LA VICE-SECRÉTAIRE GÉNÉRALE RAPPELLE QU’AVEC LA MONDIALISATION LE RÔLE DE L’ÉTAT DEMEURE ESSENTIEL
Communiqué de presse DSG/SM/166 |
DSG/SM/166
27 juin 2002
LA VICE-SECRÉTAIRE GÉNÉRALE RAPPELLE QU’AVEC LA MONDIALISATION
LE RÔLE DE L’ÉTAT DEMEURE ESSENTIEL
On trouvera ici le texte de la déclaration faite par la Vice-Secrétaire générale, Mme Louise Fréchette, à l’Université Carleton (Ottawa), le 15 juin :
Je suis très heureuse d’être parmi vous aujourd’hui, pour cette occasion exceptionnelle, et de me voir décerner le doctorat honoris causa de l’une des plus grandes universités canadiennes. Je tiens d’abord à féliciter les nouveaux diplômés de la faculté d’administration publique. Ce jour vous est consacré, et je suis très heureuse de saluer le travail que vous avez accompli et les services que vous allez rendre à la société, dans la carrière que vous avez choisie.
Pour moi, le choix de la fonction publique, qui je dois le dire a été accidentel, m’a appris d’abord à me fier à mon instinct. J’ai fait ce choix aussi à un moment où le gouvernement était considéré comme un élément essentiel de l’avenir de la société, en offrant une perspective exaltante, pleine de possibilités et d’idées nouvelles.
Vous allez appliquer vos compétences et vos connaissances dans un monde qui, depuis peu, a pris la pleine mesure du rôle que l’État peut jouer dans la satisfaction des besoins fondamentaux des citoyens. Après une période où il paraissait être moins un acteur du progrès qu’un obstacle à celui-ci – une période pendant laquelle nombreux étaient ceux qui étaient tentés de penser que la technologie, le libre marché et la nouvelle économie détenaient toutes les réponses – nous avons maintenant pris amèrement conscience du rôle central que joue l’État dans la satisfaction de cette condition élémentaire du progrès qu’est la sécurité.
On a rarement autant apprécié les institutions de l’État – les instances politiques, les forces de défense, les tribunaux – et leurs insuffisances ont rarement été plus largement déplorées. Comme le disait le Président d’une petite université américaine – il s’agit de Harvard – ceux qui ont gravi quatre à quatre les escaliers des deux tours jumelles, en septembre, étaient des fonctionnaires.
En bref, nous reconnaissons maintenant que certaines choses ne peuvent être accomplies que par l’État – la création des règles, la confection des politiques, le maintien de la légalité et l’assurance que les contrats seront exécutés. Cela est vrai dans les pays en développement autant que dans les pays développés. En fait, pour chaque pays où l’autorité de l’État pèse trop lourdement, il se trouve
un pays où il n’y a pas assez de « gouvernement ». Dans ce cas, la conséquence la plus fréquente est une forme de chaos et d’anarchie qui non seulement empêche durablement l’avènement de la paix et du développement, mais ouvre un terrain favorable à la prolifération de groupes violents ou terroristes.
La réponse, dans les pays en développement comme dans les pays développés, n’est pas plus ou moins d’État, mais juste assez d’État – assez pour protéger les citoyens de la violence arbitraire, pour faire adopter des règles s’imposant à tous, et pour mettre en place le cadre de société qui permette à chacun de réaliser ses espérances.
C’est pourquoi l’Organisation des Nations Unies a fait de la bonne conduite des affaires publiques un élément essentiel du travail qu’elle accomplit pour la paix et le développement. Si les affaires publiques sont mal conduites, les conséquences peuvent être désastreuses. Si le respect de la légalité fait place à l’arbitraire, si la société civile est dépouillée de toute possibilité de participer à la vie publique, si les minorités se heurtent à une discrimination tout à fait officielle, si l’État ne peut assurer la fourniture de biens collectifs fondamentaux tels que les routes, l’enseignement, la santé publique, ou si les rouages du commerce sont mus par la corruption plutôt que par le respect des contrats, l’exercice du pouvoir est pernicieux, et prive les citoyens de toute possibilité de choisir; le développement devient alors très difficile, voire impossible.
Par contraste, la bonne conduite des affaires publiques nationales ou mondiales repose sur des valeurs universelles, celles que l’on trouve dans la Charte des Nations Unies, dans toutes les grandes religions et dans les constitutions et textes fondateurs de beaucoup de pays. Ces valeurs ne sont un mystère pour personne : parmi elles figurent l’égalité, la tolérance, la dignité, la liberté, la justice et la volonté de règlement pacifique des différends. C’est pour nous tous que les affaires publiques doivent être bien conduites.
Il s’ensuit qu’un bon gouvernement doit être honnête, responsable, digne de confiance. Les institutions de gouvernement doivent être compétentes, efficaces, transparentes. L’autorité doit être décentralisée, de façon à refléter aussi étroitement que possible les besoins et les aspirations des citoyens ordinaires, hommes ou femmes. Un bon gouvernement encourage la démocratie, le respect de la légalité, le respect des droits de l’homme, depuis la liberté d’expression jusqu’à la promotion de la femme, et, à son tour dépend de ces conditions. Et surtout, le bon exercice du pouvoir doit reposer sur la volonté du peuple : sur la légitimité que lui confèrent des élections régulières, libres et honnêtes, sur la participation des électeurs aux décisions et sur la volonté de dégager un consensus dans l’ensemble de la société.
Comme je le disais au début de mon propos, j’ai fait toute ma carrière dans la fonction publique, et j’ai ainsi eu l’honneur de servir le Canada dans de nombreux emplois, avant d’assumer mes fonctions actuelles à l’Organisation des Nations Unies. Mais cela signifie aussi que j’ai pu comprendre aussi bien les limites de la fonction publique que ses atouts et les récompenses et les satisfactions qu’elle peut procurer. J’ai pu comprendre combien il était important
d’ouvrir le secteur public aux idées et à l’initiative du secteur privé et de rapprocher l’État et le secteur public du citoyen qu’ils sont censés servir. C’est pourquoi je suis convaincue qu’il faut ouvrir les portes de la fonction publique à ceux qui viennent du secteur privé, des organisations non gouvernementales et des milieux universitaires – et réciproquement.
Réinventer l’État – le rendre plus efficace, plus responsable, le rapprocher des citoyens – exige des gens énergiques et instruits comme vous. Souvenons-nous que la fonction publique ne consiste pas à aider des bureaucrates à protéger la bureaucratie. Pour bien servir l’État, les fonctionnaires doivent adhérer à certaines valeurs, s’engager, accomplir leur tâche avec soin, assumer leurs responsabilités à l’égard des citoyens qui attendent de l’État, qu’il crée les conditions favorables à la recherche individuelle de la prospérité et de la sécurité. Vous pensez peut-être : ah ah! Elle essaie de nous persuader d’entrer dans la fonction publique. Ce n’est pas ce que je dis, ou ce n’est pas seulement ce que je dis. L’État ne peut et ne doit pas tout faire. Chaque membre de la société a la responsabilité de servir l’intérêt général et dans chaque profession on peut trouver des moyens de contribuer au bien commun.
Nous vivons à une époque où les frontières de toutes sortes tombent progressivement – dans la vie culturelle, la vie politique, entre les peuples, entre tous les secteurs de la société. Il ne suffit plus de parler du secteur privé comme s’il n’avait plus aucune responsabilité dans l’évolution de la chose publique, non plus que de parler du rôle de l’État comme s’il continuait à exister sans répondre et sans s’adapter à l’énergie et à la créativité du secteur privé. À notre époque, le succès d’une société, dans une large mesure, se mesure à son aptitude à faire converger des idées empruntées au secteur public et au secteur privé, renforçant simultanément le rôle de l’État et le rôle de l’entreprise privée et de la société civile.
Cette nouvelle interprétation du rôle de l’État doit s’appliquer au niveau mondial. Avec la mondialisation, l’isolement est de moins en moins un choix possible. La coopération entre les gouvernements dans la poursuite d’objectifs communs n’a jamais été aussi importante. À ce jour, l’interdépendance – celle des peuples, des produits, des informations, des idées – signifie que de plus en plus souvent, les grandes tâches qui sont les nôtres ne peuvent plus être abordées uniquement au niveau national. De plus en plus, les forces en marche dans la vie moderne échappent au contrôle des gouvernements. C’est en commun que nous devons gérer des affaires communes – nous devons arriver à des principes communs, au moyen desquels nous pourrons aborder les grands problèmes qui se posent à tous les peuples. Dans un monde sans murs, nous ne pouvons plus penser et agir comme si seules les questions locales importaient, ou même comme si notre solidarité n’allait qu’à ceux qui habitent notre ville ou notre pays.
Cela pose de vrais problèmes non seulement aux dirigeants politiques mais aussi à tous les citoyens, et en particulier à la jeune génération. Il faut repenser la notion d’appartenance et celle de « communauté » afin de pouvoir nous intéresser au sort des peuples les plus éloignés et de partager avec eux nos richesses et nos privilèges. Cela peut paraître idéaliste, mais c’est aussi une question de réalisme bien compris.
Naturellement cela ne sera pas facile. Nous sommes tous profondément attachés à ceux qui sont le plus près de nous – notre famille, nos amis, nos concitoyens, nos compatriotes. C’est en effet beaucoup demander à ceux qui, parmi nous, ont le privilège de vivre dans le monde développé que d’inclure dans leurs préoccupations de tous les jours les habitants des pays pauvres et éloignés, et de bien comprendre que nous avons l’obligation de les aider à exercer leurs droits, à concrétiser leurs aspirations. Ou bien nous aidons les pauvres et les pays en développement dès maintenant, à la fois en vertu d’une obligation morale et d’un intérêt égoïste bien compris, ou bien nous nous trouverons obligés de le faire demain, quand leurs problèmes seront devenus nos problèmes, toutes les barrières étant tombées. Parmi d’autres terribles leçons, le 11 septembre devrait nous avoir amplement convaincus de cette vérité.
Si j’ai parlé aujourd’hui du rôle de l’État et du privilège d’appartenir à la fonction publique, ce n’est pas seulement parce que c’est la carrière que j’ai choisie. J’ai partagé avec vous certaines des idées que m’inspire le rôle de l’État dans le monde moderne, parce que je crois que la transformation de nos sociétés sous l’effet de la mondialisation a rendu l’État plus important encore que jamais, plus nécessaire à notre prospérité et à notre sécurité.
En fin de compte, cependant, la qualité de la vie, dans la société dépend non seulement du dévouement, de la motivation de ceux qui choisissent la fonction publique comme carrière, mais aussi de la volonté de tous les citoyens de respecter la chose publique et de servir l’intérêt général – qu’ils se trouvent employés dans le secteur privé, dans les ONG, ou dans les universités. Le choix en d’autres termes est le vôtre, et j’ai bon espoir que vous constaterez que servir l’intérêt général est un moyen merveilleux d’enrichir votre vie et de vous épanouir pleinement.
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