LA CONFERENCE DE DURBAN CONTRE LE RACISME DEVRA CONFRONTER LE PASSE ET DONNER UNE ORIENTATION NOUVELLE A LA LUTTE CONTRE LE RACISME
Communiqué de presse SG/SM/7901 |
LA CONFERENCE DE DURBAN CONTRE LE RACISME DEVRA CONFRONTER LE PASSE ET DONNER UNE ORIENTATION NOUVELLE A LA LUTTE CONTRE LE RACISME
Elle doit aider à fermer les vieilles blessures, et non à les rouvrir
On trouvera ci-aprês le texte de la déclaration du Secrétaire général, M. Kofi Annan, à l’occasion de la Conférence de la National Urban League à Washington, le 30 juillet 2001 :
Merci de m’avoir présenté avec autant de générosité. C’est un grand honneur pour moi que d’être parmi vous aujourd’hui et de prendre la parole devant une organisation aussi éminente et honorable qui, forte de ses nobles buts et de ses idées progressistes, accomplit depuis près d’un siècle une œuvre remarquable au nom des Afro-Américains.
Je me sens entouré de véritables amis et alliés investis dans un combat unique en faveur de la dignité humaine, de l’égalité des chances et du développement économique en tant que moteur du progrès mondial. Monsieur le Président Price, permettez-moi de reprendre ici votre formule: le pouvoir économique est la prochaine frontière mondiale des droits civiques.
Je voudrais évoquer ici trois des plus grands défis auxquels l’Organisation des Nations Unies doit répondre dans le cadre de son action de défense de la dignité humaine – l’avenir de l’Afrique, la lutte contre le sida et la Conférence mondiale contre le racisme qui se tiendra le mois prochain en Afrique du Sud.
Nous savons tous désormais que pour mener à bien chacune de ces initiatives mondiales, nous devons forger de nouvelles alliances entre les administrations publiques, la société civile, les fondations, le secteur privé et des organisations comme l’Urban League. Je vous sais gré de votre appui.
En ce début du XXIe siècle, l’Afrique se voit offrir des défis et des perspectives sans précédent. Les changements technologiques rapides et la mondialisation des échanges, des investissements et des marchés financiers autorisent des avancées spectaculaires.
La mondialisation a élargi les débouchés offerts aux produits nouveaux et ouvert l’accès à de nouveaux marchés, en donnant une importance accrue à la concurrence et à l’efficacité. Bien sûr, il ne faut pas en conclure que la mondialisation a été ressentie partout de façon aussi positive.
En effet, la mondialisation suscite des questions importantes et pressantes, sur la manière dont ses bienfaits sont répartis et, surtout, sur le fait de savoir si ce phénomène est en train d'élargir plutôt que de combler le fossé entre pays riches et pays pauvres, et entre riches et pauvres à l'intérieur même des pays. Et comme on l'a vu à Seattle et, plus récemment à Gênes, ces préoccupations vont croissant.
Mais tout aussi important est le fait qu'à Gênes, le G8 a pris l'engagement sans précédent d'aider l’Afrique à s’extraire du cercle vicieux de la pauvreté et de la violence.
Le développement durable de l’Afrique sera assuré lorsque les Africains auront à leur disposition le capital, les marchés, la sécurité des biens et les techniques qui leur permettront d'augmenter leur productivité. Par ailleurs, les partenaires de développement doivent accroître le volume et la qualité de l’aide publique au développement (APD) et veiller à appuyer et encourager l’investissement privé.
Afin de créer un environnement favorable à l’investissement étranger et d’accroître leur compétitivité, les pays africains ont fait des progrès remarquables en matière d’intégration régionale. Mais nous savons tous qu’aucun investisseur privé – ni la société multinationale la plus ouverte sur l’avenir, ni l’Africain le plus patriote – ne va risquer un capital chèrement gagné en des lieux où l’insécurité est chronique. Sans stabilité politique et sans environnement fiable, ni l’investissement privé ni l’aide au développement ne peuvent s’implanter ni produire de changements durables.
Cela fait trop longtemps que les conflits et la pauvreté en Afrique sont jugés inévitables, insolubles, ou les deux à la fois. Car la vérité est tout autre. On peut mettre un terme aux conflits et à la pauvreté en Afrique – avec de l’imagination, de la persévérance, de la patience et surtout, de la volonté. Les formidables ressources humaines et matérielles de l’Afrique, la force de caractère et la solidarité de ses peuples, le niveau d’instruction en hausse de ses jeunes et son respect croissant des principes du droit, sont une base solide pour le développement de l'Afrique.
J’estime aussi que les responsables africains commencent à s’attaquer à ces problèmes avec une vraie volonté de changement. La décision prise par l’Organisation de l’unité africaine à sa plus récente réunion de créer l’Union africaine est pleine de promesses. Avec une direction dynamique et du courage, l’Union africaine a toutes les chances de faire pour l’Afrique ce que l’Union européenne a fait pour l’Europe : lui permettre de se reconstruire, comme l’Europe, après une série de guerres dévastatrices, de surmonter ses divisions séculaires pour ériger un continent qui se fonde sur les principes de la paix, de la coopération, du progrès économique et de la primauté du droit.
Pour que l’Afrique puisse saisir cette occasion, il faut que son partenariat avec l’Amérique et les Afro-Américains ait des incidences à la hauteur de sa noble ambition. Les obstacles que les peuples africains doivent surmonter en ce début de siècle sont considérables. Certains sont liés à des facteurs géographiques ou remontent à plusieurs siècles. Et pour l’heure, le continent africain doit faire face à une nouvelle épreuve: une maladie meurtrière qui hante ses populations et menace de lui dérober sa plus précieuse ressource: ses jeunes générations. Fort heureusement, les responsables de chaque société commencent à prendre conscience des incidences et des dangers du VIH/sida.
Dans la lutte contre le sida, les vieilles divisions entre pays développés et pays en développement, riches et pauvres s’estompent face à un ennemi commun qui ne connaît pas de frontières et menace tous les peuples.
Pendant l’année écoulée, un remarquable processus de sensibilisation, d’engagement public et de mobilisation s’est fait jour dans le monde autour de la question du VIH/sida. Nous voyons pour la première fois se mettre progressivement en place une action de lutte à la hauteur du fléau.
Les gouvernements, les organisations multilatérales, le secteur privé et la société civile sont tous associés à un effort sans précédent pour juguler une épidémie qui, à ce jour, selon les estimations, a infecté 36 millions de personnes et en a tué 22 millions d’autres.
Au Sommet d’Abuja, en avril, les responsables africains ont pris de fermes engagements vis-à-vis de la lutte contre le sida. Et lors de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies, tenue en juin, la communauté internationale s’est fixé des objectifs communs pour ralentir la propagation du sida et en atténuer les effets.
Les priorités devraient être claires : premièrement, s’assurer que tous, partout, ‑ en particulier les jeunes – savent comment prévenir l’infection. Deuxièmement, mettre fin à ce qui est peut-être la forme de transmission la plus tragique du VIH, à savoir la transmission de la mère à l’enfant. Troisièmement, traiter toutes les personnes contaminées. Quatrièmement, redoubler l’effort de recherche pour mettre au point un vaccin et une thérapeutique. Cinquièmement, prendre soin de tous ceux dont la vie a été ravagée par le sida, en particulier des orphelins. Ils sont 13 millions aujourd’hui, et leur nombre ne cesse d’augmenter.
Nous ne gagnerons pas notre combat contre le sida sans les ressources nécessaires. Nous devons mobiliser 7 à 10 milliards de dollars supplémentaires par an pour lutter contre cette maladie aux quatre coins du monde. Ces ressources seront en partie assurées par l’augmentation des budgets nationaux de tous les pays. En Afrique, les dirigeants sont en train de relever ce défi, et les gouvernements africains se sont engagés à accroître sensiblement leurs budgets de santé. Il faut s’en féliciter, mais ce n’est pas suffisant.
Les pays africains et d’autres pays en développement auront besoin d’une aide conséquente pour répondre aux besoins de leurs populations.
C’est pourquoi l’Assemblée générale des Nations Unies a approuvé la création d’un Fond mondial pour la santé et la lutte contre le sida que tous les pays souhaitent à présent rendre opérationnel avant la fin de l’année. À ce jour, le Fond a reçu 1,4 milliard de dollars sous forme de contributions et d'engagements de gouvernements, de fondations, d’entreprises et de particuliers. C’est un très bon début. Mais c’est loin d’être suffisant. J’invite donc les gouvernements, la société civile, les fondations, les particuliers, et les responsables de communautés comme vous tous réunis dans cette salle à contribuer à la lutte contre le sida par tous les moyens.
Nous ne vaincrons pas le sida, la tuberculose, le paludisme, ou toute autre maladie infectieuse qui sévissent en Afrique tant que nous n’aurons pas gagné la bataille des soins de santé de base, de l’alimentation en eau potable et de l’assainissement. Nous ne les vaincrons pas tant que nous n’aurons pas aussi triomphé de la malnutrition, et mis fin à l’ignorance des précautions les plus élémentaires qui expose tant de pauvres à l’infection. Et nous ne mettrons pas fin à ces maux tant que nous n’aurons pas assuré un processus viable de croissance économique et de développement.
Cet avenir est à notre portée, j’en suis convaincu. Mais à une seule condition : que nous mettions un terme aux conflits africains. Et heureusement, les dirigeants africains sont fermement décidés à le faire, comme ils l'ont montré au Sommet de l'OAU à Lusaka.
Ces conflits sont souvent nourris par les préjugés et les haines liées aux différences ethniques et raciales qui sont exploitées par les dirigeants à des fins politiques destructrices ou lucratives. Du génocide rwandais au conflit soudanais en passant par les tensions au Burundi, le continent subit les conséquences les plus tragiques de la division et de l’intolérance.
L’intolérance étend sa pernicieuse influence partout dans le monde. Ses victimes sont multiples : les femmes, les travailleurs migrants, les réfugiés, les peuples autochtones, les minorités, et tous ceux dont les idées politiques ou les préférences sexuelles déplaisent pour quelque motif que ce soit.
La discrimination se manifeste de manière tout aussi variée : les préjugés abondent sur le lieu de travail et les terrains de sport; dans les manuels scolaires et dans les médias; dans les politiques identitaires et dans les services publics. Par ailleurs, l’intolérance s’est trouvée indirectement alimentée par la mondialisation, car les contacts accrus et la concurrence exacerbée entre les personnes sont sources de nouvelles tensions et de nouvelles méfiances.
Le diagnostic est facile à établir, mais le remède, lui, l’est beaucoup moins. Notre véritable tâche ne consiste pas seulement à déceler la maladie, mais à la traiter. Nous ne pouvons pas mettre la discrimination sur le compte de la nature humaine, puisque nous savons que la haine s’apprend.
Nous ne devons pas tolérer l’intolérance comme une conséquence prévisible de la pauvreté, de l’injustice ou de la mauvaise gouvernance. Oui, ce sont là quelques-uns des facteurs qui font que les hommes en viennent aux mains, mais il est en notre pouvoir de changer tout cela. Et ce n’est pas seulement des mots que nous devons nous soucier : tout discours hostile ouvre la voie à des actes d’hostilité, lesquels n’ont que trop tendance à leur tour à dégénérer en violence et en conflits.
Le combat contre l’intolérance n’est pas du ressort d’un seul groupe ou d’une seule organisation : il appelle une action concertée par une coalition d’acteurs.
Cela commence, bien entendu, par la responsabilité qui incombe à chacun d’entre nous de traiter nos semblables, hommes ou femmes, avec dignité et respect. Les gouvernements et les dirigeants ont aussi un rôle puissant à jouer. C’est à eux d’assurer l’existence de garanties constitutionnelles, législatives et administratives. Ils occupent aussi une place privilégiée pour remédier aux problèmes qui attisent l’intolérance, comme le chômage, et pour orienter le dialogue national sur ces thèmes.
L’éducation joue un rôle décisif dans la lutte contre le racisme. Mais elle ne s’acquiert pas seulement dans les écoles.
Certains pays ont pris des mesures spéciales pour recruter des journalistes immigrés dans leurs sociétés de radiodiffusion nationales et régionales. Les entreprises peuvent contribuer à sensibiliser le public par leurs politiques de recrutement et autres pratiques, comme je l’ai demandé dans le cadre de mon Pacte mondial. Et l’Urban League – comme d’autres groupes analogues – peut continuer à s’appuyer sur les formidables succès à son actif pour ce qui est d’abattre les barrières et de d'assurer une véritable égalité de chances indépendamment de la race ou de la couleur de la peau.
Cet effort a une dimension internationale manifeste. Les traités des Nations Unies servent souvent de base aux législations nationales. Notre action en faveur du développement, les opérations de maintien de la paix, les programmes de défense des droits de l’homme et tous nos efforts d’assistance reposent sur le principe de l’égalité.
À l'heure actuelle, une partie du travail le plus important est réalisé par les Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie. Avec les condamnations récentes pour génocide, viol, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, nous assistons à d’importants progrès pour ce qui est d’établir les responsabilités et de mettre fin à l’impunité.
La présence de l’ex-Président Milosevic à La Haye met en avant le principe, qu’ont si mémorablement illustré les procès de Nuremberg, selon lequel tous les individus appartenant à une hiérarchie administrative ou une chaîne de commandement militaire, sans exception, du chef au simple soldat, doivent répondre de leurs actions.
Aucun pays n’échappe aux coûts infligés par les préjugés et l’intolérance. Mais cela ne signifie pas qu'il existe une solution pour tous. Ce qui marche en un lieu peut se révéler inopérant ailleurs.
C’est pourquoi il est indispensable que tous les pays du monde se réunissent pour partager l’expérience accumulée dans leurs luttes locales contre un ennemi commun.
Le mois prochain, à Durban, l’Afrique du Sud accueillera une Conférence mondiale visant à extirper les racines de ce mal dans le monde. La Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée s’efforcera de donner lieu à une Déclaration et à un Programme d’action contenant des recommandations précises, concrètes, prospectives sur la manière dont les gouvernements et la société civile peuvent libérer le nouveau siècle du fléau du racisme.
Il nous faut une conférence et une déclaration qui examinent sans défaillance chaque société du monde, et toutes les failles qui exacerbent plus qu’elles ne les éliminent les conflits liés à l’appartenance raciale et ethnique. Nous devons reconnaître les tragédies et les blessures du passé, mais sans en être captifs. Il nous faut une Déclaration dans laquelle tout le monde puisse se reconnaître, un texte qui incite tous les peuples, pas seulement les gouvernements, à jouer leur rôle, à mieux comprendre le passé et à forger un avenir meilleur.
Les mois précédant la Conférence ont ouvert de profondes fissures concernant plusieurs questions délicates, comme les séquelles de l’esclavage et du colonialisme, et la situation au Moyen-Orient.
Pour que cette conférence réussisse, elle doit impérativement dégager un terrain commun. Elle doit aider à fermer de vieilles blessures, et non à les rouvrir; elle doit certes confronter le passé, mais, plus important encore, elle doit donner une orientation nouvelle à la lutte contre le racisme.
Chers amis et alliés,
J’ai appelé votre attention sur ces trois priorités de l’Organisation des Nations Unies car je pense qu’elles nous concernent tous – Africains, Américains, Afro-Américains, citoyens du monde – qui ne pouvons pas rester impassibles face aux ravages du sida ou aux méfaits du racisme. Notre humanité commune est ce qui nous lie – hommes et femmes, blancs et noirs, Urban League et Organisation des Nations Unies - et je suis convaincu qu'elle ne peut que rendre notre monde meilleur. Je vous remercie de votre action et de votre dévouement au service de l’égalité et de la dignité humaine, et je vous offre tous mes vœux de succès pour votre conférence.
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