LA CAPACITE DE L’AFRIQUE A PRENDRE LE TRAIN DE LA MONDIALISATION DEPENDRA DE LA QUALITE DE SA GOUVERNANCE ET DU NIVEAU D’EDUCATION DE SA POPULATION
Communiqué de presse SG/SM/7683 |
AFR/297
LA CAPACITE DE L’AFRIQUE A PRENDRE LE TRAIN DE LA MONDIALISATION DEPENDRA DE LA QUALITE DE SA GOUVERNANCE ET DU NIVEAU D’EDUCATION DE SA POPULATION
L’Afrique doit convaincre ses partenaires de la nécessité d’appuyer ses efforts
Vous trouverez ci-après l’allocution du Secrétaire général à l’occasion du Sommet Afrique-France, aujourd’hui, à Yaoundé :
C’est pour moi un grand plaisir de me retrouver au Cameroun, et un grand honneur de participer à nouveau à cette assemblée.
Permettez-moi tout d’abord d’exprimer ma gratitude au Président Biya et au Gouvernement camerounais, qui accueillent cette réunion.
Je tiens aussi à rendre hommage au Président Chirac, qui démontre par sa présence que la France reste fidèle à son engagement aux côtés de l’Afrique dans sa recherche de la paix et de la prospérité.
Toutefois, comme chacun d’entre vous, ma joie d’être ici est tempérée par l’incertitude sur le sort du Président Laurent Désiré Kabila, dont nous nous souvenons tous de l’active participation au Sommet Afrique-France tenu à Paris il y a deux ans.
Je voudrais, du haut de cette tribune, et au début de nos travaux dont la première partie est justement consacrée à la problématique des conflits, de la paix et de la sécurité en Afrique dans le contexte de la mondialisation, réaffirmer la détermination de l’ONU à contribuer au règlement pacifique du conflit en République démocratique du Congo. Je voudrais aussi lancer un appel pressant à toutes les parties au conflit pour qu’elles oeuvrent en ce sens. Enfin, je voudrais exprimer ma sympathie au peuple congolais en ces moments d’incertitude.
Voyons d’abord quelle image de l’Afrique nous aimerions que cette conférence transmette au monde. Quel message souhaitons-nous envoyer à nos confrères et nos consœurs du Sud, et à nos partenaires du Nord : les Européens que représente le Président Chirac ici présent; les Russes; les Japonais, dont le Premier Ministre vient, pour la première fois, d’effectuer une tournée en Afrique; et les Américains, dont le nouveau Président entrera en fonctions samedi?
Il ne suffit pas de faire simplement appel à la générosité, ou même au sens de la justice, des pays industrialisés. Il nous faut aussi leur faire comprendre qu'ils ont tout intérêt à nous aider. Nous devons les convaincre que l’Afrique compte, et qu'au vu de la situation actuelle, ils doivent intensifier, et non pas réduire, leur politique d’engagement positif à notre égard.
Pourquoi l’Afrique compte-t-elle ? Parce qu’elle abrite 700 millions d’hommes et de femmes – qui sont tous des consommateurs potentiels – et parce que les crises qui affligent le continent ne peuvent pas être contenues à l’intérieur de ses frontières.
On ne pourra pas remporter la lutte contre le VIH/sida à l’échelle mondiale si l’on ne gagne pas cette guerre en Afrique, où l’on dénombre les deux tiers des décès dus à cette épidémie.
L’environnement et le climat de notre planète ne manqueront pas non plus de subir les effets de la disparition de la faune et de la flore des forêts africaines, et de la désertification de terres arables fertiles.
La pauvreté dont nous souffrons actuellement est source de problèmes pour les autres continents, qu’il s’agisse de la criminalité et de l’immigration clandestine, ou de l’extrémisme politique et religieux. Le monde entier ne s’en trouvera-t-il pas mieux quand l’Afrique débordera d'activités productives et fructueuses menées par une population dont la prospérité et l’ingéniosité seront un motif d’espoir pour le reste du monde ?
Nous devons convaincre nos partenaires que ce rêve n’a rien d’impossible, que l’Afrique n’est ni un cas désespéré, ni d’ailleurs une victime passive qui n’aspirerait qu’à vivre de la charité d’autrui. Nous devons leur prouver, pour citer un poème qui a soutenu Nelson Mandela au cours de sa longue incarcération, que l’âme des Africains n’appartient qu’à eux et qu’ils sont les maîtres de leur destinée.
Heureusement, nous disposons de preuves, comme par exemple l’accord de paix signé récemment entre l’Éthiopie et l’Érythrée, et les nombreux efforts déployés par des institutions et des dirigeants africains en vue de régler des conflits en cours dans d’autres régions de notre continent.
Mieux encore, nous pouvons citer les démarches visant à s’attaquer aux causes des conflits : du mécanisme de prévention que vous avez mis en place ici en Afrique centrale à la décision courageuse prise par l’OUA de ne plus admettre en son sein ceux qui accèdent au pouvoir par des moyens non constitutionnels; de telles prises du pouvoir ayant été un facteur déterminant dans un si grand nombre de conflits africains.
Nous pouvons rappeler la ferme volonté qui s'est manifestée le mois dernier à Addis-Abeba lors du Forum africain du développement, où les dirigeants africains ont montré qu’ils brisaient enfin le mur du silence entourant l’épidémie du sida et qu’ils prenaient les choses en main.
Et nous pouvons également citer le courage et le franc-parler de plus en plus grands de nos citoyens et de nos journalistes qui exigent démocratie, état de droit et respect des droits de l’homme.
C’est un message que la conférence sur les démocraties nouvelles ou rétablies qui s’est tenue le mois dernier au Bénin a bien fait passer. Et depuis, mon propre pays, le Ghana, nous a donné un autre bel exemple du nouveau mode de passation des pouvoirs en Afrique : pacifiquement, par la voie des urnes.
La propagation de la démocratie est un aspect très positif de la réaction de l’Afrique face au défi de la mondialisation, thème de cette conférence. Grâce aux nouveaux médias mondiaux – l’Internet et les téléphones cellulaires – les observateurs informent le monde entier des résultats d'une élection aussitôt que les bulletins sont dépouillés dans chaque district, prévenant ainsi toute tentative de fraude de la part des autorités. Et les électeurs, au fait de ce qui se passe dans d’autres pays africains ou même dans des endroits aussi éloignés que la Yougoslavie, n’hésitent plus à exercer leurs droits.
Dans tous ces cas, les Africains démontrent une volonté nouvelle de regarder les problèmes bien en face et une capacité toute neuve à s’y attaquer.
Mais la mondialisation est avant tout un phénomène économique, et dans ce domaine crucial, les Africains risquent de passer à côté de l'occasion. Le principal défi que nous devons relever aujourd’hui est de faire en sorte que la mondialisation fonctionne en Afrique et pour l’Afrique, et qu’elle ne laisse pas le continent à la traîne.
En septembre dernier, au Sommet du Millénaire, les dirigeants du monde entier ont décidé de réduire de moitié, d’ici à 2015, la proportion de la population mondiale vivant dans la pauvreté absolue.
L’histoire jugera cette génération sur ce qu’elle aura fait pour s’acquitter de cette promesse – ce qui, en Afrique, implique que le taux de croissance annuelle devra faire des progrès spectaculaires. Elle jugera les dirigeants africains, en particulier, sur ce qu'ils auront fait pour donner à leurs peuples la possibilité de prendre le train de la nouvelle économie mondiale, et veiller à ce que chaque personne y ait au moins une place debout, à défaut d’une place assise confortable.
Les pays qui, au cours des 10 ou 20 dernières années, ont connu la croissance économique la plus forte sont ceux qui ont su s’intégrer dans l’économie mondiale, attirer des investissements étrangers et mobiliser l’épargne et les ressources de leurs propres citoyens. Nous devons veiller à ce que tous les pays africains bénéficient des mêmes possibilités.
Cela tiendra en grande partie à la qualité de la gouvernance dont jouit un pays et au niveau d’éducation de sa population. Dans ces deux domaines, le Programme des Nations Unies pour le développement et d’autres organismes des Nations Unies aident les gouvernements africains à améliorer la qualité des services qu’ils dispensent à leurs citoyens, ce qui permettra d’instaurer un environnement plus propice aux investissements. Je vous engage tous instamment à coopérer avec nous afin de promouvoir ces objectifs.
Notre avenir dépend aussi largement de la technologie, en particulier des nouvelles technologies de l’information. À l’heure actuelle, l'Afrique compte moins de 1% des utilisateurs mondiaux de l’Internet. Si nous acceptons de rester en marge de la nouvelle économie mondiale du savoir, nous ne cesserons de prendre du retard.
Il n’y a pas de raison qu’il en soit ainsi. Contrairement aux technologies antérieures, celles de l’information ne requièrent pas d’énormes quantités de matériel, de capitaux, ni même d’énergie. Elles requièrent de la matière grise, seul produit a être équitablement réparti parmi tous les peuples du monde. Ainsi, avec un investissement relativement minime – essentiellement dans l’éducation de base des filles, comme des garçons – nous pouvons mettre à la portée des défavorisés toutes sortes de connaissances, et permettre aux pays pauvres de brûler des étapes longues et pénibles du développement, par lesquelles d’autres ont dû passer.
L’Inde nous montre la voie à suivre. L’an passé, ses exportations de logiciels ont dépassé quatre milliards de dollars des États-Unis, et elles devraient être de l’ordre de 50 milliards de dollars d’ici à 2008. Au Costa Rica, pays beaucoup plus petit, le taux de croissance en 1999 a atteint 8,3% – chiffre le plus élevé d’Amérique latine – grâce au développement de composants électroniques de pointe facilement exportables vers d’autres pays.
Il est inutile de chercher si loin. Certains pays d’Afrique tirent aussi les enseignements nécessaires. Maurice, par exemple, a fait connaître son industrie textile sur le marché mondial grâce à l’Internet, et le Mali s’est doté d’un réseau intranet afin d’accroître l’efficacité de ses services administratifs.
Il reste cependant beaucoup à faire. J’ai tenté d’apporter mon aide en lançant une initiative appelée UNITeS, pour United Nations Information Technology Service, un groupement d’associations bénévoles chargé de former des groupes de personnes dans les pays en développement à l’utilisation et aux applications des technologies de l’information. Cette initiative est déjà en place dans 12 pays, dont 7 pays d'Afrique.
Mais il n’est pas facile de lever les obstacles institutionnels qui continuent d’entraver l’utilisation des nouvelles technologies dans un trop grand nombre de pays africains. Trop souvent, les monopoles d’État imposent des tarifs exorbitants pour l’utilisation des bandes passantes, mettant de ce fait la nouvelle économie mondiale hors de la portée de la plupart de leurs citoyens.
Je vous engage donc tous à revoir les dispositions que vous avez prises en la matière, et à vous assurer que vous ne privez pas vos peuples des possibilités offertes par la révolution numérique.
Oui, il y a beaucoup de choses que nous, Africains, pouvons faire pour améliorer notre sort, mais il n'en reste pas moins que nous avons besoin d’aide, et c’est là que des pays mieux lotis ont un rôle crucial à jouer.
A tout le moins avons-nous le droit d’espérer qu’ils mettent en pratique le libre échange qu’ils prêchent dans tous leurs discours, en supprimant les barrières qui empêchent les produits africains de pénétrer sur leurs marchés, et en réduisant les subventions qu’ils versent à leurs agriculteurs et qui permettent difficilement aux agriculteurs africains d’être compétitifs.
Ils donneraient ainsi à l’Afrique et à d’autres régions en développement la possibilité d’exporter et donc de prospérer.
Mais un grand nombre de pays africains – la plupart peut-être – auront besoin d’une assistance constructive avant d’en arriver là.
Chacun convient désormais, du moins en principe, qu'il faut soulager les pays les plus pauvres du fardeau de la dette. Et je suis heureux de pouvoir annoncer qu’au cours des derniers mois de 2000, l’année du jubilé, plusieurs pays africains ont bénéficié d’un allégement accéléré de la dette. Mais si l’on veut que les modalités convenues d’allégement de la dette prennent effet, il faudra encore trouver des ressources substantielles.
Et nombre de pays africains, qu’ils soient endettés ou non, ont besoin d’aide pour parvenir à produire des biens et des services que le reste du monde voudra leur acheter. Il leur faut mettre en place des infrastructures et ils ont besoin d'une assistance technique, entre autres pour freiner la propagation du VIH/sida. Beaucoup d’entre eux ont également besoin qu’on les aide à régler leurs conflits et à rebâtir une société productive qui vive dans la paix.
Pour toutes ces tâches, nous attendons l’appui des pays industrialisés. Nous avons besoin à la fois d’une aide publique et d’investissements commerciaux. Nous devons trouver de nouveaux moyens de mobiliser des ressources pour le développement.
C’est l’objectif de la Conférence sur les pays les moins avancés qui se tiendra en mai prochain, la première conférence des Nations Unies à être organisée par l’Union européenne. Malheureusement, comme nous le savons, 34 des 49 pays les moins avancés sont situés ici, en Afrique. Il est donc indispensable que le continent se prépare au mieux pour cette conférence et qu’il s’y rende avec des propositions constructives et convaincantes.
Au début de l’année prochaine, l'ONU organisera une autre réunion importante sur un sujet très proche : le financement du développement. Dans cette perspective, j’ai constitué un groupe de haut niveau, présidé par l’ancien Président du Mexique, M. Zedillo, que j'ai chargé de faire des recommandations concrètes et réalisables en vue d’accroître les flux financiers à destination des pays en développement.
Le Groupe comprend deux personnalités africaines éminentes – ma compatriote, Mme Mary Chinery-Hesse, et M. Majid Osman, du Mozambique – ainsi qu'une sommité française, M. Jacques Delors. À mon avis, il peut apporter une contribution importante à notre réflexion et nous aider à trouver l’élan politique nécessaire. J’espère surtout qu’il permettra de convaincre le monde industrialisé que le développement – et celui de l’Afrique en particulier – n’est pas une cause perdue.
Mes chers amis africains, voilà la tâche qui nous attend. Nous devons convaincre nos partenaires des pays industrialisés que nous valons la peine d’être aidés car nous aussi, nous déployons des efforts. Nous n’avons pas besoin de dissimuler nos défauts ni la triste réalité de nos problèmes. Nous devons montrer que nous faisons face à ces difficultés et que nous comptons bien les surmonter.
C’est le message que l’Afrique doit transmettre aujourd’hui à Paris, à Washington, à Tokyo, à Moscou, au monde entier. Qu’on l’entende haut et fort !
Merci.
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