TRANSCRIPTION DE LA CONFERENCE DE PRESSE DU SECRETAIRE GENERAL, M. KOFI ANNAN AU SIEGE, LE 27 SEPTEMBRE 2001
Communiqué de presse SG/SM/7972 |
TRANSCRIPTION DE LA CONFERENCE DE PRESSE DU SECRETAIRE GENERAL, M. KOFI ANNAN
AU SIEGE, LE 27 SEPTEMBRE 2001
Le Secrétaire général : Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis ici avec vous aujourd’hui pour examiner la situation tragique de la population civile afghane, pour vous dire que l’Organisation des Nations Unies prend cette situation très au sérieux et pour vous faire savoir ce que font le système des Nations Unies et ses partenaires humanitaires à cet égard.
Tout d’abord, permettez-moi de répéter ce que j’ai dit il y deux jours : des civils innocents ne doivent pas payer pour les actes de leur gouvernement. Le monde est uni contre le terrorisme. Qu’il s’unisse aussi pour protéger et aider les victimes des situations d’urgence et des catastrophes.
Cela s’applique à la crise très grave qui sévit déjà en Afghanistan. Mais nous devons aussi être prêts à faire face aux nouvelles dimensions de cette crise.
Cela suppose que nous soyons prêts à répondre à des besoins humanitaires nettement accrus et à apporter un appui beaucoup plus important aux pays voisins qui accueillent des réfugiés afghans.
Cela suppose que nous soyons en mesure de protéger les plus vulnérables – en particulier les femmes et les enfants – et de subvenir à leurs besoins à plus long terme dans leur communauté.
Je lance donc aujourd’hui une alerte aux donateurs pour pouvoir aider, dans les six mois à venir, jusqu’à 7,5 millions d’Afghans, tant en Afghanistan que dans les pays voisins.
Sur la base de calculs soigneux faits par les différents organismes humanitaires des Nations Unies, nous estimons qu’il faudra réunir quelque 584 millions de dollars.
Ce chiffre suppose une augmentation de près de 50 % (de 5 à 7,5 millions) du nombre de personnes dont la survie dépend de l’aide étrangère.
On a aussi supposé que le nombre de déplacés augmenterait considérablement et tablé sur le fait que les Afghans risquaient de passer la frontière en masse pour se réfugier dans les pays voisins.
Par ailleurs, nous sommes en train d’aménager nos structures de gestion sur le terrain pour pouvoir gérer cette crise, avec toutes ses retombées régionales.
Certains d’entre vous savent peut-être déjà que Kenzo Oshima, le Coordonnateur des secours d’urgence, est à Berlin aujourd’hui pour expliquer tout ceci aux gouvernements donateurs, à une réunion d’urgence du Groupe d’appui afghan. À partir de là, je lui ai demandé de se rendre au Pakistan et en Iran pour passer en revue l’état de préparation de tous les services des Nations Unies qui se trouvent sur place et tenir des consultations avec les Gouvernements de ces pays.
Je vais à présent essayer de répondre à vos questions; je vous prie de vous en tenir à la situation humanitaire que nous examinons.
Question : Dans votre rapport, vous avez mentionné la possibilité d’une intervention militaire et parlé de distributions d’aide dans un tel contexte. Peut-être allez-vous aussi vous mettre en contact avec l’Alliance du Nord, les pays voisins de l’Afghanistan et les États-Unis. Où en êtes-vous?
Le Secrétaire général : Nous avons pris contact avec tous les gouvernements concernés, ainsi qu’avec les gouvernements des pays voisins. Nous avons fait des préparatifs, nous avons essayé de faire des mises au point et de nous adapter dans toute la mesure possible pour pouvoir aider les gens dans les zones où nous pouvons acheminer des vivres. Des vivres arrivent dans le nord-ouest et le nord-est. Mais il y a bien d’autres parties du pays auxquelles nous n’avons pas accès ou dans lesquelles nous ne pouvons pas assurer la sécurité de notre personnel. Comme vous le savez, la plus grande partie de notre personnel a quitté le pays pour des raisons de sécurité. Si la nécessité s’en fait sentir à un moment donné, et s’il semble que cela soit techniquement faisable, nous devrons peut-être envisager des parachutages.
Question : Les États-Unis ont annoncé qu’ils vont lancer une immense campagne de lutte contre le terrorisme. Avez-vous un plan d’urgence pour acheminer des secours dans d’autres pays?
Le Secrétaire général : Nous maintenons une présence, dans le cadre d’un arrangement régional, dans tous les pays voisins de l’Afghanistan. Notre approche est régionale. Nous avons un coordonnateur régional. Comme je l’ai dit, nous voulons être en mesure d’aider les Afghans qui se réfugient dans d’autres pays, ainsi que ceux qui sont déplacés dans le pays. Notre approche est donc régionale.
Question : Qu’est-ce qui se passera si les États-Unis attaquent un autre pays, autre que l’Afghanistan?
Le Secrétaire général : C’est de la spéculation, et je ne souhaite pas entrer dans ce genre de considération.
Question : Vous avez demandé que toutes les questions portent sur l’aspect humanitaire de la crise. Cela veut-il dire que vous avez perdu l’espoir ou bien continuez-vous d’espérer que le conflit pourra être réglé par des moyens politiques? Avez-vous, vous-même, fait des tentatives pour éviter un tel affrontement, comme votre talent vous a permis de le faire dans d’autres circonstances?
Le Secrétaire général : Je m’explique : quand je vous ai demandé de vous en tenir à la question humanitaire, c’était sans aucun sous-entendu, et j’espère que vous n’avez tiré aucune conclusion. Le fait est que je voulais vous parler d’une situation humanitaire difficile et de l’alerte aux donateurs, l’appel que nous lançons pour réunir 584 millions de dollars. Je voulais éviter d’entrer dans des discussions sur d’autres sujets ou d’autres aspects de la question, qui risqueraient de prendre le dessus sur l’urgence humanitaire à laquelle nous devons faire face. C’est uniquement pour cette raison que je voulais que nous nous concentrions sur les aspects humanitaires de la crise. Ce matin, j’étais au Conseil de sécurité, et nous avons examiné cette situation humanitaire; le Conseil examinera une résolution sur d’autres aspects du problème plus tard dans la journée. En fait, je crois qu’ils sont précisément en train de distribuer le texte.
Question : Il y a en Afghanistan des petits enfants et des personnes âgées qui vivent à proximité des Taliban. Ils sont tout à fait opposés aux Taliban. S’il y a un problème, s’ils sont attaqués, les Nations Unies seront-elles en mesure d’aller jusqu’à eux, de les soutenir et de les aider à s’en sortir?
Le Secrétaire général : Encore une fois, de toute évidence, je ne sais pas quelles mesures vont être prises et s’il y aura des victimes civiles, ce qui n’est pas à exclure dans des cas pareils. Comme je l’ai dit, du point de vue humanitaire, les Nations Unies se préparent et nous faisons tout ce que nous pouvons pour être en mesure d’aider la population afghane en Afghanistan et en dehors de l’Afghanistan. À l’heure actuelle, c’est tout ce que je peux vous dire.
Question (interprétation du français) : Les États-Unis ont demandé au Pakistan de fermer sa frontière. Je voudrais savoir si cette frontière est vraiment fermée ou s’il y a des réfugiés qui passent.
Le Secrétaire général (interprétation du français) : En fait, il y a quelque temps, les Gouvernements pakistanais et iranien ont annoncé qu’ils avaient fermé leurs frontières. M. Lubbers, le Haut Commissaire pour les réfugiés, et moi-même, leur avons parlé et leur avons demandé de permettre aux réfugiés d’entrer chez eux, ne fut-ce que provisoirement; plus tard, lorsque le calme serait revenu, on pourrait les aider à rentrer chez eux. Nous examinons la question avec ces deux pays. J’espère que nous aurons gain de cause. Jusqu’à présent, on estime que 20 000 Afghans se sont déjà réfugiés au Pakistan.
Question : Monsieur le Secrétaire général, j’espère que votre réponse concernant l’assistance humanitaire ne m’a pas échappé. Cette assistance s’adresse principalement aux réfugiés, au Pakistan ou dans d’autres pays. Qu’en est-il des personnes âgées, des enfants, des femmes, des femmes enceintes et de tous ceux qui ne peuvent pas passer la frontière? Avez-vous un plan en ce qui les concerne? Avez-vous, vous ou votre représentant, parlé avec les Taliban de l’assistance à ceux qui se trouvent en Afghanistan?
Le Secrétaire général : Je pense que ce groupe entre dans la catégorie des personnes déplacées et des nécessiteux en Afghanistan. C’est pourquoi j’ai indiqué le chiffre de 7,5 millions de personnes; il s’agit du nombre d’Afghans qui compteront sur l’aide humanitaire pour leur subsistance et leur survie quotidiennes. Nous avons en Afghanistan un très important programme d’aide humanitaire, qui était déjà en place avant même que le présent conflit n’ait atteint ce point d’ébullition. Nous le poursuivrons dès que la situation en matière de sécurité et d’accès nous permettra de le faire.
Nous avons bien quelques fournitures en Afghanistan. Je crois que nous disposions de vivres dans le pays pour deux ou trois semaines, et nous espérons pouvoir y faire parvenir d’autres fournitures. Je vais peut-être demander à Carolyn [McAskie] d’expliquer. Nous essayons de trouver des camions pour transporter d’autres approvisionnements, mais ce n’est pas facile. Il n’y a pas beaucoup de gens qui veulent se trouver dans cette situation. Voulez-vous en dire un mot?
Mme McAskie : Je vous remercie, M. le Secrétaire général. L'acheminement des fournitures à travers la frontière afghane constitue, comme vous l’avez indiqué, une bonne partie du problème que nous essayons de résoudre. Comme l’a dit le Secrétaire général, nous tablons sur un nombre total de 7,5 millions de personnes dont 1,5 million seraient potentiellement de nouveaux réfugiés. Mais les autres 6 millions de personnes qui sont concernées par l’alerte aux donateurs sont en fait des gens qui se trouvent dans le pays et dont nous essayons déjà d’aider un grand nombre.
Le Programme alimentaire mondial continue de travailler, de même que des organisations non gouvernementales, dans les zones septentrionales couvertes par l’Alliance du Nord, et nous avons pu y faire parvenir des vivres. Mais même l’Ouzbékistan n’est pas disposé à ouvrir ses frontières; le Tadjikistan non plus ne tient pas à le faire et, comme l’a dit le Secrétaire général, les camions qui sont disponibles sont utilisés pour les gens qui essaient de fuir le pays. Les réserves de carburant s’amenuisent. Les conducteurs sont parmi les personnes déplacées. Les camions de l’extérieur ne veulent pas entrer dans le pays. Il se pose donc une multitude de problèmes qui entravent les efforts.
Question : M. le Secrétaire général, comment envisagez-vous d’assurer la sécurité des agents d’aide humanitaire qui interviennent dans cette situation? Vous avez les Taliban qui ont déjà sévi ou menacé de sévir contre le personnel local des Nations Unies. Nul n’ignore que le réseau de ben Laden ne considère pas l’ONU comme une amie. Êtes-vous préoccupé par le fait que les agents d’aide humanitaire seront en première ligne dans cette nouvelle guerre contre le terrorisme et seront en fait pris pour cibles soit par les Taliban soit par le réseau ben Laden?
Le Secrétaire général : Je pense qui vous avez touché du doigt l’un des plus graves problèmes que nous rencontrons. Comme vous le savez tous, nous avons retiré du pays la plupart de nos agents d’aide humanitaire. Nous parlons d’envoyer des fournitures en Afghanistan, mais il nous faudra également y envoyer des agents d’aide humanitaire. Pendant un certain temps nous avons employé nos agents nationaux afghans et ils ont fait un travail remarquable. Ils ont été très courageux, au prix de grands risques pour leur propre sécurité, et il faudrait leur rendre hommage. Mais, même eux ont trouvé difficile de poursuivre leur travail.
De toute évidence, il faudrait espérer qu’il y aura un changement dynamique dans la situation qui nous permette de retourner dans le pays et d’y poursuivre notre travail. Nous avons perdu de nombreux agents d’aide humanitaire au cours des 12 derniers mois et nous ne ferons pas preuve d’imprudence avec le personnel.
Question : Plus ou moins dans le même ordre d’idée, le Gouvernement des Taliban a-t-il posé de nouvelles exigences au sujet de la procédure, de l’exécution du nouveau programme d’aide? Nous savons que par le passé il a souvent fallu interrompre l’ensemble du processus.
Le Secrétaire général : Je pense que l’une des difficultés auxquelles nous avons eu à faire face est que nous avons dû couper toutes nos transmissions. Nous n’avons plus de liaison qu’avec une ville en Afghanistan, la ville de Herat. Nous ne savons pas dans quel état se trouvent les équipements, le matériel de télécommunications et autre matériel logistique que nous avons laissés derrière. Nous savons qu’environ 1,2 à 1,5 tonnes de produits alimentaires que nous avions laissés ont disparu, ont été emportés. Nous avons dû abandonner de nombreux équipements d’une valeur de plusieurs millions de dollars. Il nous faudra donc rétablir nos transmissions. Il nous faudra faire entrer notre personnel dans le pays. Il nous faudra nous assurer l’accès et la sécurité pour être en mesure de fonctionner efficacement.
Question : Je ne sais pas si vous l’avez expliqué, mais hier, les estimations de l’ONU étaient initialement de l’ordre de 252 à 253 millions de dollars. Elles sont aujourd’hui de 584 millions. Je me demande seulement si les chiffres d’hier avaient été largement sous-estimés.
Le Secrétaire général : Je pense que les chiffres qui vous ont été communiqués hier étaient seulement pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés; c’était pour une seule institution mais les chiffres que nous avons actuellement comprennent une aide alimentaire de 188 millions de dollars. Commençons donc avec les chiffres du HCR que vous avez utilisés. Hier, cet organisme a annoncé ses besoins, d’un montant de 273 millions de dollars. Le chiffre que je vous ai donné comprend ce montant plus 188 millions de dollars pour l’aide alimentaire et 37 millions de dollars pour l’assistance non alimentaire, y compris le logement, 20 millions de dollars pour la santé, 9 millions de dollars pour l’eau et l’assainissement et 14 millions de dollars pour la coordination, y compris la sécurité.
Question : M. le Secrétaire général, en dehors de l’aide humanitaire, pensez-vous que l’Organisation des Nations Unies puisse créer une équipe spéciale sur le terrorisme?
Le Secrétaire général : Je crois que vous sortez du cadre humanitaire. Je pense que nous pourrions examiner cette question une autre fois. Le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale préparent la réponse de l’ONU et vous entendrez bientôt le Conseil intervenir sur la question.
Question : Le Coordonnateur régional pour les questions humanitaires a-t-il déjà été nommé? Où sera-t-il basé? Cela traduit-il la crainte que cette crise, la crise humanitaire, ne déstabilise l’ensemble de la région de l’Asie centrale?
Le Secrétaire général : La situation comporte d’importants aspects régionaux et je pense que les réfugiés tenteront de se rendre où ils pourront. Tous les pays voisins subiront donc des pressions à leurs frontières à des degrés divers.
Mme McAskie : Le HCR, le PAM et l’UNICEF ont tous désigné des fonctionnaires de haut rang pour s’occuper de la région et, à l’issue de consultations interorganisations approfondies, nous avons nommé le coordonnateur actuel sur le terrain, M. Mike Sackett, coordonnateur régional. Il travaillera non seulement avec ses collègues habituels de l’action humanitaire mais aussi, en raison de la nature de la crise régionale, avec les coordonnateurs résidents actuels déjà en poste au Tadjikistan, au Turkménistan, en Ouzbékistan et en Iran.
Nous avons, en fait, affecté des fonctionnaires spécialement chargés de la coordination aux bureaux des coordonnateurs résidents; ils pourront ainsi tous s’intégrer à la structure de coordination régionale qui opère à partir d’Islamabad.
Question : S’agissant de la possibilité de larguer des vivres ou des fournitures, ne craignez-vous pas que certains des articles puissent tomber aux mains de forces que vous ne souhaiteriez pas voir en profiter – par exemple, celles des Taliban ou autres?
Le Secrétaire général : C’est constamment un problème pour notre action humanitaire dans ce genre de situation. En fait, hier dans ma déclaration, j’ai indiqué que ceux qui empêchent l’aide de parvenir aux nécessiteux devront rendre des comptes. De toute évidence, si nous devons procéder à un largage de ce type, nous devrons nous assurer, ou être raisonnablement certains, que l’essentiel des articles parviendront aux nécessiteux auxquels ils sont destinés et ne serviront pas à nourrir une armée d’un côté comme de l’autre. C’est une question qu’il nous faudra étudier très attentivement afin de déterminer la faisabilité de l’opération.
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