LA REPARATION AUX VICTIMES DE L’ESCLAVAGE ET DU RACISME POURRAIT PRENDRE LA FORME D’UN FINANCEMENT DU DEVELOPPEMENT DE L’AFRIQUE
Communiqué de presse DR/D/927 |
LA REPARATION AUX VICTIMES DE L’ESCLAVAGE ET DU RACISME POURRAIT PRENDRE
LA FORME D’UN FINANCEMENT DU DEVELOPPEMENT DE L’AFRIQUE
Durban (Afrique du Sud), le 1 septembre -- La question relative à une compensation pour les victimes de l’esclavage et du racisme a été évoquée, aujourd’hui, à la plénière de la Conférence de Durban contre le racisme. Les intervenants dans leur ensemble ont reconnu la complexité d’une telle question qui pourrait, à leur avis, diviser les Africains du continent, voire même les opposer aux Africains de la diaspora. C’est ainsi que les Présidents du Sénégal et du Cap-Vert, ainsi que ceux du Nigéria et de l’Ouganda, qui sont intervenus ce matin, ont suggéré qu’une telle compensation prenne la forme d’un soutien concret au développement du continent africain dans le cadre de ce que le Président Wade du Sénégal appelle «la Nouvelle Initiative Africaine».
La Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, qui a entamé sa deuxième journée de travaux a entendu la déclaration des chefs d’Etat de la Lettonie, de l’Algérie, du Togo, de Cuba, ainsi que celle du Président de l’Autorité palestinienne, du Premier Ministre du Mozambique et du Vice-Président du Gabon. Elle a reçu une communication audiovisuelle de l’ancien Président sud-africain Nelson Mandela qui invite la Conférence à privilégier une approche globale. Nous devons prendre en main notre propre destin et nous affranchir de l’histoire, a-t-il notamment souligné.
Des intervenants ont mis l’accent sur l’importance du devoir de mémoire – mémoire de l’esclavage, du colonialisme, de l’Holocauste, de l’apartheid - lorsque l’on entend aborder les questions liées au racisme. Comme l’a souligné le Président algérien, M. Abdelaziz Bouteflika, ce devoir de mémoire est un préalable indispensable pour quiconque souhaite confirmer son rejet absolu et définitif des pratiques et idées abjectes qui ont déshonoré l’humanité. Il ne faut pas oublier que des peuples sans mémoire sont des peuples sans espoir, a pour sa part rappelé le Président de la République du Congo, M. Denis Sassou Nguesso.
Le Président du Nigéria, M. Olusegun Obasanjo, a estimé que l’indemnisation pour les torts causés durant la période de l’esclavage et du colonialisme ne constitue pas une option rationnelle car elle risque d’exacerber les relations entre Africains du continent et Africains de la diaspora qui ont souffert de l’esclavage. Il ne s’agit pas de réclamer des comptes impossibles à calculer ni de déterminer des responsabilités précises, a pour sa part affirmé le Président de la République du Cap-Vert, M. Pedro Verona Rodrigues Pires avant de préciser qu’il s’agit simplement d’admettre un fait historique ainsi que les conséquences néfastes de ce fait pour tous ceux qui en furent victimes.
Pour le Président capverdien, une telle compensation pourrait prendre la forme d’un soutien concret au développement du continent africain afin de contribuer à son intégration dans l’économie mondiale. Le Président togolais, M. Gnassingbe Eyadema, a mis l’accent sur la nécessité de consentir des réparations à l’Afrique en considérant l’annulation de la dette africaine comme une partie de ces réparations. Une annulation pure et simple de la dette offrirait au monde en développement des perspectives viables en matière de développement, a lui aussi estimé le Premier Ministre du Mozambique, M. Pascoal Mocumbi.
Rappelant que la Nouvelle Initiative Africaine lancée lors de la dernière réunion de l’Organisation de l'unité africaine est le fruit de la réflexion africaine et non un produit d’importation, le Président du Sénégal, M. Abdoulaye Wade, a estimé que les choses changeront le jour où l’Afrique, qui construit actuellement son unité politique, sera un seul grand pays développé où lorsque des pays comme le Nigéria ou l’Afrique du Sud siègeront à un G9 ou G10. Je souhaite qu’aucun lien ne soit établi entre la réparation de l’esclavage et le nouveau plan pour le développement économique de l’Afrique, a précisé M. Wade.
Personne ne peut imposer de conditions à cette Conférence, a pour sa part déclaré le Président cubain Fidel Castro, avant de préciser que personne ne peut par exemple dicter comment doit être qualifié le génocide horrible qui est en train d’être commis contre le peuple palestinien. M. Yasser Arafat, Président de l’Autorité palestinienne, a rappelé que le peuple palestinien lutte depuis de longues décennies pour la liberté et l’indépendance et souffre encore des pires politiques de discrimination pratiquées par l’occupant israélien.
Le racisme, le sectarisme et l’intolérance résultent de l’ignorance, de la cupidité, de la crainte et de la pauvreté, a notamment rappelé le Président de l’Ouganda, M. Yoweti Kaguta Museveni. S’il est vrai que de nombreux pays représentés à la présente Conférence ont gravement souffert des injustices du passé, il ne faut pas pour autant oublier d’agir en nous orientant vers l’avenir, a pour sa part fait valoir la Présidente de la Lettonie, Mme Vaira Vike-Freiberga. Le Gabon fut un des plus grands sanctuaires de l’esclavage des Africains et a choisi d’assumer cette tranche de sa destiné marquée au fer rouge, jusque dans la dénomination de sa capitale Libreville, a dit le Vice-Président du Gabon, M. Didjob Divungui Di-Ndinge.
La Conférence a par ailleurs adopté son programme de travail provisoire* et a entendu son secrétariat qui lui a indiqué que la Belgique a été désignée pour présider le Groupe de travail sur le projet de déclaration et que l’Italie présidera la Grande Commission. Elle poursuivra ses travaux cet après-midi et ce soir et porteront entre autres, sur les interventions d’une quarantaine de représentants.
* A/CONF./189/3
CONFÉRENCE MONDIALE CONTRE LE RACISME, LA DISCRIMINATION RACIALE, LA XÉNOPHOBIE ET L’INTOLÉRANCE QUI Y EST ASSOCIÉE
Déclarations
Mme VAIRA VIKE-FREIBERGA, Présidente de la Lettonie : Le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée ont largement cours à travers le monde. S’ils font partie de la nature humaine, ils n’en sont pas pour autant inéluctables. Ces maux découlent en partie de notre héritage biologique dans la mesure où nous sommes tous programmés biologiquement pour suivre des mécanismes instinctifs de survie qui peuvent parfois se traduire par d’intenses sensations de peur et de haine ainsi que par des pulsions destructrices. Il appartient à chaque communauté culturelle de faire face au défi en s’efforçant de contenir les tendances agressives et antisociales de ses membres, quitte à les transformer en attitudes socialement acceptables. Historiquement, les groupes composant les sociétés humaines ont été définis en fonction de critères tels que la race, la couleur de la peau, la religion, les traditions culturelles, l’origine ethnique, la langue, le sexe voire l’orientation sexuelle, ainsi que l’appartenance à une caste, à une classe sociale ou à une profession. De telles définitions qui sont dans la plupart des cas imparfaites sont à l’origine même du racisme et des autres formes d’intolérance et de discrimination. Elles se traduisent par une catégorisation simpliste à double sens des êtres humains : ceux qui méritent le respect et un traitement équitable et les autres. Dans des cas extrêmes, une telle imperfection dans les définitions donne lieu à une manipulation : «Nous sommes vraiment humains mais pas eux». L’esclavage qu’a connu le monde pendant des millénaires sous une forme ou une autre est un exemple classique d’une telle déshumanisation. L’Holocauste qu’a connu l’Europe il y a moins de 60 ans est l’un des exemples les plus horribles de déshumanisation à grande échelle qui puisse être donné. L’apartheid qu’a connu l’Afrique du Sud fournit un autre exemple de déshumanisation.
La discrimination raciale a été pratiquée en maints endroits à travers le monde et, aujourd’hui encore, continue malheureusement de l’être sur une base non officielle dans de nombreuses régions. La discrimination basée sur l’appartenance à une ethnie, à une caste ou à une classe ainsi que celle basée sur la conquête militaire a également été très répandue dans le monde, y compris en Europe. Durant des siècles, la Lettonie a elle-même souffert de telles pratiques lorsqu’elle était sous domination étrangère. Les ex-Soviétiques, par exemple, ont classé des milliers d’individus dans la catégorie des bourgeois réactionnaires et ennemis de la révolution simplement parce que ces individus avaient vécu dans une Lettonie indépendante. Suite à un programme systématique de russification, les Lettoniens sont devenus une minorité dans leur propre pays, représentant à peine 50% de la population de Lettonie en 1989 alors qu’ils en constituaient plus de 80% en 1939. Lorsqu’elle a de nouveau accédé à l’indépendance, la Lettonie a accordé une grande priorité à la question de l’intégration sociale.
S’il est vrai que de nombreux pays représentés à la présente Conférence ont gravement souffert des injustices du passé et pour nécessaire qu’il soit de tirer les leçons du passé, il n’en faut pas pour autant oublier d’agir en nous orientant vers l’avenir. Il faut s’abstenir, durant la présente Conférence de critiquer des pays ou des idéologies particulières, sans quoi il sera difficile, voire impossible, de parvenir à une déclaration commune avant la fin de la Conférence. Il nous faut, au contraire, nous mettre d’accord sur les principes sur lesquels doit se baser le combat mondial contre le racisme,
la discrimination et l’intolérance. Le plus fondamental de ces principes est celui qui consiste à sanctifier la vie humaine. Il n’est certes pas facile d’appliquer un tel principe mais sans ce principe, peu d’espoir subsiste de pouvoir maintenir la civilisation. L’oppression sous toutes ses formes, en particulier la violence armée durable à l’encontre des populations civiles, doit en outre constituer un sujet de grave préoccupation pour la communauté internationale. En fait, le défi consiste à accepter la diversité et la différence sans se sentir menacé par eux.
M. ABDEL-AZIZ BOUTEFLIKA, Président de la République algérienne démocratique et populaire : Une portée considérable s’attache à notre Conférence parce que le rassemblement unanime des peuples de la planète, à travers leurs représentants, en vue de rejeter définitivement dans les profondeurs de l’Histoire le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance est de nature à inspirer les élans nécessaires pour esquisser les contours d’un nouvel humanisme. Un humanisme du troisième millénaire où la rencontre des esprits et des cœurs tracerait le cadre d’une régénération des droits de l’homme qui, bien au-delà des perspectives de la Déclaration du siècle dernier, viendrait concrètement répondre à toutes les exigences que comporte la sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Et cela par la convergence des actions des hommes, par l’équité, la justice et leur solidarité. La Déclaration intitulée «Tolérance et diversité : une vision pour l’avenir», texte d’une remarquable élévation de vues, est un admirable plaidoyer pour la fin des préjugés et pour le dépassement des égoïsmes étroits. C’est à cette démarche que nous songions mes amis africains et moi-même quand, en 1974, alors que je présidais l’Assemblée générale des Nations Unies, nous avons pu, en dépit des résistances et des hostilités, exclure de la communauté des nations l’Afrique du Sud de l’apartheid. Cette exclusion, loin de représenter une mesure de revanche stérile et haineuse devait préluder les temps où il n’y aurait plus, en cette partie du continent, ni bastion blanc ni réserves noires, et où triompherait le principe d’égalité et de fusion harmonieuse.
Nous nous proposons, au cours de cette Conférence, de donner à l’humanité de nouveaux repères pour «élargir les consciences à l’échelle du monde» selon la formule de Wole Soyinka. Nous pouvons donner à la communauté humaine de nouveaux moyens à tout jamais des démons qui ont endeuillé son histoire. Pour cela, le devoir de mémoire est essentiel, parce que le passé nous obsède, parce qu’il nous manque encore cruellement de ses stigmates, et parce qu’il importe de tourner au plus vite es pages douloureuses qu’on ne peut malheureusement pas déchirer. Mémoire aussi pour confirmer notre rejet absolu et définitif des pratiques abjectes et de toutes ces idées qui ont déshonoré l’humanité. Mémoire enfin pour décourager, à l’avenir, toutes les tentatives de réanimation de la bête immonde qui pourrait encore sommeiller dans l’inconscient des hommes. Pour exorciser le passé et rendre justice au présent, il est nécessaire d’évaluer – dans les dommages immédiats et les effets durables – ce qui a été subi par les uns et infligé par les autres, sans céder à la tentation de la rancune, ni aux simplifications péremptoires de la confrontation. Il faudra aussi savoir dépasser les visions timorées ou réductrices et s’élever au-dessus des égoïsmes étriqués. A la mémoire des esclaves déracinés et de leurs descendants s’ajoute la mémoire de toutes les victimes du colonialisme, du nazisme, de l’apartheid sous toutes ses formes, de l’oppression et de l’occupation étrangère dont le martyrologe, hélas, n’est toujours pas clos : les souffrances vécues au Moyen-Orient et, en particulier, la tragédie du peuple palestinien interpellent quotidiennement la conscience humaine.
Les leçons douloureuses du passé ne devraient-elles pas nous persuader aussi que les déséquilibres économiques et les inégalités qu’ils perpétuent sont à la source de frustrations, qu’ils sont cause de xénophobie et qu’ils nourrissent l’hostilité entre les hommes et entre les sociétés humaines. A l’heure de la globalisation et de prodigieuses avancées de la technologie, et alors que nous nous apprêtons à réaffirmer solennellement et unanimement les droits sacrés de tous les hommes, le moment n’est-il pas venu d’exprimer nettement dans notre Déclaration et dans le Programme d’action que les formes extrêmes de la misère ne sont pas fatales, et que l’humanité ne saurait plus admettre les malheurs qui frappent des communautés entières, victimes hier des débordements monstrueux de l’histoire et maintenues aujourd’hui par un ordre inéquitable en marge du progrès? Le temps doit venir à la réparation des injustices du passé et avec lui celui des dysfonctionnements et des déséquilibres d’un système de relations qui voue implacablement les plus puissants à toujours plus de richesses et les plus faibles au malheur sans fin.
M. OLUSEGUN OBASANJO, Président du Nigéria : Il y a dix ans encore, le choix de l’Afrique du Sud pour accueillir cette Conférence aurait paru illusoire puisque cette belle terre était le théâtre de la pire forme de racisme et de discrimination raciale, l’apartheid. Grâce à la lutte héroïque des hommes et des femmes d’Afrique du Sud, soutenus par les efforts de la communauté internationale, l’apartheid a été vaincu. Je tiens à rendre hommage aux hommes qui sont parvenus à mettre fin à la haine raciale, je pense ici à mon ami, mon frère, Nelson Mandela, qui avec d’autres fils de l’Afrique comme Govan Mbeki ont sacrifié leurs vies pour la restauration de la dignité humaine en Afrique du Sud mais aussi dans le reste du monde. Si l’apartheid a été vaincu, il subsiste toujours des manifestations douloureuses de racisme et de discrimination raciale et c’est pour cette raison que nous sommes réunis à Durban.
Au-delà de l’apartheid, aucune autre forme de racisme n’a été identifiée comme crime contre l’humanité, aucun Etat ou groupe d’Etats n’a été désigné comme ayant pratiqué des politiques racistes. Nous, Africains, avons été longtemps victimes de la discrimination raciale, du racisme, simplement en raison de la couleur de notre peau. Pendant des siècles, les populations de ce continent ont été victimes de l’esclavage et de la traite négrière qui sont des crimes dont les séquelles continuent de compromettre le développement de l’Afrique et de le maintenir dans la pauvreté. Aujourd’hui, nous subissons encore ces conséquences, tels que l’instabilité sociale, le pillage de nos richesses, le syndrome de dépendance. Les brutalités coloniales étaient odieuses et injustes et constituent un crime ultime contre l’humanité. Durban nous donne l’occasion d’affronter le passé et de corriger certains de ces maux en fondant notre volonté politique sur les principes fondamentaux de respect de la dignité. Nous devons assumer nos responsabilités et nous considérons que des excuses doivent être données par les Etats qui ont bénéficié de l’esclavage. Les excuses sont essentielles dans un processus de guérison afin de refermer les portes de la colère, de la rancoeur.
La question des indemnisations n’est pas une option rationnelle car elle risque d’exacerber les relations entre Africains du continent et ceux de la diaspora qui ont souffert de l’esclavage. Nous devons lutter contre toutes les formes d’exclusion et nous devons reconnaître que l’intolérance va bien au-delà du racisme. L’éducation est capitale en matière de promotion des droits de l’homme. Nous devons nous engager à mener des programmes d’éducation et des programmes culturels qui analysent clairement les racines du fléau du racisme. Ce dont nous avons besoin pour libérer nos peuples de la pauvreté, c’est d’une grande part de volonté politique, c’est le respect des principes d’égalité et de respect de la dignité. Nous devons éliminer les inégalités persistantes à tous les niveaux sans oublier que ces maux dus à la pauvreté sont des causes de conflits réels. Durban doit être le point de départ de notre lutte contre le racisme et l’intolérance, sous toutes leurs formes, en premier lieu la misère et la pauvreté.
M. J. ABDOULAYE WADE, Président de la République du Sénégal : Comme il y a plusieurs formes de racisme, je me suis attelé à combattre l’une d’elles, le racisme intellectuel qui prétend démontrer, scientifiquement ou par recours à l’histoire, l’infériorité des Noirs. Mes prises de position portent sur les questions d’esclavage, de colonialisme qui sont des positions bien antérieures à l’actuelle Conférence. Contrairement aux attentes de nos adversaires, la Conférence de Durban est un grand succès car pouvait-on espérer parvenir à un consensus sur un ensemble de problèmes qui porte sur quatre siècles de l’histoire de l’humanité. On peut dire qu’il y a un consensus sur l’essentiel, même si, sur les réparations, la divergence provient du fait que le problème a été mal posé. Le racisme existe de manière évidente mais l’antiracisme ne doit pas se transformer en opposition Blancs-Noirs. Le jour où l’Afrique, qui construit actuellement son unité politique, sera un seul grand pays développé ou que le Nigéria ou l’Afrique du Sud siègeront à un G9 ou G10, les choses changeront. C’est dans ce sens que je consacre mes efforts, c’est tout le sens du Plan Omega, et maintenant de la Nouvelle Initiative Africaine qui en fait la fusion avec le MAP. Concernant la question des réparations, les approches peuvent être différentes. Lorsque nous avons élaboré le Plan Oméga et le plan MAP fusionnés en la Nouvelle Initiative Africaine, à aucun moment nous n’avons pensé à une réparation de la traite et de ses conséquences, car nos motivations sont ailleurs. Je souhaite donc qu’aucun lien ne soit établi entre la réparation de l’esclavage et le nouveau plan pour le développement économique de l’Afrique. Nous avons un devoir de mémoire dans nos rapports avec les bénéficiaires de l’esclavage et même avec la communauté internationale. Ce que nous voulons c’est que l’humanité comprenne qu’à un moment donné de son évolution, on nous a causé un préjudice incalculable et qu’on a commis à notre égard une grande injustice. Les pays développés, et plus généralement la communauté internationale, devraient faire figurer l’esclavage et la traite dans les programmes scolaires des enfants, les cours d’université, les programmes de recherche. L’humanité gagnerait à connaître la vérité exacte sur son passé.
La Conférence peut constater un consensus sur l’ensemble des questions évoquées, s’agissant des réparations, dire que cette question, qui n’est pas totalement écartée, ne peut pas être posée en termes globaux et qu’elle sera examinée ultérieurement, au cas par cas. Lutter contre le racisme, c’est aussi faire connaître notre histoire, promouvoir notre culture. Tous nos efforts, Africains du Continent et de la diaspora, doivent viser à réaliser de manière complète et effective l’Union africaine, la mise en œuvre de la Nouvelle Initiative Africaine qui est le produit de la réflexion africaine et non un produit d’importation.
M. PEDRO VERONA RODRIGUES PIRES, Président du Cap-Vert : Il est opportun de se remémorer l’expérience, en particulier l’expérience récente, de l’Afrique du Sud alors que nous nous efforçons de parvenir à une déclaration et à un programme d’action susceptibles d’être adoptés et appliqués par tous. Si le régime de l’apartheid était un régime d’exclusion et de terreur, son démantèlement a été un processus fédérateur et intégrateur qui a donné une bonne leçon de mondialisation, à savoir la mondialisation de la solidarité. Il subsiste encore aujourd’hui, à travers le monde, un intolérable déséquilibre entre les principes antiracistes proclamés et la réalité du point de vue de leur application.
C’est le territoire des îles du Cap-Vert qui a servi de terrain d’expérimentation au modèle de société connu sous le nom de sociétés esclavagistes. L’intense exploitation à laquelle se sont livrés aussi bien les maîtres blancs que les compagnies métropolitaines a provoqué la rupture des fragiles équilibres écologiques existants. La sécheresse a ensuite ruiné les bases économiques de la classe esclavagiste créole, ce qui a permis l’émergence d’une classe paysanne composée d’esclaves marrons, d’esclaves libérés et de métis. Ce sont là les fondements de la gestation du peuple capverdien et
ce processus multiséculaire a conduit au démantèlement du racisme en tant que principe de stratification sociale. Les Capverdiens sont un peuple de diaspora et les émigrants capverdiens sont constamment confrontés, dans leur vie quotidienne, à diverses formes de discrimination.
La déclaration qui nous est présentée ainsi que les recommandations qui y sont attachées sont le fruit d’une longue maturation politique et diplomatique. Une grande majorité de nations appuie ce consensus qui ne représente rien moins que le niveau de conscience que le monde a actuellement des problèmes de racisme et de leurs conséquences. Nous sommes convaincus que les avancées constatées au cours des négociations seront à même de permettre aux uns et aux autres de trouver les lignes de convergences nécessaires sur des questions fondamentales pour le devenir des nations et leurs relations au sein de la communauté internationale. En ce qui concerne le crime contre l’humanité qu’ont constitué l’esclavage et le trafic des esclaves, notre position est que le devoir de mémoire et de réparation doit faire sens. Mais il ne s’agit pas de réclamer des comptes impossibles à calculer ni de déterminer des responsabilités précises. Il s’agit simplement d’admettre un fait historique ainsi que les conséquences néfastes de ce fait pour tous ceux qui en furent victimes. Cette réparation doit être perçue aujourd’hui comme une action de compensation solidaire et volontaire, visant le bien-être général, la paix et le progrès global. Une telle compensation pourrait prendre la forme d’un soutien concret au développement du continent africain afin d’éviter sa marginalisation et de contribuer à son intégration dans l’économie mondiale. Notre combat commun doit annoncer un nouvel humanisme fondé sur une universalité plurielle sous-tendue par la liberté, l’égalité et la diversité des êtres humains et des peuples dont les valeurs essentielles seraient l’unité et la solidarité humaines.
M. GNASSINGBE EYADEMA, Président de la République togolaise : Le racisme, que rien ne peut étayer, ni dans son fondement, ni dans son essence, a été et demeure un ensemble incohérent d’opinions et de comportements qui ont fait trop de tort à nos peuples et à notre continent. C’est parce que le racisme est un crime contre l’humanité dont les peuples noirs ont été les victimes que le devoir de mémoire nous impose l’obligation de rétablir la vérité et de faire prendre conscience à la communauté internationale de la nécessité de réparer le préjudice causé à l’Afrique. Au nom du racisme, combien d’hommes, de femmes et d’enfants ont été arrachés de force à l’Afrique et embarqués dans les soutes des caravelles à destination du nouveau monde.
A l’aube du Troisième millénaire, la communauté internationale doit se mobiliser pour combattre le racisme et effacer de la mémoire et du subconscient des hommes le concept de supériorité d’une race sur l’autre. Nous devons rester vigilants et discerner les formes pernicieuses que prend le racisme depuis qu’il est ouvertement combattu. L’exclusion sociale, l’extrême pauvreté, la prostitution des jeunes filles, le travail forcé des enfants et leur enrôlement dans les guerres, sont d’autres formes de racisme et d’esclavage. C’est pourquoi le devoir de mémoire nous impose l’obligation de mettre constamment l’accent sur la dépendance économique et le sous-développement de l’Afrique qui résultent, en partie, du racisme et de cinq siècles d’esclavage. Le devoir de mémoire nous impose également l’obligation de rappeler à la communauté internationale la nécessité de consentir des réparations à l’Afrique, en considérant l’annulation des dettes africaines comme une partie de ces réparations.
M. FIDEL CASTRO RUZ, Président de la République de Cuba : Personne n’a le droit de saboter cette Conférence qui vise à alléger, dans un certain sens, les terribles souffrances et l’énorme injustice que l’immense majorité de l’humanité a dû endurer jusqu’à présent. Personne ne peut non plus imposer de conditions à cette Conférence, d’exiger que l’on n’y évoque au moins, la responsabilité historique et l’indemnisation juste, ni comment nous devons qualifier le génocide horrible que l’on est en train de commettre contre le peuple frère de la Palestine par les leaders de l’extrême droite, ceux qui sont alliés à la superpuissance hégémonique et qui agissent au nom d’un autre peuple qui a été victime pendant près de deux mille ans des plus fortes persécutions, discriminations et injustices jamais commises dans l’histoire. Cuba soutient l’idée de réparation comme un devoir moral inéluctable à l’égard des victimes du racisme, ayant comme base l’important précédent des indemnisations que les descendants des victimes de l’holocauste.
Les pays développés et leurs sociétés de consommation, principaux responsables actuels de la destruction accélérée de l’environnement, ont été les plus grands bénéficiaires de la conquête et la colonisation, de l’esclavage, de l’exploitation impitoyable et de l’extermination des centaines de millions d’enfants des peuples qui constituent à présent les pays du tiers-monde. Ils ont profité de l’ordre économique imposé à l’humanité après deux guerres monstrueuses et meurtrières pour le nouveau partage du monde et ses marchés, des privilèges accordés aux Etats-Unis et à leurs alliés à Bretton Woods, où le FMI et les institutions financières internationales ont été créées exclusivement par eux et pour eux. Ce monde riche et gaspilleur possède des ressources techniques et financières qui lui permettrait de s’acquitter de sa dette envers l’humanité. Le moment est venu de mettre fin à la situation dramatique des communautés autochtones dans tout le continent américain et dans les Caraïbes. Leur réveil, leur propre lutte et la reconnaissance universelle du monstrueux crime commis contre elles est un impératif. Les fonds nécessaires pour sauver le monde de cette tragédie existent. En mettant fin à la course aux armements et au commerce des armes, on libérera des ressources qui permettraient de réaliser cet objectif. Il faut réaffecter les ressources consacrées à une publicité commerciale qui n’incite qu’à atteindre des objectifs illusoires à des activités de développement des pays dans le besoin. Outre la contribution de 0,7% du PNB en faveur du développement, il faudrait appliquer de manière raisonnable et efficace l’impôt suggéré par le Prix Nobel James Tobin sur les opérations spéculatives qui se chiffrent aujourd’hui à des milliards de dollars chaque jour et les Nations Unies pourraient ainsi disposer d’un milliard de dollars chaque année pour sauver et développer le monde.
Il faut mettre un terme, le plus vite possible, au génocide commis devant les yeux abasourdis du monde contre le peuple palestinien. Il est nécessaire de protéger le droit élémentaire à la vie de ses citoyens, de ses jeunes et de ses enfants. Respectons son droit à l’indépendance et à la paix et alors nous n’aurions plus rien à craindre des documents adoptés par les Nations Unies.
Nous sommes aujourd’hui au seuil d’une grande crise économique, sociale et politique globale. Il faut prendre conscience de cette réalité. L’histoire nous a appris que ce n’est que par de grandes crises que l’on tire de grandes solutions. Le droit des peuples à la vie et à la justice s’imposeront inévitablement sous des formes plus variées. Je crois à la mobilisation et à la lutte des peuples ! Je crois aux idées justes ! Je crois à la vérité ! Je crois à l’Homme !
M. DENIS SASSOU NGUESSO, Président de la République du Congo : Mon pays, le Congo, s’est toujours inscrit aux premières loges du combat contre le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie. Je suis heureux que cette importante conférence dont l’objet est de réfléchir aux voies et moyens les plus efficaces d’éradiquer définitivement le racisme, la discrimination raciale et l’intolérance qui y est associée, ait lieu à Durban, en Afrique du Sud, dans un pays qui était, il y a une décennie encore, théâtre de la discrimination raciale la plus ignoble, l’apartheid. Le vingtième siècle a été marqué par de grandes actions contre le racisme et la discrimination raciale. D’éclatants succès ont été enregistrés. La victoire sur le nazisme, l’intégration raciale aux Etats-Unis d’Amérique et l’effondrement de l’apartheid en sont les illustrations les plus concrètes. Ces succès doivent continuer à nourrir notre mémoire collective à travers l’éducation de notre intelligence et de notre sensibilité. Mais ces résultats notables n’ont malheureusement pas suffi à nous débarrasser des bourgeons de ce fléau. De temps en temps, l’amnésie prend le dessus sur le souvenir. Nous avons oublié que des peuples sans mémoire sont des peuples sans espoir.
La lutte contre le racisme, c’est le combat pour la réhabilitation de l’homme, pour l’affirmation de l’humanité réelle de l’homme; un combat contre les velléités réductrices qui, en ces temps de globalisation des sociétés, ont tendance à faire de l’homme un «pur produit de la nécessité, sans liberté et sans responsabilité», dont le sort et le destin sont à la disposition du plus puissant ou du plus fort. Il faut que chacun de nous réalise une fois pour toutes que chaque homme, chaque femme, est un être unique et irremplaçable, qui possède une valeur intrinsèque et qui est libre de ses choix et de sa vie. Or, il n’y a pas pire mépris de l’autre que le racisme.
Cette Conférence a été précédée par un grand débat aussi vain que stérile sur l’opportunité ou non de reconnaître la traite négrière et l’esclavage comme crime contre l’humanité. Nous sommes tous d’accord pour admettre que ces deux phénomènes constituent la violation des droits de l’homme la plus ignoble qui n’ait jamais été commise. De nombreuses voix s’élèvent pour dire que l’Afrique doit pardonner. Mais pour que le pardon de l’Afrique soit réel et sincère, il faut qu’il y ait reconnaissance du dommage causé; il faut qu’il y ait repentir. Plus d’un siècle après la fin de l’esclavage, la mémoire collective du peuple noir porte encore la douleur de cette tragédie parce que la vérité, toute la vérité, n’a pas encore été dite sur les millions de Noirs morts au cours de leur déportation et dans les plantations. Comme à New York lors du Sommet du Millénaire, je ne demande pour seule réparation que la reconnaissance, le repentir et, surtout, la solidarité des pays riches. Etant donné l’ampleur du préjudice causé, il est essentiel que la déclaration finale de la Conférence exige que ses auteurs en assument la responsabilité. Cette conférence nous offre une occasion historique de le faire alors saisissons-là sans hésiter.
M. YOWERI KAGUTA MUSEVENI, Président de la République de l’Ouganda : Le racisme, le sectarisme et l’intolérance résultent de l’ignorance, de la cupidité, de la crainte et de la pauvreté. Là où les richesses et le pouvoir sont détenues par la minorité raciale, la crainte et la jalousie règnent et posent de graves dangers à la paix et à la stabilité des pays. Lorsque les richesses et le pouvoir politique appartiennent à une race, l’oppression est pratiquée et crée des souffrances et la dégradation. En raison des injustices, de la discrimination et de l’intolérance du passé et du présent, on compte 150 millions de personnes réfugiées ou migrantes – soit 3% de la population mondiale – victimes de la discrimination et de la xénophobie. Les tribus africaines, comme celles de l’Ouganda (les Baganda et les Banyankore) illustrent bien la coexistence harmonieuse. Au cours de ce siècle, notre mission a pour but de créer un village global dans lequel nous pourrons vivre en pleine harmonie ensemble que l’on soit autochtone, esclave, femme, colonisé ou encore pauvre.
A la présente Conférence, nous devons tenir compte du fait que le racisme résulte de l’ignorance, de la pauvreté et de l’analphabétisme. C’est pourquoi, il faut étendre l’éducation élémentaire à un plus grand nombre de personnes. L’éducation permet de gagner sa vie et de jouir de bonnes conditions de vie. La société devrait promouvoir une compréhension religieuse et la tolérance entre les différentes communautés confessionnelles. Les religions devraient rapprocher les gens plutôt que d’encourager la violence.
Dans le processus de développement humain, il faudrait offrir les mêmes chances à toutes les personnes indépendamment de leur sexe ou de leur race. En même temps, les personnes marginalisées dans nos communautés devraient bénéficier d’une certaine discrimination positive ou de l’«action affirmative» pour leurs permettre de saisir une opportunité. Toute personne devrait être habilitée à participer de manière significative au processus de prise de décisions qui affecte leur vie. C’est l’essence même de la démocratie et de la bonne gouvernance. Il faudrait établir des principes fermes et des institutions de gouvernance visant à lutter contre la discrimination et l’intolérance, notamment l’état de droit, le respect des droits de l’homme et la démocratisation.
En dépit des efforts accomplis par la communauté internationale et les gouvernements, le fléau du racisme, de la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée persistent encore et continuent d’être la cause de violations des droits de l’homme individuels et de souffrances. Nous devons continuer à lutter contre ces démons qui existent dans nos communautés, nos pays et dans le monde. Est-ce que sionisme équivaut au racisme? Le Moyen-Orient fait partie intégrante du monde et nous, dans la région des Grands Lacs, en avons pris conscience récemment. Les premiers missionnaires chrétiens sont arrivés en Ouganda en 1877 et ont apporté la Bible qui parlait des Juifs, des Philistins et des autres. Un peu plus tôt, des commerçants musulmans noirs de Zanzibar – les Swahilis – ont introduit le Coran qui également parlait des Juifs et des Philistins. Ces deux Livres sacrés indiquaient que les deux races descendaient des deux épouses d’Abraham, Sarah et Haggar. Les Juifs et les Arabes sont parents. S’ils ne peuvent vivre ensemble sur la base de la religion, alors comment peuvent-ils avoir un lien avec les Indiens qui ne sont ni sémites, ni Juifs, ni Musulmans? Ceci m’amène à parler des situations comme celle du Soudan où les Africains noirs sont confrontés aux Arabes et où les Musulmans sont confrontés aux Chrétiens ou aux animistes. Ces peuples doivent vivrent ensemble sur une base équitable. Toute aspiration hégémonique ne peut être tolérée ou acceptée. Votre religion doit être une affaire entre vous et Dieu.
M. PASCOAL MOCUMBI, Premier Ministre du Mozambique : En dépit de tous les efforts déployés pour combattre le racisme et la discrimination, la troisième Décennie de lutte contre le racisme et la discrimination raciale a connu de nombreuses manifestations de ces phénomènes. Notre objectif, ici à Durban, ne doit pas être seulement de sensibiliser le public aux questions relatives au racisme mais aussi de prendre des mesures concrètes pour protéger les générations futures de ces maux. Nous devons nous efforcer d’instaurer une culture de la paix et de la tolérance.
Le Mozambique est fermement engagé dans la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Il faut que le débat engagé sur ces questions tienne compte des formes contemporaines de discrimination en se penchant notamment sur le sort des travailleurs migrants et des réfugiés. Les pratiques haineuses du passé telles que l’esclavage, le colonialisme ou l’apartheid, constituent la plus grande aberration qu’ait jamais connue la société humaine. Il faut donc veiller à ce que l’humanité ne soit plus jamais soumise à de telles souffrances. Il faut se pencher sur le passé non pas pour engager une revanche mais pour s’assurer que ce passé ne se reproduira plus. Nous avons besoin d’une volonté politique forte pour faire en sorte que chaque individu jouisse pleinement du progrès économique et de la justice sociale.
Au Mozambique, tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Le principal défi auquel le pays est confronté consiste à se doter des institutions adéquates permettant à chaque citoyen de jouir effectivement de ses droits. Récemment, le Gouvernement du Mozambique a organisé un atelier sur le racisme et la discrimination raciale auquel ont été associés de larges secteurs de la société civile.
Si des progrès considérables ont été enregistrés durant le processus préparatoire de la Conférence mondiale contre le racisme, la complexité des questions soulevées par le racisme exige qu’on les aborde aussi sous l’angle de l’esclavage et du colonialisme, phénomènes qui ont grandement contribué à accroître les difficultés auxquelles le continent est confronté. Les pays en développement doivent saisir les opportunités qu’offre la mondialisation et parvenir à un développement durable grâce à une coopération avec les pays riches. Une annulation pure et simple de la dette offrirait au monde en développement des perspectives viables en matière de réalisation du développement.
M. DIDJOB DIVUNGI DI NINGE, Vice-Président de la République gabonaise : L’importance de ces assises ne fait aucun doute dès lors qu’elles constituent une étape décisive dans la formulation d’une nouvelle vision, partagée par tous, celle d’un devenir plus harmonieux de l’humanité et des sociétés qui la composent, un devenir qui rende à chacun tout ce qui lui est dû en tant qu’homme. Le Gabon salue le choix de l’Afrique du Sud pour abriter cette Conférence et la désignation de Nelson Mandela comme parrain de la Conférence, choix chargés de symbole et qui sonnent comme une interpellation forte à l’endroit de tous les peuples du monde. En foulant le sol de ce très beau pays, on ne peut écarter de la mémoire les images hideuses et affligeantes de ce que fût le régime de l’apartheid, émanation emblématique des idées de supériorité de la race blanche qui ont du reste servi à justifier l’esclavage et la colonisation. Et d’être frappé par la remarquable leçon de vie que l’évolution politique de ce pays administre au monde entier.
Le racisme est un mutant et ses formes larvées et insidieuses de rejet et d’infériorisation des autres se maintiennent, se développent, sous nos yeux, de façon inquiétante et arborent des oripeaux nombreux et multiformes. Il nous faut en particulier veiller à ce que les moyens contemporains de la communication électronique n’offrent à ce fléau un refuge inespéré. S’il est un outil utile à cet égard, le droit seul ne suffira pas pour venir à bout de cette abomination et il faut surtout être portés par une adhésion pleine et massive à l’idée que le racisme est une imposture dont la fausseté originelle a de longue date été mise en lumière. L’implication de tous les gouvernements restera notre atout principal de même que le dévouement des organisations gouvernementales et non gouvernementales, africaines et internationales, et des médias.
Le Gabon, mon pays, fut un des plus grands sanctuaires de l’esclavage des Africains ainsi qu’en témoignent les vestiges de très nombreux comptoirs consacrés à l’entreposage des esclaves tout au long de la côte. Le Gabon a choisi d’assumer cette tranche de sa destinée marquée au fer rouge, jusque dans la dénomination de sa capitale : Libreville. Ce nom au passé évocateur renvoie à lui seul constamment à la face du monde l’expression d’une histoire en marche, prenant acte d’une humiliation faite par l’homme à l’homme et se destinant à réconcilier l’homme avec l’homme, sachant que l’ordre des choses advient toujours et que la liberté est un humanisme.
L’envergure du chantier est incommensurablement grande et commande que la communauté internationale dans son ensemble se mobilise. C’est pourquoi nous voudrions solennellement exprimer ici nos regrets par rapport à l’absence à ces assises de certains pays et non des moindres. Que dire à toutes ces grandes nations qui hésitent, tergiversent à s’engager dans la même voie que le plus grand nombre. Nous considérons comme une démarche humaniste et grandement louable, de la part des pays esclavagistes et colonisateurs, la reconnaissance intellectuelle et éthique des actes et des souffrances qui en ont résulté, en tant que crime contre l’humanité. Leur repentance sera vécue comme le signal fort d’une humanité retrouvée, réconciliée avec elle-même et se promettant sans rancœur et sans haine d’aller toujours vers plus d’humanisme, c’est-à-dire aussi plus d’harmonie dans la grande famille humaine que constituent tous les peuples de la terre. Ce que l’Afrique réclame, ce n’est pas la compassion, la pitié ou la charité, ce que l’Afrique sollicite, c’est la reconnaissance de sa dignité.
M. YASSER ARAFAT, Président de l’Autorité palestinienne : Le peuple de l’Afrique du Sud, tout le continent africain et nombre de pays du monde ont gravement souffert de cette politique de discrimination durant de longues décennies. Leur détermination, leur résistance et leur juste lutte leur ont permis de célébrer leur victoire grâce à la solidarité de la communauté internationale. Vos victoires contre ces pratiques inhumaines et amorales représentent la victoire de tous les peuples qui, à ce jour, souffrent de cette politique de discrimination, et particulièrement notre peuple palestinien qui lutte pour sa libération de l’occupation israélienne et contre toutes les formes de discrimination raciale qu’elle représente. Le combat commun contre la continuation de la politique de persécution et de discrimination raciale va de pair avec la lutte pour la libération, l’indépendance et la fin de l’occupation étrangère sous toutes ses formes. L’occupation israélienne dont le fondement est la force militaire, l’établissement des colonies d’occupation est en totale contradiction avec les objectifs et la Charte des Nations Unies. La protection des intérêts de l’humanité et des droits de l’homme doivent être au cœur de nos préoccupations et doivent être prioritaires. Elle ne doivent pas faire l’objet de faux prétextes, de fausses justifications ou de prises de positions politiques faibles qui ne feraient que servir les intérêts de certains pays et justifier les erreurs commises par d’autres. L’importance de la Conférence de Durban réside dans le fait qu’elle constitue le contexte idéal pour la formulation de politiques et de valeurs internationales susceptibles d’éliminer de la face du monde le racisme sous toutes ses formes.
Notre peuple palestinien lutte depuis de longues décennies pour la liberté et l’indépendance et souffre encore des pires politiques de discrimination raciale pratiquées par l’occupant israélien. Israël est une force d’occupation qui impose une politique et des pratiques racistes qui égalent les crimes qui ont été pratiqués dans d’autres régions du monde. En plus de l’occupation par la force, durant l’agression de 1967, de la terre palestinienne et arabe, les Gouvernements israéliens successifs ont tenté par tous les moyens de transformer la réalité géographique et démographique de nos territoires occupés, en particulier la ville de Jérusalem. Jérusalem fait aujourd’hui face à une agression sauvage perpétrée par les forces d’occupation et par les extrémistes qui tentent d’éradiquer son caractère arabe, islamique et chrétien, et à l’exode forcé de notre peuple. Cette politique et ces procédures racistes israéliennes se sont amplifiées durant l’Intifada populaire qui dure depuis onze mois.
Malgré l’injustice historique commise à l’encontre de notre peuple palestinien, qui n’a pas d’égale dans notre histoire contemporaine, nous avons opté pour la paix juste, forts de nos convictions de liberté, de justice et de paix dans le monde. Nous avons aussi opté pour la voie de la paix afin de réaliser une solution juste et durable basée sur les résolutions 242, 338, 425 et 194 et le principe de l’échange de la terre contre la paix.
Nous avons appelé à la paix des braves et vous êtes tous conscients qu’à la suite de négociations, nous avons abouti à la signature des Accords d’Oslo en 1993, avec mon partenaire, feu Yitzhak Rabin, et que d’autres accords les ont suivis et complétés. Israël n’a mis en application qu’une infime partie des accords conclus et a tenté à maintes reprises de changer certains éléments du processus de paix. Après avoir fait échouer les négociations bilatérales et les négociations internationales pour la mise en application des accords, Israël a eu recours à nouveau aux méthodes d’escalade militaire dans le seul but de subjuguer notre peuple, de le forcer à la subordination par la force des armes. De l’occuper et de le coloniser. Cette guerre que mène Israël contre notre peuple, le siège alimentaire qui affame notre peuple et nos enfants exigent que la communauté internationale prenne ses responsabilités et ne fasse plus preuve d’impotence et de paralysie face à une telle agression. La situation explosive en Palestine ne peut plus durer et nous espérons la mise en application des résolutions des Nations Unies en Palestine telles qu’elles ont été mises en application ailleurs dans le monde. La politique de deux poids, deux mesures affecte la crédibilité des institutions internationales et l’instauration de la paix en Palestine ne représente pas seulement un intérêt pour la Palestine mais aussi pour Israël et le reste de la région et du monde.
En Palestine, Terre des prophètes et Terre Sainte, malgré nos blessures et nos douleurs, nous lançons un appel à la paix. Une paix juste, basée sur les résolutions pertinentes et sur le droit international, qui passe par la fin de l’occupation israélienne et l’établissement d’un Etat palestinien indépendant avec Jérusalem, la Sainte, pour capitale et seule garante de la stabilité des deux peuples, Palestinien et Israélien, et des autres peuples de la région.
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