COMMISSION DU DEVELOPPEMENT SOCIAL : EN MATIERE D’INTEGRATION DES POLITIQUES SOCIALES ET ECONOMIQUES, IL N’Y A PAS DE MODELE UNIQUE
Communiqué de presse DEV/2376 |
Commission du Développement social
2ème séance – après-midi
COMMISSION DU DEVELOPPEMENT SOCIAL : EN MATIERE D’INTEGRATION DES POLITIQUES SOCIALES ET ECONOMIQUES, IL N’Y A PAS DE MODELE UNIQUE
La table ronde souligne la diversité des approches possibles
pour parvenir au développement social sans freiner la croissance économique
La Commission du développement social a tenu, cet après-midi, une table ronde d’experts sur le thème prioritaire choisi cette année, à savoir «l’intégration des politiques sociales et économiques». Rassemblés autour de la Présidente de la Commission pour cette quarantième session, Mme Faith Innerarity (Jamaïque), quatre experts venus du Costa Rica, d’Ouganda, du Fonds monétaire international et de l’Université de Yale aux Etats-Unis ont ainsi confronté leurs expériences et points de vue et évoqué les aspects sociaux des politiques macroéconomiques, l’évaluation sociale en tant qu’outil politique et les dépenses sociales en tant que facteur de productivité.
Prenant la parole en premier lieu, la Présidente exécutive de l’Institut mixte d’aide sociale du Costa Rica, a exposé «l’exception costaricienne». Elle a expliqué que la particularité de son pays tient essentiellement au fait que n’ayant pas d’armée, les dépenses militaires traditionnellement consacrées par les autres Etats à ce secteur ont pu être redéployées vers d’autres domaines, notamment le domaine social. Ainsi, l’ensemble de la population a accès à l’éducation et aux soins de santé. Par le biais de la fiscalité, les sociétés privées ainsi que l’épargne nationale sont aussi devenues des partenaires crédibles dans le processus de développement. Autant d’éléments qui ont permis, depuis plus de 50 ans, de consacrer plus de 15% du Produit intérieur brut (PIB) aux programmes sociaux, ce qui assure des indicateurs sociaux et économiques meilleurs que dans certains pays qui bénéficient d’un PIB plus élevé.
De son côté, le Gouverneur de la Banque centrale de l’Ouganda, a estimé que le véritable moteur du développement social était la croissance économique durable et la discipline budgétaire et fiscale. Ces principes suivis par son pays depuis 1997 dans le cadre d’un plan de développement intégré à long terme, dénommé le Plan d’action pour l’élimination de la pauvreté, permettent d’augmenter le revenu par habitant et les conditions de vie, y compris des plus pauvres. Il en a pris pour preuve le fait qu’entre 1992 et 2000, la proportion de pauvres dans son pays est passée de 56 à 35%. Selon le système mis en place, les politiques économiques et commerciales sont libérales, la fiscalité encourage l’investissement et les dépenses publiques se font dans la limite des ressources dont l’Etat dispose effectivement, en se concentrant sur la modernisation de l’agriculture et l’éducation. Le Gouverneur a également regretté que le rapport préparé par le Secrétariat pour illustrer le thème central de la Commission de cette session n’ait fait aucune mention des nouvelles initiatives ayant cours en matière d’intégration des politiques sociales et économiques et notamment du Cadre de développement global expérimenté par une dizaine de pays à l’initiative du Directeur de la Banque Mondiale.
Une approche axée sur les politique macroéconomiques et la bonne gestion des dépenses publiques a été partagée par le représentant du Fonds monétaire international (FMI). Les analyses réalisées montrent qu’il existe quatre voies par lesquelles les politiques économiques peuvent contribuer au développement social, à savoir davantage de dépenses sociales, l’amélioration de l’efficacité des dépenses publiques, l’analyse de l’impact des politiques sociales et la création de filets de sécurité en faveur des pauvres pour faire face aux effets à court terme des ajustements structurels. Toutefois, les évaluations du FMI indiquent que si les gouvernements ont un rôle très important à jouer pour vaincre la pauvreté, les dépenses sociales sont plus avantageuses pour les familles à revenus moyens. Il est donc encore nécessaire de mieux cibler les investissements sociaux.
Un sociologue de l’Université de Yale aux Etats-Unis, dernier expert à prendre la parole, a, quant à lui, reproché à l’approche macroéconomique de se soucier davantage de ce que le progrès social peut apporter à la croissance plutôt qu’aux pauvres. En outre, il a jugé les systèmes de redistribution mis en place par les pays industrialisés inatteignables pour les pays en développement en raison de leurs faibles revenus publics et fiscaux. Il a donc proposé une approche axée davantage sur les politiques microéconomiques, et notamment sur le microcrédit, à l’image des initiatives de la Banque Gramin en Inde, et le développement de petites activités accessibles aux plus pauvres, comme par exemple la collecte du papier ou du plastique à des fins de recyclage.
L’échange qui a suivi ces présentations a vu les délégations principalement axer leurs questions sur les effets sociaux des ajustements structurels préconisés par les institutions financières internationales et sur les méthodes d’évaluation des politiques mises en place.
Demain, à 10 heures, la Commission entamera son débat général de haut niveau sur le thème prioritaire de la session.
SUIVI DU SOMMET MONDIAL POUR LE DEVELOPPEMENT SOCIAL ET DE LA VINGT-QUATRIEME SESSION EXTRAORDINAIRE DE L’ASSEMBLEE GENERALE
Rapport du Secrétaire général
Le rapport du Secrétaire général sur l’intégration des politiques sociales et économiques (E/CN.5/2002/3) a été élaboré à la demande de la Commission du développement social à sa trente-neuvième session et s’inspire largement des documents finals de trois réunions de groupes d’experts sur les aspects sociaux des politiques macroéconomiques, sur les dépenses sociales en tant que facteur de productivité et sur l’évaluation sociale en tant qu’outil de politique. Le Chapitre 2 du rapport, qui examine le cadre pour l’intégration des politiques économiques et sociales et les moyens d’établir la distinction entre les aspects économiques et sociaux, met en évidence les fonctions essentielles des politiques publiques, les facteurs institutionnels et politiques et les mesures nécessaires pour combler l’écart entre les politiques économiques et sociales. Le Chapitre suivant présente les principaux obstacles à surmonter en matière de politiques sociales et économiques, notamment la persistance des inégalités, les compressions budgétaires, les risques financiers accrus, la vulnérabilité causée par l’instabilité des flux de capitaux, l’influence des sociétés transnationales sur l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques nationales et, enfin, les conséquences des conflits armés et du VIH/sida. Dans le chapitre 4, le rapport traite de l’action des pouvoirs publics en vue d’intégrer les dimensions économique et sociale dans l’élaboration de politiques macroéconomiques. Cette partie analyse notamment l’impact social des politiques macroéconomiques, le rôle des dépenses sociales comme facteur de production, l’évaluation sociale comme outil des politiques menées et également les questions de définition des priorités et d’allocation de ressources.
Les recommandations du Secrétaire général font l’objet du dernier chapitre du rapport et portent à la fois sur les mesures à prendre aux niveaux national et international. Ainsi, le Secrétaire général souligne-t-il que pour progresser sur la voie du développement et améliorer les conditions de vie des populations, il convient de coordonner et d’intégrer efficacement les politiques macroéconomiques et sociales nationales. Il faut, ajoute-t-il, tenir compte de façon équilibrée des objectifs de développement social dans les politiques macroéconomiques - plein emploi, lutte contre les inégalités et la pauvreté - et adapter les mesures prises aux conditions institutionnelles nationales, aux capacités techniques existantes et aux modes de gouvernance. Il recommande également que des consultations soient organisées pour que les différentes parties prenantes - ministères, parlements, partenaires sociaux - soient associées à la formulation des politiques macroéconomiques et sociales. Entre autres mesures, le Secrétaire général suggère aux Gouvernements de s’employer à proposer une couverture sociale pour tous et d’y consacrer au moins le montant minimal nécessaire en sollicitant au besoin une aide de l’extérieur. Il leur propose de renforcer le principe d’équité dans le financement des services sociaux, notamment au moyen d’un régime d’imposition progressive ou par des plans de recouvrement gérés par les populations bénéficiaires. Il ajoute que des services de qualité pour tous devraient devenir
l’objectif premier dans le domaine social et que les groupes ayant des besoins particuliers devraient bénéficier de mesures complémentaires. Le Secrétaire général souligne ensuite que l’évaluation sociale est un outil très précieux pour les gouvernements car elle leur permet d’affiner leurs politiques et facilite l’orientation de ces politiques et entraîne un renforcement de la participation et de la gouvernance. Il recommande ensuite d’inciter le secteur privé et les organisations non gouvernementales à participer activement au financement et à la fourniture des services sociaux, notamment dans le cadre de partenariats initiés par l’Etat.
Au plan international, le Secrétaire général considère que l’existence d’une norme internationale définissant la part du revenu national qui doit être consacrée aux secteurs sociaux faciliterait l’adoption de cibles nationales et ajoute qu’une telle norme jouerait le rôle crucial de “contrat politique” puisque, d’une part, les gouvernements seraient tenus d’allouer des fonds au développement social et que, d’autre part, les donateurs bilatéraux et multilatéraux disposeraient de points de repère afin de déterminer le montant de leurs contributions. Il souligne que les organisations internationales de développement et les donateurs bilatéraux devraient fournir une assistance financière et technique accrue afin de renforcer les capacités des pays en développement et des pays en transition économique dans le domaine de l’élaboration des politiques sociales et macroéconomiques. Les populations et les parlements doivent être associés à la formulation des stratégies nationales de réduction de la pauvreté souligne le Secrétaire général qui invite les donateurs internationaux à tenir compte des besoins, de la culture et de la situation des pays bénéficiaires et à proposer une aide adaptée aux objectifs nationaux de développement. Il recommande en outre que des études complémentaires, fondées notamment sur l’observation et l’évaluation des incidences sociales soient menées afin d’évaluer les incidences sociales et les effets réciproques des politiques macroéconomiques et des politiques sociales.
Afin de démontrer que l’augmentation des dépenses sociales peut être avantageuse, le Secrétaire général propose une stratégie orientée sur l’évaluation des coûts économiques et sociaux des problèmes sociaux actuels et sur le calcul des gains économiques découlant de la réalisation d’investissements appropriés dans le cadre d’une politique globale. Il propose également de définir les objectifs sociaux et les moyens nécessaires pour les atteindre ainsi que l’établissement d’un mécanisme intergouvernemental qui permettrait aux Etats Membres de confronter leurs expériences sur la façon dont ils parviennent à concilier des priorités contradictoires dans les budgets nationaux.
Les annexes au rapport contiennent des documents relatifs aux aspects sociaux des politiques macroéconomiques, aux dépenses sociales comme facteur de productivité, à l’évaluation sociale en tant qu’outil de politique et à l’action multilatérale menée par le système des Nations Unies.
THEME PRIORITAIRE : INTEGRATION DES POLITIQUES SOCIALES ET ECONOMIQUES
Débat de haut niveau
Mme ROXANA VIQUEZ SALAZAR, Présidente de l’Institut mixte d’aide sociale (IMAS) du Costa Rica, a présenté l’expérience de son pays en matière d’élimination de la pauvreté. Le Costa Rica a créé un modèle de développement qui repose sur des valeurs démocratiques et le respect des droits de l’homme. A partir des années 40, le pays a aboli son armée ce qui a permis d’allouer davantage de ressources au développement social. Nos dirigeants ont eu une vision politique très claire sur le long terme, facilitant ainsi le dialogue et la recherche du compromis entre tous les acteurs de la société. Nous avons favorisé l’accès à l’éducation et aux soins de santé dont bénéficie l’ensemble de la population. Grâce à une bonne gestion des ressources et à un niveau faible de corruption, les sociétés privées sont devenues des partenaires crédibles dans le processus de développement. La société costaricienne connaît peu de différences sociales, ethniques et économiques. L’enseignement est un facteur indispensable au développement, a précisé Mme Salazar. Depuis plus de 50 ans, plus de 15% du Produit intérieur brut (PIB) sont investis dans des programmes sociaux, ce qui nous assure des indicateurs sociaux et économiques meilleurs que dans certains pays qui bénéficient d’un PIB plus élevé. L’espérance de vie est de plus de 80 ans pour les femmes tandis que le taux d’analphabétisme est passé à 5%.
Les pays procédant à des investissements sociaux importants disposent de meilleurs indicateurs sociaux à court terme, a ajouté Mme Salazar tout en faisant remarquer que la réponse ne se trouve pas uniquement dans les investissements sociaux. Malgré la stabilité économique et un climat de paix, le Costa Rica n’a toutefois pas pu éliminer totalement la pauvreté. La croissance économique du pays s’est manifestée dans des secteurs comme le commerce international et le tourisme alors que les familles pauvres sont concentrées dans le secteur de l’agriculture. La solution n’est pas simple. Pour surmonter la pauvreté, il faut coordonner divers facteurs comme la génération de revenus qui est nécessaire aux investissements, la participation de tous les acteurs de la société civile sur la base de la transparence et la mise en place des programmes ciblés. Au Costa Rica, nous n’avons pas réussi à générer suffisamment de revenus, entravant ainsi l’essor du développement social. En dépit de nos efforts visant à assurer une couverture sociale universelle, la qualité de nos programmes sociaux s’est dégradée au fil du temps en raison du manque de ressources. De plus, nous ne disposons pas d’instruments nous permettant d’atteindre les plus pauvres. Il existe également une grande tolérance à la pauvreté.
Le Costa Rica dispose d’un climat pacifique et démocratique qui facilite une action ciblée et coordonnée avec les différents acteurs sociaux et sa dette extérieure est faible malgré une dette nationale élevée. Nous devons maintenant procéder à une utilisation efficace de nos ressources, dégager une vision stratégique intégrée de la pauvreté, disposer d’une autorité sociale plus forte, rationaliser nos investissements et disposer d’un système d’évaluation de nos politiques. En l’espace de cinq ans, nous pourrions réduire de 30% les indices de pauvreté actuels et éliminer totalement la pauvreté extrême.
M. TUMUSIINE MUTEBILE, Gouverneur de la Banque centrale de l’Ouganda, a, quant à lui, présenté le programme d’intégration des politiques économiques et sociales dans son pays. Tout en regrettant que le rapport préparé pour la présente session de la Commission sur cette question (E/CN.5/2002/3) n’ait pas fait mention de l’expérience positive de son pays, il a expliqué qu’en Ouganda, les programmes économiques et sociaux sont intégrés dans le cadre d’un plan de développement holistique à long terme, dénommé le Plan d’action pour l’élimination de la pauvreté. Ce plan d’action identifie les politiques et programmes nécessaires à l’élimination de la pauvreté de masse en Ouganda d’ici à 2017. Il vise à ce que la pauvreté ne dépasse pas alors 10%. Lancé en 1997 et révisé en 2000/2001, ce plan a été élaboré en consultation avec la société civile. Il a pour objectif non seulement d’assurer une croissance économique durable et des transformations structurelles de l’économie, afin notamment d’augmenter le revenu par habitant, mais aussi un accès accru aux services sociaux de base que sont par exemple l’éducation, les soins de santé primaires, l’accès à l’eau et à l’assainissement. L’accent y est particulièrement mis sur la modernisation de l’agriculture, car ce secteur emploie la majorité des Ougandais. Il s’agit en outre d’un domaine où le pays dispose d’un véritable avantage comparatif dans le secteur du commerce international. Au sein de ce plan, les politiques économiques, sociales, institutionnelles et budgétaires sont toutes envisagées de manière intégrée afin d’atteindre les objectifs de développement à long terme de la nation. Ainsi, les priorités budgétaires sont cohérentes avec les objectifs sociaux. C’est en fonction de ceux-ci que les budgets sont alloués dans le Plan de dépenses à moyen terme du Gouvernement, lui-même tenant compte du régime fiscal nécessaire pour atteindre les objectifs à moyen terme. En somme, les nouvelles méthodes que le rapport du Secrétaire général appelle de ses voeux existent déjà, a estimé M. Mutebile.
Le Plan d’action pour l’élimination de la pauvreté définit également les politiques structurelles, telle que la réforme du secteur de l’énergie. Dans la limite de ce qui est économiquement possible, le plan de dépenses à moyen terme permet donc au Gouvernement d’opérer des choix orientés par la stratégie et les objectifs du Plan d’élimination de la pauvreté. Pour les pays pauvres, une croissance économique rapide et soutenue est une condition préalable indispensable à l’élimination de la pauvreté et au développement, y compris social, a insisté le Gouverneur. Le fait est que les politiques sociales doivent dans tous les pays se plier à certaines restrictions budgétaires, a-t-il ajouté. Des limites que même les pays développés connaissent et qui les empêchent d’ailleurs parfois d’honorer leurs engagements en matière d’Aide publique au développement.
Pour le Gouverneur de la Banque centrale de l’Ouganda, il est important de bien comprendre le type de politiques économiques qui sont nécessaires pour garantir une croissance économique durable. L’un des objectifs est que le secteur privé puisse épargner et investir. Pour cela, les politiques fiscales doivent aussi être solides, car il est nécessaire que les objectifs sociaux puissent être atteints en menant des politiques fiscales trop généreuses, comme par exemple lorsque les dépenses publiques pour les services sociaux dépassent le niveau des ressources budgétaires effectivement disponibles. Il faut donc que les objectifs sociaux s’inscrivent dans un cadre économique et budgétaire encourageant la croissance économique et la stabilité macroéconomique. C’est l’approche qu’a adoptée l’Ouganda, en fondant son rétablissement opéré dans les années 90 sur la discipline fiscale. L’inflation a ainsi pu être jugulée et les incitations à l’investissement et à l’épargne multipliées. Parallèlement, des politiques économiques libérales, notamment en matière de commerce, ont été élaborées. L’intégration à l’économie mondiale offre en effet aux pays en développement les meilleures chances de croissance. La libéralisation du commerce dans les pays en développement constitue le meilleur moyen de réduire la pauvreté, car elle offre un avantage certain dans les secteurs de l’industrie employant une main-d’oeuvre intensive et dans le domaine de l’agriculture. Mais pour cela, il faut supprimer les nombreuses barrières commerciales qui subsistent dans les pays développés, a insisté M. Mutebile.
Toutefois, les politiques commerciales libérales ne sont pas les seuls éléments essentiels à la croissance économique. Les gouvernements des pays en développement doivent aussi assurer les biens publics permettant de soutenir la modernisation et la commercialisation de l’agriculture, comme par exemple les infrastructures de transport ou la recherche et le développement. De plus, ils doivent faire de l’éducation primaire une de leurs priorités, car l’éducation est fondamentale pour améliorer la productivité des pauvres et, à terme, augmenter le revenu par habitant. Autant de domaines qui sont les priorités du Gouvernement ougandais, a ajouté M. Mutebile, et qui ont permis de faire passer la proportion de pauvres de 56% de la population en 1992 à 35% en 2000. En matière de services sociaux de base, les pouvoirs publics ont inévitablement le rôle le plus important à jouer et pour les gouvernants se pose alors la question de savoir comment les financer et les fournir de manière efficace. Pour ce faire, il faut mettre en place des politiques fiscales qui élargissent l’assiette fiscale sans empêcher la croissance économique. Le Gouverneur a aussi mis en garde contre un financement trop important des services sociaux de base grâce à l’aide étrangère. En somme, les gouvernements doivent effectuer des choix, parfois difficiles et définir des priorités. N’en définir aucune conduit irrémédiablement à ce que tous les secteurs budgétaires se retrouvent sous-financés, a-t-il averti. En Ouganda, le budget et le Plan d’action pour l’élimination de la pauvreté visent avant tout à augmenter les revenus des pauvres, ce qui permet ensuite d’en améliorer les conditions de vie.
En conclusion, M. Mutebile a estimé que la croissance économique durable, accompagnée de politiques macroéconomiques solides, d’une bonne discipline budgétaire et d’une économie libérale, est bel et bien la condition sine qua non de la réalisation des objectifs de développement. Et ce, d’autant que la croissance économique permet de générer les ressources nécessaires au financement des services de base permettant de réduire la pauvreté. Revenant sur le rapport du Secrétaire général préparé pour la présente session, il a regretté qu’il ignore le fait que les arguments opposant politiques économiques et politiques sociales ont été depuis longtemps abandonnés. M. Mutebile a notamment dit ne pas comprendre comment le rapport pouvait ignorer le Cadre de développement global proposé en 1999 par le Directeur de la Banque Mondiale et mené actuellement, de manière expérimentale, par 11 pays. Il a souhaité que, dans le cadre du débat de la Commission, de nombreux autres pays se rallient à cette initiative.
M. BENEDICT CLEMENTS, Chef adjoint de division au Département des affaires fiscales du Fonds monétaire international (FMI), a évoqué la manière dont le FMI conçoit l’intégration des politiques sociales et économiques. Le FMI, a-t-il expliqué, a pour mandat de promouvoir les aspects macroéconomiques des politiques nationales. Il contribue également au développement social dans la mesure où de bonnes politiques macroéconomiques sont nécessaires au développement durable. Récemment, le FMI a développé sa vision quant au rôle des politiques économiques dans la lutte contre la pauvreté. Il a reconnu la nécessité d’intégrer le concept de l’élimination de la pauvreté. Cette nouvelle démarche, définie dans le Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) insiste sur un plus grand partenariat avec les divers éléments de la société civile et reconnaît que des programmes sociaux appropriés sont nécessaires à l’élimination de la pauvreté. Il existe quatre voies par lesquelles les politiques économiques peuvent contribuer au développement social, à savoir davantage de dépenses sociales, l’amélioration de l’efficacité des dépenses publiques, l’analyse de l’impact des politiques sociales et la création de filets de sécurité en faveur des pauvres pour faire face aux effets à court terme des ajustements structurels.
Le représentant a expliqué que le FMI avait entrepris une évaluation récente de ses politiques de lutte contre la pauvreté. Il en ressort que les pays consacrent davantage de ressources pour les soins de santé et l’éducation dans le cadre de leurs stratégies de lutte contre la pauvreté. Les dépenses consacrées à ces domaines ont augmenté de 3% et l’on s’attend à de très fortes augmentations, dans les années à venir, de l’ordre de 10%. Ceci est compatible avec l’idée que les gouvernements ont un rôle très important à jouer et que l’on ne peut pas uniquement compter sur le développement économique pour vaincre la pauvreté. Les stratégies varient cependant d’un pays à l’autre et il est difficile de disposer de critères uniformes applicables à tous. Les dépenses sociales ne suffisent pas car les pauvres reçoivent une part minime des bénéfices qui en sont tirés. La vaste majorité des études réalisées n’établissent pas de liens entre dépenses sociales et élimination de la pauvreté. Les dépenses sociales, en effet, sont avantageuses pour les familles à revenus moyens d’où la nécessité de mieux cibler les investissements sociaux. Il faut en outre améliorer la gestion et la transparence des dépenses publiques.
Au FMI, nous nous efforçons de tenir compte des divers types d’impacts sociaux des politiques sur les groupes de population pauvres et vulnérables. La moitié des programmes de lutte contre la pauvreté, mis en place dans les pays à faible revenu, comportait un volet d’analyse des politiques économiques et sociales. Toutefois, les réformes peuvent avoir des conséquences négatives qui ne sont pas couvertes par ces analyses d’impact social. Le FMI procède actuellement au renforcement de sa propre capacité d’analyse dans ce domaine.
Dernier expert à prendre la parole, M. PETER MARRIS, Professeur de sociologie à l’Université de Yale, a déclaré que les défis identifiés en matière sociale dans le rapport soumis à la Commission du développement durable sont directement liés au régime néolibéral, aux conflits armés ou encore au VIH/sida et à la famine. Pourtant, les recommandations du rapport semblent considérer ces politiques néolibérales comme acquises, notamment s’agissant des politiques de redistribution selon le modèle occidental pour financer l’éducation universelle et les retraites. M. Marris a regretté que le rapport ne lance qu’un vague appel à un débat plus élargi et ouvert entre tous les participants et à la nécessité de donner voix aux pauvres sur ce chapitre. Pour lui, le souci de ce rapport semble plus être de considérer ce que le progrès social peut apporter à la croissance plutôt qu’aux pauvres. En outre, à ses yeux, les recommandations semblent peu réalistes. Les pouvoirs publics, aujourd’hui sous pression des marchés et de la mondialisation, ne sont guère en position d’imposer des considérations sociales. Préconiser l’autonomisation des pauvres revient à être un voeu pieux.
Certes le système de redistribution occidental semble être une réussite, a poursuivi le sociologue. Toutefois, depuis les années 80, l’exemple américain montre clairement, que même avec une croissance élevée, un système économique déréglementé ne permet pas, loin de là, de réduire la pauvreté. Le problème est que ce type de système redistribue les ressources des salariés au profit des retraités ou des groupes vulnérables, plus que des riches vers les pauvres. Personne n’aimant les impôts, les pays ont besoin d’atteindre un niveau de vie très élevé pour parvenir au niveau de services sociaux offerts par les pays les plus industrialisés, a-t-il expliqué. Mais les pays en développement n’atteindront jamais ces niveaux de vie si élevés, à moins qu’ils n’épuisent totalement les ressources de la planète. Même s’ils le pouvaient, il n’est pas certain que la pauvreté serait complètement éliminée. Cela ne résoudrait pas le problème fondamental reconnu dans le rapport qui est l’intégration des politiques sociales et économiques, a indiqué M. Marris. Avec la chute du modèle socialiste, le système capitaliste est tout puissant, or les principes qui le régissent ne permettent pas toujours dans la pratique de parvenir à la croissance économique, a-t-il poursuivi. Quand la croissance est au rendez-vous, les progrès sociaux ne suivent pas forcément car ce modèle ne prend pas en compte le coût social des efforts ayant mené à cette croissance. Par exemple, lorsqu’une femme travaille, ce modèle ne prend pas en compte les effets de cet emploi sur sa famille et ses enfants. Une solution pourrait être de multiplier les petits investissements goutte à goutte plutôt que d’attirer des investissements internationaux et étrangers. On sait bien que le microcrédit pourrait permettre à des millions de personnes de sortir de la pauvreté, comme le prouve l’exemple de la Banque Gramin en Inde. Un autre avantage est que le microcrédit accordé davantage aux femmes à plus d’effets positifs au niveau social car les femmes consacrent les revenus de leurs activités à leur famille et à son bien-être. De l’avis de M. Marris, il faudrait aussi identifier les moyens de soulager les femmes des tâches de collecte du bois de chauffage et de l’eau, ce qui leur laisserait le temps de se consacrer à des activités rémunératrices. Un exemple de réussite des initiatives microéconomiques a été la possibilité donnée à de petits exploitants au Kenya de cultiver du thé. Dans les villes en Egypte, un projet a encouragé les groupes urbains pauvres à développer de petites activités de recyclage du papier ou du plastique et c’est un autre succès.
Le nivellement par le bas des salaires est un autre problème, a aussi expliqué M. Marris. Il ne fait que marginaliser et fragiliser davantage toute une partie de la population mondiale. Il a proposé aux gouvernements pourraient d’aider les efforts des groupes et communautés locales en leur fournissant des services de base sans chercher à les contrôler. Abordant la question de la productivité, le sociologue a estimé que l’efficacité dans la production doit être jugée à l’aune de ses effets sur la société et non sur l’entreprise elle-même. Economiser sur la main d’oeuvre n’aboutit à rien si cela débouche sur des troubles sociaux, a-t-il averti. Les ressources telles que l’eau, les pêcheries, la terre ne devraient jamais être prises aux plus pauvres pour être confiées aux sociétés multinationales. Ces entreprises devraient en outre prendre mieux en considération la durabilité de l’environnement, car l’on sait aussi que la dégradation de l’environnement entraîne aussi l’instabilité sociale. Autant d’approches qui, selon M. Marris, permettraient véritablement d’intégrer les politiques économiques et sociales sans être préjudiciables aux marchés, ni aux multinationales. Toutefois au bout du compte ce sont les politiques microéconomiques qui ont le plus d’effet et qui sont les plus importantes. C’est en effet dans la pratique quotidienne que les individus sont marginalisés et fragilisés.
Série de questions-réponses avec les experts, les représentants des gouvernements et d’institutions
Evoquant la présentation du Gouverneur de la Banque de l’Ouganda, la représentante du Bénin a observé que, pendant plus de 20 ans, les pays en développement ont cruellement souffert des effets des politiques libérales et des politiques d’ajustement structurel. Il a fallu les efforts des Nations Unies pour amener les institutions financières internationales à prendre conscience des préjudices causés par les ajustements structurels et à intégrer les politiques sociales dans les programmes économiques. Le cri de coeur lancé par les pays en développement a été entendu par les institutions financières internationales. Les politiques macroéconomiques, seules sur le terrain, ont échoué et il nous faut placer l’homme au coeur du développement. S’associant à cette déclaration, le représentant de l’Ouganda a estimé que le moment était venu de créer une commission du développement socioéconomique car les deux vont de pair et se renforcent mutuellement.
La représentante du Maroc a demandé à la représentante du Costa Rica d’expliquer la participation de la société civile aux politiques de développement social. Elle a également demandé si les programmes de développement social et économique ne sacrifiaient pas le groupe de population le plus pauvre qui est déjà très vulnérable. Elle a souhaité savoir si le secteur privé n’avait pas réagi à l’assiette fiscale très large, freinant les investissements et donc l’emploi. Elle a demandé à M. Clements si la Banque mondiale et le FMI pouvaient calculer l’impact des programmes sociaux en termes de recettes à moyen et long termes. D’autres questions ont porté sur la transparence des politiques économiques et sur le programme d’analyse d’impact social des programmes économiques.
Répondant aux questions, M. José Antonio Ocampo, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), a indiqué que la communauté internationale était davantage consciente de la nécessité d’intégrer les politiques sociales et économiques. Le progrès réel est dû à l’introduction de ce thème aux programmes de travail de la Banque mondiale et du FMI. Il s’agit maintenant de savoir si l’idée d’introduire une plus grande cohésion implique la nécessité de disposer d’une stabilité macroéconomique dont le coût est extrêmement élevé en termes sociaux. Il ne s’agit pas de mettre en place des politiques uniformes et fiscales qui ne viseraient qu’à compenser les effets des politiques macroéconomiques. Le représentant a rejeté les discours sur la nécessité de mettre en oeuvre des filets de sécurité sociale pour faire face à l’impact des politiques d’ajustement structurel. Il faut plutôt réfléchir sur la politique macroéconomique qui produit les effets les plus positifs sur les pauvres. Les politiques monétaires et de taux de change doivent être évaluées en fonction de ces critères.
M. Mutebile a estimé que le rapport du Secrétaire général sur l’intégration des politiques économiques et sociales fait fi des mécanismes d’intégration existants. Ce document ignore ce qui a été fait dans certains domaines et qui a surpassé les discussions stériles qui ont lieu dans les couloirs des Nations Unies.
Pour M. Marris, il y a plusieurs niveaux d’intégration des politiques sociales et économiques. La première, une version simple, se contente d’atténuer les effets sociaux négatifs des politiques macroéconomiques, la deuxième, la version «moyenne» s’efforce d’anticiper ces effets au moyen d’un cadre intégré et participatif de ces politiques, et la troisième, la plus aboutie ou version «extra-forte», prend le problème «à l’envers» en quelque sorte. Elle s’interroge en premier lieu sur les effets sociaux qu’auraient les politiques macroéconomiques envisagées. Elle procède ensuite à rebours et élabore les politiques macroéconomiques qui oeuvrent le plus en faveur de la promotion du progrès social. Cela sous-entend une volonté réelle de la part des gouvernements d’opposer des obstacles aux investissements transnationaux lorsqu’ils ne vont pas dans le sens de leurs intérêts. Cela suppose aussi de transférer le centre de décision, ou du moins de consultation, vers les travailleurs et toutes les composantes de la société.
Interrogé sur l’influence des politiques monétaires et des variations des taux de change sur la situation des plus pauvres et la situation sociale, M. Clements du FMI, a indiqué qu’il s’agissait précisément du domaine où l’on avait le plus de mal à évaluer les effets. En revanche, l’on sait clairement grâce aux analyses d’impact réalisées que la suppression de certaines subventions ont un effet négatif sur les pauvres. Le FMI s’efforce d’intégrer tous ces facteurs dans ses programmes. S’agissant de l’inefficacité des dépenses sociales, il a reconnu qu’il y avait plusieurs manières de définir l’efficacité mais que le sens commun pourrait être de considérer que chaque fois que les objectifs fixés par le gouvernement pour ces dépenses ne sont pas atteints, il y a inefficacité. La société civile doit avoir l’occasion de se faire entendre, sur les politiques qu’elle privilégie, et c’est là que la bonne gouvernance entre en jeu. La transparence est donc particulièrement importante en matière de dépenses sociales.
Aux questions qui lui ont été posées sur la participation des ONG et de la société civile au Costa Rica, Mme Viquez Salazar a expliqué que dans son pays, les ONG sont souvent chargées de l’exécution des programmes de l’Etat. Les programmes universels mis en place concernent principalement l’éducation, la santé et l’environnement. En dépit de ces programmes universels, on estime qu’il subsiste environ 200 000 personnes qui n’ont pas un bon accès à ces services, principalement en raison de leur manque d’éducation et de modalités parfois complexes d’application de ces services sociaux. Mme Viquez Salazar a aussi expliqué que le secteur privé est tout à fait disposé à investir dans le domaine social car il y a très peu ou pas de corruption dans le pays. Cette situation permet à ce secteur de bien accepter le niveau relativement élevé d’imposition. Au fil des ans, le Gouvernement a réussi à créer une prise de conscience et à développer une véritable culture sociale, même au sein du secteur privé. Elle a ajouté que la question n’est pas tant de savoir combien investir mais comment, et c’est à partir de ce point que le débat doit être approfondi. Le Costa Rica est l’exemple qui infirme la règle voulant que les politiques macroéconomiques sont à elles seules la solution pour le développement social. C’est en effet grâce à son système équitable de redistribution que les fruits de la croissance, même si elle est faible, profitent effectivement à tous et non à un petit groupe privilégié de la population.
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