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SG/SM/7783

ELEMENTS ESSENTIELS DE L'ALLIANCE STRATEGIQUE CONTRE LE SIDA, LES FONDATIONS, COMME LES ETATS, DEVRONT PRENDRE PART A LA SESSION EXTRAORDINAIRE DU MOIS DE JUIN, DECLARE KOFI ANNAN

30/04/2001
Communiqué de presse
SG/SM/7783


                                                            AIDS/9


ELEMENTS ESSENTIELS DE L'ALLIANCE STRATEGIQUE CONTRE LE SIDA, LES FONDATIONS, COMME LES ETATS, DEVRONT PRENDRE PART A LA SESSION EXTRAORDINAIRE DU MOIS DE JUIN, DECLARE KOFI ANNAN


On trouvera ci-dessous le texte intégral de l'allocution prononcée aujourd'hui à Philadelphie par le Secrétaire général à la Conférence annuelle du Conseil des Fondations:


C’est un grand honneur pour moi d’être parmi vous aujourd’hui. Je reconnais quelques vieux amis dans la salle et, mieux encore, beaucoup d’amis fidèles des Nations Unies.  On peut vraiment dire que l’Etat de la Philanthropie est des plus florissants !


Il est particulièrement encourageant que, chaque année,  vos contributions aux causes internationales deviennent plus nombreuses, et plus généreuses.  Cela montre que vous avez compris ce qui caractérise vraiment notre époque : d’une part, la distinction entre dimension mondiale et dimension locale s’estompe et, d’autre part, dépassés par l’ampleur des problèmes auxquels ils doivent faire face, les gouvernements ont besoin de nouveaux partenaires.


Dans de tels partenariats, vous avez un rôle crucial à jouer : vous assurez le lien entre le mondial et le local mais aussi entre les forces du marché et les impératifs sociaux. Le thème sur lequel porte cette conférence est d’ailleurs on ne peut plus clair :  comment faire meilleur usage des fortunes privées aux fins de l’intérêt général.


Et s’il est un domaine où ce thème acquiert toute sa pertinence, c’est bien la santé publique. Dans le monde qui est le nôtre, les havres de salubrité n’existent plus; les maladies se moquent des frontières et il n’y a plus de «chez nous» ni de «chez eux».


La seule façon de vaincre les maladies endémiques aussi bien que les épidémies, c’est d’unir nos forces et d’instaurer des partenariats mondiaux. Il n’en faudra certes pas moins pour s’attaquer efficacement au VIH/sida, qui est non seulement l’urgence sanitaire la plus pressante du moment, mais aussi, pour certains pays, le principal obstacle au développement.


Il y a 20 ans, rares étaient ceux qui avaient entendu parler du sida.


Il y a dix ans, rares étaient ceux qui mesuraient l’étendue du désastre.


Il y deux ans encore, considérant l’épidémie comme un problème national, la plupart des Occidentaux avaient l’impression qu’on était près d’en venir à bout.


Ce n’est que maintenant que l’ensemble de la communauté internationale commence à se rendre compte de l’ampleur de la crise.


Il y a actuellement dans le monde plus de 36 millions de séropositifs et de malades du sida. Ils vivent pour la plupart en Afrique subsaharienne, mais la pandémie se propage aussi à une vitesse alarmante en Asie et en Europe orientale.


Rien qu’en 2000, qui a été l’année la plus meurtrière, 3 millions de personnes sont mortes des suites du sida et 5 millions d'autres ont été infectées, ce qui correspond, en moyenne, à 13 000 nouveaux cas par jour.


C’est un peu comme si, en l’espace d’un an, on avait purement et simplement rayé de la carte deux villes de la taille de Philadelphie.


On le voit, la situation est catastrophique. Mais nous ne sommes pas impuissants: nous pouvons faire quelque chose et certains d’entre nous ont déjà commencé à faire le nécessaire.


La semaine dernière, j’ai participé à un important Sommet consacré au VIH/sida; les dirigeants africains se sont réunis à Abuja, au Nigeria, pour déclarer collectivement l’état d’urgence sur tout le continent.


Ils se sont engagés à consacrer une part bien plus importante de leurs ressources au secteur de la santé et ont promis de recourir aux exonérations fiscales et à d’autres mesures d’incitation pour réduire le prix des médicaments et autres fournitures médicales.


Ils ont également promis de lever les barrières tarifaires et autres entraves économiques qui empêchent les ressources dégagées de parvenir jusqu’à ceux qui mènent la lutte contre l’épidémie.


Mais ce qui m’a le plus impressionné, c’est la détermination et le courage des jeunes militants africains que j’ai rencontrés, dont certains sont eux-mêmes séropositifs ou ont déjà contracté la maladie.  J’ai senti que les Africains, hommes, femmes et enfants confondus, étaient maintenant mobilisés et résolus à vaincre la maladie et la souffrance. Leur force, au milieu de la tragédie, m’a redonné courage.


Il reste qu’ils ont désespérément besoin d’aide et que c’est à nous de faire en sorte qu’ils reçoivent toute l’assistance possible.


Cela fait déjà un certain temps que j’ai fait du combat contre le sida une des mes priorités. Profitant de ma présence au Sommet d’Abuja, j’ai lancé un message de ralliement au monde entier, en énonçant cinq grands objectifs auxquels, me semble-t-il, les innombrables associations et particuliers qui combattent héroïquement la pandémie ne peuvent que souscrire.


Notre premier objectif doit être la prévention : nous devons enrayer la propagation de la maladie en mobilisant les jeunes, qui sont les plus exposés à la contamination, et en les aidant à se protéger.


Notre deuxième objectif doit consister à éliminer le mode de contamination le cruel, le plus injuste qui soit: la transmission mère-enfant.


Notre troisième objectif doit être d’assurer à chacun l’accès aux soins et aux traitements.


Jusqu’à il y a peu, cela paraissait illusoire. Mais, depuis quelque mois, les prix auxquels les pays en développement peuvent se procurer les principaux anti-rétroviraux ont baissé de façon spectaculaire, sous la pression d’une opinion mondiale indignée et de la concurrence des fabricants de médicaments génériques.


La baisse du prix des médicaments ne suffit certes pas et, de toute façon, il faudra un certain temps pour que son impact se fasse sentir. Mais, pour la première fois, l’objectif qui consiste à mettre les traitements à la portée de tous ceux qui en ont besoin est réalisable. Il ne s’agit donc plus de choisir entre prévention et traitement : nous pouvons et nous devons lutter à la fois sur les deux fronts.


Le quatrième objectif concerne la recherche scientifique : il ne faut avoir de cesse tant que l’on n'aura pas trouvé les moyens non seulement de guérir la maladie, ce que ne fait encore aucun des médicaments disponibles, mais aussi d’immuniser les populations. La mise au point d’un vaccin efficace est en effet hautement prioritaire. Ceux qui en ont le plus besoin ne sont pas constitués en puissants groupes de pression; bon nombre d’entre eux vivent dans le monde en développement et ne savent même pas qu’ils sont en danger ! En fait, la plupart ne sont même pas encore nés. C’est donc à nous de parler en leur nom – et de nous faire entendre!


Enfin, le cinquième objectif consiste à protéger les plus vulnérables, en particulier les orphelins du sida. Ceux-ci sont déjà plus de 13 millions dans le monde, soit plus que tous les enfants de Pennsylvanie, de New York, du New Jersey, du Connecticut, du Maryland, de la Virginie et de la Caroline du Nord réunis.


Voilà donc les cinq grands objectifs, mais pour les atteindre, plusieurs conditions doivent être remplies.


Il faut d’abord que les gouvernants, dans tous les pays, aient la clairvoyance et le courage de s’engager résolument dans la lutte et d’accorder à l’action contre le VIH/sida la priorité voulue dans le budget national.  Le Sommet d’Abuja est un pas dans la bonne direction, mais on est encore loin du compte, en Afrique, et peut-être encore plus dans une bonne partie de l’Asie et en Europe orientale.


Il faut associer les collectivités locales à la lutte. Ce n’est que s’ils peuvent compter sur le soutien de leur famille et de leur communauté que les jeunes apprendront à modifier leur conduite et à se protéger. Et il est impératif d’associer à l’effort les séropositifs et les malades du sida car, en dernière analyse, ce sont eux les véritables experts.


Il faut aussi donner plus de pouvoir aux femmes, pour qu’elles puissent se protéger et mieux protéger leurs enfants contre le virus. Il est tout à fait choquant -- et en tant qu’Africain, j’en conçois de la honte -- qu’en Afrique subsaharienne, les adolescentes courent 6 fois plus de risques d’être infectées que les garçons de la même tranche d’âge. Il faut que cela change. 


Si l’on veut être en mesure d’offrir soins et traitement à tous ceux qui en ont besoin, il faut bien sûr renforcer les systèmes de santé dans les pays en développement et les rendre plus performants.


Et enfin,  il nous faut plus d’argent. Si la responsabilité première de faire face à la crise incombe  aux gouvernements des pays où la contagion est la plus forte, ceux-ci ont manifestement besoin d’une aide extérieure. Les pays qui ont les moyens de les aider se doivent de le faire.


On a calculé qu’il faudrait, au minimum, consacrer chaque année de sept à dix milliards de plus que nous ne le faisons actuellement pour combattre efficacement le sida sous tous ses aspects et dans le monde entier, et ce pendant de longues années.


C’est beaucoup d’argent. Du moins, cela semblait beaucoup lorsque j’ai cité ces chiffres au Nigeria, la semaine dernière. Mais, ici, les sommes en question me paraissent moins impressionnantes. En fait, elles sont inférieures à ce que vous, organismes philanthropiques d’un seul pays, consacrez chaque année aux causes que vous défendez.  Et, chaque année,  les gouvernements de la planète consacrent le centuple à leurs dépenses militaires.


Il ne faut donc pas se méprendre. À l’échelle de la planète, nous disposons, si nous le voulons, des ressources nécessaires pour venir à bout de la pandémie.  Mais on ne sait plus très bien à l’heure actuelle où trouver l’argent, comment le dépenser, et comment s’assurer qu’il est bien dépensé.


Ces derniers mois, des gouvernements, d’éminents universitaires, ainsi que des représentants de fondations philanthropiques, ont formulé une série d’initiatives.  Certaines d’entre elles concernaient spécifiquement le VIH/sida; d’autres, d’une portée plus vaste, visaient à relever l’état sanitaire général des populations des pays en développement et à éradiquer les principales maladies infectieuses.


On m’a demandé de faire le point et d’articuler ces initiatives en une seule proposition.  D’intenses consultations ont été menées à cette fin et nous touchons bientôt au but.


Je propose en fait la création d’un Fonds mondial consacré à la lutte contre le VIH/sida et d’autres maladies infectieuses. Il devrait être organisé en fonction des besoins des populations les plus touchées et s’appuierait sur toute l’expertise disponible, là où elle se trouve, que ce soit au sein des organismes des Nations Unies et des organismes gouvernementaux aussi bien que dans  les organisations non gouvernementales, en particulier les associations rassemblant des séropositifs, des malades ou leurs proches.


Ce Fonds devrait permettre d’orienter rapidement les ressources là où elles sont les plus nécessaires et être géré dans l’ouverture et la transparence. Il pourrait soutenir financièrement les organisations les plus diverses, pour autant qu’elles soient actives dans la lutte contre le sida ou s’occupent des malades ou de leurs proches, et qu’elles acceptent de travailler dans un cadre national commun.


Les gouvernements et les collectivités qui recevraient l’appui du Fonds devraient être en mesure de montrer quels résultats ils ont obtenus à l’appui des plus vulnérables, résultats qui feraient l’objet d’une évaluation indépendante.


Tous les détails ne sont pas encore au point mais je compte poursuivre activement la discussion avec toutes les parties concernées au cours des semaines qui viennent. J’espère que le Fonds verra prochainement le jour et qu’à la fin du mois de juin, lorsque se tiendra la session extraordinaire de l’Assemblée générale consacrée au VIH/sida, nous pourrons déjà compter sur des engagements financiers fermes.


D’où viendra l’argent ?


Etant donné les sommes en jeu, le plus gros des ressources devra bien sûr venir des gouvernements, et donc des contribuables, des pays industrialisés. Les gouvernements de ces pays se sont engagés, il y a de cela un certain temps déjà, à consacrer 0, 7 % de leur produit intérieur brut à l’aide publique au développement.  Or, ils sont très rares à honorer leur promesse :  pris dans son ensemble, le monde industrialisé ne consacre que 0, 2 %  de son PIB à venir en aide aux pays en voie de développement.  Tous les gouvernements devraient comprendre qu’à moins d’honorer scrupuleusement cet engagement-là,  ils ne pourront guère espérer donner suite aux engagements qu’ils ont pris l’année dernière lors du Sommet du millénaire. 


Un des engagements que les chefs d’Etat et de gouvernement ont pris à cette occasion consistait, je le rappelle, à enrayer la propagation du VIH/sida et à vaincre le paludisme et d’autres maladies d’ici à 2015.


Un autre concernait l’assistance spéciale à apporter aux orphelins du sida.  Un troisième portait sur la nécessité d’aider l’Afrique à se doter des moyens de s’attaquer efficacement au sida et à d’autres maladies infectieuses.


Faut-il prendre les chefs d’Etat et de gouvernement au sérieux ?  En tout cas, une bonne façon de montrer qu’ils entendent être pris au sérieux serait pour eux de s’engager à alimenter régulièrement le Fonds dont je viens de parler.


La famille des Nations Unies a elle aussi un rôle crucial à jouer : nous devons mieux nous organiser et intensifier notre action, pour que nul n’ignore plus l’importance que nous attachons à la lutte contre le sida.


C’est à nous qu’il appartient de coordonner la bataille et d’être les hérauts les plus ardents, les plus éloquents de la cause. Chacun doit jouer le rôle qui lui est imparti et inscrire son action dans un cadre cohérent, en laissant de côté les rivalités et les querelles d’école.


Dans cet ordonnancement, les organisations non gouvernementales sont indispensables. Elles sont nos partenaires sur le terrain, dans les pays en développement, où la responsabilité d’offrir des soins et d’organiser des campagnes de prévention est souvent laissée aux ONG locales. Ce sont elles qui s’insurgent contre l’exclusion et la discrimination. Elles sont également  nos partenaires dans les pays donateurs, qu’il s’agisse de plaider pour la bonne cause ou d’apporter leur contribution à l’élaboration des politiques.


Il y a ensuite le secteur privé, dont la responsabilité est loin d’être négligeable. Depuis deux ans, je m’emploie à convaincre les entreprises de s’engager plus résolument dans la lutte. Je sais que j’ai été entendu et je m’en réjouis,  mais le monde des entreprises pourrait en faire plus, beaucoup plus.


Comme vous le savez, les grandes compagnies pharmaceutiques ont récemment fait la une des journaux. Je me suis moi-même entretenu avec les représentants des six principales d’entre elles au début du mois. Elles se sont engagées à continuer de faire baisser les prix auxquels les anti-rétroviraux sont vendus aux pays les moins avancés, surtout en Afrique, et à accorder aussi des réductions aux autres pays en développement.


Mais l’industrie pharmaceutique n’est pas la seule concernée. Toute entreprise implantée dans un pays en développement a la responsabilité d’informer ses employés et la communauté locale des dangers du VIH et de la manière dont on peut s’en prémunir.


Chaque entreprise devrait mettre en place des services volontaires de dépistage et de conseil à l’intention de leurs employés et des membres de leur famille, et offrir aide matérielle et soutien moral à ceux qui ont contracté la maladie.


Il y a plus. Chaque entreprise devrait mettre ses compétences en marketing au service des campagnes d’information locales aussi bien qu’internationales, tant pour enrayer la propagation de la maladie que pour combattre l’exclusion dont souffrent ceux qui en sont atteints.


Au-delà de la responsabilité directe que je viens d’évoquer, les entreprises ont aussi, d’une façon générale, un rôle social et philanthropique à jouer en finançant l’offensive contre le sida. Certaines choisissent de le faire directement, d’autres préfèrent créer et soutenir des fondations comme celles que vous représentez.  


J’ai réservé votre rôle pour la fin, et ce n’est évidemment pas par hasard.


Plusieurs fondations américaines sont déjà à l’avant-garde du combat. Hier soir, après avoir expliqué que l’éducation des filles était une des meilleures armes que l’on puisse imaginer dans la guerre contre le sida, Tim Wirth vous a dit comment vous pouviez, en collaborant avec les organismes des Nations Unies, aider à forger cette arme et à mieux la fourbir. Beaucoup d’entre vous apportent déjà des contributions aussi généreuses que novatrices à la cause, tant sur le plan financier que sur le plan intellectuel. En particulier, la Fondation Bill et Melinda Gates est très active dans le domaine clé de la prévention, notamment en finançant la recherche consacrée à la mise au point d’un vaccin. 


Ces contributions sont vitales, et plus indispensables que jamais; je vous engage d’ailleurs à en augmenter le montant et le nombre.


Alors que d’autres institutions sont freinées par des considérations politiques ou l’échéance de leur mandat, vous avez la souplesse nécessaire pour dégager rapidement des fonds et les utiliser là où l’urgence est la plus aiguë.


En tant que donateurs volontaires, vous jouissez d’une grande autorité morale. Vous avez le pouvoir de convaincre, de galvaniser;  vous pouvez en inciter d’autres à émuler votre générosité et mobiliser l’opinion publique. Si vous décidez de faire de la lutte contre le sida votre priorité, je gage que les gouvernements et l’opinion publique ne seront pas loin derrière.


Bon nombre des fondations que vous représentez ont accumulé une grande expertise en matière de VIH/sida.  Vous pouvez donc, et vous ne vous en privez pas,  influer sur les politiques à mettre en œuvre et participer aux décisions concernant les travaux de recherche qui méritent d’être financés.


C’est pourquoi, mes chers amis, vous êtes à tous égards des éléments essentiels de l’Alliance stratégique contre le sida que je m’emploie à mettre en place. En Afrique, cette alliance existe depuis plus d’un an. L’heure est venue de l’étendre au reste du monde.


Dans moins de deux mois, le 25 juin, les représentants de tous les pays se réuniront au Siège de l’Organisation des Nations Unies en une Session extraordinaire de l’Assemblée générale consacrée au VIH/sida. Je veux espérer qu’ils sauront s’entendre sur une stratégie mondiale pour vaincre le fléau et qu’ils s’engageront fermement à consacrer les ressources nécessaires à sa mise en œuvre.


Sans votre aide, nous ne parviendrons pas au but. Alors, rendez-vous est pris en juin, à la Session extraordinaire de l’Assemblée générale; je compte bien vous y voir!


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