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SG/SM/7739

AU BANGLADESH, LE SECRETAIRE GENERAL IDENTIFIE L’EDIFICATION D’UNE NOUVELLE ETHIQUE ECOLOGIQUE COMME LE DEFI POLITIQUE DU MOMENT

14/MAR/2001
Communiqué de presse
SG/SM/7739


                                                            ENV/DEV/561


AU BANGLADESH, LE SECRETAIRE GENERAL IDENTIFIE L’EDIFICATION D’UNE NOUVELLE ETHIQUE ECOLOGIQUE COMME LE DEFI POLITIQUE DU MOMENT


On trouvera ci-après le texte de l’allocation que le Secrétaire général,

M. Kofi Annan, a faite aujourd’hui au Centre international de conférences à Dakha au Bangladesh, sur le thème “Développement durable : le plus grand défi de l’humanité pour le nouveau siècle” :


C’est un grand honneur pour moi d’être aujourd’hui parmi vous. Mon épouse, mon équipe et moi-même avons reçu un accueil extrêmement chaleureux et nous vous remercions de tant d’hospitalité.


Je suis particulièrement ému d’être ici au Bangladesh alors que le pays célèbre deux de ses fêtes nationales favorites : Shahid Dibosh, le Jour des martyrs, qui tombe le 21 février et que l’UNESCO a également désigné Journée internationale de la langue maternelle en hommage au rôle joué par le Bangladesh dans le domaine des langues; et bien sûr, la commémoration de votre accès à l’indépendance, le 26 mars. Permettez-moi de me joindre à ceux qui vous adressent leurs félicitations à l’occasion de ces importantes célébrations.


C’est peut-être ma première visite au Bangladesh en tant que Secrétaire général, mais le Bangladesh est depuis toujours très présent dans mon esprit et dans la conscience des Nations Unies. Les Bangladais sont parmi les Casques bleus les plus vaillants et les plus capables. Vos ONG et vos entrepreneurs sont connus dans le monde entier pour leurs initiatives novatrices de lutte contre la pauvreté et d’émancipation des femmes. Le lien entre l’ONU et le Bangladesh est fort; il est précieux pour les grandes tâches qui nous attendent au début du nouveau siècle.


Il y a hélas une autre raison pour laquelle le Bangladesh est en première ligne : il risque de souffrir plus que tout autre pays des effets dévastateurs des changements climatiques.


Le Groupe d’experts intergouvernemental sur le changement climatique, mis sur pied par les Nations Unies et qui comprend des scientifiques renommés du Bangladesh, vient de publier ses dernières prévisions. Il donne du réchauffement de la planète une description fort inquiétante. Le Groupe d'experts met en garde contre des conséquences néfastes comme la fonte des glaciers et des calottes polaires, qui entraîneront une hausse du niveau des mers. Il prédit des sécheresses, des inondations et des tempêtes plus fortes que jamais et des bouleversements de systèmes écologiques essentiels comme les récifs coralliens et les forêts. Des conditions climatiques plus chaudes et plus humides accroîtront la propagation de maladies infectieuses comme le paludisme et la fièvre jaune.


Et la submersion d’îles de basse altitude et du plat pays côtier entraînera le déplacement de centaines de millions de gens. Parmi ces zones côtières figure bien sûr le magnifique et fertile delta du Bangladesh, le plus grand delta du monde, qui abrite des millions d’habitants et une diversité biologique d’une richesse incroyable, et qui souffre déjà gravement des effets des activités de l’homme.


Le Groupe d’experts sur le changement climatique indique dans son rapport que la hausse du niveau des mers pourrait entraîner la disparition de vastes étendues de cette zone deltaïque et, par-là même, d’espèces comme le célèbre tigre du Bengale. Il laisse entendre que les cultures et l’aquaculture sont menacées et que, par conséquent, le mode de subsistance et la sécurité alimentaire de la population du delta ne sont plus assurés. Et il souligne que les cyclones et les moussons qui causent déjà de graves dommages pourraient devenir encore plus fréquents et violents.


Les changements climatiques nous forcent à considérer un aspect déplaisant du développement tel que nous le connaissons : son manque de durabilité. Dans les pays industrialisés et dans les pays en développement qui leur emboîtent le pas, le modèle de développement économique qui prévaut est synonyme de gaspillage, de manque de clairvoyance et est dangereux aussi bien pour les hommes que pour l’environnement naturel.


Les pratiques non durables sont profondément ancrées dans les habitudes de la vie moderne. Les combustibles fossiles que l'on brûle produisent des émissions dangereuses de gaz à effet de serre; or, ils représentent encore 80 % de l’alimentation énergétique mondiale. Près de 70 % de nos océans sont surexploités. La consommation d’eau augmente plus rapidement que la population. Et c'est dans les pays qui abritent déjà le plus grand nombre de victimes de la faim et les terres les plus fatiguées que celle-ci augmentera le plus. Des milliards de dollars de subventions perpétuent des pratiques agricoles, de transport et d’utilisation d’énergie qui font qu’il est plus difficile pour l’environnement de fournir les services dont nous dépendons pour survivre.


La durabilité est dans l’intérêt de tous. Un emploi sur deux dans le monde, que ce soit dans l’agriculture, la sylviculture ou la pêche, dépend directement de la durabilité des écosystèmes. Mais ce sont les pays en développement qui souffriront le plus si le monde n’adopte pas un modèle de développement durable.


Le Bangladesh, pour sa part, a pris des mesures pour faire face à des menaces comme la pollution atmosphérique et la contamination par l’arsenic des nappes phréatiques. Les institutions spécialisées des Nations Unies font de leur mieux pour lui apporter leur soutien. Mais ces efforts ne se feront pas sans peine. La pauvreté qui frappe le Bangladesh et d’autres pays en développement s’attaque en même temps à l’environnement et compromet l’action menée pour le protéger. Les pays en développement sont également désavantagés par des obstacles tarifaires, le fardeau de la dette et la baisse de l’aide publique.


Ce que nous avons appris au cours des dernières années, c'est que les scénarios catastrophes ne suffisent pas pour inciter les gens et les gouvernements à agir. Le Sommet Planète Terre qui s'est tenu à Rio en 1992 a sonné l’alarme. Mais il a également présenté la vision positive d’un avenir durable ainsi qu’un plan détaillé - Action 21 - pour intégrer les objectifs de l’environnement et du développement. Des conventions légalement contraignantes portant sur les changements climatiques et la diversité biologique ont également été adoptées à Rio, s’ajoutant à un traité antérieur visant à protéger la couche d’ozone. Une convention sur la désertification est ensuite venue compléter cet arsenal. Malgré ces résultats, nous avons maintenu nos vieilles habitudes à de trop nombreux égards. Par ailleurs, certaines idées fausses et dangereuses se sont installées dans les esprits.


D'aucun disent qu’il faut choisir entre la croissance économique et la préservation de l’environnement, alors qu’en fait, sans préservation de l'environnement, il ne peut y avoir de croissance viable.


Ils affirment que les changements nécessaires seraient trop coûteux, alors qu’en fait, des technologies et des politiques rationnelles sur le plan du coût sont d’ores et déjà disponibles.


Et ils disent que les pays en développement doivent viser d’abord le développement et renvoyer à plus tard la protection de l’environnement qu'ils qualifient de luxe, alors qu’en fait l’environnement fournit les précieuses ressources et le capital dont les sociétés ont besoin aujourd'hui pour se développer et ne pas compromettre leur avenir.


Mais il ne suffit pas de dire que le développement durable est possible; nous devons en faire une réalité, grâce à de nouvelles technologies, à une vigoureuse coopération Nord-Sud, et à des politiques intelligentes, assorties de mesures d’incitation qui envoient les signaux voulus au monde des affaires et à l’industrie. Le secteur décisif où cet effort est indispensable est celui de l’énergie car ce secteur est au centre de la double problématique du développement et du réchauffement de la planète.


Deux milliards de personnes n’ont pas l’électricité. Deux milliards de personnes, pas forcément les mêmes, cuisinent avec des combustibles traditionnels qui, non seulement envoient des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, mais empoisonnent le foyer, causant des maladies et plusieurs millions de décès prématurés chaque année.


Le tableau est encore plus tragique si l’on considère que plusieurs centaines de millions de femmes et de filles passent des heures chaque jour à chercher et à transporter des combustibles et de l’eau. Cette tâche difficile et pénible est une incroyable corvée en elle-même; c’est également la perte regrettable d’un temps qui serait bien mieux utilisé à des activités productives, comme l’éducation, un emploi rémunéré, ou simplement à s’occuper de la santé et du bien-être de sa famille.


Aider ces hommes, ces femmes et ces enfants à s’arracher à la pauvreté exigera forcément un approvisionnement énergétique accru. Le problème est d’assurer cet approvisionnement sans polluer l’environnement ni contribuer au réchauffement de la planète. La solution est dans l’utilisation rationnelle de l’énergie, l’exploitation des sources d’énergie renouvelables et le recours à des procédés plus propres d’utilisation des combustibles fossiles. Nous disposons aujourd’hui de centaines de technologies et de méthodes, et d’autres encore plus nombreuses sont en cours de mise au point : elles nous promettent un avenir énergétique plus radieux et moins risqué.


Il ne s’agit pas là d’un rêve suscité par les découvertes que nous espérons faire au cours du siècle présent, mais d’un scénario réel, sans perdant, fondé sur les points de vue de spécialistes de l’énergie, et notamment des auteurs du rapport sur les Perspectives énergétiques mondiales, établi conjointement par l’ONU et le Conseil mondial de l’énergie, organisation qui représente les principaux fournisseurs d’énergie. Les difficultés techniques, financières et économiques, qui ont privé des peuples entiers des avantages de services énergétiques de qualité et d’un meilleur environnement, sont toutes en train de disparaître rapidement.


Ce que nous faisons dans le domaine de l’énergie, nous pouvons et nous devons le faire aussi dans d’autres domaines. Ce dont il s'agit en fin de compte, c'est d'édifier une nouvelle éthique écologique. Et cela, bien sûr, est aussi un défi politique.


Cette nouvelle éthique mondiale doit être partagée par tous les pays, grands et petits, riches et pauvres. Cela signifie que les pays les plus industrialisés devront revoir leurs modes de consommation et de production. Cela signifie aussi que, dans le combat que nous avons engagé contre la pauvreté, nous devons prendre en considération la bonne gouvernance, le renforcement des institutions et le développement communautaire. Cela signifie que nous respections les engagements internationaux concernant le financement du développement et le transfert de technologie. Et cela signifie que l’on place la promotion de la femme et l’éducation des filles au cœur même de ces initiatives. En quelques mots, le développement durable suppose que l’on accorde la même priorité aux trois conditions premières de la durabilité, qui sont la croissance économique, le développement social et la protection de l’environnement.


L’année prochaine, à Johannesburg, le Sommet mondial du développement durable sera l’occasion pour les dirigeants du monde entier de montrer qu’ils prennent au sérieux l'idée d'une nouvelle éthique. Mais ils ne doivent pas attendre l’année prochaine. Dans l’immédiat, on évaluera la mesure de leur détermination à la suite qu'ils donneront au Protocole de Kyoto, qui vise à la réduction des émissions de gaz à effet de serre mais n’est pas encore entré en vigueur.


Au stade actuel, les pays industrialisés, en particulier les États-Unis, les pays membres de l’Union européenne et le Japon, doivent montrer l’exemple. Ces pays sont responsables de l’essentiel des émissions de carbone passées et présentes. En outre, ils sont les mieux à même, économiquement et technologiquement parlant, de réduire leurs émissions et d'aider les pays en développement. Renoncer maintenant à ce processus retarderait de plusieurs années la stratégie relative au climat mondial.


Dans le même temps, même si l’on attend que les pays industrialisés montrent l’exemple, il n’en demeure pas moins que les pays en développement eux-mêmes peuvent faire davantage.


D’abord, ils peuvent veiller à ce que les questions environnementales soient pleinement intégrées dans les politiques économiques et sociales.


Ensuite, les entreprises et les entrepreneurs des pays en développement devraient explorer les perspectives commerciales nouvelles qui résulteront de l’évolution des politiques relatives au climat. Les écotechnologies offrent dans ce domaine des possibilités qui comptent parmi les plus prometteuses de ce siècle nouveau.


Les pays en développement devraient en outre élaborer des projets à l’appui du mécanisme pour un développement propre, dispositif essentiel du Protocole de Kyoto qui permettra aux pays industrialisés de se voir allouer des crédits d’émissions lorsque leurs investissements dans les pays en développement contribueront à la protection de l’environnement.


Enfin, les pays en développement devraient examiner leur propre contribution à la stratégie relative au climat mondial : ils desserviront en effet leur propre cause s’ils adoptent, eux aussi, des méthodes d’industrialisation dont la non-viabilité sera avérée avant longtemps.

Mes chers amis,


Le développement durable n'est pas un processus spontané. Nous devons renoncer aux pratiques dangereuses du passé et sortir des impasses politiques dans lesquelles nous avons relégué de trop nombreuses questions environnementales.


Mais je ne voudrais pas paraître trop pessimiste, il y a aussi de bonnes nouvelles : le public s’intéresse davantage à l’environnement, la société civile participe aux actions engagées, le secteur privé commence à comprendre les possibilités offertes par les technologies vertes, des partenariats se forment ici et là, le processus mondial de décision et d’administration avance dans la direction voulue et nous disposons des ressources humaines et matérielles nécessaires pour donner des bases plus viables à nos économies.


Reste que notre action est loin d’être à la hauteur des défis de la durabilité. Si nous pouvions, hier, nous accorder une longue période de gestation avant de prendre d’importantes initiatives tendant à élaborer des principes directeurs, le temps nous est aujourd’hui compté pour planifier correctement la transition vers un système viable. À supposer que nous allions dans la bonne direction, nos progrès sont trop lents. Nous manquons à nos obligations envers les générations futures, et même envers la génération présente.


La grande majorité des Bangladais vit dans les zones rurales, qui sont en première ligne pour ce qui est de la gestion des ressources, de l’information sur les effets des catastrophes naturelles et de la sensibilisation à l’environnement. Pour eux, la relation entre les êtres humains et la nature est une réalité quotidienne et non pas une idée abstraite. Le plus grand défi qu'il nous faut relever en ce siècle nouveau est de faire d’une idée apparemment abstraite, le développement durable, une réalité de la vie quotidienne pour tous les habitants du monde.


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