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SG/SM/7692

«SI NOUS NE FAISONS PAS EN SORTE QUE LA MONDIALISATION PROFITE A TOUS, ELLE FINIRA PAR NE PROFITER A PERSONNE», AVERTIT KOFI ANNAN AU FORUM ECONOMIQUE MONDIAL DE DAVOS

28/01/2001
Communiqué de presse
SG/SM/7692


«SI NOUS NE FAISONS PAS EN SORTE QUE LA MONDIALISATION PROFITE A TOUS, ELLE FINIRA PAR NE PROFITER A PERSONNE», AVERTIT KOFI ANNAN AU FORUM ECONOMIQUE MONDIAL DE DAVOS


On trouvera ci-après le texte du discours du Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, prononcé le 28 janvier, devant le Forum économique mondial de Davos (Suisse):


Tout d’abord, je tiens à remercier notre ami Klaus Schwab de m’avoir présenté en termes si élogieux et de m’avoir invité une nouvelle fois à Davos.


Il y a deux ans, j’évoquais ici avec vous la fragilité de la mondialisation. Certains d’entre vous pensaient probablement que j’étais trop alarmiste mais je crois que les événements survenus depuis ont montré que mon inquiétude était justifiée.


Ce n’est pas aux protestations dont nous avons été témoins que nous devons réagir mais au sentiment de l’opinion publique dont elles sont le reflet et qu’elles contribuent à répandre. Dans le monde d’aujourd’hui, bien trop de gens considèrent cette plus grande ouverture comme une menace pour leurs moyens de subsistance, leurs modes de vie et l’aptitude de leurs gouvernements à les servir et à les protéger. Comme le dit un proverbe russe, même lorsqu’elle est exagérée ou déplacée, la peur fait voir grand. Et j’ajouterai qu’elle finit par arriver aux oreilles des gouvernements qui sont alors obligés de réagir.


Mais il est faux de dire que la plupart des gens veulent revenir en arrière. En fait, ils sont prêts à accepter la mondialisation à condition qu’elle contribue à un monde meilleur.


Ce message est ressorti de tous les débats tenus en septembre lors du Sommet du Millénaire des Nations Unies, la plus grande rencontre de chefs d’État et de gouvernement qui ait jamais eu lieu. L’objectif du Sommet était d’envisager sous un angle nouveau les priorités de base de l’Organisation des Nations Unies pour le nouveau millénaire. Rien n'a été jugé plus urgent que de faire en sorte que la mondialisation devienne une force positive pour l'humanité tout entière.


Pour vous qui êtes ici aujourd’hui, cela peut sembler aller de soi, mais ce n’est pas du tout aussi évident pour le reste du monde. Un monde où la moitié de la population s’efforce de survivre avec moins de 2 dollars par jour, où moins de 10 % du budget total consacré à la recherche dans le domaine de la santé va aux maladies qui touchent 90 % de la population mondiale.


Essayez d’imaginer ce que peut signifier la mondialisation pour la moitié de l’humanité qui ne s’est jamais servie d’un téléphone, pour les populations d’Afrique subsaharienne qui sont moins nombreuses à avoir accès à l’Internet que les habitants de Manhattan.


Et comment expliquer, aux jeunes notamment, que le système juridique mondial dont nous disposons à l’aube du XXIe siècle protège davantage les droits de la propriété intellectuelle que les libertés fondamentales et les droits de l’homme.


Mes amis, regardons la réalité en face : si nous ne réussissons pas à faire en sorte que la mondialisation profite à tous, elle finira par ne profiter à personne. La répartition inégale des bienfaits qu’elle apporte et les déséquilibres dans l’élaboration des règles internationales, qui caractérisent la mondialisation aujourd'hui, ne peuvent que provoquer un retour de bâton et une montée du protectionnisme susceptibles à terme de faire dérailler, voire de détruire l’économie mondiale ouverte que l'on a eu tant de mal à construire au cours des 50 dernières années.


Lors du Sommet du Millénaire, les chefs d’État et de gouvernement ont décidé de remédier à cet état de choses et, pour ce qui est des inégalités en termes de revenus, de réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2015.


Mais le Sommet a aussi reconnu que les gouvernements ne pouvaient pas à eux seuls atteindre ces objectifs. C’est pourquoi dans leur Déclaration du Millénaire, les dirigeants ont approuvé la création de partenariats solides avec le secteur privé et les organisations de la société civile en vue de réaliser les objectifs qui tiennent à cœur à l’humanité tout entière.


De fait, nous avons fait des progrès considérables dans la promotion de ce type de partenariats. Vous vous souviendrez qu’il y a deux ans, lors de ce même Forum économique mondial, j’avais proposé l’adoption d’un pacte mondial, par lequel j’invitais les hauts responsables du monde des affaires à jouer leur rôle dans la mise en place de l’infrastructure sociale qui fait défaut à la nouvelle économie mondiale. Aujourd'hui, je voudrais revenir sur ce thème pour l’approfondir.


J’avais demandé à ces hauts responsables de ne pas attendre que les gouvernements imposent de nouvelles lois mais de prendre l'initiative en améliorant leurs propres pratiques. En fait, je vous avais demandé d’adopter et d’appliquer au sein de vos entreprises, neuf principes de base dérivés d'accords universellement acceptés, relatifs aux droits de l’homme, aux normes de travail et à l’environnement. Et je vous proposais de faire appel à l’aide des organismes des Nations Unies compétents dans ces domaines.


Je suis heureux de pouvoir annoncer que de nombreux chefs d’entreprises ont répondu positivement à mon appel. Fait important, ils ont aussi reconnu l’intérêt qu’ils avaient à collaborer avec la société civile pour atteindre ces objectifs.


Aujourd’hui, le Pacte mondial mobilise non seulement des grandes sociétés du monde entier, mais aussi la Confédération internationale des syndicats libres et une douzaine de grandes organisations bénévoles qui jouent un rôle actif dans la protection des droits de l’homme, la défense de l’environnement et la promotion du développement. Ensemble, celles-ci s’efforcent d'identifier et d'encourager les bonnes pratiques, contribuant, par la même occasion, à faire disparaître celles qui ne le sont pas. Le Pacte n’est pas un régime réglementaire ou un code de conduite mais un forum où échanger les enseignements tirés des pratiques qui fonctionnent et de celles qui ne fonctionnent pas.


En juillet dernier, des représentants des trois secteurs représentés dans le Pacte sont venus au Siège de l’ONU. Nous avons décidé d’un commun accord de donner à l'initiative plus d'ampleur et nous nous sommes fixé pour objectif de rassembler 1 000 grandes sociétés autour de ses dispositions d’ici à 2002.


Je suis très heureux d’annoncer aujourd’hui que M. Göran Lindahl, qui vient de quitter son poste de directeur général de la société ABB, a accepté de prendre la direction de cette campagne et de me servir de Conseiller spécial pour le Pacte mondial. Outre ses solides compétences professionnelles, il a pour atout d’être fermement engagé en faveur de la responsabilité sociale des grandes entreprises et du développement d'un esprit civique au sein de celles-ci.


Le Pacte a aussi inspiré de nombreuses initiatives concrètes, qui vont de la promotion des investissements dans les pays les moins avancés à la promotion des droits de l’homme sur le lieu de travail et à proximité. Mais il nous reste encore beaucoup à faire pour que les bienfaits de la mondialisation soient plus largement répandus et appréciés.


Dans de nombreuses parties du monde, le principal obstacle au progrès économique et social est l’existence de conflits violents et destructeurs.


Ce sont, bien entendu, les gouvernements qui en portent la responsabilité principale. Mais les sociétés privées qui opèrent dans ces régions devraient faire très attention à se montrer responsables de façon à contribuer à l’instauration de la paix ou pour le moins à ne pas contribuer à la poursuite des conflits. La société De Beers a montré l’exemple en prenant des mesures face aux critiques dont faisait l’objet le commerce des diamants en Afrique, veillant notamment à ce que les vendeurs et les acheteurs de diamants ne contribuent plus sans le vouloir à financer les activités des chefs de guerre. Dans le cadre du Pacte mondial, nous allons lancer notre premier dialogue thématique, avec pour objectif de parvenir à une concordance de vues entre les différentes parties prenantes sur le rôle que les sociétés peuvent et doivent jouer dans les zones de conflit.


Je pense que le Pacte mondial est une initiative unique en son genre qui peut aider à changer le monde, même si ce n’est que progressivement. Et j’espère que vous tous, représentants du monde des affaires réunis aujourd’hui, vous vous joindrez bientôt à nous si vous ne l’avez pas déjà fait.


J’espère aussi que ceux d’entre vous qui appartiennent à des organisations de la société civile et qui se sont montrés critiques vis-à-vis du Pacte comprendront qu’aux Nations Unies, la collaboration avec le secteur privé n’est pas simplement une option, elle est un impératif de tout moment. Nous devons faire appel à tous les acteurs sociaux qui peuvent faire changer les choses.


Ce n’est qu’en s'appuyant sur des partenariats efficaces que nous pourrons enrayer les maladies endémiques et les épidémies qui empêchent les populations de tant de pays en développement de mener une vie normale. Je ne suis pas sûr que nous ayons tous vraiment pris la mesure de toute l’horreur que représente la pandémie de VIH/sida en Afrique, tant sur le plan humain que sur celui de l’économie. Dans certains pays, elle a fait disparaître des générations entières. Il est de notre devoir à tous de venir en aide à ceux qui sont déjà touchés par cette maladie et surtout de stopper la propagation du virus.


De même, les investissements, pas simplement dans la mise au point de médicaments mais dans tous les domaines, revêtent une importance vitale pour le monde en développement. Les seuls pays en développement qui se développent vraiment sont ceux qui ont réussi à attirer des flux importants d’investissements étrangers directs et à mobiliser l’épargne et les ressources de leurs propres ressortissants.


Malheureusement, il ne s'agit encore que d'un nombre relativement faible de pays. Le reste du monde en développement, et notamment les pays les moins avancés, est presque totalement exclu de cette tendance positive, bien qu’un peu partout des réglementations extrêmement favorables aux investissements étrangers aient été mises en place et qu'aucun effort ne soit épargné pour attirer d’autres investissements de ce type.


Si ces efforts n’ont pas été couronnés de succès, c’est souvent en raison du manque d’infrastructure, ou parce que les marchés de ces pays sont trop petits et trop isolés pour être intéressants. Les marchés locaux subissent la concurrence d'un marché mondial impitoyable.


Là encore, les sociétés internationales peuvent favoriser le changement en collaborant entre elles et avec les gouvernements pour réduire les risques et les coûts encourus par ceux qui font des affaires dans les pays les moins avancés, et en diffusant des informations sur les possibilités d’investissement dans ces pays.


Un autre domaine vital où les partenariats peuvent favoriser le changement dans les pays en développement est celui des technologies de l'information. J’ai créé un petit groupe de conseillers qui m’aide à trouver les moyens de réduire le « fossé numérique » actuel. Nombre d'entre eux sont ici aujourd’hui, et je tiens à leur adresser mes remerciements, ainsi qu’à tous ceux qui ont accepté de collaborer avec moi dans ce domaine qui revêt, à mon avis, une importance cruciale pour l’avenir de nombreux pays pauvres.


Le rôle mobilisateur des hauts responsables du monde des affaires est tout aussi important. Pour participer plus pleinement à l’économie mondiale, les pays en développement doivent avant tout bénéficier des mesures suivantes :


•     Un allègement plus rapide et plus généreux de la dette;


•     Une augmentation de l’aide publique au développement, qui vise tout particulièrement à attirer davantage d’investissements dans les pays pauvres;


•     Et l’ouverture totale des marchés des pays riches aux produits des pays pauvres.


Ces rôles sociaux plus larges de partenaire et de force mobilisatrice sont relativement nouveaux pour les grandes entreprises, mais ils ne peuvent plus être considérés comme distincts des pratiques habituelles du monde des affaires ni être réduits à une question de philanthropie. Les entreprises sont en train de prendre conscience du fait que la mondialisation des marchés doit avoir pour pendant la mondialisation de la notion de responsabilité sociale des sociétés et sa mise en pratique. Et elles s’aperçoivent de plus en plus qu’en fin de compte, en faisant le bien elles font aussi des profits.


En d’autres termes, pour remédier à la fragilité de la mondialisation dont j’ai déjà parlé - laquelle remet directement en cause la conception que se font les entreprises de leur intérêt propre - il faut que vous acceptiez non seulement les possibilités que vous offre la mondialisation, mais aussi que vous assumiez les obligations qui en découlent.


De fait, vous tous, représentants du monde des affaires aussi bien que des organisations de la société civile, vous devez prendre conscience du fait que vous êtes à l’avant-garde du processus qui conduira à l’avènement de la société mondiale de demain, dans laquelle les marchés doivent certes être ouverts mais doivent aussi obéir à des règles fondées sur des valeurs communes et sur la solidarité mondiale. Vous êtes les premiers vrais citoyens du monde, et de vos actions et de votre mobilisation dépendent le sens que prendra cette expression et la possibilité qu’auront tous les êtres humains, riches ou pauvres, de bénéficier des avantages de la mondialisation.


Pour ce faire, mes amis, vous pouvez compter sur mon soutien sans réserve ainsi que sur celui de l’Organisation des Nations Unies!


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