LES EXPERTS DU CEDAW QUALIFIENT LA POLITIQUE EGALITAIRE DE LA FEMME TUNISIENNE D’EXEMPLAIRE POUR LE MONDE ARABO-MUSULMAN
Communiqué de presse FEM/1207 |
Comité pour l’élimination de la
discrimination à l’égard des femmes
565ème et 566ème séances – matin et après-midi
LES EXPERTS DU CEDAW QUALIFIENT LA POLITIQUE EGALITAIRE DE LA FEMME TUNISIENNE D’EXEMPLAIRE POUR LE MONDE ARABO-MUSULMAN
Ils invitent le gouvernement à retirer ses réserves à la Convention
La volonté politique «admirable» en matière d’égalité entre les sexes de la Tunisie, les moyens ingénieux mis en place et le courage dont elle a fait preuve pour braver les stéréotypes du bassin méditerranéen ont valu à la délégation menée par la Ministre des affaires de la femme et de la famille, Mme Néziha Ben Yedder, les félicitations unanimes du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Les experts du Comité étudiaient les troisième et quatrième rapports de la Tunisie qui, devenue partie en 1980 à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, présentait les mesures prises entre 1992 et 1998 pour protéger les droits des femmes.
Les experts ont toutefois regretté que la Tunisie ait maintenu des réserves à certaines dispositions de la Convention relatives au mariage et à la vie de famille ainsi qu’à la nationalité. L’experte de la Tunisie, Mme Emna Aouij, première femme à accéder à la magistrature en Tunisie et dans le monde arabe, n’était pas autorisée à participer au débat conformément au règlement du Comité.
Dotée d’un héritage fortement patriarcal, la Tunisie a choisi une voie créative et ingénieuse pour émanciper les femmes, a signalé l’experte de la Turquie, Mme Ayse Feride Acar. Le Code du statut personnel, dont la réforme a permis notamment de bannir la polygamie et de réglementer le divorce, a été qualifié de modèle exemplaire pour le reste du monde arabo-musulman par l’experte du Sri Lanka, Mme Savitri Goonesekere. Comme l’a expliqué son Ambassadeur auprès des Nations Unies, M. Noureddine Mejdoub, la Tunisie a tiré parti d’une tradition d’égalité née, dès l’indépendance en 1956, de l’interprétation d’un Islam sage et respectueux de la personne humaine. La Tunisie est allée loin pour défier le conservatisme et nous avons conscience d’avoir apporté un renouveau dans la pensée arabe.
Selon les chiffres avancés par la Ministre, le taux de scolarisation des fillettes âgées de 6 ans est de 99%, le taux d’illettrisme chez la femme est passé à 36,2% en 1999 contre 80,45 en 1996. En 2001, 35% des bénéficiaires de crédits octroyés par la Banque tunisienne de solidarité étaient des femmes contre 10% en 1997. 9,3% des portefeuilles ministériels sont détenus par des femmes et 30% des professeurs d’université sont des femmes. Parmi les législations avant-gardistes promulguées depuis 1995, figure notamment la mise en place du système de communauté de biens entre les conjoints.
(à suivre – 1a)
Toutefois, les nombreuses réserves aux articles 9 (nationalité), l’article 15 (égalité devant la loi) et l’article 16 (droit matrimonial) de la Convention émises par le gouvernement ont été perçues comme ne rendant pas justice aux réalisations accomplies. L’experte de la France, Mme Françoise Gaspard, a engagé l’Etat partie à lancer un débat sur la question de l’égalité devant l’héritage, qui est non seulement une question de parité mais également un enjeu économique de développement. L’Etat partie a assuré le Comité de sa détermination à parvenir à lever ses réserves, en particulier celles portant sur l’article de la Convention sur la nationalité qui n’est pas transmise automatiquement de la mère à l’enfant. De même que pour les questions d’héritage, l’Etat partie a expliqué qu’il lui fallait maintenant surmonter des obstacles religieux et culturels.
Les experts ont également relevé l’absence de stratégie de lutte contre la violence et de politique officielle relative au harcèlement sexuel sur le lieu du travail. Il n’existe pas non plus de dispositions du Code pénal sur l’inceste. Il semble que le gouvernement renvoie ses responsabilités dans ce domaine au secteur privé, a relevé un membre du Comité.
La prochaine réunion du Comité sera annoncée à une date ultérieure.
EXAMEN DES TROISIÈME ET QUATRIÈME RAPPORTS PÉRIODIQUES COMBINÉS DE LA TUNISIE
Rapports (CEDAW/C/TUN/3-4)
Le document couvre la période allant de 1992 à 1998. Il y est indiqué que la Tunisie a dûment tenu compte des observations du Comité à l’issue de l’examen du rapport initial et du deuxième rapport en 1995.
Le Code du statut personnel, le Code de la nationalité, le Code pénal et le Code du travail ont fait l’objet d’une série de réformes suite aux mesures annoncées à l’occasion de la Fête de la femme le 13 août 1992. Des amendements ont notamment été introduits pour favoriser un meilleur équilibre dans les relations du couple en matière de statut juridique et de gestion des affaires de la famille sur la base d’une dualité normative fondamentale: égalité et partenariat. Le Code pénal a également prévu des dispositions importantes visant à sanctionner l’incitation à la débauche, le proxénétisme et la prostitution.
Parmi les mécanismes nationaux de promotion de la femme, on trouve le Ministère des affaires de la femme et de la famille qui a pour rôle de coordonner l’action des différentes institutions gouvernementales chargées de la protection des femmes. Selon le rapport, la Tunisie a également mis en place une série d’organes spécifiques et novateurs en vue de protéger et de promouvoir la mise en œuvre effective des droits de la femme. C’est dans ce cadre qu’ont été créées en 1992 des cellules d’écoute et d’orientation chargées de faire connaître les droits de la femme et de la famille.
Pour favoriser l’accès des femmes aux postes de prise de décisions et aux instances de définition des politiques, plusieurs mesures de discrimination positives ont été adoptées. En ce qui concerne les priorités nationales dans le cadre de l’après Beijing, les priorités du gouvernement sont: le renforcement du potentiel économique des femmes, la lutte contre la pauvreté et la lutte contre les stéréotypes sexistes.
En matière de violence familiale, le rapport indique qu’il ne s’agit pas d’un phénomène social en Tunisie en précisant que le nombre de femmes victimes de violence conjugale qui ont poursuivi leur conjoint devant la justice en 1998 a été de 3 600 pour un nombre de familles de 1 704 185, soit un taux de 0,21%.
Des mécanismes législatifs et institutionnels ont été mis en place pour augmenter la participation de la femme à la vie politique et publique, c’est ainsi que le taux de femmes à la chambre des députés est passé de 1,12% en 1957 à 11,5% en 1999 et que, pour la même année, les femmes diplomates constituaient 14,35% de l’effectif total du corps diplomatique contre 9,1% en 1993.
En matière d’éducation, il ressort du rapport que les écarts entre filles et garçons se réduisent de manière progressive et rapide. Dans l’enseignement supérieur, la proportion de filles est passée de 37,2% en 1987 à 48,3% en 1998. Le dispositif législatif et institutionnel sur lequel repose le monde du travail a quant à lui progressivement évolué pour intégrer en son sein les effectifs féminins sur la base des principes «à compétences égales, salaire égal», et de la non-discrimination entre sexes dans tous les aspects de l’emploi et de 1985 à 1994, la courbe de l’emploi féminin a continué sa croissance, bien qu’elle se soit un peu ralentie sous l’effet conjugué des difficultés économiques et du programme d’ajustement structurel.
Le rapport présente également les progrès réalisés en matière de santé, notamment en ce qui concerne la planification familiale mais indique que les enquêtes hospitalières et celles effectuées auprès des femmes enceintes révèlent que l’anémie carentielle est fréquente chez la femme tunisienne et qu’elle touche une femme sur trois. Des décalages persistent également dans certains domaines entre les moyens engagés et les résultats enregistrés, comme en matière de maîtrise de la mortalité maternelle où la rentabilité du système gagnerait à être renforcée.
Présentation par l’État partie
Mme NÉZIHA BEN YEDDER, Ministre des affaires de la femme et de la famille, a rappelé que le changement du 7 novembre 1987 a marqué l’avènement d’une ère nouvelle, sur la voie du raffermissement des droits de la femme en Tunisie, ceci grâce à la volonté politique constante du Président qui a tenu à approfondir ces orientations dans le cadre d’une approche globale de développement qui consacre les droits de la femme en tant que partie intégrante du dispositif global des droits de l’homme.
La Ministre a rappelé que dès son accession à l’indépendance, le 20 mars 1956, la Tunisie a adopté le Code du statut personnel qui a notamment aboli la polygamie et réglementé le divorce. La Tunisie s’est employée depuis les années 90 à se doter d’un système cohérent de mécanismes et programmes par la création de la Commission «Femme et développement», la mise en place d’une stratégie de promotion de la femme dans le cadre du VIIIème Plan de développement (1992-1996), l’adoption de la méthode de planification par le genre social, la création d’un organe gouvernemental chargé des affaires de la femme et de la famille ainsi que par la mise sur pied d’un Conseil national de la femme et de la famille.
La Tunisie a adhéré aux recommandations et au Plan d’action de Beijing. De nombreuses mesures ont été prises aux niveaux de la création des mécanismes institutionnels, de la conception et de la programmation. Il s’agit surtout de la création de la Commission de l’égalité des chances et du suivi de l’application des lois, de la Commission de l’image de la femme dans les médias et de la Commission nationale de promotion de la femme rurale. Parmi les législations avant-gardistes promulguées depuis 1995, on peut trouver, entre autres, la mise en place du système de communauté de biens entre les conjoints, l'octroi à la mère ayant la garde de son enfant de filiation inconnue du droit d’attribuer son patronyme à cet enfant et l’octroi à la mère tunisienne mariée à un étranger du droit d’attribuer sa nationalité à ses enfants nés en dehors du territoire national.
Dans l’enseignement, la Tunisie s’enorgueillit du fait que le taux de scolarisation des enfants âgés de 6 ans s’élève à 99% pour les garçons comme pour les filles, dans les villes comme dans les campagnes. En même temps, le taux d’interruption de la scolarisation des filles a régressé alors que le taux de réussite des filles a connu une progression continue. Le taux d’illettrisme chez la femme est tombé de 80,45 en 1996 à 36,2% en 1999 à la faveur des efforts consentis en la matière par l’Etat qui a institué le caractère obligatoire et la gratuité de l’enseignement pour la tranche d’âge 6-16 ans.
En 2001, 35% des bénéficiaires de crédits octroyés par la Banque tunisienne de solidarité étaient des femmes contre 10% en 1997. Le taux de femmes actives était de 25% en 2000. La moitié des travailleurs dans le secteur de l’enseignement, le tiers des cadres médicaux, et le quart des magistrats sont des femmes. Les femmes représentent 25,2% des journalistes et occupent 14% des postes fonctionnels dans l’administration. Elles occupent 11,5% des sièges à la Chambre des députés contre 7% en 1995 et plus de 20% des sièges au sein des conseils municipaux. De plus, 9,3% des portefeuilles ministériels sont détenus par des femmes.
Un plan de promotion de la femme rurale a été mis en place dans le but de dynamiser les aptitudes productives de cette dernière et de la protéger contre toute forme de discrimination. La violence à l’égard des femmes, qui, bien que ne constituant pas un phénomène majeur, a néanmoins rendu nécessaire l’introduction d’amendements dans le Code du statut personnel et dans le Code pénal. L’existence de liens conjugaux représente désormais une circonstance aggravante du délit de violence.
La Ministre a signalé le rôle important joué par les organisations non gouvernementales tout en mettant en avant le nombre en augmentation des associations de femmes qui sont devenues des partenaires actifs du développement. En plus de ce partenariat, le Gouvernement s’est attaché à mettre en place un réseau cohérent de mécanismes visant à observer l’évolution de la condition de la femme. Le Gouvernement a ainsi mis au point un programme national de développement du système de statistiques, adopté une classification par genre social dans tous les secteurs et a créé un observatoire chargé de la collecte de données comparées sur la situation de la femme et de l’homme dans tous les domaines.
Dialogue avec les experts
Mme CHARLOTTE ABAKA, experte du Ghana et Présidente du Comité, a dit avoir constaté avec satisfaction les changements favorables aux femmes chaque fois qu’elle se rend en Tunisie. Mme ROSARIO MANALO, experte des Philippines, a estimé que le rapport qui a été transmis montre une ferme volonté politique de la part des autorités tunisiennes de mettre en oeuvre la Convention et de modifier la législation pour défendre les droits des femmes tunisiennes. De même que de nombreuses expertes, elle s’est félicitée de l’élimination de la polygamie, du fait que le divorce peut être obtenu par les hommes et par les femmes dans les mêmes conditions. Certaines expertes ont cependant regretté que la Tunisie n’ait pas signé ou ratifié le Protocole facultatif à la Convention. Mme Manalo a salué l’existence d’un Ministère des affaires de la femme et de la famille dont le budget a été triplé. Cependant, certaines questions concernant la partie de la Convention relative au trafic des femmes et à l’exploitation des femmes dans la prostitution se posent. En effet, en Tunisie la différence est faite entre la prostitution autorisée et la prostitution clandestine même si la loi interdit la prostitution. Pourquoi cette différence existe-t-elle si la prostitution est totalement prohibée? Pourquoi n’y a-t-il pas de loi spécifique définissant ce qu’est la violence au foyer?
Mme IVANKA CORTI, experte de l’Italie, a félicité la délégation pour le rapport et les réponses mais aussi pour la présentation de ce matin et pour l’attention accordée au Comité. De nombreuses institutions visent à intégrer les femmes dans le processus de développement et elle a fait remarquer que la Tunisie semble avoir réussi dans sa stratégie de promotion de la femme notamment en ce qui concerne l’égalité dans les mariages, l’abolition de la répudiation, le droit reconnu aux femmes d’intenter des actions en justice, la réforme du droit de succession, le fait que la dot n’est plus une condition matérielle de mariage. Il y a cependant encore certains éléments de la Convention dont l’application pourrait être renforcée, notamment en ce qui concerne les articles 5 sur l’élimination des préjugés et 8 qui préconise des mesures pour promouvoir l’accès des femmes à la carrière diplomatique. Elle a félicité la Tunisie pour la démarche conceptuelle adoptée face à la politique de l’avortement qui vise à réduire la mortalité des femmes, l’infanticide et l’abandon des enfants. Elle a également demandé pourquoi la Tunisie n’a pas levé les réserves à la Convention même si certaines d’entre elles ont été levées de facto. Mme HEISOO SHIN, experte de la République de Corée, a fait remarquer que la législation tunisienne ne reconnaît pas les procès engagés par les femmes, ce qui constitue une discrimination. Elle a en outre souligné que les partenariats et la collaboration avec les Organisations non gouvernementales doivent s’établir tant avec les organisations favorables au gouvernement qu’avec celles qui pourraient être critiques des actions du Gouvernement. Elle a donc souhaité que ces dernières disposent d’une liberté d’agir et que la force publique n’empiète pas sur leurs activités.
Mme AYSE FERIDE ACAR, experte de la Turquie, a elle aussi fait part de ses félicitations à la délégation tunisienne tout en traçant une analogie entre la situation en Tunisie et dans son pays. La Tunisie, qui a également une population musulmane dotée d’un héritage fortement patriarcal, a choisi une voie créative et ingénieuse pour émanciper les femmes. Vous avez introduit des réformes dans la loi islamique et vous êtes allés assez loin pour bannir la polygamie. Il est satisfaisant de constater que la Tunisie réaffirme constamment sa détermination à garantir les droits humains des femmes. Le Gouvernement, avec cette volonté politique admirable, pourrait s’aventurer vers des terrains encore en friche notamment pour améliorer le Code du statut personnel. De tels amendements devraient permettre à la Tunisie de lever ses réserves à l’article 6 de la Convention qui porte sur la prostitution. Ces réserves ne rendent pas justice aux réalisations tunisiennes en faveur de la femme. La situation tunisienne est difficile dans la mesure où le Gouvernement a affaire à une population féminine à deux niveaux, à savoir une proportion de femmes qualifiées et compétentes et une forte proportion féminine analphabète. Les femmes qualifiées doivent servir de rôles modèles et la Tunisie doit tirer parti de leur dynamisme. Les ONG de femmes devraient pouvoir jouir d’un environnement propice et être associées à l’action du Gouvernement. Les acquis de la femme tunisienne sont si considérables qu’ils méritent d’être suivis de nouvelles avancées. Mme SAVITRI GOONESEKERE, experte du Sri Lanka, a trouvé encourageant de constater que la Tunisie a tiré parti d’une tradition d’égalité. Il existe un concept traditionnel selon lequel une épouse
peut passer un contrat avec son mari pour éviter la polygamie. Le Code du statut personnel est un modèle pour le reste du monde islamique. Notre Convention, en conjonction avec votre législation et vos efforts politiques, constitue un outil servant à faire progresser le principe d’égalité entre les sexes. Vous avez réduit la pauvreté, vos indicateurs de santé sont positifs et vous consacrez 20% de votre budget à l’enseignement. Envisagez-vous de renforcer les processus institutionnels et concepts juridiques pour aller plus loin encore, a demandé l’experte. Quel est le statut de la Convention et des autres traités des droits de l’homme dans votre législation? Disposez-vous d’une définition de la discrimination? Avez-vous dans votre Constitution un article consacré à la torture, notamment pour lutter contre la violence perpétrée contre des femmes en prison? Assurez-vous la formation des juges aux droits de l’homme? Disposez-vous d’une commission indépendante des droits de l’homme?
Répondant à ces questions, M. NOUREDDINE MEJDOUB, Représentant permanent de la Tunisie auprès des Nations Unies, a indiqué que les droits de la femme dans un pays musulman revêtent une importance particulière pour ce Comité rappelant que la Tunisie disposait en 1956, date de la naissance du Code du statut personnel, d’un fort un héritage musulman ainsi que d’une histoire ayant donné naissance à une société conservatrice qu’il fallait rénover malgré les contraintes de la religion. Pour cela, nous nous sommes référés à un Islam sage et respectueux de la personne humaine. Il fallait du courage dans les années 1950 pour interpréter la religion au plus près des réalités nouvelles et adapter nos lois à l’esprit des temps. La Tunisie est allée loin pour défier le conservatisme et pour affirmer que l’intelligence de notre peuple permet des changements profonds. Aujourd’hui, nous vivons avec une nouvelle génération qui, aux yeux des observateurs internationaux, est la plus avancée du monde arabo-musulman. Cette situation implique de lourdes responsabilités en matière d’interprétation des lois mais les acquis de la femme revêtent désormais un caractère permanent, et rien ne viendra mettre en cause la révolution des mentalités tunisiennes. Nous avons conscience d’avoir apporté un renouveau dans la pensée arabe.
M. RIDHA KHEMAKHEM, Président de la cellule des droits de l’homme au Ministère de la justice, a indiqué que le Gouvernement a l’intention de fermer des lieux de prostitution clandestine. Pour ce qui est de la violence familiale, il existe une loi mais pas de dispositions spécifiques dans le Code pénal dont certaines mesures cependant, couvrent ce type de violence. Il a par ailleurs indiqué que l’Etat va faire tout ce qui est en son pouvoir pour lever complètement les réserves à la Convention. L’article 32 de la Constitution précise en outre quelle est la hiérarchie des lois lorsque la Tunisie ratifie une Convention. Il stipule que la Convention est mise en œuvre tout comme la Constitution et a force de disposition constitutionnelle.
Mme ZOHRA BEN ROMDHANE, Directrice générale au Ministère des affaires de la femme et de la famille, a indiqué que la Tunisie met en place un dispositif institutionnel pour que les droits acquis soient exercés par toutes les femmes tunisiennes. Une action sur le terrain est entreprise de même qu’une stratégie de communication qui consiste à faire connaître les droits de la femme. La Journée de la femme, le 13 août de chaque année, est un jour férié. Il s’agit aussi de faire évoluer les mentalités par une diffusion de la culture des droits de la personne ciblée sur la famille tunisienne. Cette stratégie vise aussi à combattre les stéréotypes sexistes véhiculés dans les médias. La représentante a également fait savoir que la Tunisie procède chaque année à des évaluations des résultats de la stratégie mise en œuvre par le Gouvernement.
Elle a rappelé qu’il y a cinq femmes au sein du Gouvernement et que cette politique volontariste se poursuivra. Le Plan d’action national pour la famille lancé en 1996 s’appuie sur des spots publicitaires dont certains encouragent le dialogue et l’égalité dans le couple, le partage des tâches et l’interchangeabilité des rôles entre les hommes et les femmes.
Mme Ben Romdhane, répondant aux préoccupations de Mme Acar sur l’écart entre les femmes rurales et urbaines, a signalé le dynamisme dont font preuve les femmes rurales et leur capacité à faire face à toutes les situations. Nous disposons d’exemples admirables de femmes rurales qui ont lancé des projets économiques à partir de rien. Les femmes rurales participent également à la prise de décisions au niveau local. Chaque Conseil régional de développement dispose de deux postes de consultantes.
Poursuivant les questions, Mme FUMIKO SAIGA, experte du Japon, a souscrit aux félicitations adressées précédemment par les experts. Mme MAVIVI MYAKAYAKA-MANZINI, experte de l’Afrique du Sud, a également salué les efforts en matière de législation tout en relevant que ces modifications ne vont pas forcément de pair avec la disparition de comportements stéréotypés qui sont solidement ancrés. Elle a relevé que les femmes victimes de discrimination ne peuvent pas porter plainte et a demandé si elles disposaient de recours. Elle a insisté pour que les femmes soient plus présentes dans le judiciaire, pour que les questions les concernant aient plus de visibilité et jouissent de davantage d’attention. Avez-vous l’intention d’introduire une législation complète fondée sur la Convention et la Déclaration de Vienne de 1993 pour garantir la protection des femmes face à la violence domestique, a-t-elle demandé. Mme MARIA REGINA TAVARES DA SILVA, experte du Portugal, a relevé que les femmes victimes de violence tendaient à garder le silence par pudeur ou par souci de préserver leur dignité. Cette philosophie ne montre-t-elle pas qu’il existe un réel problème de violence au foyer? L’experte a regretté l’absence de données sur la traite des femmes. Rien n’est dit au sujet de programmes de réhabilitation, ce qui est essentiel pour venir à bout de la prostitution et de la traite des femmes. Il ne semble pas y avoir de stratégie de lutte contre la violence.
Mme FRANCOISE GASPARD, experte de la France, s’est dite frappée de constater que dès l’entre-deux-guerres, les femmes tunisiennes avaient pris part à la lutte ayant mené à l’élaboration de la Convention. La Tunisie, est exemplaire pour les femmes du monde arabe en raison de son engagement précoce à l’égard de la cause de l’égalité. L’experte a fait part de son admiration face à la volonté politique du Gouvernement qui suit de manière très précise les recommandations du Comité. La Tunisie a eu le courage de braver les stéréotypes du bassin méditerranéen. Évoquant les réserves sur les articles 2,6, 15 et 16 de la Convention, elle a demandé à l’État partie s’il était possible d’engager un débat pour faire avancer la question de l’égalité devant l’héritage, qui est non seulement une question de parité mais également un enjeu économique de développement qui intéresse à la fois les hommes et les femmes. Elle a demandé des informations complémentaires sur la prévention de la prostitution et le problème de la traite des femmes.
Répondant aux questions, M. KHEMAKHEM a indiqué que si une femme tunisienne est victime de violence, elle peut parfaitement porter plainte devant les tribunaux, un commissariat de police ou quelque autorité que ce soit sans aucun obstacle. Dans le système judiciaire une femme joue le rôle de médiateur ou d’ombudsman et essaie de garantir la justice. Nous avons également des services qui s’occupent des droits humains au Ministère de la justice. La violence familiale est une réalité mais nous ne disposons pas de statistiques sur la question. Nous modifierons notre législation si cela s’avère nécessaire, cela dépendra de l’étude que nous allons réaliser sur cette question.
Le représentant a ensuite expliqué qu’il faut bien comprendre le concept de réconciliation qui est un instrument dont la Tunisie s’est dotée récemment. Cette notion juridique existe également dans le droit européen et est conçue comme un nouveau moyen à utiliser à côté des mécanismes juridiques traditionnels. Une victime de violence doit accepter explicitement une telle procédure. La Tunisie a en outre ratifié la Convention contre la criminalité transnationale organisée et dispose de cinq ou six dispositions qui font de la traite des femmes un délit pénal. Pour ce qui est de la réhabilitation des femmes concernées par la traite, il existe des programmes dans les prisons mais nous reconnaissons qu’ils ne sont pas suffisants. Au sujet de la coopération avec les ONG, le représentant a affirmé qu’il existe des partenariats y compris avec celles qui sont critiques à l’égard du Gouvernement.
Mme BEN ROMDHANE a précisé que le modèle traditionnel de la famille élargie est régi par les coutumes et les traditions où la notion de droits n’y est pas encore bien ancrée et les hommes y jouent un rôle prépondérant. Seulement 21% des familles tunisiennes sont traditionnelles et 43% sont en phase de transition. Le reste appartient à la catégorie de la famille moderne démocratique régie par le Code du statut personnel. La représentante a en outre indiqué que la méthode des quotas est appliquée en Tunisie. S’agissant de l’occupation des postes de décision, elle a affirmé que des progrès ont été accomplis par une impulsion politique.
Mme GONZALEZ MARTINEZ, experte du Mexique, a regretté que ni dans le rapport, ni dans les réponses, il n’ait été fait mention du harcèlement sexuel. L’on constate également que dans les dispositions du Code pénal, la violence à l’égard des femmes est toujours considérée comme une question privée. On ne reconnaît donc pas que la violence à l’égard des femmes est une violation de leurs droits humains. On ne dispose pas non plus de statistiques à ce sujet. Cela est-il dû au fait que les femmes n’osent pas faire appel aux tribunaux de crainte d’être considérées comme coupables de remettre en question de la famille? Aucune femme n’osera la faire si elle n’a pas été éduquée. Il ne s’agit pas seulement de protéger la cohésion de la famille mais c’est aussi la dignité de la femme qui est en jeu. L’experte a aussi regretté qu’il n’y ait aucune disposition du Code pénal qui traite du viol conjugal. Le Gouvernement se décharge de ses responsabilités sur la recherche à mener sur ces cas de violence à l’égard des femmes. Il faut intensifier les efforts pour savoir quelle est la réalité et bien mesurer l’ampleur du phénomène. Mme ZELMIRA REGAZZOLI, experte de l’Argentine, a posé des questions relatives à la protection des femmes en garde à vue et des femmes incarcérées. A quel moment les femmes se trouvent-elles en garde à vue et quels sont les délits qu’une femme peut commettre pour être condamnée? Existe-t-il des prisonnières politiques et quelles sont les garanties prévues pour les femmes prisonnières enceintes? Qu’advient-il des enfants nés en prison?
Mme FATIMA KWAKU, experte du Nigéria, a fait part de son admiration pour les mesures audacieuses prises par le Gouvernement pour protéger les droits des femmes. Elle a fait part toutefois de sa perplexité quant à la manière dont le Gouvernement traite la prostitution.
Répondant aux experts, M KHEMAKHEM a expliqué qu’il n’y a pas en Tunisie de phénomène de violence familiale même s’il existe des cas isolés. Nous disposons d’un Code sur la protection de l’enfant promulgué en 1991. Le Code pénal érige en crime les actes de violence et il n’existe pas de distinction basée sur le sexe. La violence à l’égard des femmes n’est donc pas une catégorie particulière. Nous ne disposons pas de disposition dans le Code pénal érigeant en crime le harcèlement sexuel. Nous avons franchi la barrière psychologique mais devons encore disposer d’une étude sur le terrain pour prendre la mesure de ce phénomène. Il n’existe pas de texte se rapportant au viol marital mais une femme peut porter plainte pour relations sexuelles non consensuelles.
Les femmes condamnées à des peines de prison le sont en vertu de la législation générale. Il n’existe pas de prisonniers politiques. En ce qui concerne les femmes enceintes condamnées à mort, la peine ne peut être exécutée qu’après l’accouchement. La nouvelle loi adoptée en 2000 traite de situations spéciales en prison et prévoit de nombreuses mesures de protection pour les femmes enceintes et leurs enfants. Ces femmes pourront garder leur enfant en prison jusqu’à l’âge de trois ans. Il y a des médecins dans toutes les prisons et les femmes y reçoivent des soins gynécologiques. La prostitution ou le trafic aux fins de la prostitution sont considérés par le Code pénal comme un crime puni de six mois à deux ans de prison. Pour l’intermédiaire, le facilitateur ou le proxénète, la sentence peut aller jusqu’à trois ans.
Mme BEN ROMDHANE a signalé un taux de 2,2% de violence domestique soit 2 266 plaintes pour violence domestique ce qui montre que le nombre de cas de violence familiale n’excède pas le nombre des autres infractions liées à la famille. Une clause existe sur le devoir de signalement auquel est astreint tout citoyen tunisien qui serait témoin de cas de violence envers les enfants.
Reprenant la série de questions, Mme MANALO a félicité la délégation pour les efforts accomplis dans le domaine de la transmission de la nationalité. Cependant, il existe un manque d’équilibre car les hommes ne doivent pas remplir les mêmes conditions que les femmes. Mme SAVITRI GOONESEKERE, experte du Sri Lanka, a souhaité un retrait des réserves afin que la mère puisse transmettre sa nationalité à ses enfants. Mme CORTI a estimé que la situation des femmes en ce qui concerne leur participation à la vie politique n’est pas du tout satisfaisante. Elle a aussi demandé quel est le rôle des femmes dans le judiciaire.
M. KHEMAKHEM a assuré les experts de la détermination de la Tunisie à considérer le problème des réserves, notamment en ce qui concerne la transmission de la nationalité. Il a néanmoins demandé que les experts tiennent compte des problèmes qui restent à surmonter. Pour ce qui est de la question de l’héritage, de nombreux efforts sont consentis pour réduire la part de l’héritier masculin par rapport à l’héritière. Des progrès ont été également accomplis pour ce qui est de la communauté des biens. Cependant, les textes religieux sont très clairs: l’homme doit obtenir une part qui est le double de celle de la femme.
Il est très difficile de contourner cette contrainte religieuse dans la mesure où les affaires privées sont souvent régies par la religion. En ce qui concerne le rôle de la femme magistrat, il a précisé que ces dernières se doivent d’être impartiales et appliquer le droit de manière objective.
Mme ACAR s’est dite préoccupée par l’analphabétisme de la population féminine adulte et par le fait qu’il n’existe pas de mesures visant les femmes de plus de 44 ans. Existe-t-il des cycles d’études consacrés aux femmes? Elle a demandé pourquoi seuls 8% des professeurs d’université sont des femmes. Mme FRANCES LIVINGSTONE RADAY, experte d’Israël, a constaté que l’emploi de femmes éduquées augmente mais elle a voulu savoir ce qu’il en est des femmes moins éduquées. Des efforts spécifiques sont-ils consentis dans l’aide fournie aux femmes pour leur permettre de trouver un emploi? Existe-t-il des données ventilées par sexe en ce qui concerne les salaires? Existe-t-il une législation sur l’égalité des chances? Les femmes peuvent-elles entamer une procédure civile lorsqu’elles sont victimes d’une discrimination? Les femmes peuvent-elles dénoncer le harcèlement sexuel sur le lieu de travail? L’experte a également voulu connaître le droit des femmes en matière de retraites. Mme FENG CUI, experte de la Chine, a demandé comment le gouvernement comptait supprimer l’analphabétisme. Les problèmes qui se posent aux femmes rurales ont-ils été évalués?
Mme BEN ROMDHANE a fait état des progrès résultant des taux de scolarisation accrus des filles. Le taux de scolarisation en 2001 à l’âge de 6 ans est de 99,1% pour les filles en 2001 contre 98,8% pour les garçons. Dans la tranche d’âge des 13-19, ce taux passe à 75% pour les filles contre 67% pour les garçons. Le taux d’analphabétisme en 1999 des femmes rurales dans la tranche d’âge 10-29 ans était de 27%. On étudie la possibilité de mettre en place une chaire d’étude sur la condition de la femme en Tunisie. La proportion de femmes professeurs dans l’enseignement supérieur est aujourd’hui de 30%. Sur le marché du travail, la proportion de femmes évolue et reflètera dans le futur la progression des femmes dans l’éducation. Dans la fonction publique, il n’existe pas d’écart de salaire entre les hommes et les femmes. Dans le secteur privé, le niveau de qualification inférieur des femmes peut expliquer des écarts de salaires. Un important rapport sur la situation des femmes rurales a servi de base pour l’élaboration du Plan national pour les femmes rurales de 1999. M. KHEMAKHEM a expliqué, au sujet de l’interdiction du port du foulard dans les établissements scolaires, qu’il existe de nombreux décrets régissant l’apparence dans le but de maintenir un environnement politique neutre dans ces institutions.
Mme MANALO a demandé pourquoi l’âge minimum du mariage de la fille n’est pas le même que celui du garçon. La dot fait en outre toujours partie du contrat de mariage et cela donne l’impression que la femme est achetée comme du bétail. Mme KWAKU a demandé combien de femmes ont retiré leurs plaintes en cas de violence conjugale. La législation interdit-elle à une femme musulmane d’épouser un homme non musulman? Mme SJAMSIAH ACHMAD, experte de l’Indonésie, s’est dite préoccupée par les pratiques réelles au sein de la famille. En ce qui concerne les programmes pour réaliser l’égalité, y’a-t-il des cours que les futurs mariés peuvent suivre? Comment le Gouvernement va-t-il surveiller qu’il y a bien égalité au sein de la famille? Mme SHIN, a demandé des précisions sur la répartition de l’héritage. Mme GOONESEKERE a demandé si les nouvelles dispositions sur le divorce ont une valeur normative.
M. KHEMAKHEM a indiqué que l’âge minimum de mariage pour les jeunes filles est désormais de 17 ans au lieu de 15 ans et de 20 pour les jeunes hommes. Mais dans la réalité, les jeunes étudient et contractent un mariage à l’âge moyen de 28 ans. La dot trouve son origine dans la religion et la législation sur le statut personnel tire sa source du droit religieux. La dot revêt une signification symbolique. Elle existe également dans le judaïsme. Les enfants nés hors mariage ne peuvent obtenir le droit d’hériter mais nous avons toutefois accompli des progrès en faveur de ces enfants qui n’avaient aucun droit dans le passé. La Convention sur la loi minimum du mariage que nous avons ratifiée admet la possibilité pour une femme tunisienne d’épouser un non musulman, ce qui est interdit par la Loi islamique. De plus, le Code du statut personnel dit que dans le cadre d’un contrat de mariage, les partenaires ne doivent faire l’objet d’aucune interdiction. Dans la pratique, les deux cas se produisent. Mme BEN ROMDHANE, a expliqué que la famille et les jeunes étaient les cibles du gouvernement lors de ses campagnes de sensibilisation. Le Ministère de la famille a lancé une enquête sur le degré d’acceptation du régime de la communauté de biens.
Mme TAVARES DA SILVA a demandé si le choix du lieu de domicile et le choix du nom de famille avaient donné lieu à de nouvelles dispositions et si les biens du mariage étaient enregistrés au nom du mari ou des deux époux. Est-ce que les hommes musulmans peuvent épouser une non-musulmane dans les mêmes conditions que les femmes musulmanes. Elle a relevé une disposition discriminatoire à l’égard de la femme divorcée qui perd la garde des enfants en cas de remariage. Elle a également relevé que l’homme assume la pleine responsabilité de la garde des enfants. Elle a également demandé des précisions sur la situation de la mère célibataire. Mme SAIGA a demandé des précisions sur le versement des pensions alimentaires. Mme RADAY a demandé si les femmes mariées au père de l’enfant a des droits sur ce dernier. Est-ce que les femmes ont un accès égal aux ressources de la famille? Est-ce que le mariage de réparation existe toujours entre l’auteur d’un viol et sa victime?
M. KHEMLAKHEM a indiqué que son Gouvernement a introduit l’idée de partenariat dans la famille, c’est-à-dire que l’épouse contribue aux dépenses de la famille si elle est en mesure de le faire. Cependant, le mari donne son nom à la famille. Lorsqu’il y a séparation, les biens sont partagés et c’est celui qui les achetés qui en garde la propriété. Les femmes ont un congé de maternité, tout comme les hommes. L’auteur d’un viol ne peut pas épouser sa victime. Quant à la question de savoir si le Gouvernement a créé des centres de soutien aux femmes victimes de violence, il a indiqué que c’est le cas par le biais de financements accordés à plusieurs ONG qui ont créé des centres de prise en charge psychologique. M. MEJDOUB s’est félicité du fait que la Tunisie développe avec l’Europe un accord de libre-échange qui invitera le monde arabe à vivre en concordance avec des critères européens dans le respect de sa culture.
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