DSG/SM/156

UNE CONVENTION GLOBALE SUR LE TERRORISME INTERNATIONAL DEMONTRERAIT SANS EQUIVOQUE LA DETERMINATION DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE A COMBATTRE CE FLEAU

19/04/2002
Communiqué de presse
DSG/SM/156


UNE CONVENTION GLOBALE SUR LE TERRORISME INTERNATIONAL DEMONTRERAIT SANS EQUIVOQUE LA DETERMINATION DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE A COMBATTRE CE FLEAU


On trouvera ci-après le texte du discours de la Vice-Secrétaire générale, Mme Louise Fréchette, prononcé à Montréal le 18 avril 2002, à l’occasion de la réunion annuelle de l’Association du barreau canadien:


«Droits des personnes, droits des Etats: les enjeux et les défis de la lutte contre le terrorisme à l’échelle mondiale»


Merci, Madame la Présidente [Mme Sylvie Devito, Présidente de la Division Québec de l’Association du Barreau canadien], pour vos aimables paroles à mon égard.  Merci à la Division Québec de l’Association du Barreau canadien pour ce somptueux dîner.  Et toutes mes félicitations à Madame la Juge Louise Mailhot pour le prix qui lui a été décerné ce soir et qu’elle a bien mérité.


Permettez-moi tout d’abord de vous dire combien je suis honorée d’être parmi vous.  Madame la Présidente, vous m’avez fait grand plaisir en m’invitant à prendre la parole devant une assemblée aussi prestigieuse pour vous parler des « Enjeux et défis de la lutte contre le terrorisme à l’échelle mondiale ». 


Les terribles événements du 11 septembre ont révélé la fragilité de notre monde.  Aujourd’hui, plus personne ne peut se sentir vraiment en sécurité, et la lutte contre le terrorisme préoccupe, à juste titre, chacun d’entre nous : jeunes et vieux, décideurs politiques et simples citoyens. 


Il va sans dire que les attaques terroristes contre les Etats-Unis et leur contrecoup ont eu des répercussions importantes pour les Nations Unies : la lutte contre le terrorisme international est devenue une de nos principales priorités, et nous sommes chaque jour confrontés à ses multiples conséquences.  Dans le même temps, comme l’a dit à plusieurs reprises le Secrétaire général, Monsieur Kofi Annan, notre mandat fondamental – promouvoir la justice et la tolérance, prévenir les conflits, lutter contre la pauvreté, protéger l’environnement, prôner l’égalité des droits entre hommes et femmes – ainsi que les nouveaux défis tels que l’épidémie de sida, doivent continuer de recevoir toute l’attention qu’ils méritent.  Ces problèmes n’ont en effet rien perdu de leur urgence.  Bien au contraire, ils sont, à mon avis, plus pertinents que jamais. 


Je suis persuadée que le succès de la lutte contre le terrorisme dépendra, en dernière analyse, de notre capacité à construire une vraie communauté mondiale, capable de garantir à tous les habitants de la planète sécurité et dignité.  En ce sens, la lutte contre le terrorisme exige que nous nous battions sur plusieurs fronts, avec patience et détermination.  Il nous faut :


- mobiliser la volonté politique nécessaire et établir des normes de


- coopération à l’échelle mondiale ;


- renforcer le cadre juridique international ;


- gérer toutes les conséquences de la lutte contre le terrorisme ;


- et améliorer l’environnement mondial, je veux dire par là les conditions dans lesquelles vit la majorité des habitants de la planète.


Commençons par le premier front, celui de la volonté politique et des normes de coopération à l’échelle mondiale.


Dès le 11 septembre, les représentants des Etats Membres de l’ONU se sont mis au travail, d’abord pour exprimer leur condamnation sans équivoque et montrer leur détermination, puis pour décider de la meilleure façon dont le monde peut se protéger contre le terrorisme.


Le 28 septembre, le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité une résolution sans précédent – la résolution 1373 – visant les terroristes et ceux qui les abritent, les aident ou les soutiennent.  Cette résolution oblige les Etats Membres à coopérer dans des domaines aussi divers que la répression du financement du terrorisme, l’alerte rapide, la coopération dans les enquêtes criminelles et l’échange de renseignements sur les risques d’attentats terroristes. 


Pour suivre son application, le Conseil de sécurité a créé un Comité contre le terrorisme qui, avec l’aide d’experts, examine en ce moment les rapports soumis par les Etats Membres sur les mesures qu’ils ont prises.   Pas moins de 143 rapports lui sont parvenus à cette date. 


Il est clair que les obligations imposées par la résolution 1373 représentent un lourd fardeau pour les pays pauvres dont les ressources limitées sont déjà insuffisantes pour répondre aux besoins de base de leurs populations.  Le système des Nations Unies, par le biais de diverses agences – que ce soit l’Organisation de l’aviation civile internationale, dont le siège se trouve ici à Montréal, ou le Centre pour la prévention internationale du crime – fournit un appui aux pays en développement pour qu’ils puissent jouer leur rôle dans la lutte mondiale contre le fléau du terrorisme. 


Dans ce combat, nous n’avons d’autre choix que de coopérer.  Le grand défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est de maintenir l’unité et le consensus de septembre dernier.  Le succès ne sera possible que si la communauté internationale trouve la volonté de s’unir dans une large coalition. 


L’Organisation des Nations Unies est la mieux placée pour servir de centre de ralliement.  Elle seule peut donner une légitimité mondiale à l’action à long terme de la communauté internationale et inciter ainsi le plus grand nombre d’Etats possible à prendre les mesures difficiles, mais nécessaires, qu’exige la défaite du terrorisme. 


Cela m’amène à mon second point : la nécessité de renforcer le cadre juridique international.  


Douze conventions et protocoles relatifs au terrorisme international ont déjà été rédigés et adoptés sous les auspices des Nations Unies.  Il y a tout juste huit jours, le dernier de ces instruments est entré en vigueur.  Je veux parler de la Convention de 1999 pour la répression du financement du terrorisme, laquelle dote enfin la communauté internationale des moyens de traquer les bailleurs de fond et les commanditaires des attentats terroristes. 


Un autre instrument d’importance capitale est la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, que le Canada vient de ratifier il y a deux semaines.  Notre pays a maintenant ratifié et mis en application les 12 conventions et protocoles des Nations Unies relatifs au terrorisme.  Certains de ces instruments, comme la Convention de 1971 pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, ont été quasi universellement ratifiés, mais ce n’est pas le cas de tous.  Il est évident qu’aussi longtemps que ces conventions et protocoles ne seront pas appliqués dans tous les pays, le cadre juridique international présentera des faiblesses dont les terroristes ne manqueront pas de tirer parti.


Cela dit, pour que le cadre juridique soit complet, il nous faut encore parvenir à un accord sur une convention globale sur le terrorisme international.  Certaines questions en suspens ont empêché jusqu’ici un accord – la plus épineuse ayant trait à la définition du terrorisme.  Définir avec exactitude ce qu’est le terrorisme n’est pas une tâche aisée.  Mais, comme l’a dit le Secrétaire général, la précision juridique doit se fonder sur la clarté morale.  Aucune fin, aucune cause, aussi noble soit-elle, ne saurait en effet justifier de tels moyens. 


L’adoption d’une convention globale démontrerait sans équivoque la détermination de la communauté internationale à criminaliser une conduite qui témoigne d’un mépris total du caractère sacré de la vie et des droits humains fondamentaux.  Un tel instrument comblerait les lacunes qui pourraient exister dans les conventions sectorielles existantes.  Et grâce au renforcement de la coopération internationale qui s’en suivrait, il serait plus facile de poursuivre ceux qui seraient impliqués, directement ou indirectement, dans ces crimes haineux.


Nous devons également renforcer les normes mondiales visant à empêcher l’utilisation ou la prolifération d’armes de destruction massive, ainsi que les contrôles des autres types d’armes – armes légères, mines antipersonnel – qui peuvent être extrêmement dangereuses aux mains des terroristes.  Il nous faut aussi améliorer la protection physique des installations industrielles sensibles, dont les centrales nucléaires et les usines chimiques; et redoubler de vigilance face aux menaces des cyberterroristes.


Dans le même temps, force est de constater que la lutte contre le terrorisme a mis en lumière certaines questions fondamentales qui nous obligent à nous demander si les instruments existants sont réellement adaptés aux réalités d’aujourd’hui.  Ainsi, en matière de terrorisme, jusqu’où va le droit de légitime défense que consacre la Charte des Nations Unies et qui est réaffirmé dans la résolution que le Conseil de sécurité a adoptée le 12 septembre  ?  Dans quelle mesure les Conventions de Genève s’appliquent-elles aux terroristes ?  Les débats passionnés que continuent de susciter ces questions montrent, à mon avis, qu’il est nécessaire de poursuivre notre réflexion et notre travail de clarification afin d’adapter le cadre conceptuel mis en place dans un autre contexte à la situation qui nous préoccupe aujourd’hui.


A cet égard, je me réjouis que la Cour pénale internationale soit sur le point de devenir une réalité.  Comme vous le savez, nous avons franchi la semaine dernière le cap des soixante ratifications nécessaires à sa mise en place.  Le Statut de la Cour entrera en vigueur le 1er juillet, soit moins de quatre ans après son adoption, et la Cour devrait commencer ses travaux en 2003.  Certes, la Cour ne règlera pas les problèmes du passé, n’ayant aucune compétence rétroactive.  Et tant que tous les « grands » Etats n’y souscriront pas, sa capacité d’action restera limitée.  Mais, la création de la Cour pénale internationale n’en constitue pas moins un pas en avant très important du point de vue du développement du droit international. 


La lutte contre le terrorisme soulève également des questions épineuses au niveau national.  Depuis le 11 septembre, les gouvernements ont dû prendre diverses mesures pour mieux protéger leurs citoyens.  Mais jusqu’où peut aller le contrôle de l’Etat dans les sociétés libres et démocratiques ?  Quel prix sommes-nous prêts à payer pour notre sécurité ?  Et comment faire en sorte que les mesures de sécurité adoptées ne sapent pas les fondements de nos démocraties ? 


A ce propos, je voudrais applaudir les nombreuses interventions et démarches du barreau canadien tout au long du processus d’adoption de la Loi antiterroriste pour que celle-ci réponde au besoin de protection des Canadiennes et des Canadiens, en altérant le moins possible leurs libertés et droits fondamentaux.


Je pense comme vous que nous pouvons et que nous devons nous adapter aux nouvelles réalités sans sacrifier les droits humains et les valeurs universelles.  Si nous le faisions, nous concéderions une sorte de victoire aux terroristes.  Je ne doute pas que les sociétés ouvertes, tolérantes et démocratiques trouveront l’équilibre indispensable entre les impératifs de la sécurité et le respect des libertés civiles et des droits fondamentaux de leurs citoyens.  


I now come to my third point : the need to deal with the consequences of the fight against terrorism. 


Nowhere else is this issue better illustrated than in Afghanistan.  The defeat of the Taliban has created a new and very welcome moment of opportunity.  But we now have to deal with a country exhausted by 20 years of war, where almost nothing has been left standing, except its resilient people.  The people of Afghanistan need our help to reconstruct the institutions of the country and build the foundations of a society, reconciled with itself, turned towards a shared future and working together for the prosperity of all its members.  If we do not want Afghanistan to relapse into tribal feuds, with the risk of becoming again a harbour for terrorism, we must support these efforts. 


The United Nations has been present in Afghanistan throughout this crisis, trying to alleviate suffering and to meet the needs of a population that has had to cope with almost every privation known to mankind.  The fall of the Taliban regime has enabled us at long last to deploy to our full capacity.  For me, it has been especially moving to know that so many young girls and women are so happy about being allowed to attend school again.  To fulfill the hopes that recent events have raised will require our attention and engagement for many years.  But our investment today in the sustainable development of Afghanistan should be seen as a simultaneous investment in preventing a recurrence of the chaos and conflict of the past decades.


The fight against terrorism is also affecting the life of many other people.  The drop in tourism has had a harmful impact on the economies of some small developing countries, notably in the Caribbean.   For many poor countries, the strengthening of the security on the movement of goods has imposed an additional cost on their exports, while their fresh products are sometimes left for days at customs.  The freeze of the assets of Somalia’s biggest remittance and telecommunications company Al-Barakaat, because of alleged links to terrorist groups, has deprived thousands of Somali families of the financial help they were receiving from relatives abroad, while greatly limiting telephone contact within the country and to the outside world.  To address this problem, in January, the United Nations Programme for Development launched a project to help rebuild Somalia’s banking system and bring legitimacy to its money transfer companies. 


While we cannot leave a stone unturned to defeat terrorism, we must also do everything possible to make sure that innocent people are not affected by our action.  


Ceci me mène à mon quatrième point : la nécessité d’améliorer l’environnement mondial. 


S’il est une leçon que nous devons tirer des événements du 11 septembre, c’est que ce qui se passe à l’autre bout de la planète peut très bien avoir un impact profond sur la vie de gens installés à des milliers de kilomètres de là.  Lorsque nous laissons un pays sombrer dans l’anarchie et le chaos, et acceptons que les droits de l’homme y soient systématiquement violés, au point que la vie perde son caractère sacré, lorsque nous abandonnons un peuple à la terreur d’un régime violent et obscurantiste, ou à des conditions de vie si abjectes et si désespérées que la mort devient préférable à la vie, nous risquons tous d’en payer le prix. 


Nous devons redoubler d’efforts pour trouver des solutions aux conflits qui continuent de sévir dans le monde et d’infliger des souffrances immenses à des millions de personnes innocentes.  Je pense, en particulier, à ce qui se passe en ce moment au Proche-Orient, où les risques d’embrasement de la région ne doivent pas être sous-estimés.  Il nous faut absolument trouver le moyen de faire passer Israéliens et Palestiniens d’une logique de guerre à une logique de paix. 


Mais ce n’est pas parce qu’un pays est sorti d’un conflit qu’il n’a plus besoin de l’aide de la communauté internationale.  Il arrive souvent qu’après un conflit, l’Etat ait, à toutes fins pratiques, cessé de fonctionner en tant que tel, et se trouve dans la quasi-incapacité de rendre la justice et d’assurer l’ordre public, de fournir des soins de santé et un système d’éducation, et de créer un environnement favorable à la reprise d’une activité économique normale.  Au cours des 10 dernières années, les Nations Unies ont été appelées à de nombreuses reprises à prendre la tête des efforts internationaux en vue d’aider ces pays à reconstruire leurs institutions et à établir une paix durable. 


Très souvent, les pays dont je viens de parler sont trop pauvres, trop polarisés et trop accablés par l’héritage des conflits pour pouvoir créer par eux-mêmes les conditions d’une paix et d’un développement durables. 


Livrés à eux-même, dans la pauvreté, certains pays peuvent très facilement tomber ou retomber dans le conflit et l’anarchie.  Ils deviennent alors une menace pour leurs voisins, voire même une menace à la sécurité mondiale, comme les événements du 11 septembre nous l’ont brutalement rappelé.


Loin de moi l’idée de suggérer que la pauvreté génère le terrorisme.  Ce serait faire insulte aux pauvres, qui généralement ne veulent qu’une seule chose : vivre décemment et en paix.  Les terroristes n’ont pas le droit de justifier leur action en évoquant la pauvreté.


Mais je crois fermement que si nous rejetons ce que représentent les terroristes – la violence, l’intolérance, le fanatisme – et si nous voulons protéger les valeurs qui nous sont chères – la liberté, la tolérance, la justice, l’équité – alors, nous devons faire mieux, beaucoup mieux pour réduire l’écart entre les riches et les pauvres. 


Il y a un an et demi, lors du Sommet du millénaire, les dirigeants mondiaux ont convenu que nous devrions utiliser les 15 premières années de ce nouveau siècle pour lancer une vaste attaque contre la pauvreté, l’analphabétisme et la maladie, et ont fixé un ensemble d’objectifs très précis – les Objectifs de développement du millénaire.  Ils se sont notamment engagés à diminuer de moitié, d'ici à 2015, la proportion de la population mondiale dont le revenu est inférieur à un dollar par jour, et celle des personnes qui souffrent de la faim et qui n'ont pas accès à l'eau potable.  Ils se sont engagés à faire en sorte que, d’ici à cette même date, tous les enfants, en particulier les filles, puissent bénéficier d’une éducation primaire.  Et ils ont promis de tout faire pour enrayer la propagation du VIH/sida, et maîtriser le paludisme et des autres grandes maladies qui affligent l’humanité. 


Le mois dernier, lors de la Conférence internationale sur le financement du développement, à Monterrey, au Mexique, la communauté internationale a examiné les moyens de mobiliser les ressources nécessaires pour atteindre ces objectifs.  Le consensus auquel elle est parvenue reflète une vision commune des mesures à prendre pour venir à bout de tous les problèmes de développement.  Les pays en développement ont reconnu qu’ils devaient poursuivre des politiques économiques saines, lutter contre la corruption et créer un environnement favorable aux investissements étrangers.   Les pays développés, quant à eux, les aideront en leur fournissant une aide publique plus importante, en ouvrant davantage leurs marchés, et en continuant à réduire le fardeau de la dette.  Si chacun tient ses promesses, nous pourrons réaliser notre but et nous améliorerons du même coup l’environnement mondial.  Chaque pas vers la création d’un monde meilleur pour tous réduit le terreau sur lequel se développe parfois un désespoir tel que, pour certains, la violence devient une réponse acceptable. 


J’ai commencé par dire que le succès de la lutte contre le terrorisme dépend de notre capacité à construire une vraie communauté mondiale, capable de garantir à tous les habitants de la planète sécurité et dignité.  En fait, c’est cela la grande réalité du vingt-et-unième siècle, le grand défi de la mondialisation.  Notre sort est inexorablement lié à celui du reste du monde.  Comme l’a dit si justement Saint-Exupéry, « Nous sommes solidaires, emportés par la même planète, équipage d’un même navire ».


Je vous remercie.


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