, le Secrétaire général adjoint à la gestion a accepté la recommandation de la commission paritaire de recours.
Attendu que les principaux arguments du requérant sont les suivants :
1. Le requérant conteste toutes les allégations d’obligations financières non réglées et de fraude constitutive de faute.
2. Le requérant conteste vigoureusement la légalité et l’équité de la décision de le mettre en congé spécial à plein traitement.
3. La décision de mettre le requérant en congé spécial à plein traitement était arbitraire, constitutive de sanction disciplinaire et l’a privé de la possibilité de se défendre selon les textes.
4. Le requérant a subi un grave préjudice du fait de la diffamation et de l’injustice administrative flagrante et indéniable dont il a été l’objet.
Attendu que les principaux arguments du défendeur sont les suivants :
1. Le Tribunal n’est pas régulièrement saisi de la question de l’enquête sur les allégations de harcèlement sexuel et du blâme écrit qui en est résulté, cette question n’ayant pas été portée devant la Commission paritaire de recours.
2. L’engagement du requérant au titre de la série 200 du Règlement du personnel ne l »autorisait pas à compter sur un renouvellement.
3. Le non–renouvellement du contrat du requérant n’a pas violé ses droits.
4. La décision d’opérer des retenues sur les indemnités de départ du requérant était un exercice régulier de son pouvoir discrétionnaire par le Secrétaire général.
5. En mettant le requérant en congé spécial à plein traitement, le secrétaire général a régulièrement exercé son pouvoir discrétionnaire.
6. Les déclarations faites par le porte-parole par intérim du Secrétaire général à la suite de l’article paru dans le Washington Post n’étaient pas en soi diffamatoires.
Le Tribunal, ayant délibéré du 6 au 26 juillet à Genève et du 1er au 21 novembre 2001 à New York, rend le jugement suivant :
I. Le requérant faisait partie du personnel de projet nommé dans le cadre des projets de coopération technique des Nations Unies et avait un contrat à durée déterminée, qui devait s’achevait le 31 janvier 1997.
II. Une question préliminaire de procédure a été présentée au Tribunal. Le requérant a demandé au Tribunal de bien vouloir entendre six personnes ayant été en relation avec lui, en tant que témoins dans l »affaire soumise. Le Tribunal, après avoir examiné l’ensemble du dossier, estime avoir suffisamment d’éléments en sa possession, pour juger le cas de l’intéressé sans avoir besoin d’entendre les témoins indiqués. Les faits qui sont à la base de la décision du Tribunal ne sont guère contestés et la Mission du Tribunal est de les interpréter en droit sans avoir besoin pour cela de recourir à des témoignages extérieurs. La demande d’audition de témoins est donc rejetée.
III. Sur le fond, le requérant soumet quatre questions distinctes au Tribunal :
- la question du non renouvellement de son contrat à durée déterminée ;
- la question de sa mise en congé spécial ;
- la question de la rétention par l’Administration d’une partie de ses salaires et bénéfices au moment de son départ de l’Organisation :
- la question de propos diffamatoires à son égard
le Tribunal examinera successivement ces différents points.
IV. Le requérant demande au Tribunal d’ordonner au défendeur d’annuler la décision par laquelle celui-ci n’a pas renouvelé son contrat à durée déterminée. La décision de non-renouvellement a té prise le 26 juillet 1996, en raison de la suppression de son poste. En effet, pendant l’été 1996, le PNUCID a fait une vaste mise au point de ses priorités, face à des finances déclinantes.
V. Il est prévu par la disposition 204 3 d) que [l]’ l’engagement temporaire n’autorise pas son titulaire à compter sur une prolongation». Il n’y a donc en principe aucun droit à une prorogation d’un engagement temporaire dans le cadre des dispositions 200 du règlement du personnel même après une période de service excédant cinq ans. Cette approche a déjà souvent été affirmée par le Tribunal (voir jugements No 614, Hunde (1993); No 885, Handelsman (1999).
VI. Le tribunal a cependant toujours affirmé qu’il effectuait un contrôle sur la façon dont l’Administration exerçait son pouvoir discrétionnaire, afin de protéger les droits des employées, en particulier leur droit d’être justement traités. Lorsque l’Administration a un pouvoir discrétionnaire, cela signifie nécessairement que l’employé n’a pas stricto sensu un droit substantiel à obtenir telle ou telle décision, qui devait être protégé ; il possède néanmoins, du fait du contrôle exercé par le Tribunal, un droit à un traitement juste et équitable.
VII. Lorsqu’est en cause un renouvellement d’un contrat à durée déterminée ; si les employés ont en tout état de cause un droit à un traitement juste et équitable dans la façon dont leur dossier est traité, ce droit est renforcé lorsqu’ils sont juridiquement fondés à compter sur un tel renouvellement en raison de certaines circonstances spécifiques de l’affaire, comme le comportement ou les promesses de l’Administration : dans ce cas, ils ont une «légal expectancy» qui doit recevoir une protection renforcée, que l’on pourrait qualifier d’« espérance juridiquement protégée » ou comme le Tribunal l’a fait antérieurement, d’ «expectative légitime » ou d’ «expectative raisonnable » (voir, par exemple, jugements No 142, Battarcharyya (1971) ; No 242, Klee (1979). Celle-ci doit être distinguée du simple souhait ou espoir de voir le contrat renouvelé.
VIII. Les conséquences d’une interférence avec ces différentes situations comportant une gamme d’intérêts de plus en plus protégés seront fonction de ces situations : ainsi seule la violation par l’Administration d’un droit – c’est à dire d’un intérêt juridiquement protégé – de l’employé entraîne en principe l’annulation de l’acte commis en violation de ce droit et le rétablissement de la situation qui aurait existé sans cette violation ; la violation par l’Administration du droit à un traitement juste et équitable en cas d’atteinte à une espérance juridiquement protégée, ne donne pas lieu à l’annulation de la décision de l’Administration, mais entraîne une compensation qui en principe sera plus importante que ce qu’elle aurait été en l’absence d’une telle espérance, puisqu’il convient dans ce cas d’indemniser non seulement pour un traitement inadéquate, mais également pour la perte d’une chance ; enfin, la violation par l’Administration du droit à un traitement juste et équitable entraîne une compensation octroyée à l’employé pour réparer le traitement inadéquat auquel il a été soumis.
IX. Avant d’examiner la manière dont l’Administration a traité le dossier du requérant, il convient donc de déterminer si celui-ci avait une espérance juridiquement protégée au renouvellement de son contrat, du fait des circonstances propres à l’affaire.
X. Le Tribunal considère, après avoir dûment examiné les différents éléments du dossier, que le requérant, s’il pouvait certes espérer continuer une carrière aux Nations Unies, n’avait pas reçu de l’Administration onusienne des indications suffisamment claire lui permettant d’arguer d’une espérance juridiquement protégée que son contrat serait renouvelé. Le requérant invoque principalement des conversations orales tendant à indiquer que l’Administration s’efforcerait de lui trouver un légitime autre poste, qui ne constituent pas un élément suffisant pour fonder une expectative au renouvellement d’un contrat à durée déterminée.
XI. Il convient donc de voir si, en l’absence de circonstances particulières, l’Administration a traité le requérant de façon juste et équitable lorsqu’elle a pris la décision de ne pas renouveler son contrat à durée déterminée. La décision de non prorogation du contrat du requérant semblait résulter de la suppression de son poste et durant l’année 1996 l’Administration a semblé essayer de faciliter le reclassement du requérant ou une nouvelle orientation de celui-ci : le Tribunal note en particulier que le défendeur a étendu deux fois le contrat à durée déterminée du requérant – du 30 septembre 1996 au 31 décembre 1996 et du 1er janvier 1997 au 31 janvier 1997. il peut donc sembler a priori que l’administration a correctement exercé ses compétences en juillet 1996, mais le Tribunal se réserve de revenir sur ce point à la lumière d’éléments apparus ultérieurement.
XII. Le requérant demande également au tribunal d’annuler la décision de mise en congé immédiat du requérant, prise le 9 janvier 1997 ; quelques jours seulement après la parution d’un article le mettant gravement en cause dans le Washington Post, où le requérant était accusé de malversations financières, de harcèlement sexuel et de népotisme.
XIII. Dans sa réponse, l’Administration accuse le requérant de confondre les deux décisions de non renouvellement de son contrat et de mise en congé spécial avec plein salaire. Mais c’est le défendeur qui le premier a fait cet amalgame.
XIV. En effet, les deux décisions, bien que prises à deux moments différents, apparaissent aux yeux du Tribunal, avoir été motivées par les mêmes appréciations du défendeur sur le requérant. Il ressort des affirmations du défendeur lui-même que ces deux décisions ont été prises pour répondre à des défaillances et à un comportement insatisfait du requérant : c’est le porte-parole du Secrétaire-général lui-même qui a parlé dans un communiqué de presse en date du 9 janvier 1997 du cas de l’intéressé :
«[Le porte-parole par intérim] a déclaré que le Secrétaire général avait consulté le Directeur exécutif du [PNUCID] au sujet de l’affaire de cheik Mohamed Tidyane Bangoura qui avait été accusé de malversations financières et de faute. [Le Directeur exécutif du PNUCID] avait mis M. Bangoura en congé administratif et son contrat, qui devait expirer à la fin du mois de janvier, ne serait pas renouvelé.» (Souligné par le Tribunal).
Le Tribunal ne peut considérer une telle formulation comme un simple écart de langage au cours d’une conférence de presse, puisque cette analyse a été reconfirmée par une autre personne, et par écrit, deux ans après.
XV. En effet, le 17 février 1999, le Secrétaire général adjoint à la gestion a écrit à l’intéressé à ce propos, la chose suivante :
«En ce qui concerne les déclarations que le porte-parole par intérim a faites à la presse au nom du Secrétaire général, celui-ci a pris note de la conclusion dégagée par la Commission selon laquelle ces déclarations étaient diffamatoires parce qu’elles étaient fausses et parce que le porte-parole par intérim les savait ou aurait dû les savoir fausses. On retiendra que la décision de ne pas renouveler votre contrat et de vous mettre en congé spécial à plein traitement jusqu’à l’expiration de votre contrat résultait d’une «faute» même si, techniquement, aucune mesure disciplinaire n’avait été prise contre vous. Toutefois sur le fond, cette décision était amplement justifiée.» (Souligné par le Tribunal)
Autrement dit, non seulement en janvier 1997, mais encore en février 1999, l'Administration elle-même déclare que le non-renouvellement du contrat et la mise en congé spécial sont fondés sur une conduite insatisfaisante du requérant, qui justifierait ces deux décisions.
XVI. Les deux décisions de non renouvellement du contrat et de mise en congé
ont donc été - de l'aveu même du porte-parole du plus haut représentant de l'Organisation - une double sanction infligée au requérant. Or aucune procédure disciplinaire n'a jamais été engagée contre le requérant, qui n'a donc eu aucune opportunité de se défendre. En particulier, la disposition 211.1 du Règlement du personnel prévoit le recours à un comité paritaire de discipline, lorsque l'Administration souhaite prendre des mesures disciplinaires à l'égard d'un membre de son personnel. Aucun comité paritaire de discipline n'a entendu le cas du requérant, qui a été, si l'on peut dire, sommairement jugé par la presse.
XVII. Le Tribunal a eu maintes fois l'occasion d'affirmer que l'Administration ne peut donner de fausses raisons à l'appui de ses décisions : en particulier, elle ne peut pas, par exemple, mettre fin à un contrat dans l'intérêt du service alors que la véritable raison de sa décision est une faute commise par le membre du personnel, qui est privé du fait de ce détournement de procédure, du droit de se défendre (voir jugements No 576, Makwali (1992); No 610, Ortega et al. (1993), No 813, Emblad (1997)). Le Tribunal a parfaitement résumé sa jurisprudence sur cette question en 1998 (jugement No 877, Abdulhadi (1998), paragraphes IV et V) :
"Quels que soient les motifs donnés pour son licenciement, la requérante en l'espèce a été essentiellement accusée de contrefaçon et conversion frauduleuse. Lorsque, comme c'est ici le cas, il y a allégation de faute lourde, cette allégation devrait faire l'objet d'une enquête menée par un conseil ou comité de discipline.
… Le Tribunal conclut que la décision de mettre fin à l'engagement de la requérante était illégale."
De la même façon, l'Administration ne peut pas refuser de renouveler un contrat à durée déterminée en invoquant une suppression de poste, alors que la vraie raison était d'infliger à un employé une sanction disciplinaire, sans que soient suivies les procédures disciplinaires.
XVIII. Le Tribunal considère que dans la présente espèce la présomption d’innocence a été bafouée et que le due process n’a pas été respecté à l’égard du requérant. Il approuve entièrement la conclusion à laquelle est parvenue la Commission paritaire de recours :
«La Commission se préoccupe vivement de ce que le porte-parole par intérim du Secrétaire général ait spontanément livré à la presse des informations au sujet du requérant qu’il savait ou aurait dû savoir fausses… La Commission estime que dans la mesure où le défendeur n’a pas nié que les déclarations faites par son porte-parole par intérim l’avaient conduit à mettre le requérant en congé spécial à plein traitement et où aucune enquête n’avait été ouverte pour déterminer la véracité des allégations portées dans la presse contre le requérant, la décision prise par le défendeur à cet égard était entachée d’arbitraire, d’abus de pouvoir discrétionnaire et de violation de la légalité vis-à-vis du requérant.»
XIX. En réalité, les problèmes du requérant remontent à son séjour en Côte d’Ivoire, où des difficultés sont apparues dans ses relations avec le gouvernement ivoirien, résultant, d’après le requérant, d’une tentative de corruption qu’il avait rejetée. Sans qu’il lui soit besoin d’entrer dans une investigation sur les raisons exactes des tensions apparues alors, le Tribunal prend bonne note du rapport d’une mission du PNUCID en Côte d’Ivoire en octobre 1994 qui lave le requérant de tous les soupçons dont il faisait l’objet. Qui plus est, il est même indiqué par l’auteur de ce rapport, qu’à son avis, le ministère des Affaires étrangères de Côte d’Ivoire devrait transmettre des excuses ou toute autre manifestation de regrets au vu des événements qui se sont déroulés. Le tribunal prend note, en outre, qu’après le départ du requérant, un avis juridique de la Division du service juridique de l’ONU à New York en date du 15 octobre 1997 exemptait également le requérant de toutes les accusations portées contre lui au moment de son séjour à Abidjan. Le Washington Post s’est fait l’écho des ces accusations qui bien que réfutées, continuaient à circuler, accusations sur lesquelles l’Administration a fait savoir qu’elle s’était fondée pour ne pas renouveler le contrat du requérant et pour le mettre brutalement en congé spécial.
XX. En ce qui concerne la question de la rétention du dernier salaire du requérant ainsi que ses émoluments de congés accumulés et tous autres bénéfices auxquels il avait droit au moment de sa séparation de service, le Tribunal ne conteste pas que l’Administration peut déduire certains montants des sommes qu’elle doit à un membre de son personnel, si celui-ci a des dettes à son égard ou à l’égard d’un tiers, en vertu de la disposition 203.13 du Règlement du personnel qui prévoit que «des retenues peuvent être opérées sur les traitements et autres émoluments, à l’un des titres ci-après :… ii) Remboursement de dettes contractées envers l’Organisation; iii) remboursement de dettes contractées envers des tiers, dans le cas où le Secrétaire général donne son autorisation». Encore faut-il qu’il s’agisse effectivement de dettes dûment avérées et non de simples prétentions de créanciers, non prouvées juridiquement. Pour ce qui est des sommes dues à l’Administration, le tribunal constate que le requérant a remboursé à l’Administration les sommes – minimes – qu’il lui devait pour ses communications téléphoniques personnelles et qu’il n’a donc plus de dettes à son égard qui justifierait le blocage de sommes d’argent qui lui sont dues. Pour ce qui concerne les autres prétendues dettes du demandeur, le Tribunal estime que l’Administration ne peut continuer à bloquer les sommes dues au requérant, au nom de créanciers de celui-ci, la Ertse Österreichische Spaarkasse Bank Amt notamment, avec qui il était en litige, dans la mesure où les éléments du dossier sont extrêmement confus, et où le défendeur n’a pas réussi à prouver, de l’avis du Tribunal, de façon incontestable, que la dette du requérant était juridiquement fondée.
XXI. Enfin, le requérant demande au Tribunal de condamner l’Administration pour diffamation. Le Tribunal rappelle qu’il n’est pas habilité à connaître d’une plainte en diffamation, qui relève des tribunaux pénaux nationaux et ne se prononcera donc pas sur l’accusation de diffamation. Néanmoins le Tribunal considère que la large publicité donnée aux communiqués du porte-parole du Secrétaire général fait que lorsque des accusations sont portées dans ce cadre, alors que celles-ci n’ont jamais été examinées par un comité paritaire de discipline, et même ont été infirmées, il en résulte un tort très grave fait à la personne ainsi jetée en pâture aux médias. Dans sa réponse, le défendeur reconnaît que les propos contenus dans les déclarations du porte-parole étaient faux :
«Le défendeur déplore toutes inexactitudes relevées dans la déclaration faite par le porte-parole par intérim… le défendeur admet que cette déclaration était incorrecte… dans la mesure où la déclaration faite par le porte-parole par intérim n’était pas correcte. Cela étant, le défendeur fait valoir que les inexactitudes n’étaient pas en soi diffamatoires et n’étaient donc pas attentatoires à la réputation professionnelle du requérant.»
Le Tribunal est préoccupé de ce que le porte-parole du plus haut représentant de l’ONU diffuse ainsi des informations, non vérifiées et en outre ultérieurement non corroborées, au détriment d’un membre du personnel de l’ONU dont la réputation est ainsi même durablement atteinte, avec les graves conséquences qui en résultent.
XXII. pour les raisons précitées, le Tribunal :
1. Décide que la décision de mettre fin au contrat du requérant, comme la décision de le mettre en congé sont entachées de détournement de pouvoir;
2. Décide qu’il en résulte que le requérant a droit, à titre de compensation, à un an de son salaire de base net, qui constitue la juste mesure de la réparation qui lui est due;
3. Décide qu’en outre, le requérant, dont la réputation a été gravement atteinte par les informations diffusées dans le communiqué de presse de l’ONU a droit à réparation du préjudice moral subi, sous forme d’une part d’une compensation financière de 50.000 dollars des Etats-Unis, d’autre part d’une publication du dispositif de ce jugement dans le communiqué de presse de l’ONU dans les trois mois suivant ce jugement;
4. Décide que l’Administration ne peut continuer à bloquer les sommes dues au requérant, et doit donc les lui verser;
5. Rejette toutes les autres conclusions.
(Signatures)
Julio BARBOZA
Vice-Président, assurant la présidence
Spyridon FLOGAITIS
Membre
Brigitte STERN
Membre
New York, le 21 novembre 2001 Maritza STRUYVENBERG
Secrétaire