LES EXPERTS DU CEDAW DENONCENT LA LENTEUR DU PROCESSUS EGALITAIRE ENTRE L’HOMME ET LA FEMME EN URUGUAY QU’ILS ATTRIBUENT A UN MANQUE DE VOLONTE POLITIQUE
Communiqué de presse FEM/1178 |
Comité pour l’élimination de la
discrimination à l’égard des femmes
541 et 542èmes séances – matin et après-midi
LES EXPERTS DU CEDAW DENONCENT LA LENTEUR DU PROCESSUS EGALITAIRE ENTRE L’HOMME ET LA FEMME EN URUGUAY QU’ILS ATTRIBUENT A UN MANQUE DE VOLONTE POLITIQUE
Examinant aujourd’hui les deuxième et troisième rapports périodiques de l’Uruguay, les experts du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) ont dénoncé la lenteur du processus égalitaire entre l’homme et la femme dans le pays, mettant cette situation en contradiction avec le rôle de chef de file qu’a joué l’Uruguay dans le passé, avec la reconnaissance du droit de vote des femmes en 1932 et de leurs droits civiques en 1946.
Toutefois, à la lumière de la lecture des rapports donnée par la représentante de l’Uruguay sur les mesures adoptées entre 1995 et 2000 pour donner effet à la Convention, les experts ont formulé un grand nombre de critiques, l’experte des Philippines qualifiant la politique égalitaire de l’Uruguay «d’échec total». L’application même de la Convention a été remise en cause, certains experts relevant un manque de volonté politique qui aurait freiné l’adoption et la mise en oeuvre des lois relatives à l’égalité. Des critiques ont également été formulées à l’encontre du Plan d’action en faveur des femmes et de la politique gouvernementale dont les objectifs ne semblent pas clairs. La Constitution ne comprenant pas de définition de la discrimination fondée sur le sexe, il a été suggéré à l’Etat Partie d’y renforcer le principe de l’égalité des sexes.
Si les réalisations dans le domaine de l’éducation ont été jugées impressionnantes -les femmes entrent sur le marché du travail avec un niveau d’instruction supérieur à celui des hommes- l’absence de femmes aux postes de décision, dans la vie politique et publique ainsi que les écarts de salaires de 25% ont constitué un autre sujet de préoccupation. Les critiques des experts ont également porté sur l’absence de politique de planification familiale, sur la nature de la loi réprimant la violence domestique et sur les aspects discriminatoires de certains textes législatifs comme celui sur l’âge minimum du mariage, celui sur le viol, sur l’avortement ou encore certaines dispositions du Code civil qui reproduisent des modèles de comportement stéréotypés.
Les experts ont toutefois félicité l’Uruguay pour son adhésion au Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Il a été suggéré à l’Etat Partie d’adopter des mesures spéciales temporaires comme le prévoit l’article 4 de la Convention afin d’accélérer l’instauration d’une égalité de fait entre les hommes et les femmes et de lancer des campagnes de sensibilisation aux droits et recours dont disposent les femmes uruguayennes. La représentante de l’Uruguay a reconnu l’insuffisance des progrès réalisés jusqu’à présent, soulignant l’importance des directives que fournissent les organisations internationales permettant au pays d'atteindre plus facilement les objectifs fixés.
Le Comité entamera demain matin, vendredi 25 janvier, l’examen du cinquième rapport de la Fédération de Russie.
DEUXIEME ET TROISIEME RAPPORTS PERIODIQUES COMBINES DE L’URUGUAY
Rapport(CEDAW/C/URY/2-3)
L’Uruguay a une longue histoire du mouvement féministe, de 1911, date de la première section de la fédération féminine, jusqu’à la création de l’Institut national de la femme et de la famille (INMF) par la loi du 23 octobre 1991 qui représente un progrès dans la diffusion, la promotion et la protection des droits de la femme. L’Uruguay possède un cadre juridique global qui garantit l’égalité complète des hommes et des femmes. De nombreux moyens et mécanismes mis en oeuvre pour favoriser l’égalité de fait ont été mis en place. La majorité des experts du pays estiment que les traités internationaux ratifiés et en vigueur en Uruguay ont une valeur juridique égale à celle d’une loi ordinaire. Pour que les traités puissent s’appliquer sur le plan interne, ils doivent être approuvés par le corps législatif. L’acte par lequel un traité est approuvé a la même nature juridique que toute autre loi. On estime par conséquent que les lois portant approbation de traités n’ont d’autre caractère que celui d’une loi ordinaire. Il n’existe d’autre part aucune distinction, exclusion ou restriction juridique fondée sur le sexe.
Les femmes sont cependant l’objet de certaines discriminations sur le plans politique, économique et social. Elles sont sous-représentées dans les organes du pouvoir. La participation croissante de la femme constitue la caractéristique la plus importante dans l’évolution récente de la main-d’œuvre. Les femmes entrent sur le marché du travail avec un niveau d’instruction supérieur à celui des hommes; 19,3% des femmes ayant un emploi rémunéré ont achevé des études supérieures, deux fois plus que les hommes. La République orientale d’Uruguay condamne toute discrimination à l’égard des femmes et mène une politique qui vise l’élimination de la discrimination sous-jacente persistant encore dans certains domaines. L’ordre juridique contient des normes qui garantissent l’égalité juridique complète entre hommes et femmes.
Depuis 1927, l’exploitation de la prostitution d’autrui est un délit conformément au Code pénal. Les prostituées sont syndicalisées et appartiennent à la Centrale unique de travailleurs. L’AMEPU (Association de femmes prostituées de l’Uruguay) a collaboré avec la section de médecine légale de la Faculté de médecine, des représentants du Gouvernement national et des administrations départementales en vue d’élaborer deux projets de loi destinés à résoudre certains des problèmes urgents qui se posent aux prostituées. Le Parlement ne les a pas encore adoptés.
La Constitution en vigueur depuis 1967 reconnaît l’éducation comme l’un des droits de l’homme prioritaires. L’éducation est mixte et entièrement gratuite à tous les niveaux. Selon les données de l’UNESCO, l’Uruguay avait en 1986 un taux de scolarisation de 92%, ce qui place le pays au cinquième rang sur le continent. En 1994, on a noté que l’un des indicateurs les plus significatifs des mutations intervenues dans le domaine de l’éducation supérieure concerne le processus spectaculaire de féminisation. Il se traduit par une proportion de 58% de femmes parmi les étudiants universitaires. Depuis mars 1997, l’Ecole aéronautique militaire compte huit femmes parmi ses élèves. En Amérique latine, l’Uruguay est le troisième pays à incorporer des femmes dans la formation de pilotes militaires. Le pourcentage de la population féminine active dans les zones rurales a augmenté de près de 5% de 1975 à 1995. Plus de la moitié des femmes âgées de 35 à 64 ans qui travaillent dans les zones rurales sont membres de la famille propriétaire de l’exploitation où elles résident. La majorité des travailleuses figurent au titre de propriété de la terre mise en exploitation. Le chômage est plus fréquent chez les femmes que chez les hommes. Alors que 10,2% de la population active se trouve au chômage, la proportion est de 12,1% pour la population féminine active. Un décret adopté en 1997 a rendu illégal et passible de peine tout comportement de l’employeur qui implique l’application de critères de sélection violant le principe de non-discrimination fondée sur le sexe en matière d’emploi.
Dans le domaine de la violence contre la femme, la loi introduit dans l’ordre juridique uruguayen la notion de «violence familiale». La peine prévue est de 24 mois de prison et peut être majorée d’une durée allant d’un tiers à la moitié si la victime est une femme. Pour ce qui est de la prévention de la violence familiale, l’Institut national de la famille a lancé un programme national de prévention de la violence familiale qui élabore un plan de formation de fonctionnaires qui, de par leur fonction, s’occupent des victimes de la violence. Un bureau a été crée dont la mission est ciblée sur l’assistance et l’enquête scientifique sur les victimes et la formation policière.
Concernant la santé, et notamment la grossesse des adolescentes, une étude dans l’hôpital pédiatrique le plus important de la capitale a indiqué que 73% des adolescentes examinées avaient entre 16 et 17 ans, et 6,6% moins de 14 ans. Soixante et un pour cent avaient achevé l’enseignement primaire, 2% l’enseignement secondaire. Pour 92% d’entre elles, il s’agissait de la première grossesse, pour 7% de la deuxième et pour 1% de la troisième. Les femmes âgées entre 15 et 44 constituent la catégorie la plus touchée par le virus VIH/sida, l’incidence maximale étant observée entre 20 et 24 ans. Une Commission nationale du sida a été récemment créée. Le cancer du sein constitue la cause de mortalité par cancer la plus importante chez les femmes: on estime à 23% du total des décès attribuables au cancer. Un programme de lutte a été lancé en 1990, un système d’enregistrement centralisé des cas a été mis en place, et deux centres de référence de grande qualité ont été créés pour disposer de données fiables. Les mesures de détection précoce sont les plus efficaces mais la prévention a pour l’instant une portée limitée parce qu’on ignore l’agent responsable de ces cancers. La population menacée se compose de toutes les femmes du pays âgées de 35 à 65 ans, soit quelques 520 000 personnes. Le Ministère de santé publique octroie un carnet d’assistance gratuite dans tout le pays aux personnes dont les revenus ne dépassent pas deux salaires minimum nationaux (environ 180 dollars). Le carnet subventionné donne droit à une réduction de 60% sur le tarif des services. Il est délivré aux personnes dont les revenus se situent entre 3 et 10 salaires minimums. Les soins donnés par l’Etat à la mère et à l’enfant sont entièrement gratuits, indépendamment des revenus de la mère.
Liste des questions établies par le Groupe de travail présession (CEDAW/PSWG/2002/CRP.1/Add.1)
Les questions posées par les experts portent sur la constitution, la législation et les institutions uruguayennes, les mesures temporaires spéciales, notamment celles qui sont prises pour encourager la participation des femmes à la vie politique et publique. D’autres interrogations portent sur la violence à l’égard des femmes, qu’il s’agisse de la répression du viol des mineurs ou des programmes de lutte contre la violence dans la famille, des poursuites judiciaires pour les violences sexuelles, et l’inceste. Les autres domaines abordés sont l’éducation et l’emploi, en particulier la ségrégation horizontale en matière d’emploi des femmes, les écarts de salaire et le faible nombre de femmes cadres. En ce qui concerne la santé, les experts souhaitent connaître les mesures prises visant à prévenir le VIH/sida, les grossesses d’adolescentes, les décès dus au cancer du sein chez la femme. D’autres thèmes, liés à l’état civil et au mariage, comme les raisons de la différence de l’âge légal du mariage entre les femmes et les hommes, ou la condition des femmes appartenant aux minorités font aussi l’objet de questions de la part des experts.
Présentation de l’Etat Partie
M. FELIPE PAOLILLO, Représentant permanent de l’Uruguay auprès des Nations Unies, a rappelé que son pays avait toujours soutenu les conventions des Nations Unies relatives aux droits de l’homme et avait été l’un des premiers pays à adhérer aux protocoles facultatifs quand ils existaient. L’un des points faibles de cette présentation, a indiqué le représentant, tenait au fait que le Gouvernement n’avait pas été en mesure de dépêcher une délégation de la capitale en raison de la crise économique de ces dernières semaines. L’Uruguay est l’une des premières victimes de cette crise en raison des liens économiques étroits qu’il entretient avec l’Argentine.
Mme SUSANA RIVERO, Représentante permanente adjointe de l’Uruguay, a indiqué que son pays avait l'intention d'envoyer un représentant ayant des compétences directes en matière de discriminations à l’égard des femmes, mais les restrictions budgétaires ne l'ont pas permis. La crise économique de 2001 due à l'apparition de la fièvre aphteuse, et qui a engendré des pertes considérables pour le pays, a été suivie d'une autre crise due aux difficultés du principal partenaire économique de l'Uruguay, l'Argentine.
En relisant le rapport initial de l'Uruguay présenté en 1985, Mme Rivero a souligné l'évolution constante et les véritables progrès accomplis dans la concrétisation réelle des droits de la femme. Au niveau gouvernemental, il y a eu la création de l'Institut national de la famille et de la femme, la mise en place d'une Commission des droits de la femme, et d'une Commission tripartite sur l'égalité des chances. La lutte contre la discrimination dans le travail, la constitution d'une Commission interministérielle, la modification des législations pour améliorer la situation de la femme enceinte dans le secteur privé ont aussi marqué la période considérée par le présent rapport. Des programmes de santé ont aussi été lancés.
Le Parlement a créé une Commission des droits humains de la femme et une Commission sur les questions de sexospécificité. Sur le plan local, la municipalité de Montevideo a mis en place une Commission de la femme, et des initiatives identiques ont suivi dans d'autres localités. En outre, un effort de sensibilisation a également été entrepris. Un poste de médiateur a été créé dans le cas d'interruptions volontaires de grossesse. Le Programme d’action de la Conférence des Nations Unies sur la population et le développement, tenue au Caire en 1994 et la Plate-forme de Beijing de 1995 ont été mis en oeuvre par les autorités compétentes uruguayennes. L’Uruguay a ratifié un certain nombre d’instruments juridiques, notamment le Protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.
Pour les femmes de l'Uruguay, les progrès réalisés ne sont pas suffisants. Il est plus important que jamais, à ce stade, que les organisations internationales agissent pour qu'elles présentent des directives permettant au pays d'atteindre plus facilement les objectifs fixés. Les actions des ONG internationales et nationales jouent aussi un rôle très important. Les allocations budgétaires à l'Institut national de la famille et de la femme demeurent insuffisantes. La plupart des tâches sont dans un certain nombre de cas réalisées grâce à l'aide de ces ONG, qui apportent parfois leurs propres ressources. Leurs analyses ont permis de disposer de données concrètes, indispensables pour établir un bilan des progrès réalisés. Même s’il reste beaucoup à faire, nous sommes sur la bonne voie, a indiqué la représentante.
Dialogue avec les experts
Mme AIDA GONZALEZ MARTINEZ, experte du Mexique, a félicité l’Uruguay pour sa ratification du Protocole facultatif à la Convention en soulignant le rôle actif des pays d’Amérique latine dans l’entrée en vigueur du Protocole. Cette nouvelle ratification ne fait que confirmer le fait que l’Uruguay souhaite promouvoir les droits de l’homme en général et les droits de la femme en particulier. C’est la raison pour laquelle, je suis surprise du manque de clarté de l’analyse énoncée dans les rapports, a-t-elle déclaré. La structure même du document est confuse et ne permet pas de comprendre la situation. Nous comprenons les difficultés auxquelles vous êtes confrontés et nous vous félicitons pour le niveau très élevé en matière d’éducation obtenu par les femmes. En même temps, il semble qu’il y ait un manque de volonté politique pour que toutes les lois relatives à l’égalité deviennent une réalité et soient vraiment appliquées. Le rapport ne fait pas état de la mise en oeuvre de ces lois et des progrès auxquels elles ont contribué. Il semble qu’il n’existe pas d’égalité de facto. Il faut que les engagements pris dans le cadre de la Conférence sur la population et le développement du Caire et de la quatrième Conférence sur les femmes de Beijing soient réellement respectés. Les plans d’action doivent être appliqués. De l’avis de l’experte, la Convention n’est pas pleinement appliquée en Uruguay. Deux autres éléments du rapport ne sont pas satisfaisants. Le code civil indique qu’un enfant né de mère célibataire est considéré comme un enfant naturel, ce qui est un concept choquant. Le nom de cet enfant sera choisi au hasard comme à la loterie. Ce n’est même pas la mère qui choisit le nom. Y-a—t-il une différence de traitement entre les enfants nés hors mariage et ceux nés dans le cadre du mariage. Il faut absolument changer les stéréotypes, notamment pour ce qui est de la prévalence de la violence à l’égard des femmes qui véhicule l’idée selon laquelle les femmes sont inférieures à l’homme.
Mme IVANKA CORTI, experte de l’Italie, a dit comprendre les difficultés que connaît l’Uruguay tout en exprimant sa déception quant au fait que la délégation n’ait pas pu se déplacer à New York. Elle a félicité l’Uruguay pour son rôle de pionner en matière des droits de la femme. L’Uruguay a en effet été à l’avant-garde des efforts en faveur du droit de vote des femmes acquis en 1932 et de la reconnaissance de leur droits civiques qui a eu lieu en 1946, précédant ainsi de nombreux pays européens. Même si le pays a connu une période de dictature militaire, il semble que le processus égalitaire dans le pays n’avance pas très vite. L’experte a par ailleurs constaté de nombreux changements au sein des mécanismes nationaux et elle s’est demandée quelles en étaient les raisons.
Elle a exprimé ses doutes au sujet de l’efficacité des structures chargées de la promotion des questions féminines. Quels sont les critères qui président au choix des responsables de ces organes, quelle est l’influence des ONG au sein de ces mécanismes? Les rapports de l’Etat Partie et les réponses à nos questions qui ont été publiées dans un document de travail présession ne permettent pas de comprendre l’objectif et la stratégie du Plan d’action en faveur des femmes. La politique d’intégration des sexospécificités n’est pas non plus très claire. En revanche, elle a félicité l’Etat Partie pour les efforts déployés dans le domaine de l’éducation, insistant toutefois sur la nécessité d’éliminer les stéréotypes, domaine où peu de choses ont été accomplies. S’agissant des réformes juridiques, il semble qu’il y ait eu beaucoup de projets de loi présentés au Parlement. Sur les 58 projets de loi présentés, seuls 13 ont été adoptés, reflétant un progrès lent dans le domaine législatif. La loi relative à la violence domestique n’est pas non plus très claire. En plus, cette loi reprend un grand nombre de notions diverses comme les handicapés et les mineurs. Je crains que cette loi ne puisse correspondre à l’objectif d’un texte législatif efficace sur la violence domestique. Le rapport ne précise pas la situation des femmes sur le marché du travail, notamment dans le contexte de la crise économique. Quel est le rôle des syndicats en matière de lutte contre la discrimination? Mme Corti s’est dite surprise de constater qu’en cas de viol, l’auteur du viol n’est pas poursuivi s’il accepte d’épouser sa victime.
Mme MARIA YOLANDA FERRER GOMEZ, experte de Cuba, a regretté que le Comité n’ait pu bénéficier de la présence d'un représentant de l'Institut uruguayen de la famille et de la femme. Les informations contenues dans les deuxième et troisième rapports combinés ne sont que partielles, et les directives du Comité ne sont pas respectées. En dépit de certaines mesures prises par le Gouvernement uruguayen, comme la ratification du Protocole facultatif à la Convention, on constate un grand écart entre l'adoption de mesures législatives et la mise en oeuvre de la Convention. Il faut intégrer dans la législation nationale une série de nouvelles règles et modifier les lois existantes pour qu'elles soient conformes à la Convention. Notant que le document présenté par l’Uruguay donne peu d'informations sur le travail de l'Institut national de la femme et de la famille, l’experte a demandé si cet Institut fait partie intégrante du Ministère de la Culture, ou s’il est placé sous son autorité. Quels sont les résultats du travail accomplis par cet Institut? Elle a souhaité plus de précisions sur l'action en faveur des femmes lancée à Montevideo. Concernant le rôle des ONG, l'experte a constaté qu il n'y a pas d'échanges de consultations prévues avec les ONG pour connaître leurs suggestions à propos du rapport. Il n'y a pas assez d'informations sur les mesures visant à modifier les attitudes socioculturelles afin d'éliminer les préjugés. Il faudrait prévoir un plan d'action systématique qui permettrait de sensibiliser les hommes et les femmes sur les problèmes de discrimination. Vous n'avez pas parlé de remplacer les manuels scolaires contenant des stéréotypes, a-t-elle fait observer, tout en souhaitant savoir si des programmes axés sur l’égalité entre les sexes, autre que les projets pilote ciblés, ont été élaborés. Concernant l'emploi, la discrimination continue d'exister, même si les femmes bénéficient d'une éducation élevée. Elles occupent souvent des emplois dans le secteur des services, femmes de ménage ou autre, et leur rémunération est inférieure à celle des hommes -soit 75% du salaire des hommes-, ce qui est une véritable violation des dispositions de la Convention, elles ne reçoivent que 75% du salaire des hommes. Y a-t-il des programmes pour les femmes âgées, qui constituent 33% du pourcentage des femmes.
Mme CHRISTINE KAMPALA, experte de République-Unie de Tanzanie, a indiqué que le fait de ne pas avoir parlé de l'article 4 de la Convention (mesures spéciales) dans le rapport est une lacune. Il permet, s'il est appliqué d'atténuer les difficultés. Des recommandations ont été faites sans toutefois être contraignantes, quelle est alors leur utilité s’est-elle interrogée? Répondant aux questions des experts, Mme RIVERO a reconnu que le document présenté ce matin n’expliquait pas l'absence de précisions sur les mesures spéciales prises au titre de l’article 4 de la Convention, ni sur la participation des femmes uruguayennes à la vie politique et publique. Concernant les mesures temporaires spéciales, rien n’a permis de constater que leur application pouvait constituer une solution. Il est vrai qu'il y a une très faible participation de femmes aux niveaux politique et syndical; cela ne signifie pas pour autant qu'il y ait une discrimination institutionnelle.
D'autres valeurs que la législation entrent en compte, notamment les traditions culturelles et la multiplicité de rôles joués par la femme. Ce sont en effet souvent les femmes qui s'occupent de la famille en Uruguay, et qui, de ce fait, sont peu disponibles. Au niveau politique, le représentante a rappelé qu'il n'y a que des hommes, les procédures suivies sont essentiellement masculines et il est très difficile pour la femmes de s'intégrer mais des changements sont en cours, a-t-elle assuré. Dans l'administration publique, les femmes sont plus intégrées qu'avant, ce qui montre leur niveau d’éducation très élevé. Pour ce qui est de l‘application de l’article 7 de la Convention, relatif à la vie politique et publique, la Constitution de l'Uruguay prévoit dans son article 77 que tous les citoyens sont éligibles et peuvent exercer toutes les fonctions publiques. La femme a eu le droit de vote pour la première fois en 1938 et a pu l'exercer librement. Concernant la mise en oeuvre de la Plate-forme de Beijing, aucun plan d'action national n'a effectivement été élaboré. On pensait en effet à l'époque que l'Institut national de la famille et de la femme faisait déjà le travail qui aurait été réalisé par un plan national, c'est pourquoi aucun plan n'a été élaboré. L'Institut a d'ailleurs parfaitement intégré ce qui figurait dans la Plate-forme de Beijing. L’Institut national a été créé par le Ministère de la culture et y est rattaché. Il est cependant indépendant dans son fonctionnement, multidisciplinaire et est composé de fonctionnaires issus de plusieurs secteurs, ainsi que de femmes sénateurs et députés. Les différents intérêts y sont représentés
Faisant référence à la violence à l'égard des femmes, la représentante a indiqué qu’un nouveau projet de loi vient d’être approuvé par le Parlement. Il doit être examiné par le Sénat avant que son adoption ne soit définitive peut-être au cours de l'année. L'inégalité salariale est une réalité mais elle n'est pas du tout institutionnelle et concerne seulement le secteur privé. La discrimination salariale a fréquemment lieu à cause d'une tradition culturelle, les femmes sont entrées dans la vie active beaucoup plus tard. Les ONG de défense des droits des femmes, composées de membres très compétents, sont très puissantes.
Reprenant la parole, M. PAOLILLO a expliqué que les dispositions de la loi sur le nom des enfants naturels, adoptée lors de la dictature en Uruguay, partaient d’une bonne intention afin d’assurer l’égalité et empêcher toute discrimination à l’égard des enfants naturels. Le représentant a expliqué que le registre de l’état civil comporte le nom patronymique du père mais également celui de la mère. Dans le cas d’un enfant né d’une mère célibataire, un seul nom de famille figurait sur les registres. L’enfant naturel n’est pas considéré comme inférieur à l’enfant légitime.
Mme RIVERO a ajouté que la loi relative au viol était un reliquat du passé. C’est le juge qui apprécie la situation et éventuellement acquitte le responsable. Il n’y a pas eu de proposition à ce sujet car il s’agit de lois anciennes qui ne sont plus appliquées. Dans le domaine de l’éducation, la représentante a expliqué qu’il n’était pas aisé de revoir les manuels, notamment pour y intégrer l’éducation sexuelle dans les classes de secondaire, en raison des mentalités de la société uruguayenne. Elle a expliqué par ailleurs que le rapport avait été compilé par différents services gouvernementaux, ce qui peut expliquer son manque de cohésion. Mme MARY SERENO, membre de la Mission permanente de l’Uruguay auprès des Nations Unies, a expliqué que l’Institut national de la famille et de la femme a organisé des ateliers et campagnes de sensibilisation à la violence au sein de la famille. Il existe également des campagnes de sensibilisation visant à éliminer la discrimination dans les modes de pensée.
Mme CHARLOTTE ABAKA, experte du Ghana et Présidente du Comité, s’est dite préoccupée par le fait que le taux de grossesse chez les adolescentes a profondément augmenté chez les filles âgées entre 10 et 19 ans. On estime à 70% le taux des adolescentes enceintes qui sont des mères célibataires, en dépit des préservatifs distribués gratuitement. Ceci est extrêmement préoccupant car cela montre que les enfants enfantent des enfants. Elle a également demandé des précisions au sujet de la minorité noire du pays. Mme FRANÇOISE GASPARD, experte de la France, a dit comprendre les difficultés que connaît l’Uruguay et a expliqué que, pour ces raisons, elle se limitera à des considérations générales. La structure du rapport rend difficile l’analyse de la mise en oeuvre de la Convention dans la mesure où celui-ci n’est pas conforme aux procédures d’établissement des rapports. Il semble que les difficultés qui apparaissent dans le rapport sont liées à la faiblesse des mécanismes responsables de la mise en oeuvre de la Convention et des engagements pris à Beijing. Ce qui importe c’est non pas tant les ressources financières mais la place que ces mécanismes occupent dans la politique gouvernementale. Une part de la population active nécessite la mise en place d’une politique forte afin d’éviter les inégalités de salaires et pour faire en sorte que le travail salarié féminin s’accompagne d’un partage plus équilibré des rôles dans la vie familiale. L’experte a précisé que l’adoption de mesures affirmatives ne sont pas nécessairement coûteuses.
Pour sa part, Mme FATIMA KWAKU, experte du Nigéria, a félicité l’Uruguay pour avoir ratifié en un temps record le Protocole facultatif à la Convention. Elle a demandé si le Gouvernement avait lancé des campagnes d’information visant à faire prendre conscience les femmes de leurs droits et notamment celui que leur confère le Protocole. Mme SAVITRI GOONESEKERE, experte du Sri Lanka, a jugé impressionnantes les réalisations dans le domaine du travail tout en relevant l’absence de concordance dans d’autres domaines d’activités comme en matière de justice. Elle a plaidé en faveur de mesures temporaires spéciales pour pallier à ces lacunes. Elle a également suggéré à l’Etat Partie de renforcer le principe de l’égalité des sexes dans la Constitution qui ne comprend pas de définition de la discrimination fondée sur le sexe. Le droit n’est pas clairement exprimé et les mesures ne sont pas vraiment applicables. Il serait utile de lancer également des campagnes de sensibilisation sur les moyens de recours dont disposent les femmes. Elle a par ailleurs souhaité des informations sur les mariages précoces.
Mme RIVERO a indiqué que, jusqu'à présent, la situation de la femme n'avait pas exigé l'application de l’article 4 de la Convention relatif aux mesures spéciales. Peut-être faudrait-il y avoir plus souvent recours, a estimé la représentante. Concernant les préservatifs, elle a indiqué qu’il existe un programme d'éducation sexuelle et un programme baptisé «paternité responsable et maternité choisie», qui met l'accent sur l'utilisation des préservatifs et autres moyens de contraception. Cela dit, ce n'est pas la religion mais la culture qui joue un rôle très important en Uruguay. Les jeunes ont des relations sexuelles beaucoup plus tôt qu'auparavant. On s'est rendu compte qu'il y avait une diminution de la grossesse chez les adolescentes à la suite du lancement certains programmes.
Concernant les minorités, la représentante a déclaré que les autorités du pays ne se rendaient pas compte de l'existence d'un tel problème en Uruguay, car il n'y avait pas de statistiques, et les recensements n'avaient pas tenu compte de l'appartenance ethnique jugeant qu'il s'agissait d'une discrimination. Des instruments ont été mis en place afin d'obtenir des données claires et l'on peut maintenant quantifier ces groupes minoritaires. Ils ne sont pas intégrés car ils n'ont pas eu accès au système d’éducation et appartiennent aux groupes sociaux les plus faibles de la société, ce qui constitue un cercle vicieux. C'est aujourd'hui un sujet de préoccupation pour l'Etat. Il existe une prolifération d'Instituts s'occupant des femmes, ce qui constitue finalement une faiblesse dans la mesure où cela donne lieu à un manque de coordination et ne contribue pas à régler les problèmes. L'Institut national de la famille et de la femme est chargé de cette coordination. Les deux commissions parlementaires ont un lien avec le réseau de femmes politiques, qui couvre tout le pays et qui essaye de diffuser tout ce qui est exprimé par le Parlement. Les lois adoptées et promulguées sont publiées dans le journal officiel. Pour ce qui est de la magistrature et des carrières juridiques, il y a eu une intégration des femmes puis l'entrée en grand nombre de celles-ci, sauf aux postes élevés.
M. PAOLILLO a indiqué, pour sa part, que le nombre des femmes juges reste faible. On se rend compte qu'il y a de moins en moins de femmes au fur et à mesure qu'augmentent les responsabilités. Les femmes, à un moment ou à un autre, quittent la profession de façon volontaire, car il est souvent très difficile de concilier les rôles de femme active et de mère de famille. Mme RIVERO a ajouté, concernant l'âge minimum du mariage, que les dispositions dans la loi remontent à très longtemps et préoccupent le Gouvernement. Il y a eu un débat à ce sujet. Le nombre croissant de grossesses a aussi fait réfléchir les responsables uruguayens qui ont, aujourd'hui, pour objectif de faire diminuer le nombre de grossesses d'adolescentes et de renforcer l'éducation sexuelle. La sensibilisation dans ce domaine a sans doute été insuffisante, a noté Mme Rivero.
L’experte de l’Afrique du Sud, Mme MAVIVI MYAKAYAKA-MANZINI, a demandé de préciser les traditions et pratiques culturelles qui existent dans le pays, ainsi que les mesures prises afin de modifier ces comportements culturels. Concernant la participation des femmes à la vie publique et dans les processus de prise de décisions, très peu de choses ont été accomplies, a-t-elle noté, appelant le Gouvernement uruguayen à redoubler d'efforts pour s'attaquer à cette question. S'il n'y a pas de majorité critique dans le pays, il n'y aura personne pour prendre de réelles décisions.
Mme MARIA REGINA TAVARES DA SILVA, experte du Portugal, a dit ne pas comprendre les actions et mandats des mécanismes concernés par l’égalité entre l’homme et la femme. Elle a rappelé que ces mécanismes doivent se situer au plus haut niveau gouvernemental. Elle a relevé la persistance des stéréotypes dont l’un des indicateurs est la répartition inégale des tâches domestiques comme le montrent les statistiques fournies dans le rapport. Elle a également signalé la contradiction entre le niveau d’éducation élevé et celui, faible, de la représentation des femmes dans la vie politique ainsi que le fossé qui sépare les salaires des hommes et des femmes. Par ailleurs, il est difficile de comprendre que le viol, qui est une violation de l’intégrité de la personne, peut être racheté ou pardonné par le mariage. Mme AYSE FERIDE ACAR, experte de la Turquie, s’est dite impressionnée par la ratification du Protocole facultatif à la Convention et le haut niveau d’éducation des femmes tout en exprimant sa préoccupation quant aux stéréotypes culturels et à la discrimination qui persistent dans les textes de loi. Elle a demandé des précisions sur l’avortement, notant que pour des questions d’honneur l’on peut obliger la femme à avorter sans son accord. Cette disposition est une violation des droits de la femme en matière de reproduction. L’experte a également demandé des précisions sur la loi relative au mariage qui fixe l’âge minimum du mariage pour la fille à 12 ans et à 14 ans pour les garçons.
Mme HEISOO SHIN, experte de la République de Corée, a estimé que la loi sur la sécurité des citoyens ne traite pas l’ensemble des aspects liés à la violence domestique et souhaité que le projet de loi sur ce sujet comble ces lacunes. Elle a en outre contesté le rôle de médiateur confié à la police dans les cas de violence domestique. L’experte a également exprimé des doutes au sujet de la lecture des statistiques faite par l’Etat Partie et selon laquelle la violence dans les foyers est liée à un faible pouvoir économique. Cette interprétation signale un modèle de comportement stéréotypé car la violence se produit dans toutes les couches de la société.
Mme ROSARIO MANALO, experte des Philippines, a exprimé sa déception devant le rapport plutôt affligeant, pas du tout à la hauteur des directives de la Convention et s'est dite plus déçue encore par le degré de mise en oeuvre des recommandations du Comité. Elle a demandé dans quelle mesure la déclaration de principe sur la séparation entre l'église et l'Etat correspond à la situation concrète du pays. Y a-t-il des forces conservatrices, comme par exemple le mouvement fondamentalisme, l'OPUS DEI, dont l'influence est assez importante pour anéantir l'application de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes? Elle s'est dite choquée par la réponse de la représentante de l'Uruguay quand cette dernière a affirmé que personne, dans son pays, ne souhaite modifier les anciennes législations du passé. Les sociétés sont dynamiques et l'évolution de la législation fait partie intégrante de l'évolution de société, a fait remarquer l'experte qui est d'avis que les politiciens uruguayens insistent pour ou contre l'adoption d'une loi selon leurs propres intérêts. Elle a estimé que les lois sur l'avortement sont un affront à la dignité de la femme, les politiques de planification familiales sont pratiquement inexistantes, aucune mesure n'a été prise en faveur des femmes. Tout votre rapport est composé de mots vides à l'image du sérieux que vous accordez à la discrimination fondée sur le sexe! C'est un échec total, a estimé l’experte.
Mme HANNA BEATE SCHOPP-SCHILLING, experte de l’Allemagne, a indiqué que le Comité ne disposait pas du quatrième et cinquième rapports qui auraient dus être présentés en 1998. Par la ratification de la Convention, les gouvernements sont tenus à mettre en action ses dispositions. C'est le Gouvernement qui est le principal responsable de l'absence de révision juridique. L'experte a aussi rappelé que la Convention vise la réalisation de l'égalité de fait entre les hommes et les femmes. Or il n'y a aucun effort visible du Gouvernement dans le rapport. Les ONG en Uruguay demandent certainement la mise en oeuvre de la Convention, le Gouvernement doit les entendre et l'experte s'est demandée si la volonté politique existe réellement. Si c'est le cas, il aurait examiné de très près pourquoi l'Institut n'a pas élaboré de plans. Ce n'est donc pas l'Institut qui est responsable, mais le Gouvernement. D'autre part, 26% des foyers en Uruguay sont dirigés par les femmes or il n'y a aucune information sur ces femmes, sur les pensions aux femmes divorcées, le logement, le niveau d'éducation. L’experte a rappelé que le sixième rapport doit être présenté cette année en 2002. Pour ce qui est de la différence des salaires, elle a demandé si le Gouvernement uruguayen a réellement la volonté politique de régler ce problème car le bien-être économique dépend de l'égalité de la rémunération entre les hommes et les femmes. Mme GOONESEKERE, a demandé, si les grossesses précoces ont lieu à l'intérieur ou hors du mariage.
Répondant aux questions des experts, Mme RIVERO a reconnu la persistance des stéréotypes. Pour ce qui est du viol, l'Uruguay est un pays qui a eu une législation de pointe à un moment donné, mais qui n’a pas progressé. La société n'a en fait donné aucune manifestation de désir de changement. Les agissements de la police interviennent dans l'urgence et ne sont pas adaptés à la problématique de la violence dans les foyers. Une solution à ce type de violence peut être le divorce, dont le taux est très élevé en Uruguay. Des cabinets dans les universités de droit peuvent aussi donner des conseils juridiques. La représentante a fait valoir la sincérité de ses réponses qui ne reflètent pas son avis personnel. Mme ZELMIRA RAGAZZOLI, experte d'Argentine, a invité instamment au nom du Comité la représentante à transmettre ses recommandations au Gouvernement uruguayen et a demandé que les rapports suivants contiennent plus de statistiques afin de bien montrer les répercussions des décisions du Gouvernement.
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