A L’OCCASION D'UNE CONFERENCE DAG HAMMARSKJÖLD, M. KOFI ANNAN SOULIGNE QUE LES IDEES FONDAMENTALES DE L’EX-SECRETAIRE GENERAL SONT TOUJOURS D’ACTUALITE
Communiqué de presse SG/SM/7941 |
A L’OCCASION D'UNE CONFERENCE DAG HAMMARSKJÖLD, M. KOFI ANNAN SOULIGNE QUE
LES IDEES FONDAMENTALES DE L’EX-SECRETAIRE GENERAL SONT TOUJOURS D’ACTUALITE
On trouvera ci-dessous le texte intégral de la déclaration magistrale intitulée "Dag Hammarskjöld et le XXIème siècle", qui a été faite aujourd'hui à Uppsala en Suède par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, dans le cadre de la série de Conférences académiques Dag Hammarskjöld:
Mes fonctions de Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies m’amènent à prononcer bien des discours, et souvent même à donner des conférences. Toutefois, aucune invitation à prendre la parole ne me fait plus d’honneur ni ne m’est un plus grand défi que celle-ci.
Vous ne serez pas surpris d’apprendre que Dag Hammarskjöld est à mes yeux – comme aux yeux sans doute de tout Secrétaire général – un personnage d’importance considérable. Sa vie et sa mort, ses paroles et ses actes ont davantage contribué que ceux de tout autre homme et de toute autre femme dans l’histoire de l’ONU à forger l’idée que se fait le public de la fonction, je dirai même plus de l’Organisation.
Sa sagesse et sa modération, son intégrité irréprochable et un sens indéfectible du devoir ont placé très haut la barre pour tous ceux qui servent la communauté internationale et en particulier pour ses successeurs. Quelle meilleure règle de conduite pourrait se donner un Secrétaire général que d’aborder chaque nouvelle difficulté, chaque nouvelle crise en se demandant : « Qu’aurait fait Dag Hammarskjöld à ma place?»
S’il en est ainsi de toute personne occupant la fonction de Secrétaire général, que dire des hommes et des femmes de ma génération qui ont atteint l’âge adulte alors que Dag Hammarskjöld incarnait l’Organisation, une génération dont je fais partie puisque j’ai commencé ma carrière dans le système des Nations Unies alors que Dag Hammarskjöld était mort depuis moins d’un an.
Et que dire encore de ceux qui, comme moi, ont tissé des liens particuliers avec sa patrie!
Vous comprendrez donc qu’il s’agit pour moi d’une occasion solennelle, d’autant que nous approchons du quarantième anniversaire de la mort de Dag Hammarskjöld et que je viens de me rendre dans la région d’Afrique où il a trouvé la mort, et plus précisément dans un pays, la République démocratique du Congo, où, quarante ans plus tard, l’ONU est de nouveau engagée dans un effort qui vise à rétablir l’unité et la paix.
Je peux vous assurer que les Congolais n’ont pas oublié Dag Hammarskjöld. Il y a quatre jours, durant ma visite au Congo, j’ai rencontré des représentants des parties au dialogue intercongolais. Leur porte-parole a ouvert la réunion en disant l’estime que son peuple portait à l’ancien Secrétaire général pour son dévouement et la reconnaissance qu’il lui devait pour avoir donner sa vie pour la paix au Congo. Les personnes présentes ont été invitées à rendre hommage à la mémoire de Dag Hammarskjöld en observant une minute de silence. J’ai été très touché que 40 ans après sa mort, Dag Hammarskjöld suscite toujours les mêmes sentiments.
En Zambie aussi – comme vous savez, c’est dans ce pays que Dag Hammarskjöld a trouvé la mort – on commémore chaque année ce jour tragique. Le Gouvernement zambien, tout comme le vôtre et de même que le système des Nations Unies, a lancé un « mémorial vivant » constitué d’un programme de formation visant à faire des jeunes Africains des « messagers de la paix » et d’un centre pour la paix, la bonne gestion des affaires publiques et les droits de l’homme. Comment honorer la mémoire de ce grand homme sinon en œuvrant pour les idéaux qui lui étaient chers?
Si Dag Hammarskjöld franchissait à l’instant cette porte et me demandait d’évoquer pour lui les grands problèmes dont est aujourd’hui saisie l’ONU, je pourrais aisément lui répondre de telle manière qu’il croirait que le monde n’a guère changé.
Je pourrais lui parler non seulement du Congo mais aussi du Moyen-Orient, de Chypre ou encore des relations entre l’Inde et le Pakistan, toutes questions qui lui seraient familières.
Mais je pourrais aussi lui parler de bouleversements qui le surprendraient – certains moins que d’autres – et dont certains plus que d’autres le rempliraient de joie.
Il serait sans doute heureux – mais non surpris – d’apprendre que la Chine est désormais représentée à l’ONU par le gouvernement qui dirige de fait l’immense majorité des Chinois.
Il serait en revanche surpris de découvrir que l’Union soviétique n’existe plus et ne pourrait que se réjouir de constater que les membres permanents du Conseil de sécurité ne sont plus séparés par un fossé idéologique infranchissable.
Il serait peut-être frappé du nombre de conflits dans lesquels l’ONU intervient et qui au lieu d’opposer des États entre eux se déroulent en leur sein – quoique le drame du Congo l’y eût préparé – et par le nombre d’organisations régionales qui se sont imposées comme partenaires de l’ONU aux quatre coins du monde.
Quoi qu’il en soit, je ne doute pas qu’il se réjouirait de voir l’ampleur prise par les activités de maintien de la paix, qui ont atteint un degré de diversité et de complexité sans commune mesure avec le modèle que Lester Pearson et lui-même avaient si brillamment mis au point en 1956, pour devenir ce qu’il est plus juste de désigner par l’expression « consolidation de la paix ».
J’imagine qu’il serait tout aussi impressionné par le large éventail de questions que l’ONU est désormais appelée à traiter en dehors du domaine traditionnel de la sécurité – depuis le changement climatique jusqu’au VIH/sida.
Il se réjouirait d’apprendre que la démocratie et le respect des droits de l’homme sont maintenant largement admis de par le monde comme étant la norme, une évolution qui ne le surprendrait peut-être pas tant que cela d’ailleurs. Mais il serait sans doute navré de constater à quel point, dans nombre de pays, la réalité est encore éloignée du discours.
Nul doute qu’il serait profondément peiné d’apprendre qu’au cours des 10 ans écoulés, le génocide a de nouveau souillé l’humanité – et qu’entre autres plus d’un milliard d’hommes et de femmes, aujourd’hui, vivent dans l’extrême pauvreté. Sans doute estimerait-il que les tâches les plus urgentes auxquelles nous ayons à faire face en ce siècle nouveau seraient d’éliminer la misère et d’empêcher la répétition d'actes de génocide.
Il serait certes impressionné par la rapidité et l’intensité des communications modernes et momentanément désarçonné par les mots « fax », « portable », « mail » et « Internet ». Je suis sûr toutefois qu’il ne tarderait pas à saisir les avantages et les inconvénients de ces moyens modernes, pour les progrès de la civilisation en général et de la diplomatie en particulier.
Il est clair que les idées fondamentales auxquelles il était attaché sont toujours autant d’actualité dans le nouveau contexte international. À nous de réfléchir à la manière dont elles pourraient être adaptées.
Une idée dont il s’est inspiré dans toutes ses paroles et dans tous ses actes en tant que Secrétaire général est la conviction que l’ONU devait être un « instrument dynamique », par l’intermédiaire duquel les États Membres élaboreraient ensemble des formes d’action volontariste.
Au fil des années passées dans le poste de Secrétaire général, il a été de plus en plus troublé de constater que certains États Membres ne partageaient pas cette conception, ne voyant en l’Organisation qu’un mécanisme de dialogue destiné à trouver des solutions aux conflits d’intérêts et au choc des idéologies pour permettre une coexistence pacifique.
Dans l’introduction de son dernier rapport annuel – ouvrage magistral qui donne presque l’impression au lecteur que son auteur savait qu’il écrivait alors son testament politique – Dag Hammarskjöld faisait valoir que ceux qui avaient cette conception de l’Organisation n’accordaient pas à certains principes de la Charte l’importance qu’ils auraient dû.
Il faisait valoir que la Charte impliquait clairement qu’il existait une communauté internationale, pour laquelle l’Organisation était un instrument et un mode d’expression. L’objectif primordial de cette communauté était de mettre les générations à venir à l’abri du fléau de la guerre, et à cette fin il lui fallait se conformer à certains principes essentiels.
Ces principes étaient les suivants :
• Premièrement, l’égalité des droits politiques, qui renvoie à la fois à l’égalité souveraine de tous les États Membres (Article 2 de la Charte) et au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Article premier).
• Deuxièmement, l’égalité des chances sur le plan matériel, à laquelle fait référence l’Article 55 lorsqu’il y est question de la lutte pour « le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l’ordre économique et social » ainsi que de « la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes ».
• Troisièmement, la justice, ce par quoi il entendait que l’action de la communauté internationale devait se fonder sur le droit, avec un mécanisme judiciaire permettant de faire respecter le droit et le principe de justice.
• Et enfin, l’interdiction du recours à la force des armes, « sauf dans l’intérêt commun ».
Ces principes, soutenait Dag Hammarskjöld, étaient incompatibles avec l’idée d’une ONU qui n’aurait été qu’une conférence ou une salle de débat, et on pouvait en dire autant du pouvoir que la Charte confère aux organes principaux de l’Organisation et particulièrement au Conseil de sécurité, qui possède indiscutablement des pouvoirs de caractère exécutif et législatif.
Le cadre dans lequel il avançait ces arguments était bien sûr celui de la guerre froide, et plus particulièrement celui de la campagne menée contre lui par l’Union soviétique pendant la crise du Congo, en 1960/61.
Cette campagne est heureusement loin derrière nous. Mais il continue de nous arriver, de temps en temps, de devoir faire face aux manœuvres d’États Membres qui tentent de réduire l’Organisation à un « mécanisme de conférence ».
Ces manœuvres ne sont plus systématiquement le fait d’un camp particulier dans l’affrontement idéologique. Leur origine a plutôt tendance à être différente selon l’objet du débat.
D’une manière générale, les pays industrialisés restent peu désireux de voir l’ONU prendre des mesures concrètes pour appliquer le deuxième principe de Dag Hammarskjöld, celui de la promotion de l’égalité des chances sur le plan économique. De leur côté, les gouvernements de certains autres pays n’ont pas plus envie de la voir s’engager activement dans la lutte pour « le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous ».
Dans un cas comme dans l’autre, le Secrétaire général n’a, à mon sens, pas le choix. Il doit suivre l’exemple de Dag Hammarskjöld et affirmer que l’ONU a le droit de s’efforcer d’atteindre les objectifs qui lui sont fixés dans la Charte, et que c’est même son devoir.
Il faut bien sûr toujours faire une place au débat et à la négociation sur la question de savoir quelle forme donner à l’action. Mais l’ONU ne remplira pas son devoir vis-à-vis des peuples de la Terre, de qui elle tient en fin de compte son autorité, si elle se laisse réduire à une simple « conférence hiératique », qu’il s’agisse des droits économiques et sociaux ou des droits civils et politiques.
On peut dire la même chose de la haute idée que se faisait Dag Hammarskjöld des fonctionnaires internationaux, question qu’il a aussi traitée dans son dernier rapport annuel ainsi que dans une conférence donnée, le même été, à l’Université d’Oxford.
Ce qu’il soutenait en la matière était que les personnes chargées d’exercer les fonctions de direction à l’ONU ne pouvaient pas être neutres par rapport aux principes de la Charte. Pas plus qu’on ne devrait les considérer, ou admettre qu’eux-mêmes se considèrent, comme ayant été nommés par leur pays ou comme le représentant. Ils devaient représenter la communauté internationale dans son ensemble.
Sur ce point aussi, Dag Hammarskjöld appuyait son argumentation sur une analyse très approfondie de la Charte – des Articles 100 et 101, en l’occurrence.
Le premier interdit au Secrétaire général et aux fonctionnaires de l’Organisation de solliciter ou d’accepter des instructions d’un État quel qu'il soit. Le second désigne « les plus hautes qualités de travail, de compétence et d’intégrité » comme étant « la considération dominante dans le recrutement » du personnel.
Ici encore, les arguments de Dag Hammarskjöld se plaçaient dans le contexte de la guerre froide, dans lequel un des deux camps puis l’autre avaient essayé de s’arroger le droit d’être représenté au sein du Secrétariat par des individus dévoués à leur cause politique ou idéologique.
Et ici aussi, le contexte a évolué, et je suis heureux de pouvoir dire qu’aujourd’hui, tout en étant extrêmement désireux de voir leurs nationaux occuper des postes de haut niveau, les États ne cherchent plus – ou du moins, pas de la même manière – à les contrôler politiquement une fois qu’ils ont été nommés.
Mais le principe de l’indépendance de la fonction publique internationale, auquel Dag Hammarskjöld était si attaché, reste aussi important que jamais. Chacun de ceux qui se succèdent au poste de Secrétaire général doit le défendre avec vigilance, même si nous sommes parfois contraints, le monde ayant changé, de ne pas suivre ses préceptes à la lettre afin d’en préserver l’esprit.
Je ne donnerai qu’un exemple : Dag Hammarskjöld affirmait avec insistance que la majorité des fonctionnaires de l’ONU devrait être engagée à titre permanent et s’attendre à faire toute sa carrière à l’Organisation.
C’était peut-être vrai à l’époque. Ce l’est moins maintenant que les activités de l’Organisation ont pris de l’ampleur et que plus de la moitié du personnel travaille dans des missions hors Siège. Voilà une évolution dont Dag Hammarskjöld se serait sûrement réjoui, puisqu’elle correspond au passage du modèle de la « conférence hiératique » à celui de l’« instrument dynamique » auquel il croyait tant.
Mais ce qui est net, c’est que son idéal de l’ONU, mode d’expression de la communauté internationale, dont les fonctionnaires exécutent des décisions prises collectivement par les États au lieu de se plier à la volonté de l’un d’eux, reste toujours autant d’actualité aujourd’hui qu’à son époque.
Il en découle, bien entendu, des conséquences très importantes pour le rôle du Secrétaire général lui-même.
Dag Hammarskjöld a fait observer que l’Article 99 de la Charte – selon lequel le Secrétaire général peut, de sa propre initiative, attirer l’attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales – faisait de lui, à l’évidence, un responsable politique plutôt qu’un simple responsable administratif.
En pratique, les secrétaires généraux successifs, y compris Dag Hammarskjöld, n’ont invoqué cet article qu’avec la plus grande parcimonie. Pour ma part, je n’ai encore jamais jugé utile de le faire. Toutefois, le fait que le Secrétaire général soit investi de ce pouvoir influe d’une manière capitale sur la façon dont il est traité par le Conseil de sécurité et par les États Membres en général.
Rares sont ceux qui mettent désormais en cause la responsabilité qui échoit au Secrétaire général d’agir au plan politique ou de faire des déclarations publiques sur des questions politiques.
À dire vrai, il se trouve qu’aujourd’hui les rôles sont renversés : on me demande de faire des déclarations officielles sur à peu près tout ce qui se passe dans le monde, allant d’un mariage royal jusqu’à la possibilité du clonage humain!
Je fais de mon mieux pour répondre à cette demande avec tout le respect dû aux décisions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale. Cependant, ces instances trouveraient pour le moins étrange qu’à chaque fois je demande leur assentiment avant d’ouvrir la bouche!
Leurs membres peuvent, et ils n’y manquent pas, s’offusquer de certaines de mes déclarations – et c’est une bonne chose. La liberté de parole doit exister pour les États tout comme pour les responsables internationaux! Mais ils ne remettent pas en question mon droit de faire des déclarations conformes à ma propre conception des buts et des principes des Nations Unies tels qu’ils sont énoncés dans la Charte.
Nul doute que Dag Hammarskjöld serait, lui aussi, en désaccord avec certaines des positions que j’ai prises. Mais je pense qu’il envierait la liberté dont je jouis de décider de ce que je dis. Et je ne doute pas un instant qu’il approuverait avec force le principe selon lequel le Secrétaire général se doit d’être un écho authentique et indépendant de la communauté internationale.
Ce qu’il n’avait sans doute pas prévu, c’est l’évolution qu’a connue au cours de ces dernières années notre manière de percevoir notre communauté. À son époque, il s’agissait pour l’essentiel d’une communauté de nations ou de peuples distincts qui, à toutes fins utiles, étaient représentés par des États.
Ainsi, si l’on récapitule tout ce que, dans le monde d’aujourd’hui, nous aurions besoin de lui expliquer s’il venait soudain se joindre à nous, la chose à laquelle il aurait sans doute le plus de mal à se faire serait l’incroyable complexité d’un monde dans lequel des individus et des groupes de toutes sortes
sont en constante interaction – à travers les frontières et les océans, aux plans économique, social et culturel – sans attendre ni recevoir d’autorisation, et moins encore d’aide, de leurs gouvernements respectifs.
Il aurait sans doute du mal à discerner le rôle précis, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, d’une instance telle que les Nations Unies, dont la Charte présuppose la division du monde en États souverains et égaux, et au sein de laquelle les peuples du monde sont représentés par leurs gouvernements respectifs.
Il aurait du mal à le faire – et il ne serait pas le seul! Mais je suis convaincu qu’il relèverait ce défi avec enthousiasme. Et je suis sûr qu’il ne renoncerait nullement à sa conviction profonde selon laquelle l’Organisation des Nations Unies a pour mission essentielle de protéger les faibles contre les forts.
À terme, la vitalité et la viabilité de l’Organisation sont subordonnées à sa capacité de remplir cette mission en s’adaptant à un monde en évolution. Telle est, à mon sens, la plus grande épreuve qu’elle aura à affronter en ce nouveau siècle.
Quelle serait ici la démarche de Dag Hammarskjöld?
Tout d’abord, il maintiendrait, à juste titre, que les États restent les principaux détenteurs du pouvoir politique dans ce monde, et que tout porte à croire qu’ils le demeureront. De fait, plus ils deviennent démocratiques – plus ils représentent authentiquement leurs peuples et plus ils sont tenus de leur rendre compte – et plus grande sera leur légitimité politique. Aussi est-il parfaitement légitime, et tout aussi inévitable, qu’ils demeurent les maîtres politiques de l’Organisation des Nations Unies.
Il maintiendrait aussi, j’en suis sûr, que les États doivent demeurer responsables du maintien de l’ordre international – et responsables à titre collectif, ainsi que leurs dirigeants s’y sont solennellement engagés dans la Déclaration du Millénaire qu’ils ont signée l’an dernier, du maintien des principes de dignité humaine, d’égalité et d’équité à l’échelle mondiale.
Et il dirait sans doute que, à quelques honorables exceptions près, les pays les mieux nantis de ce monde n’assument pas cette responsabilité dans la mesure où ils ne remplissent pas les engagements qu’ils ont pris depuis bien longtemps d’accroître sensiblement leur aide au développement, de consentir un allégement de la dette beaucoup plus généreux et d’assurer l’accès en franchise de droits et hors quotas aux exportations en provenance des pays les moins avancés.
Mais il constaterait aussi que, de son temps, l’État exerçait sa mainmise sur la vie des citoyens dans la plupart des pays. Et il constaterait qu’aujourd’hui les États prélèvent d’une manière générale une part plus faible des richesses de leurs citoyens qu’il y a 40 ans.
Il pourrait en conclure que nous ne devrions pas non plus nous en remettre exclusivement à l’État pour atteindre nos objectifs au plan international.
Il semblerait, penserait-il, que bien des choses reposent sur des acteurs autres que les États – sociétés privées, organisations ou groupes de pression bénévoles, fondations philanthropiques, universités et groupes de réflexion et, bien entendu, des particuliers à l’esprit créatif.
Et nul doute que cette pensée nourrirait sa réflexion sur le rôle de l’Organisation des Nations Unies.
Peut-elle se borner, au XXIe siècle, à coordonner l’action des États? Ou doit-elle aller plus loin?
N’est-elle pas obligée, pour remplir les objectifs énoncés dans la Charte, d’établir des partenariats avec tous ces différents acteurs? De les écouter, de les guider et de les pousser à agir?
Ne doit-elle pas, avant tout, fournir un cadre de valeurs et de conceptions communes dans lequel leurs initiatives libres et volontaires puissent opérer en interaction et se renforcer mutuellement au lieu de se faire obstacle?
Peut-être est-il présomptueux de ma part de donner à entendre que Dag Hammarskjöld percevrait ainsi le rôle de l’Organisation des Nations Unies au XXIe siècle – car telle en est, bien entendu, ma propreperception.
Nul doute que, s’il était parmi nous aujourd’hui, il nous proposerait une vision des choses plus noble et plus profonde.
Mais j’aime à croire, Mesdames et Messieurs, que ce que je viens d’exposer y trouverait sa place.
Merci beaucoup.
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