DSG/01/10

SI LES SUISSES DISENT OUI A L’ONU, ILS REJOINDRONT UNE ORGANISATION DYNAMIQUE, DECLARE MME FRECHETTE

04/04/2001
Communiqué de presse
DSG/01/10


SI LES SUISSES DISENT OUI A L’ONU, ILS REJOINDRONT UNE ORGANISATION

DYNAMIQUE, DECLARE MME FRECHETTE


On trouvera ci-après le discours que la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Mme Louise Fréchette, a prononcé à Berne, le 3 avril, dans le cadre des auditions communes organisées par les commissions de politique extérieure du Parlement suisse sur l’adhésion à l’ONU:


C'est un grand honneur pour moi d'ouvrir ces auditions communes sur l'adhésion de la Suisse à l'ONU.


Vous m'avez invitée à réfléchir avec vous sur le présent et l'avenir de l'Organisation.  Je le fais avec plaisir tout en étant consciente de l'ampleur du sujet.


En effet, il n'est pas facile de décrire en quelques minutes la réalité de l'ONU dans toute sa complexité, d'autant plus que, loin d'être le mastodonte sclérosé que dépeignent ses critiques, l'Organisation est en constante transformation.  Son défi permanent est de savoir s'ajuster aux changements politiques, économiques, culturels, sociaux qui déterminent les rapports entre les peuples et les Etats, de savoir répondre aux besoins du moment.  Je crois qu'elle a su le faire avec plus de succès qu'on ne lui reconnaît et c'est là-dessus que je voudrais faire porter l'essentiel de mes commentaires.


Je voudrais prendre comme point de départ le Sommet du Millénaire de septembre dernier, le plus grand rassemblement de chefs d'Etat et de gouvernement jamais vu. La Déclaration adoptée à cette occasion est, à mon avis, un document remarquable.  Elle signale un nouveau consensus sur les principes

et les valeurs qui doivent sous-tendre toute l'action de notre Organisation.  Ces principes s'appuient fidèlement sur la Charte, un document vieux de 55 ans qui aurait pu être écrit hier tant il continue de refléter les aspirations éternelles de toute l'humanité.  Mais ils sont aussi très ancrés dans la réalité de ce début du vingt-et-unième siècle qui exige que nous placions l'être humain, le respect de ses droits et la satisfaction de ses besoins fondamentaux, au cœur de notre action.


La Déclaration du Millénaire se distingue également par la clarté des objectifs et des priorités qu'elle établit pour l'Organisation : vaincre la pauvreté, mettre fin aux conflits, répondre aux besoins de l'Afrique, promouvoir la démocratie et l'état de droit, et protéger notre environnement.  Rarement aura-t-on vu un accord aussi net, énoncé dans un langage aussi limpide.  Nous sommes loin de la  langue de bois qui caractérise souvent ce genre de documents.


Les résultats du Sommet du Millénaire témoignent à mon avis de la vitalité de l'Organisation et du soutien politique qu'elle continue de recevoir de tous ses Etats Membres.  Cela ne veut pas dire que la concorde règne sur tous les fronts, que les consensus s'obtiennent sans difficultés et que la machine onusienne fonctionne comme une horloge suisse.  Mais cela signifie qu'une des conditions essentielles à l'efficacité de l'organisation - que ses membres partagent une vision commune de sa mission –  s'est manifestée clairement à travers le Sommet du Millénaire.


Cette vision commune est issue des changements profonds qui ont marqué la dernière décennie du vingtième siècle.  La transformation radicale de l'environnement géo-politique à la fin de la guerre froide, la mondialisation accélérée de l'économie, l'émergence de nouveaux acteurs tels les organisations non-gouvernementales dans les relations internationales ont tous eu un impact important sur le rôle des Nations Unies et sur son mode de fonctionnement.


Je sais que vous êtes familiers avec le nouveau type de missions de paix que les Nations Unies ont été amenées à conduire au cours des dix dernières années puisque la Suisse a contribué sous une forme ou sous une autre à un grand nombre d'entre elles.  Ces missions, beaucoup plus complexes que les missions d'interposition de l'époque de la guerre froide, exigent des stratégies intégrées.  L'établissement de conditions minimales de sécurité par des contingents militaires peut s'accompagner de responsabilités pour la tenue d'élections, le désarmement des combattants, le retour de réfugiées ou le relèvement de l'économie.  Dans les cas du Kosovo et du Timor oriental, l'ONU assume des responsabilités analogues à celles d'un gouvernement pour la gestion de ces territoires.


Quand les observateurs débattent de ces missions de paix nouveau genre, ils s'arrêtent généralement, et non sans raison, aux exemples tragiques de la Somalie, de la Bosnie et du Rwanda.  L'ONU a fait son autocritique au sujet de ces missions, en particulier les deux dernières et les enseignements à tirer de ces expériences devraient aujourd'hui être clairs pour tous.


Cependant on oublie trop souvent qu'au même moment, les Nations Unies parvenaient à mener à bien d'autres missions complexes et novatrices au Cambodge, au Mozambique, au Salvador, en Slavonie orientale pour n'en nommer que quelques-unes.  Si nous sommes en mesure aujourd'hui de nous acquitter honorablement de nos responsabilités au Kosovo, au Timor oriental mais aussi au Sierra Leone et peut-être éventuellement en République démocratique du Congo, c'est sans aucun doute grâce à l'expérience acquise au cours des dix dernières années et aux améliorations que nous avons apportées à notre gestion de ces missions.


Le Secrétaire Général croit cependant que nous devons et que nous pouvons faire mieux, si les Etats membres résistent à la tentation de donner à  l'organisation des mandats irréalistes et s'ils sont prêts à lui donner les ressources nécessaires. C'est pourquoi il a demandé à un panel d'experts de faire des recommandations sur les mesures à prendre pour renforcer la capacité de l'ONU à gérer ses missions de paix.  Je sais que le Général Naumann vous en parlera en détail un peu plus tard cet après-midi.  Je me contenterai de dire ici que l'Assemblée générale a déjà accepté d'augmenter de façon appréciable les ressources du département du maintien de la paix et reprendra l'examen des recommandations du rapport Brahimi au mois de juin.


Je suis persuadée que la performance des Nations Unies bénéficiera grandement de la mise en œuvre de ces recommandations.  Mais je suis également persuadée qu'en dernière analyse, le succès de l'ONU en matière de maintien de la paix exige que tous ses Etats Membres soient prêts à apporter leur contribution à ses missions.


La dernière décennie aura été également fertile pour l'action des Nations Unies dans les domaines économiques et sociaux.  Les grandes conférences des années quatre-vingt-dix portant sur l'environnement, la population, les droits de l'Homme, les enfants, l'habitat humain, le développement social et les femmes ont toutes servi, chacune dans leur domaine, à actualiser les bases normatives et à élaborer des stratégies d'action qui servent maintenant de guide pour toutes les activités de l'ONU dans ces domaines.  Il n'a pas toujours été facile de trouver des terrains d'entente sur des sujets souvent très sensibles.  Mais l'impact à long terme de ces accords ne fait pas de doute à mes yeux.


Pour ne prendre qu'un exemple qui me tient à cœur, on ne peut surestimer l'importance qu'ont eu ces conférences pour l'amélioration du statut juridique, politique, économique et social des femmes à travers le monde.  Elles ont fait en sorte que des sujets tabous comme les mutilations génitales ou la contraception soient débattus ouvertement.  Elles ont permis à la société civile de s'organiser et de s'exprimer, et aux gouvernements de bénéficier de l'expérience d'autres pays.


Elles ont créé pour les femmes du monde un ensemble de normes et de mécanismes de recours, le dernier en liste étant le Protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, qui permet aux femmes dont les droits ont été bafoués de s'adresser directement au Comité créé par la Convention pour demander réparation, une fois épuisés tous les recours nationaux disponibles.  Le combat pour l'égalité des sexes est loin d'être terminé mais il se poursuit dans un cadre international beaucoup plus favorable grâce à ces conférences.


Aujourd'hui, les sujets qui préoccupent les populations sont en grande partie liés au phénomène de la mondialisation qui rend les économies et les sociétés plus interdépendantes que jamais.  Le creusement de l'écart entre pays riches et pays pauvres, le terrorisme international, les changements climatiques, la pandémie du SIDA, le trafic illicite d'armes et de drogues, les mouvements de populations, tous ces sujets affectent directement ou indirectement la vie de vos commettants.  Tous sont à l'ordre du jour des Nations Unies.

Il est maintenant accepté que ces questions ne peuvent être gérées que par les seuls Etats.  De plus en plus, les organisations non gouvernementales, les universitaires, les scientifiques, les chefs entreprises contribuent au débat et sont souvent partenaires à part entière dans la mise en œuvre de nos programmes.  Il est vrai que nous travaillons depuis longtemps avec les ONGs en matière d'aide humanitaire et de développement, par exemple, mais de nouveaux types de partenariat sont en train de voir le jour.


Ainsi, quand le Conseil économique et social a décidé, l'année dernière, de consacrer sa session ministérielle annuelle aux technologies de l'information, il a invité de nombreux représentants du secteur privé à participer à ses travaux.  Un conseil consultatif impliquant gouvernements, secteur privé et ONGs sera prochainement formé afin de pouvoir continuer le dialogue avec ceux qui sont les mieux à mêmes de prévoir l'évolution de ces technologies et leur utilisation au service du développement des pays les plus pauvres.


De même, le partenariat qui est en train de s'établir avec le secteur privé et les grandes fondations dans la lutte contre le SIDA et autres maladies endémiques devrait permettre  de dégager des ressources importantes et combien nécessaires.  Je citerai en exemple la contribution de plus de $850 millions de dollars de la Fondation Bill et Melinda Gates pour financer la recherche de vaccins.


Et vous avez probablement entendu parler du fameux milliard de Monsieur Turner.  Cette expérience, qui entre dans sa quatrième année, démontre qu'une coopération fructueuse peut s'établir avec une fondation privée dans le respect des principes et des priorités établies par l'Organisation.


Enfin, je m'en voudrais de passer sous silence le Pacte mondial proposé par le Secrétaire Général à Davos en 1999.  Ce pacte invite les entreprises à respecter un certain nombre de normes internationales en matière de droits de l'Homme, de droit du travail et de l'environnement.  Syndicats et ONGs participent également à cette initiative.  Je suis heureuse de souligner qu'un bon nombre d'entreprises suisses ont déjà adhéré au Pacte. 


Je crois que ce qui motive ces nouveaux partenariats, c'est d'abord la reconnaissance du fait que la solution de la plupart des problèmes de notre époque nécessite les efforts conjugués de tous les acteurs de la société.  Mais c'est aussi parce que nous sommes chaque jour plus conscients que les frontières comptent de moins en moins, qu'on ne peut se désintéresser sans risque des problèmes qui frappent les régions, même les plus éloignées, que la solidarité humaine n'est pas seulement un impératif moral mais qu'elle sert aussi les intérêts de tous à long terme.


Vous êtes évidemment en droit de vous demander si l'appareil onusien et ses multiples secrétariats est à la hauteur de cette vision inspirante.  Où en est la réforme des Nations Unies?


Et bien, je dirais que la réforme se porte bien, qu'elle se poursuit, même si on en parle moins qu'il y a quelques années et que, d'une certaine manière, elle ne s'achèvera jamais car toute institution dynamique doit constamment chercher à s'améliorer.


Je voudrais d'abord relever le fait que l'ONU vit à l'heure de la croissance nominale zéro depuis 6 ans, ce qui signifie que nos ressources réelles ont diminué année après année.  Or les mandats émanant des différents organes de l'Organisation ne cessent d'augmenter.  Jamais l'Organisation n'a connu un rythme d'activités aussi intense.  Grâce à la modernisation de nos méthodes de gestion, l'utilisation intensive des technologies de l'information et beaucoup, beaucoup de travail de la part d'employés pour la plupart extrêmement dévoués et compétents, nous parvenons à répondre aux demandes de nos Etats membres.


Il me semble que notre budget de base d'environ 1.2 milliards de dollars par an, soit la moitié du budget de la ville de Zurich, est loin d'être excessif quand on fait le décompte de ce que l'Organisation doit accomplir chaque année.  Le Secrétariat de l'ONU ne compte que 8 900 agents, soit 2 000 personnes de moins que le corps enseignant des écoles primaires et secondaires publiques du canton de Berne.  Quant au budget de maintien de la paix qui varie selon le nombre et la complexité des opérations en cours, il a atteint 2,1 milliards de dollars en l'an 2000, une somme bien modeste par rapport aux budgets de défense de la plupart des pays d'Europe.


Les réformes lancées par le Secrétaire général Kofi Annan ont aussi grandement amélioré la coordination entre les diverses composantes du système onusien.  Chaque semaine, les responsables des divers départements du Secrétariat ainsi que des  fonds et programmes, y compris ceux basés à Genève, Vienne, Rome et Nairobi par video-conférence, se réunissent sous la présidence du Secrétaire Général (ou la mienne en son absence) pour faire le point sur les problèmes du jour et accorder leurs interventions.


Sur le terrain, les membres de ces organisations travaillent de concert avec un coordonnateur résident, nommé par le Secrétaire Général.  Ils établissent ensemble un cadre commun de programmation et sont tenus d'harmoniser leurs actions dans leur pays d'accréditation.


La coopération avec les agences spécialisées, l'Organisation mondiale du commerce et les institutions de Bretton Woods s'est également beaucoup améliorée au cours des récentes années.  Pour la première fois dans l'histoire de l'Organisation, si je ne m'abuse, un rapport du Secrétaire général concernant le financement du développement a été élaboré avec la pleine participation de l'OMC, du FMI et de la Banque Mondiale.


Si la communauté internationale devait refaire l'ONU de fond en comble, je suis certaine qu'elle lui donnerait une architecture moins compliquée que celle que nous lui connaissons aujourd'hui.  Mais faute de pouvoir repartir à zéro, nous sommes en train de faire la preuve que le système onusien dans sa forme actuelle peut être plus performant si chacun y met du sien.


Quant à la réforme des organes intergouvernementaux, elle progresse plus lentement.  Malgré des discussions intenses depuis plusieurs années, les Etats Membres ne sont pas encore parvenus à s'entendre sur une formule permettant l'élargissement du Conseil de Sécurité.  Par contre, des entités comme l'ONUDI, la CNUCED, la Commission économique pour l'Europe ont revu leur orientation en profondeur au cours des récentes années.


Malgré ses lacunes, les Nations Unies continuent d'incarner l'espoir d'un monde pacifique et plus juste et équitable.  L'ONU demeure la seule institution mondiale dont la légitimité découle de sa composition quasi-universelle; la seule institution dont le mandat porte aussi bien sur le développement et la sécurité que sur les droits de l'Homme et l'environnement; la seule institution dont l'influence découle non pas de l'exercice d'un pouvoir mais de la force des valeurs qu'elle représente.


C'est évidemment aux citoyens de ce pays de décider s'ils veulent devenir membre à part entière de l'Organisation des Nations Unies.  J'espère avoir démontré que s'ils disent oui à l'ONU, ils rejoindront une organisation dynamique, résolument ancrée dans la réalité de l'an 2001 et bien préparée pour affronter les défis qui confrontent  la communauté internationale.


Et quelle que ce soit votre décision, nous savons, comme l'a dit le Secrétaire général à Zurich il y a quelques jours, que nous pourrons continuer à compter la Suisse parmi nos amis les plus loyaux.»


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