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SG/SM/7919

LA GOUVERNANCE DEMOCRATIQUE EST UN FACTEUR D’HARMONIE ET DE STABILITE TANT AU PLAN NATIONAL QUE MONDIAL, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

20/08/2001
Communiqué de presse
SG/SM/7919


LA GOUVERNANCE DEMOCRATIQUE EST UN FACTEUR D’HARMONIE ET DE STABILITE TANT AU PLAN NATIONAL QUE MONDIAL, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL


Ci-après, le texte du discours du Secrétaire général, M. Kofi Annan, à la conférence sur « Les défis de la gouvernance démocratique sur fond de mondialisation », à l’Université d’Oslo, le 20 août:


C’est un grand plaisir pour moi de me retrouver à nouveau en Norvège. Comme certains d’entre vous le savent peut-être, cela fait presque deux semaines que je suis arrivé ici en vacances d’été.  En effet, lorsque nous avons commencé à préparer nos vacances, mon épouse et moi-même, le meilleur endroit où nous détendre nous a paru être la Norvège.


Je dois reconnaître cependant que si les fjords norvégiens sont toujours aussi beaux, ils ne sont plus aussi isolés qu’autrefois, grâce au téléphone portable. Cela m’a permis d’abattre un volume substantiel de travail tandis que notre bateau poursuivait sa croisière et que je contemplais vos splendides paysages.


Tel est en effet le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Nous sommes branchés, connectés, interdépendants. Nous vivons simultanément à l’échelle locale et à l’échelle mondiale. Même dans les endroits les plus reculés, les forces de la mondialisation influencent profondément notre vie quotidienne.


La Norvège mérite d’être félicitée pour avoir reconnu ce phénomène et lancé une série ambitieuse d’études et de discussions sur beaucoup des grandes questions soulevées par la mondialisation. Votre dialogue vient admirablement compléter, en effet, le débat en cours à l’ONU dans ce domaine.


Le thème de cette conférence, à savoir la gouvernance démocratique, a des dimensions à la fois nationales et internationales.


Nous vivons une époque dans laquelle l’aptitude d’une nation à se gouverner démocratiquement peut faire ou défaire non seulement son propre destin, mais celui d’autres nations auxquelles elle est liée par le commerce, les investissements, les affinités ou la proximité.


Un monde composé d’États jouissant de systèmes de gouvernement ouverts et responsables de leur gestion serait un monde plus pacifique que celui que nous connaissons aujourd’hui.


Un régime qui n’est pas comptable de sa gestion et qui peut contrôler ou manipuler les médias plus ou moins à sa guise a en effet moins de mal à mobiliser la société pour faire la guerre, que ce soit contre un régime du même type que lui ou contre une démocratie.


La démocratie libérale, par contre, est assortie de garde-fous inhérents contre l’aventurisme militaire, en plus de constituer en elle-même une méthode de gestion et de règlement pacifique des différends. En outre, il est beaucoup plus difficile de convaincre les citoyens d’une démocratie de la nécessité de faire la guerre à un autre pays doté d’un régime politique ouvert et transparent, plus ou moins semblable au leur. Dans les cas de ce genre, les deux peuples peuvent se rencontrer sur beaucoup d’autres terrains que la guerre ou la diplomatie.


La gouvernance démocratique est aussi un facteur d’harmonie et de stabilité internes. C’est en effet là où des minorités font l’objet d’une discrimination; où la société civile est exclue de toute participation dans les décisions; où les partis d’opposition ne peuvent pas se faire entendre; où l’état de droit est laminé par un régime autoritaire ou une démocratie de pure façade; où les citoyens se voient nier leur juste part des richesses d’une société, que l’on trouve un terrain propice à la naissance des conflits.


Trop souvent au cours des quelque 10 dernières années, l’ONU s’est vu demander d’aider à faire face aux conséquences, alors qu’il aurait mieux valu pour tout le monde s’attaquer à temps aux causes. D’ailleurs, une des principales raisons pour lesquelles l’ONU organise une conférence mondiale contre le racisme à la fin du mois en Afrique du Sud, c’est qu’elle veut souligner combien il est important de regarder de près les défaillances de nos sociétés et de redresser les torts et confronter les préjugés avant que, n’échappant à tout contrôle, ils ne donnent lieu à des violences et à des conflits.


Les États qui respectent tous leurs citoyens et leur donnent voix au chapitre dans les décisions qui les concernent ont aussi davantage de chance de libérer leurs énergies créatrices et, ce qui n’est pas moins important, de créer un environnement social et économique propre à attirer les investissements, tant intérieurs qu’étrangers. À ce point de vue, la gouvernance démocratique est également un facteur essentiel de développement. D’ailleurs, pour être concurrentiels dans une économie mondiale, les États doivent pouvoir compter sur un cadre législatif et réglementaire solide, une administration et des services publics efficaces et la fiabilité qui naît de l’état de droit.


Dans une large mesure, ce qui vaut sur le plan national vaut également sur le plan international. Si les États doivent aujourd’hui gouverner mieux, ils doivent aussi apprendre à gouverner mieux ensemble, en tant que communauté de nations. Les principes de la gouvernance démocratique ont la même importance sur le plan international que sur le plan national. Or, malgré des progrès notables, la démocratie au niveau mondial est loin d’être ce qu’elle pourrait être.


L’Organisation des Nations Unies est, quant à elle, fondée sur le principe éminemment démocratique de « l’égalité souveraine de tous ses États Membres ». Bien sûr, ces États sont en réalité très inégaux par la taille, la richesse et la puissance. Même s’il n’est guère probable que ces inégalités disparaissent dans un avenir proche, ce n’est pas là une situation dont aucun de nous puisse se satisfaire.


Il n’en reste pas moins que les petits et les faibles, dans l’ensemble, se sentent moins inégaux au sein de l’Organisation des Nations Unies que dans d’autres enceintes internationales. Bon nombre d’entre eux pensent, comme Dag Hammarskjöld, que la première mission de l’ONU est effectivement de protéger les faibles contre les forts. Sur le long terme, la vitalité et la viabilité de l’ONU dépendront de sa capacité de remplir cette mission en s’adaptant aux réalités du moment.


La plupart des États Membres, et probablement la plupart des gens en général, considèrent que l’ONU serait plus démocratique si l’on réformait le Conseil de sécurité pour le rendre plus représentatif de l’ensemble des États Membres. Je partage cet avis, mais je dois reconnaître que c’est essentiellement aux États Membres qu’il appartient de régler cette question entre eux et je constate qu’hélas, même s’ils s’entendent presque tous sur la nécessité d’une réforme, les modalités de cette réforme sont encore loin de faire l’objet d’un accord.


Nous ne devrions cependant pas nous limiter au Conseil de sécurité. Beaucoup de décisions importantes qui affectent profondément la vie de milliards d’êtres humains sont prises par d’autres institutions telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce et le Groupe des Huit. Le monde dans lequel nous vivons serait meilleur et plus juste – en fait, il serait plus démocratique – si, dans toutes ces instances, on faisait une plus large place aux vues et aux intérêts des pauvres, qui constituent la grande majorité de la race humaine.


On oppose parfois à ce qui précède l’argument selon lequel ceux qui prétendent représenter les pauvres ne sont pas vraiment représentatifs, en raison du déficit démocratique dont souffrent de nombreux pays pauvres. Si ceux qui l’avancent ne sont pas toujours de bonne foi, il reste que cet argument ne peut pas être ignoré. C’est avec plaisir que je constate, cependant, qu’il est de moins en moins valide à mesure que la démocratie s’implante davantage dans les pays en développement.


L’Organisation de l’unité africaine a d’ores et déjà pris une décision courageuse en déclarant qu’elle n’invitera plus à ses réunions au sommet des dirigeants qui se sont emparés du pouvoir par des moyens inconstitutionnels. J’espère que le jour viendra où l’Assemblée générale des Nations Unies suivra ce bel exemple, car son autorité ne manquera pas d’être grandement renforcée le jour où tous les gouvernements qui y sont représentés seront eux-mêmes, clairement et indiscutablement, représentatifs des peuples du monde.


Les entreprises transnationales occupent elles aussi une place cruciale dans la constellation des acteurs capables de contribuer à la gouvernance démocratique au niveau mondial. Ayant cela à l’esprit, il y a deux ans et demi, j’ai mis la communauté mondiale des affaires au défi de travailler avec l’ONU dans le cadre d’un pacte mondial qui serait une initiative visant, sur une base volontaire, à soutenir les droits de l’homme, défendre les normes du travail et protéger l’environnement.


Lorsque j’ai lancé cette initiative à Davos, certains dirigeants d’entreprises ne m’ont pas pris au sérieux.  Dix mois plus tard, après Seattle, ils ont commencé à voir les choses autrement.


Plus que quiconque, les entreprises transnationales ont créé l’espace économique unique dans lequel nous vivons. Leurs décisions ont une incidence sur les perspectives économiques de populations, et même de nations tout entières. Une série d’accords internationaux a considérablement renforcé leur droit de mener leurs activités à l’échelle mondiale. Mais à l’avenir, ce droit doit aller de pair avec des responsabilités accrues, avec les principes et la pratique d’un civisme mondial des entreprises.


Il n’existe pas de modèle unique de gouvernance démocratique. Ce qui marche pour la Norvège ne marche pas nécessairement pour la Namibie ou le Népal. La ligne de départ n’est pas non plus la même pour tous. Certains nations parties d’un régime totalitaire ou d’une économie à planification centrale sont en pleine transition. D’autres se relèvent d’un conflit. D’autres encore ont une économie prospère, voire un gouvernement compétent, mais sans avoir nécessairement trouvé le chemin de la démocratie.


Sur le plan mondial, la communauté internationale n’avance encore qu’à tout petits pas vers l’esprit de solidarité et la volonté politique qui lui permettraient d’agir avec efficacité, en harmonie avec les principes démocratiques.


Que ce soit sur le plan national ou sur le plan mondial, dans un monde en voie de mondialisation, la volonté populaire doit plus que jamais être notre pierre de touche. Permettez-moi de conclure avec trois questions dont nous devons trouver la réponse si nous voulons d’abord reconnaître cette volonté populaire, puis y donner suite :


•     Premièrement, que pouvons-nous faire pour entendre la voix de ceux qui ont des griefs légitimes à l’égard de la mondialisation – à l’égard, par exemple, de la prise de décisions et des inégalités à l’échelle mondiale – sans laisser le terrain libre à ceux qui privilégient la violence et la destruction?


•     Deuxièmement, comment pouvons-nous pallier les limites très réelles des marchés – dans des domaines comme l’environnement et les droits de l’homme – sans brider la créativité, le sens de l’innovation et le dynamisme que les marchés peuvent apporter dans la lutte contre la pauvreté?


•     Enfin, comment pouvons-nous concilier les besoins urgents du monde d’aujourd’hui avec les besoins des générations futures et trouver des orientations viables à long terme?


Les réponses que nous donnerons à ces questions seront déterminantes. Je me réjouis à la perspective de travailler de concert avec vous pour aider à étendre la démocratie à tous les citoyens du monde et faire en sorte que la mondialisation se fasse à leur profit. Je vous remercie.


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