DSG/SM/183

LA VICE-SECRETAIRE GENERALE EVOQUE LES «CONCEPTS DOMINANTS» EN MATIERE DE POLITIQUES DU DEVELOPPEMENT

10/12/2002
Communiqué de presse
DSG/SM/183


                                                            DSG/SM/183

                                                            10 décembre 2002


La Vice-Secretaire generale evoque les «concepts dominants» en matiere de politiques du developpement


On trouvera ci-après l’allocution que la Vice-Secrétaire générale, Louise Fréchette, a prononcée à Washington, le 9 décembre, lors du séminaire annuel d’InterAction organisé à l’intention des directeurs généraux:


Il y a quelques années, j’ai prononcé une allocation sur le développement, dans laquelle j’ai retracé l’historique de ce que j’appellerais les « concepts dominants » en matière de politiques du développement. Après avoir mis l’accent sur les infrastructures, dans les années 50 et 60, nous sous sommes concentrés sur les besoins fondamentaux, dans les années 70. Puis, comme chacun le sait, l’« ajustement structurel » – à savoir, notamment, l’assainissement des grands paramètres – est devenu le Saint-Graal.


Les politiques actuelles de développement s’articulent autour d’un nouvel ensemble de « concepts dominants ». J’en aborderai aujourd’hui quatre :


•Les objectifs de développement énoncés dans la Déclaration du Millénaire;


•La cohérence;


•L’appropriation nationale; et


•Les partenariats.


Je voudrais partager avec vous quelques réflexions concernant ces quatre concepts, notamment la manière dont ils interviennent dans l’action de l’Organisation des Nations Unies et les défis qu’ils nous posent à tous.


Les objectifs de développement énoncés dans la Déclaration du Millénaire


Je voudrais commencer par les objectifs du Millénaire en matière de développement. Je dois d’abord avouer que, lorsque le Secrétaire général a décidé de mettre en évidence, dans son Rapport du Millénaire, un certain nombre d’objectifs de développement tirés d’une décennie de conférences internationales, nous ne nous attendions pas à ce que pratiquement toutes les interventions relatives au développement en fassent désormais état.


Les objectifs du Millénaire ne font pas l’unanimité. Certains les trouvent trop simplistes. D’autres s’inquiètent du fait que l’on fait la part trop belle aux problèmes des pays les moins avancés et qu’on n’accorde pas suffisamment d’attention aux réformes qui s’imposent dans le domaine de la gouvernance économique internationale.

Je voudrais souligner que les objectifs du Millénaire ne sont pas censés rendre compte de la problématique du développement dans son ensemble. Ils ne sont pas non plus supposés constituer le seul cadre de mise en oeuvre des programmes de développement. Ce sont des extrants et non des intrants. Ce sont des étalons de mesure des progrès accomplis, qui ne proposent guère d’éclairage sur la manière dont ces progrès ont été réalisés.


Cela étant, je crois que les objectifs du Millénaire sont un outil exceptionnel de mobilisation des énergies à la fois au Nord et au Sud. Dans la mesure où ils sont concrets, quantifiés et assortis d’un calendrier précis, ils peuvent être facilement compris de tous, susciter l’engagement et inspirer l’action.


L’ensemble du système des Nations Unies, y compris les institutions de Bretton Woods, a adopté les objectifs du Millénaire qu’il intègre dans ses instruments de planification à l’échelle des pays, notamment les Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté. Il révise les priorités définies en matière de programmes afin qu’elles puissent concourir à la réalisation des objectifs du Millénaire.


En outre, nous avons lancé le Projet du millénaire, dont la conduite a été confiée au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et à Mark Malloch Brown. Ce projet comporte trois volets.


Le premier volet est constitué d’une série de rapports périodiques établis aux niveaux mondial, régional et national et destinés à analyser les progrès accomplis. Dix-neuf rapports nationaux ont déjà été établis, 50 autres étant encore en cours d’élaboration.


Le deuxième volet est le projet de recherche, qui est dirigé par le professeur Jeffrey Sachs et qui, en faisant appel au meilleur potentiel intellectuel disponible au Nord et au Sud, devrait permettre d’inscrire les objectifs dans des politiques de développement et d’aboutir à des résultats concrets.


Enfin, le Secrétaire général a chargé la très dynamique Eveline Herfkens, ancienne Ministre des Pays-Bas chargée de la coopération pour le développement, de diriger une campagne de promotion des objectifs du Millénaire, étant donné qu’un appui public résolu sera essentiel à la réalisation des objectifs du Millénaire. Durant les 13 années à venir, nous devrons garder ces objectifs sur le devant de la scène si nous ne voulons pas qu’ils subissent le même sort que tant d’autres engagements et plans d’action.


Point n’est besoin de rappeler que les organisations non gouvernementales (ONG) ont un rôle important à jouer vis-à-vis des objectifs du Millénaire, en ce qui concerne les activités, les politiques et le plaidoyer. Si nous voulons aboutir à des résultats concluants d’ici à 2015, tous les acteurs du développement devront garder le cap et oeuvrer dans le même sens.


Je voudrais saisir cette occasion pour lancer un appel spécial concernant l’objectif numéro six, relatif au VIH/sida. Je sais que vous partagez le sentiment d’angoisse que je ressens devant l’étendue et la vitesse de propagation de cette épidémie. Le sida détruit des sociétés. Il apparaît aussi de plus en plus clairement que l’épidémie joue un rôle de premier plan dans la crise alimentaire qui sévit en Afrique australe, puisque les pénuries alimentaires sont en partie causées par le VIH/sida et qu’à son tour l’épidémie aggrave les conséquences de la malnutrition. Faites de la lutte contre le VIH/sida une priorité car, si nous ne venons pas à bout de cette crise, qui touche des millions de personnes, toutes les autres actions entreprises pour assurer le développement resteront vaines.


Cohésion


Sur ma liste des « concepts dominants », la cohérence est peut-être le facteur le plus important, compte tenu de son incidence sur le développement. C’est aussi un élément qui interpelle tous les acteurs du développement.


Les pays donateurs reprennent trop souvent d’une main ce qu’ils donnent de l’autre. Ils ont mis beaucoup de temps à reconnaître que, dans de nombreux pays en développement, les niveaux d’endettement insoutenables empêchaient une bonne partie des investissements publics et privés de produire leurs effets. L’aide liée qui, heureusement, semble sur le déclin, a privé les pays bénéficiaires de la possibilité d’acquérir des biens et des services aux meilleurs coûts ou de renforcer leurs capacités nationales. Devant la pandémie du sida, on a compris que, sans un assouplissement du système de protection des droits sur les brevets, la plupart des pays en développement touchés par la maladie ne pourraient jamais accéder au traitement, qui constitue un volet essentiel de toute stratégie visant à maîtriser la pandémie. Par ailleurs, grâce en partie à la campagne efficace menée par Oxfam, on assiste enfin à un débat public sérieux sur les conséquences préjudiciables des subventions agricoles pour les pays en développement.


Les pays en développement doivent aussi faire face à leurs propres problèmes de cohérence. Il ne s’agit pas seulement de répartir judicieusement des ressources rares mais aussi de s’attaquer aux politiques et aux pratiques qui découragent les investisseurs et entament la confiance de la communauté des donateurs. Le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique, qui met l’accent sur la démocratie, la bonne gouvernance, le respect des droits de l’homme, le régime de droit et la volonté de lutter contre la corruption, est l’exemple type d’un schéma global qui reconnaît les liens entre les facteurs du développement et propose une stratégie cohérente.


L’Organisation des Nations Unies doit elle aussi affronter ses propres problèmes de cohérence, à la fois en matière de politiques et au niveau de ses interventions. Compte tenu de la fragmentation du système des Nations Unies, des efforts considérables devront être déployés dans le domaine de la coordination pour assurer, autant que possible, la cohérence des messages et le renforcement mutuel des interventions sur le terrain.


Sous l’égide du Secrétaire général, de nombreux progrès ont été accomplis. De nouveaux outils d’intervention au niveau des États – les bilans communs de pays, le Plan-cadre des Nations Unies pour l’aide au développement, les Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté – contribuent à une certaine harmonisation de l’action de l’Organisation des Nations Unies. Dans son dernier rapport sur la réforme, le Secrétaire général a défini les améliorations que nous souhaiterions apporter à notre coordination : l’élaboration d’une programmation concertée et la mise en commun des ressources, le renforcement de l’appui aux coordonnateurs résidents et la mise en place de bases de données communes sur les

compétences disponibles à l’échelle du système. Le Secrétaire général estime qu’à terme, nous devrions nous acheminer vers la création d’un bureau unique des Nations Unies dans les pays où nos activités sont limitées et vers des regroupements sectoriels sous la direction d’un organisme chef de file, dans les grands pays.


Les situations d’après conflit présentent un défi particulier à l’ensemble de la communauté du développement. Nous reconnaissons plus que jamais la nécessité d’aborder de manière cohérente les multiples problèmes auxquels doivent faire face les sociétés qui se relèvent d’un conflit : la sécurité, la réconciliation politique, les droits de l’homme, le rétablissement des institutions judiciaires et du régime de droit, le désarmement et la réinsertion des combattants armés, mais aussi la reconstruction, le retour des réfugiés, la création d’emplois, le rétablissement des services sociaux et bien d’autres questions encore. Le modèle de coordination d’abord mis en place en Sierra Leone, où un Représentant spécial adjoint du Secrétaire général fait office de coordonnateur général de toutes les activités que mène l’Organisation des Nations Unies sur le plan humanitaire et dans le domaine du développement, a été reproduit et renforcé en Afghanistan, ce qui, je le crois, rend plus cohérente et plus efficace l’action de l’Organisation dans ces pays.


Appropriation nationale


Si la cohérence fait appel à l’engagement de tous les acteurs du développement, le moyen le plus efficace d’assurer la cohérence de l’aide au développement à l’échelon des pays est sans aucun doute la mise en place, par les pays en développement eux-mêmes, d’un système d’administration efficace. En fait, l’importance d’une stratégie de développement dirigée par les pays concernés est tout à fait évidente. S’il est une leçon qu’il faut retenir en matière de développement, c’est que les solutions imposées de l’extérieur n’ont guère d’effet d’entraînement à long terme.


L’appropriation nationale est un principe facile à prôner mais particulièrement difficile à appliquer pour les donateurs et autres partenaires du développement. Force est d’admettre qu’à un moment ou à un autre, nous avons tous succombé à la tentation de privilégier les questions qui nous tenaient à coeur plutôt que les priorités de nos partenaires des pays en développement. Les thèmes qui font recette dans les pays donateurs bénéficient d’un financement généreux tandis que les autres questions sont négligées. Nos programmes sont trop souvent déterminés par l’offre plutôt que par la demande.


La communauté internationale déploie des efforts louables pour appliquer le principe de l’appropriation nationale en Afghanistan. Au cours de la période qui a précédé la mise en place de l’Autorité intérimaire afghane, en décembre dernier, et la conférence des donateurs qui s’est tenue à Tokyo en janvier, le système des Nations Unies, les donateurs bilatéraux, la Banque asiatique de développement et d’autres entités se sont engagés à renforcer en priorité les capacités administratives locales plutôt qu’à faire venir une multitude de fonctionnaires expatriés. Une année après, je crois que nous pouvons tout au plus nous prévaloir d’avoir partiellement réussi dans ce domaine. Sans nul doute, l’Organisation des Nations Unies, la Banque mondiale et d’autres partenaires ont de grands motifs de satisfaction, notre « empreinte » collective ayant été moindre que par le passé. Toutefois, les autorités afghanes font valoir qu’une bonne partie de l’aide est acheminée par l’intermédiaire de l’Organisation des Nations Unies, d’entités bilatérales ou d’organisations non gouvernementales plutôt que d’être directement mise à leur disposition. Ils se plaignent du fait que trop de décisions continuent d’être prises par des « hommes blancs en costumes » plutôt que par des Afghans. Si l’on peut contester ces affirmations, une chose est claire : notre objectif dans les pays en développement devrait consister à nous effacer à terme et non pas à trouver des raisons pour perpétuer notre présence.


Partenariats


Cela m’amène à mon quatrième et dernier concept dominant, à savoir les partenariats. Le partenariat n’est guère un concept nouveau. Les projets réalisés en coopération ont toujours fait partie de la scène du développement. Les organisations non gouvernementales, les universités, les gouvernements et les institutions coopèrent depuis longtemps, et souvent de manière très productive.


Le nouvel élément qui apparaît dans le monde du partenariat est la participation des entités du secteur privé. Le phénomène a suscité, à mon sens, des craintes et des espoirs démesurés.


Lorsque Ted Turner a annoncé qu’il ferait don de 1 milliard de dollars à l’ONU, beaucoup en ont conclu que le secteur privé deviendrait une importante source de financement des activités de développement. Il est vrai qu’un nombre croissant de personnes aisées ou de fondations choisissent de consacrer leurs activités philanthropiques à des causes humanitaires ou au développement à l’échelle internationale et que les contributions versées par des personnalités telles que Bill Gates ou George Soros sont loin d’être insignifiantes. Cependant, les perspectives d’un apport important de ressources nouvelles sont quelque peu restreintes et se limitent essentiellement aux États-Unis.


En ce qui concerne les entreprises du secteur privé, on ne peut guère s’attendre à ce qu’elles fournissent d’importantes contributions financières, bien que leurs apports en nature puissent présenter, dans certains cas, un intérêt certain. Les principales ressources que le secteur privé pourrait apporter au monde du développement sont les investissements et le savoir-faire.


S’agissant des craintes qu’inspire le partenariat avec le secteur privé, l’une d’entre elles peut être résumée par une formule souvent entendue au cours de la période qui a précédé le Sommet de Johannesburg : « la décharge de l’État ». Les partenariats ne peuvent pas se substituer à la responsabilité qui incombe aux États, mais ils peuvent jouer un rôle important au stade de la mise en oeuvre des projets.


L’un des résultats les plus encourageants du Sommet de Johannesburg a été l’annonce de la conclusion de quelque 220 partenariats. Il s’agit, il est vrai, d’accords non certifiés et certains de ces partenariats ne seront probablement guère que des entreprises purement emblématiques et sans lendemain. Mais d’autres présentent un véritable potentiel et pourraient servir de modèles à des initiatives futures. Il importe que nous soutenions cette dynamique et que nous veillions à ce que ces partenariats tiennent leurs promesses. Plus tôt, dans la journée, une rencontre a été organisée entre l’ONU et un certain nombre de groupes de la société civile et de représentants du secteur privé pour préciser quelques-uns de ces partenariats et définir la suite qu’il convient de leur donner.

L’autre crainte souvent exprimée est que les entreprises utilisent le partenariat à leur avantage et que, dans le cas de la coopération avec l’Organisation des Nations Unies, elles « se drapent dans le drapeau bleu ». C’est l’une des préoccupations exprimées par de nombreuses organisations non gouvernementales concernant le Pacte mondial proposé par le Secrétaire général.


J’espère que nous convenons tous de l’intérêt que présentent l’adhésion des entreprises aux neuf principes universels du Pacte mondial relatifs aux droits de l’homme, aux normes de travail et à l’environnement et l’application de ces principes dans le fonctionnement quotidien de ces entités. Le Pacte encourage les entreprises à adopter ces principes de leur propre initiative et invite les organisations non gouvernementales et les syndicats à communiquer avec les entreprises participantes et à leur rappeler leurs engagements. Les entreprises participantes sont soumises aux normes et aux règles très strictes qui régissent l’utilisation du nom et de l’emblème de l’Organisation des Nations Unies. L’avantage qu’elles tirent de leur adhésion publique au Pacte est de se voir mieux outillées pour répondre aux exigences de plus en plus fortes de l’opinion publique qui attend d’elles qu’elles se comportent en entreprises mondiales exemplaires.


Bien entendu, ce n’est pas à votre organisation que je dois prêcher les vertus du partenariat. InterAction se décrit comme étant un « facteur d’amplification », qui permet de réaliser ce qu’une organisation ne pourrait accomplir seule. En ce sens, vous n’êtes pas différents de l’Organisation des Nations Unies puisque nous jouons nous aussi un rôle de facilitation et de mobilisation plutôt qu’un rôle directement opérationnel. Vous êtes également directement intéressés par les autres questions que j’ai soulevées ce soir, à savoir les objectifs du Millénaire, la cohérence et l’appropriation nationale. Nous avons beaucoup à débattre et à apprendre les uns des autres. C’est pour cette raison que j’ai accepté votre invitation avec plaisir et que je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions et à vos observations.


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