En cours au Siège de l'ONU

DSG/SM/145

LA VICE-SECRETAIRE GENERALE DECLARE QUE, POUR CONSTRUIRE UN MONDE MEILLEUR POUR TOUS, IL FAUDRA QUE CEUX QUI ONT TROP VIENNENT EN AIDE A CEUX QUI N’ONT PAS ASSEZ

06/11/2001
Communiqué de presse
DSG/SM/145


LA VICE-SECRETAIRE GENERALE DECLARE QUE, POUR CONSTRUIRE UN MONDE MEILLEUR POUR TOUS, IL FAUDRA QUE CEUX QUI ONT TROP VIENNENT EN AIDE A CEUX QUI N’ONT PAS ASSEZ


On trouvera ci-après le texte de l’allocution de la Vice-Secrétaire générale, Mme Louise Fréchette, prononcée le 6 novembre 2001 à New York, à l’occasion du déjeuner organisé par la Société asiatique :


Je tiens d’abord à vous remercier de m’avoir invitée à prendre la parole au cours de ce déjeuner. Quand Robert Radtke m’a parlé de cette rencontre, il a suggéré que je vous parle du terrorisme et du rôle de l’Organisation des Nations Unies (ONU), question désormais liée à tous les volets de notre travail.


Si cette rencontre avait eu lieu avant le 11 septembre, je vous aurais sans aucun doute parlé des conflits qui continuent de faire rage dans l’après-guerre froide et de la mission de l’ONU dans des guerres qui sont le plus souvent des guerres civiles, interethniques, mais pas moins sanglantes pour autant.


J’aurais certainement souligné le fossé croissant qui sépare les pays riches des pays pauvres; la misère qui a atteint un stade inacceptable et les conséquences dramatiques de la crise du sida. J’aurais tenté de vous convaincre qu’avec une volonté politique et des ressources financières accrues, on pouvait accomplir des progrès considérables et faire renaître l’espoir perdu.


J’aurais déploré que les questions d’environnement ne reçoivent pas l’attention qu’elles méritent, et expliqué qu’en retardant les efforts visant à lutter contre les changements climatiques et à régler les autres questions environnementales, nous ne faisons que repousser le moment où les seules solutions seront plus radicales et plus onéreuses.


Enfin, je vous aurais parlé de l’Organisation elle-même, de la manière dont elle s’améliore sans cesse sous la direction de Kofi Annan, et je vous aurais dit pourquoi, malgré toutes ses lacunes (et elles sont nombreuses, je suis la première à le reconnaître), elle demeure indispensable.


Les attaques terroristes du 11 septembre n’ont pas enlevé à ces questions leur pertinence, mais elles constituent certainement un point de départ idéal pour mon exposé.


Je vais donc tenter de définir le rôle de l’ONU au moment crucial d’aujourd’hui. Il se situe dans plusieurs plans successifs. Au premier plan, c’est-à-dire au coeur du problème, se trouvent le terrorisme proprement dit et la coopération nécessaire afin de l’éliminer.


Il convient de rappeler que le jour même des attaques, le Secrétaire général et le Conseil de sécurité ont tous deux vivement condamné les attaques perpétrées contre le World Trade Center et le Pentagone. L’Assemblée générale et le Conseil de sécurité ont, dans le même esprit, adopté le lendemain des résolutions de la même teneur. La résolution du Conseil de sécurité était particulièrement importante dans la mesure où elle faisait référence à l’Article 51 de la Charte des Nations Unies, qui mentionne le droit de légitime défense, et qualifiait les actes perpétrés de menaces contre la paix et la sécurité internationales.


Comme vous le savez sans doute, le Conseil de sécurité a ensuite adopté, le 28 septembre, une deuxième résolution, en vertu de laquelle tous les États Membres ont l’obligation d’interdire le financement d’organisations terroristes, de coopérer aux enquêtes criminelles, de partager les éléments d’information dont ils disposent, etc.


Ces résolutions sont extrêmement importantes, non seulement en raison du message qu’elles envoient aux terroristes et à ceux qui les soutiennent, mais également parce qu’elles définissent le cadre dans lequel s’inscriront les initiatives à venir de l’Organisation, qui ne seront pas toutes faciles et ne feront pas toutes l’unanimité. Même pour les amis indéfectibles des États-Unis, il sera peut-être plus aisé de prendre certaines mesures sous le couvert des décisions prises par l’ONU, plutôt qu’à la demande des Américains.


Maintenant que ces résolutions ont été adoptées, il faut les mettre en oeuvre. Le Conseil de sécurité a créé un Comité spécial, dirigé par M. l’Ambassadeur Greenstock du Royaume-Uni, chargé de suivre leur application avec l’aide des experts voulus et de donner des conseils pratiques.


Nous devons toutefois bien comprendre que les obligations qui incombent à tous les pays du fait des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité sont très exigeantes. Il faudra aider bon nombre d’entre eux à élaborer de nouveaux textes de législation et à mettre en place les systèmes de contrôle nécessaires, domaine dans lequel l’ONU peut vraiment être utile.


L’Organisation oeuvre également au renforcement du cadre juridique international en matière de terrorisme. Il existe déjà 12 conventions, dont bon nombre traitent du transport aérien. L’Assemblée continue d’examiner la possibilité d’une convention générale sur le terrorisme, qui n’a pas encore vu le jour, faute d’un accord sur la définition du terrorisme. Espérons que les derniers événements contribueront à recentrer le débat et permettront à ces négociations d’aboutir dans les meilleurs délais.


Il importe de rappeler que de nombreux organismes du système des Nations Unies sont déjà très actifs sur les différents fronts de la lutte contre le terrorisme : l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et même l’Union postale universelle (UPU), notamment. Ces organismes s’attachent désormais à mettre leur compétence au service d’une lutte qui a pris une dimension nouvelle, et dont le caractère urgent est inquiétant.


Au deuxième plan, vient l’Afghanistan, qui est aujourd’hui au centre de la crise, et où nous agissons sur deux fronts, politique et humanitaire.


Commençons par l’aspect humanitaire. Vous connaissez tous maintenant les conditions misérables dans lesquelles les Afghans vivent, après plus de vingt ans de guerre et quatre années consécutives de sécheresse. L’an dernier, nos organismes humanitaires décrivaient déjà la situation comme étant catastrophique; elle n’a fait qu’empirer depuis.


Nous sommes présents dans les États limitrophes et dans les zones frontalières, afin d’accueillir les réfugiés très nombreux, dont l’arrivée pose des difficultés majeures à ces pays, notamment au Pakistan et en Iran, qui en hébergent déjà des millions.


Notre principale préoccupation reste cependant l’acheminement de l’aide, surtout l’aide alimentaire, en Afghanistan. Nous réussissons à envoyer des quantités relativement petites presque tous les jours, et comptons sur nos agents sur place pour en assurer la distribution. Ce n’est évidemment pas suffisant, et notre personnel travaille dans des conditions extrêmement difficiles (harcèlement, vol de matériel, etc.).


Sur le front politique, la tâche est encore plus ardue. Depuis des années maintenant nous essayons de mettre fin à la guerre civile et d’encourager la formation d’un gouvernement multiethnique qui soit acceptable pour les Afghans et les pays voisins. Sachant que la chute du régime des Taliban est désormais envisageable, cette tâche est d’autant plus urgente.


C’est pourquoi le Secrétaire général a nommé de nouveau M. Lakhdar Brahimi aux fonctions de Représentant spécial pour l’Afghanistan. Ancien Ministre algérien des affaires étrangères, M. Brahimi est considéré par tous comme étant la personne idéale pour ce poste. Il connaît parfaitement la région et tous ses acteurs et est l’un des diplomates les plus expérimentés et les plus admirés que l’on connaisse. Il a pour mission de superviser toutes les activités menées par le système des Nations Unies en Afghanistan, aux niveaux politique, humanitaire et en matière de reconstruction. Comme vous le savez probablement, il est sur place depuis maintenant près de deux semaines pour rencontrer de nombreux responsables au Pakistan, en Iran et dans les autres pays voisins. Nous attendons avec intérêt les conseils avisés et l’analyse dont il nous fera part à son retour, avant le début du débat général qui s’ouvrira ce week-end.


On entend beaucoup parler depuis peu du rôle éventuel que l’ONU pourrait jouer en Afghanistan, après la chute du régime des Taliban. Certains ont même suggéré d’y déployer une force de maintien de la paix et d’investir l’Organisation d’une mission similaire à celles que le Conseil de sécurité lui a confiées au Kosovo ou au Timor oriental où elle fait, en pratique, office de gouvernement. Il serait prématuré pour moi de définir la responsabilité qui incombera peut-être à l’ONU, mais les gens qui connaissent l’Afghanistan bien mieux que moi s’accordent à dire qu’une solution qui viendrait de l’extérieur aurait peu de chance d’aboutir.


Je devrais ajouter que tout le monde, au sein de l’ONU, est conscient des risques qui sont en jeu. L’Organisation a, avec quelques organisations non gouvernementales, oeuvré activement en Afghanistan de manière quasi ininterrompue pendant les années de guerre, et est mieux placée que quiconque pour savoir que le contexte y est particulièrement difficile.


Au troisième plan, il y a les travaux menés par l’ONU dans le domaine politique, humanitaire, des droits de l’homme et du développement, dans les pays et les régions qui sont le plus touchés par les événements du 11 septembre et leurs retombées.


Le Moyen-Orient est bien sûr une des régions les plus importantes à ce titre. Dire que la situation dans la région est instable est un euphémisme. Il est urgent de trouver un moyen d’arrêter la violence qui fait rage entre les Israéliens et les Palestiniens et de ramener les parties à la table des négociations.


Le Secrétaire général oeuvre inlassablement avec eux et avec des acteurs essentiels – États-Unis, Union européenne, Russie, pays arabes modérés – à la réalisation de cet objectif. Nous demeurons convaincus que les parties doivent retourner au plan de campagne pour la paix, qu’elles avaient accepté, conformément aux recommandations formulées par la Commission Mitchell, et à celles contenues dans le plan Tenet.


Nous sommes également inquiets des répercussions que la situation actuelle peut avoir sur les pays musulmans modérés. Le ralentissement de l’économie mondiale est une autre source de préoccupation. La communauté internationale devrait se préparer à répondre rapidement et efficacement aux crises qui pourraient en résulter.


J’en arrive ainsi à ce que j’appellerais l’arrière-plan, à savoir le rôle traditionnel de l’ONU dans la résolution des conflits et la lutte contre la pauvreté, deux problèmes qui sont souvent, mais pas toujours, étroitement liés.


Insinuer que la pauvreté engendre le terrorisme serait insulter les pauvres de ce monde, qui n’ont en général qu’un seul souhait, vivre décemment et en paix. Les esprits malades qui sont derrière les attaques perpétrées contre le World Trade Center et le Pentagone n’ont pas le droit d’invoquer le sort des pauvres comme prétexte de leurs actions.


Il est cependant clair dans mon esprit que si nous rejetons ce que les terroristes représentent – violence, intolérance, fanatisme – et si nous voulons défendre les valeurs qui nous sont chères – liberté, tolérance, justice, égalité, non-discrimination – nous devons alors chercher à réduire réellement la fracture entre les riches et les pauvres.


Bien sûr, les pays en développement doivent participer à leur développement et l’aide extérieure n’est pas la seule réponse, mais il est franchement scandaleux qu’à une époque de prospérité sans précédent, telle que celle que nous avons connue au cours des dernières années, nous ayons également assisté à une baisse exceptionnelle de l’aide extérieure. En pourcentage du produit intérieur brut (PIB), l’aide publique au développement (APD) n’a jamais atteint un niveau aussi bas. Les barrières tarifaires et les subventions continuent de faire obstacle au commerce dans les secteurs qui ouvrent le plus de débouchés aux pays en développement, notamment l’agriculture. Le fardeau de la dette, s’il a été allégé au cours des dernières années, demeure énorme dans un trop grand nombre de pays en développement. Des ressources considérables et durables devront être mobilisées pour les années à venir, afin de mettre fin à la pandémie du sida.


En évoquant ces problèmes qui ne sont pas nouveaux, je n’ai pas l’intention de placer à tout prix les questions qui me tiennent à coeur à l’ordre du jour de la lutte contre le terrorisme. Je souhaite seulement faire observer que nous avons de meilleures chances de gagner la bataille contre le terrorisme si les habitants du monde entier, surtout les jeunes, ont le sentiment qu’ils peuvent rêver d’un avenir meilleur que celui de leurs parents. Cela ne sera possible que si ceux qui ont trop viennent en aide à ceux qui n’ont pas assez.


Il est justifié de se demander si l’ONU est suffisamment forte pour relever tous ces défis. Je pense que la réponse varie selon qu’on adopte une perspective optimiste ou pessimiste. Je pourrais dresser à votre intention la longue liste des faiblesses du système des Nations Unies. Mais, étant d’un naturel optimiste, je vois les choses un peu différemment.


Je considère que l’Organisation a à sa tête des individus très compétents : non seulement le Secrétaire général, mais aussi des personnes comme Gro Brundtland et Ruud Lubbers. Je constate qu’elle a été capable, très rapidement, et à quelques mois d’intervalle, de s’attaquer à la question du Kosovo, puis à celle du Timor oriental; qu’elle a fait beaucoup en matière de lutte contre le sida; qu’elle apporte avec une très grande compétence une aide humanitaire à des millions de personnes et qu’elle fonctionne depuis six ans avec un budget à croissance nominale nulle, alors que sa tâche grandit chaque jour davantage.


J’estime que l’ONU est une institution respectée par la grande majorité des pays et des peuples du monde. Elle n’est pas parfaite, mais elle peut s’adapter à un monde en évolution et à de nouveaux besoins, et elle le fait. La lutte contre le terrorisme ouvre un nouveau chapitre de l’histoire, et je suis convaincue que l’ONU y jouera un rôle majeur.


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