LE SECRETAIRE GENERAL INVITE LES GEOGRAPHES A S’ATTAQUER AUX DEFIS DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, DE LA DETERIORATION DE L’ENVIRONNEMENT ET DU DEVELOPEMENT DURABLE
Communiqué de presse SG/SM/7732 |
LE SECRETAIRE GENERAL INVITE LES GEOGRAPHES A S’ATTAQUER AUX DEFIS DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, DE LA DETERIORATION DE L’ENVIRONNEMENT ET DU DEVELOPEMENT DURABLE
Pour ce faire, ils doivent intervenir dans les domaines de l’éducation, du renforcement des capacités, de l’évaluation des écosystèmes et de l’information géographique
On trouvera ci-après le texte de l’allocution du Secrétaire général, M. Kofi Annan, à l’Association des géographes américains, le 1er mars:
Je vous remercie pour cet accueil chaleureux et je vous suis reconnaissant, Miklos [Pinther], pour votre très aimable présentation. Je nous vois encore penchés sur les cartes, l’été dernier, lors de cette difficile opération le long de la frontière israélo-libanaise. Je peux vous assurer que pour nous tous, le moment que vous venez de décrire était plutôt tendu.
Cette expérience m’a démontré, une fois encore, le rôle capital que les cartographes et les géographes jouent dans les travaux de l’Organisation des Nations Unies. Il m’arrive, en effet, assez souvent de dire « montrez-moi les cartes ».
Pour le personnel de maintien de la paix, il est essentiel de connaître le terrain et les zones où des mines peuvent être dissimulées. Les agents sanitaires envoyés vacciner des enfants doivent être informés de la répartition de la population. Les experts en environnement doivent savoir si les ressources sont menacées par la structure de l’habitat ou par d’autres facteurs. Et en ce moment même, l’ONU s’apprête à délimiter la frontière litigieuse entre l’Érythrée et l’Éthiopie dans le cadre de l’accord de paix conclu entre ces deux pays.
Des nouvelles nous parviennent régulièrement des Casques bleus et des secouristes déployés dans les zones de guerre et les régions sinistrées de la planète, mais nous ne devons pas oublier que les géographes sont aussi en première ligne.
C’est pourquoi j’avais hâte de vous rencontrer tous aujourd’hui. L’ONU et le monde des géographes professionnels ont beaucoup en commun. Les frontières sont constamment au coeur de nos travaux, ainsi que la science. Plus important encore, les géographes ont pour mission quotidienne de repousser les limites des terres inconnues, nous permettant ainsi d’actualiser notre vision de la planète et de ses habitants. L’ONU, elle aussi, s’efforce de faire voir le monde sous un jour nouveau.
Je vous propose aujourd’hui, forts de cette étroite affinité, de nous attaquer à certains des défis les plus graves auxquels l’humanité doit faire face: les changements climatiques, les menaces qui pèsent sur l’environnement mondial et l’objectif à long terme d’un développement véritablement durable.
Vous ne le savez que trop bien : il y a de nombreux signes avant-coureurs des graves dangers qui menacent l’environnement. Les pratiques non durables sont profondément ancrées dans les habitudes de la vie moderne. La dégradation des sols compromet la sécurité alimentaire. La destruction des forêts menace la diversité biologique. La pollution des eaux nuit à la santé publique et la concurrence acharnée pour l’accès à l’eau douce est une source potentielle de conflit et de guerres. Les préoccupations écologiques seront les problèmes de sécurité nationale de demain.
Les conclusions les plus récentes du Groupe intergouvernemental d’experts des Nations Unies sur les changements climatiques ne font qu’accentuer le malaise. Le Groupe d’experts a réuni des preuves de plus en plus convaincantes rejetant sur l’activité humaine la responsabilité de la déstabilisation du climat mondial et a averti la communauté internationale qu’elle risquait de payer un prix très lourd si elle ne faisait rien pour remédier rapidement à cette situation.
Le rapport du Groupe d’experts permet aussi de détruire un mythe sur le réchauffement de la planète, celui qui consiste à dire que les preuves ne sont pas assez fiables pour justifier de grandes décisions politiques ou économiques. Certes, il subsiste des incertitudes; des voix discordantes se feront toujours entendre, et il faudra toujours pousser la recherche plus loin. C’est le propre même de l’investigation scientifique. Mais l’immense majorité des scientifiques ont conclu que les changements climatiques sont une réalité, que les hommes y contribuent et que nous devons agir sans tarder. Ils nous avertissent en outre que les problèmes écologiques s’aggravent avec les années, et qu'il faudra d'autant plus de temps pour y apporter des solutions.
Un autre mythe tout aussi nuisible consiste à prétendre que nous devons choisir entre l’économie et l’écologie.
La protection de l’environnement est souvent considérée comme une contrainte supplémentaire, mais les véritables coûts écologiques apparaissent rarement dans les comptes nationaux et le coût de l'inaction est souvent occulté au moment de prendre des grandes décisions.
D'aucuns disent que l’action écologique est un luxe que seuls les pays riches peuvent se permettre. Or tous les pays sont tributaires des ressources de l’environnement et autres richesses du patrimoine écologique.
Certains voient dans la conservation de l’environnement un frein à la croissance économique, d'autres vont jusqu'à soutenir que l'une exclut l'autre. Pourtant, les économistes conviennent aujourd’hui généralement que l’amélioration du rendement énergétique et d’autres stratégies «positives » pourraient dégager de gros bénéfices sans entraîner de coûts. En réalité, c'est le contraire qui est vrai : sans politique de conservation, il ne peut y avoir de croissance économique soutenue.
Nous devons cesser de rester autant sur la défensive dans le domaine économique et commencer à montrer davantage de courage politique.
Trop souvent, les gouvernements continuent de se comporter comme si l’environnement était un domaine à part entière, sans lien avec les problèmes de pauvreté, de population, d’énergie et le processus de développement en général. Cette lecture est dépassée. Les problèmes écologiques devraient être au centre du processus décisionnel, totalement intégrés dans la politique économique et sociale générale. Le Sommet « Planète Terre » de 1992 fit prendre conscience de la nécessité d'assurer un développement durable, ce qui représenta une véritable percée conceptuelle. Depuis cette date, nous avons, hélas, trop souvent repris nos vieilles habitudes.
La lutte contre le réchauffement de la planète fait en partie exception. La Convention adoptée au Sommet « Planète Terre » et le processus engagé depuis autour du Protocole de Tokyo visent à instaurer de nouveaux modes de consommation de l’énergie permettant de réduire l’émission des gaz dangereux à effet de serre, et d'assurer ainsi à nos économies une assise plus durable. Cet effort n’est pas sans rappeler celui qui, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, a permis de bâtir l’architecture du régime commercial international.
Des progrès considérables ont été réalisés dans les négociations destinées à compléter les dispositions du Protocole. Mais celui-ci n’est toujours pas entré en vigueur et les discussions se poursuivent au sujet des échanges de crédits d’émissions, des puits de carbone et des mécanismes qui favoriseraient les investissements contribuant à réduire les niveaux d'émissions de gaz à effet de serre dans les pays en développement. Il est décevant que l’accord n’ait pu se faire sur ces thèmes et sur d’autres points essentiels lors des négociations tenues à La Haye en novembre dernier. Mais les pourparlers reprendront le
16 juillet à Bonn et j’espère sincèrement que les gouvernements sauront résoudre leurs différends et parvenir à un Protocole que les pays puissent ratifier.
Abandonner le processus à ce stade nous ramènerait plusieurs années en arrière du point de vue de l’action menée dans le domaine climatique au niveau mondial. Et ce serait imposer aux pays en développement – qui souffriront le plus des effets des changements climatiques bien qu’ils en soient le moins responsables – un retard encore plus considérable. C’est aux pays industrialisés qu’il incombe de donner l’impulsion. Ils sont responsables de la plus grande partie des émissions actuelles de carbone dans l’atmosphère et sont le mieux placés, tant du point de vue économique que technologique, pour adopter de nouveaux modes de production et de consommation.
Le processus de Kyoto vise principalement à atténuer l’impact de décennies successives de pratiques non durables. Il constitue aussi un effort en faveur de changements radicaux. La même approche s’impose bien au-delà du problème du réchauffement de la planète. Je veux parler de l’application des accords connexes sur la diversité biologique, la désertification et l’appauvrissement de la couche d’ozone; de la lutte contre la pauvreté; et des changements nécessaires dans les habitudes et le comportement quotidien des consommateurs. Nous autres particuliers ne devons pas toujours attendre que les gouvernements et les milieux industriels réagissent. Nous avons le pouvoir d'agir, par nos choix et par nos achats. Et nous pouvons modifier les habitudes de consommation et influer sur les décisions des entreprises en exerçant ce pouvoir de choisir.
Il s’agit sans nul doute d’un programme vaste et ambitieux. Le système des Nations Unies continuera de jouer son rôle, en poussant activement ce programme.
De mon côté, j’ai engagé plusieurs grandes sociétés transnationales du monde entier dans un « pacte mondial » visant à promouvoir une plus grande responsabilité vis-à-vis de l’environnement. Les compagnies d’assurance, comme vous pouvez l’imaginer, s’inquiètent au premier chef de la perspective du réchauffement de la planète et se sont employées avec beaucoup d'énergie à sensibiliser l’opinion à ce défi. Déjà, quelques chefs d’entreprise dynamiques saisissent l’occasion pour mettre au point des techniques vertes et utiliser des ressources renouvelables. J’espère que leur exemple sera largement suivi. Les gouvernements peuvent contribuer à faire évoluer les choses en faisant preuve de créativité dans l’articulation des politiques fiscales et budgétaires, y compris en éliminant les subventions massives qui continuent de soutenir diverses pratiques préjudiciables et non durables.
L’ONU s’est également mise au travail pour assurer le plus grand succès possible au Sommet mondial sur le développement durable, qui se tiendra l’an prochain à Johannesburg. Le processus de mondialisation et le progrès technologique, qui en est un des moteurs, suscitent de fortes inquiétudes, notamment la crainte que l’environnement soit le premier à en pâtir. Les responsables mondiaux doivent répondre à ces préoccupations. Ils doivent montrer qu’ils prennent au sérieux l'idée d'une nouvelle éthique de conservation et de sauvegarde de la planète. En Afrique, nous avons un proverbe qui dit : "La terre ne nous appartient pas. Elle est un trésor qui nous est confié pour que nous le transmettions à nos enfants et à leurs enfants". J'espère que ma génération et la vôtre se montreront dignes de cette confiance. Le développement durable ne va pas se matérialiser spontanément. Le Sommet doit donner une impulsion décisive. Nous avons beaucoup à faire si nous voulons que cette manifestation ait autant d’impact que le Sommet « Planète Terre » il y a près de 10 ans.
Je vois quatre domaines en particulier où les géographes peuvent utilement intervenir.
Je citerai tout d'abord le domaine de l’éducation. La classe de géographie est un des premiers lieux où les jeunes entrent en contact avec le monde au-delà de leur entourage immédiat. Je vous invite à utiliser cette tribune pour transmettre un message, non seulement sur le cycle du carbone et les merveilles de notre monde physique, mais sur la vie politique. Je voudrais que vous parliez à vos étudiants de l’ONU et des efforts qu’elle déploie pour aider le monde à résoudre ses problèmes communs. Vous pourriez aussi leur parler du nouveau site Web de l’ONU – <www.unep.net> – qui contient des cartes, des images par satellite, des textes législatifs et d’autres informations émanant d’instituts de recherche et de bases de données du monde entier. C’est un nouvel outil puissant qui permet à quiconque dans le monde de surveiller l’environnement et de participer à sa protection.
Deuxièmement, le renforcement des capacités dans le monde en développement. Les techniques géographiques les plus récentes ont un formidable potentiel. Elles permettent de donner rapidement l’alerte en cas de catastrophe naturelle et de menace contre l’environnement, et peuvent nous aider à planifier nos villes de sorte que l’on y vive davantage en sécurité. Nous devons redoubler d’efforts pour nous assurer que ces nouveaux outils sont mis à la disposition des pays en développement.
En troisième lieu, je citerai l’Evaluation des écosystèmes du millénaire. Il s'agit un effort de collaboration international visant à dresser la carte de santé de la planète. Cette évaluation sera lancée à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement en juin. J’espère que vous serez parmi les scientifiques qui y participeront.
Enfin, quatrièmement, nous avons créé à l'ONU un Groupe de travail sur l’information géographique chargé d’améliorer l'utilisation par les nombreuses entités de notre vaste système des données cartographiques et géographiques. Un des principaux objectifs du Groupe de travail est d’établir une base de données géographiques de l’ONU. Il travaillera en collaboration avec les instituts cartographiques nationaux, des organisations non gouvernementales, des groupes industriels et des instituts de recherche. Le Groupe de travail tiendra sa première réunion officielle dans le courant de ce mois. Je vous invite à prendre contact avec nous pour participer à ces travaux si vous ne l’avez pas encore fait.
Mesdames, Messieurs,
La grande aventure de l’exploration géographique est loin d’être terminée. Mais à l’avenir, nous devons aussi nous aventurer dans notre paysage intérieur … la cartographie mentale que nous portons tous en nous.
Cette cartographie s’appuie sur des données très personnelles, sur notre environnement immédiat : notre rue, notre famille, l’activité qui nous fait vivre; ce que nous aimons, ce que nous n’aimons pas, nos convictions et nos préjudices. Dans le même temps, nos préoccupations acquièrent de plus en plus une dimension mondiale, au travers de nouveaux produits, de nouvelles personnalités et de nouvelles idées, de nouvelles perspectives mais aussi de nouvelles menaces.
Nos configurations mentales sont de solides constructions, aussi individuelles, dans une certaine mesure, que des empreintes digitales. Mais ne vous y trompez pas : les forces de la mondialisation sont en train d’en redéfinir le tracé. Le défi, pour nous, aujourd’hui, est d’en maintenir la diversité, tout en sensibilisant davantage la conscience publique à notre patrimoine, nos valeurs et nos intérêts communs.
Le principe de l’interdépendance n’a rien de nouveau pour les géographes, mais pour la plupart des habitants de la planète, c’est un concept inédit qu’ils commencent à peine à manier. Accorder ce principe aux réalités – et l’imprimer sur les cartes mentales qui inspirent nos avis et nos choix – est un des projets les plus fondamentaux de la géographie humaine pour le XXIe siècle. Je serai heureux de vous accompagner tout au long de ce formidable voyage.
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