DES EXPERTS DU COMITE DES DROITS DE L’HOMME S’INTERROGENT SUR LE CARACTERE PARADOXAL ET ENIGMATIQUE DES INFORMATIONS FOURNIES PAR L’OUZBEKISTAN
Communiqué de presse DH/301 |
Comité des droits de l'homme
Soixante et onzième session
1908e séance - matin
DES EXPERTS DU COMITE DES DROITS DE L’HOMME S’INTERROGENT SUR LE CARACTERE PARADOXAL ET ENIGMATIQUE DES INFORMATIONS FOURNIES PAR L’OUZBEKISTAN
Pour le délégué ouzbek, les problèmes qui subsistent
ne sont pas tous liés à l’héritage du passé totalitaire
Pour notre Etat indépendant qui a survécu à des années de régime autoritaire, il était particulièrement important de se doter d’un appareil de protection des droits de l’homme, a fait valoir ce matin le Chef de la délégation de l’Ouzbékistan devant le Comité des droits de l’homme qui examinait le rapport initial de ce pays, en application des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que l’Ouzbékistan a ratifié sans réserve en 1995.
Des problèmes dans l’application du Pacte subsistent et ils ne sont pas tous liés à l’héritage du passé totalitaire, a poursuivi M. Akmal Saïdov, Directeur du Centre national pour les droits de l’homme de l’Ouzbékistan, qui a signalé que les principaux obstacles étaient liés aux conséquences de la période de transition et aux problèmes environnementaux.
Dans les questions écrites auxquelles M. Saïdov a répondu ce matin, les experts demandaient notamment des informations sur les détenus qui seraient morts en 1999 dans un établissement pénitentiaire situé près de Jasluk ou encore sur le fait que des personnes sont emprisonnées en raison de leurs activités religieuses non déclarées.
«Je me demande s’il s’agit bien du même pays» a réagi un des experts à la suite des réponses apportées par le délégué ouzbek. Les informations fournies par l’Ouzbékistan ne donnent pas une description réaliste de la situation dans le pays; toutes les sources sont unanimes pour dire que la situation s’est aggravée au cours de ces dernières années. Il n’est pas encourageant non plus que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ait conclu que les élections législatives de 1999 n’avaient pas respecté les conditions minimales de la démocratie. Des informations viennent de nous parvenir selon lesquelles des milliers de Tadjiks seraient déplacés par la force et installés dans des steppes à 250 km de leur lieu de résidence actuel sans que rien n’ait été prévu pour les accueillir.»
Il n’en a pas moins souligné, à l’instar de nombreux autres experts, que ce pays, situé dans une zone géographique instable, se trouvait dans une phase de transition difficile. La plupart des experts ont dans leur ensemble indiqué avoir apprécié le soin apporté au rapport de l’Ouzbékistan et le caractère de franchise qu’il revêt, notamment en ne faisant pas mystère des problèmes qui subsistent. Leurs commentaires ont mis en évidence ce qu’un expert a estimé refléter une ambivalence de la société ouzbèke, société ouverte et hermétique voire énigmatique, société de paradoxes qui se reflètent dans la situation des femmes, à la fois très en retard par certains aspects et au contraire parfois très en pointe dans le domaine professionnel. Etant donné les allégations de guerre civile dans ce pays, apparemment suivies de violences importantes, il a été demandé d’expliquer pourquoi l’état d’exception n’avait pas été décrété conformément à l’article 4 du Pacte.
Le Comité poursuivra l’examen du rapport de l’Ouzbékistan demain à partir de 10 heures. Il consacrera sa séance de cet après-midi à la commémoration du 25ème anniversaire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Rapport de l'Ouzbékistan (CCPR/C/UZ/99/1)
Le rapport initial présenté par l'Ouzbékistan indique, en introduction, que depuis l’indépendance, en 1991, a été créé dans ce pays un système législatif relatif aux droits de l'homme qui comprend plus de cent lois et instruments réglementaires. Le noyau de la législation ouzbèke dans le domaine des droits de l'homme est formé par la Constitution et par les normes internationales énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et les autres instruments juridiques internationaux en la matière. Un système d'institutions nationales a été mis en place dans le domaine des droits de l’homme: des organismes publics comme le Bureau du Commissaire aux droits de l'homme (Médiateur) de l'Oliy Majlis (Parlement), le Centre national pour les droits de l'homme et l'Observatoire de la législation en vigueur ou des organisations non gouvernementales ainsi que des associations professionnelles d'avocats et de magistrats.
L'Ouzbékistan a adhéré à plus de 40 instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et a commencé à assumer les obligations qui en découlent, est-il indiqué. La République d'Ouzbékistan, ayant choisi une voie démocratique de développement, en s'efforçant de créer un Etat de droit et une économie de marché socialement orientée et en développant et renforçant l'indépendance acquise sur une base constitutionnelle, le peuple ouzbek a examiné et adopté la Loi fondamentale, à savoir la Constitution de la République d'Ouzbékistan, adoptée en 1992. La Constitution a fait l'objet d'un débat public dans la presse. Les citoyens ont pu exprimer leur avis et soumettre des propositions et des modifications par voie de presse. Au titre des informations fournies en application des dispositions du Pacte relatif aux droits civils et politiques, le rapport indique que deux missions du PNUD, l'une effectuée en juillet 1995 et l'autre en février 1996, ont constaté que des progrès réels, quoique très prudents, avaient été réalisés en Ouzbékistan dans le domaine de la démocratisation des droits de l'homme et de la bonne gouvernance. La République d'Ouzbékistan comprend la République souveraine du Karakalpakstan, laquelle a sa propre Constitution qui définit la structure administrative territoriale et l'organisation des pouvoirs publics. La souveraineté de la République du Karakalpakstan est protégée par la constitution ouzbèke qui prévoit que la République du Karakalpakstan peut se retirer de la République d'Ouzbékistan sur la base d'un référendum général du peuple du Karakalpakstan.
Concernant l'article 5 du Pacte (Interdiction de toute restriction non fondée des droits civils), le rapport indique notamment que le ministère de l'intérieur a signalé avoir modifié, en 1992, 52 règlements rédigés par l'ancien Ministère soviétique de l'intérieur se rapportant au fonctionnement des établissements pénitentiaires. Au moment de la rédaction du rapport, sept règlements datant de l'époque soviétique étaient encore en vigueur et en cours de remaniement. L'analyse des plaintes reçues en 1997 par le Médiateur qui préside la Commission chargée de faire rapport à l'Oliy Majlis sur le respect des droits de l'homme et des libertés garantis par la Constitution, est-il précisé par ailleurs, montre que les plaintes dénonçant la conduite illégitime d'agents de la force publique ont connu une augmentation sensible en 1997, le grief le plus courant étant le recours à la violence physique ou mentale par les enquêteurs au cours de la phase d'enquête. Les causes mises en avant dans le rapport pour expliquer ces violations des droits des citoyens sont les suivantes: formation
médiocre et mépris des voies du droit, bureaucratie endémique au sein de l'appareil d'application des lois et, de la part des justiciables, méconnaissance de la loi et des moyens de défendre leurs droits. En dépit des efforts déployés pour éviter les abus du système judiciaire, les autorités chargées de l'application des lois font elles-mêmes état de bon nombre de problèmes. Un certain nombre d'ONG telles qu'Amnesty International et Human Rights Watch mettent également le doigt sur des violations de ce type.
Dans son chapitre consacré à l’application de l’article 7 du Pacte, le rapport précise également qu’il n'est pas rare que soient violés le principe du contradictoire et les droits légalement garantis des parties au procès. Il peut arriver que des informations sur le caractère et la situation d'un défendeur susceptibles de l'exonérer de toute poursuite ne soient pas examinées comme il convient au stade préliminaire. Il arrive aussi que soient rejetées de façon injustifiée des requêtes faites par les parties au cours de la procédure. La procédure d'examen des requêtes est elle-même parfois violée. Le chapitre consacré à la liberté de conscience (article 18) indique que, lors d’une enquête réalisée en 1997, en réponse à la question "Quelle est votre religion?", 88 % des interviewés ont mentionné l'islam, 7 % la religion orthodoxe, 1 % d'autres confessions chrétiennes, 1 % le bouddhisme et moins de 0,5 % le judaïsme ; les autres, soit appartenaient à une autre religion, soit n'appartenaient à aucune religion, soit encore ne savaient pas. Le Gouvernement ouzbek a organisé la restitution aux musulmans de Maverannahr du livre le plus sacré à leurs yeux, le Coran du calife Othman. Pour la première fois dans l'histoire de l'Etat ouzbek, le Coran a été traduit en langue ouzbèke. Le Gouvernement finance la restauration et la reconstruction des lieux saints musulmans de la région. Depuis l'accession à l'indépendance, il est matériellement et légalement possible pour les musulmans d'Ouzbékistan d'effectuer le pèlerinage aux lieux saints musulmans de la Mecque et de Médine. Afin de mettre en œuvre les dispositions de l'alinéa h) de l'article 6 de la Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, un décret présidentiel a déclaré fériés les premiers jours des fêtes religieuses de Ruza-Haït et Qurbon-Haït. L'une des confessions les plus importantes du pays est la religion orthodoxe. Implantée il y a plus de 120 ans, l'Eglise orthodoxe russe regroupe aujourd'hui plus de 30 communautés et un couvent de religieuses. A l'occasion du 125ème anniversaire de la formation de l'Eglise, les églises de Tachkent, Samarcande et Tchirchik ont été restaurées et un nouveau bâtiment a été construit pour la Direction diocésaine. L'autre grande communauté chrétienne d'Ouzbékistan est l'Eglise baptiste, qui regroupe 16 communautés. Le départ pour l'Allemagne de nombreux baptistes d'origine allemande au début des années 90 ayant quelque peu affaibli cette Eglise, la direction de l'Union des baptistes bibliques a engagé une politique active de prosélytisme auprès de la population orthodoxe et russophone. Les baptistes, comme les fidèles des autres religions légales, peuvent célébrer leurs fêtes religieuses. L'Eglise des adventistes d'Asie centrale nouvellement constituée regroupe dix organisations religieuses. Pour le judaïsme, on compte quatre synagogues dans la seule ville de Tachkent: une pour les juifs européens et trois pour les juifs de Boukhara. L'Etat ne finance ni l'activité des organisations religieuses ni la propagande athée. Dans ce même chapitre, sont décrits les troubles survenus à Namangan en 1997 au cours desquels, est-il indiqué, «un groupe de fanatiques déchaînés tolérés par les autorités et se donnant le nom de wahhabites a commis une série de crimes éhontés planifiés de façon professionnelle» en profitant de «l'absence de contrôle, l'inertie, voire tout simplement de la lâcheté des pouvoirs publics» ainsi que ceux survenus en 1999 dans le centre de Tachkent qui ont fait 13 morts et plus de 120 blessés.
L'Ouzbékistan abrite plus de 120 nationalités, est-il précisé dans le chapitre consacré au droit des minorités. Les Ouzbeks et les Karakalpaks représentaient, en 1998, 76,4 % de la population, soit près de 18 millions de personnes sur les 23 millions d'habitants que comptaient le pays. Deux groupes ethniques ont plus d'un million de membres: les Russes et les Tadjiks et six groupes comprennent entre 500 000 membres et un million, les plus nombreux étant les Kazaks et les Tatars. La population d'Ouzbékistan comprend également des Coréens, des Turcs Meshks, des Juifs, des Bashkirs, des Ukrainiens, des Allemands, des Polonais et des membres d'autres nations et nationalités. Toutes les nations et nationalités ont les mêmes droits pour ce qui est de développer leur culture, d'étudier leur langue et de préserver leurs particularités et leurs traditions. C'est ainsi qu'il existe des écoles qui dispensent un enseignement en coréen, en kazak, en kirghize, en russe, en allemand et dans d'autres langues encore. Située dans une zone stratégique, l'Asie centrale s'est toujours trouvée au centre de divers intérêts géopolitiques et nationaux, est-il indiqué. Au cours des dernières années, la région a été ébranlée par une guerre civile au Tadjikistan et par deux conflits interethniques de moindre ampleur mais tout aussi funestes en Ouzbékistan et au Kirghizistan. Par suite de ces conflits, quelques 46 000 Turcs Meshks sont partis en Azerbaïdjan et environ 25 000 personnes se sont réfugiées en Russie. Au début des années 90, en raison des difficultés économiques, de la crainte de conflits interethniques et d'un certain nombre d'autres facteurs d'ordre social, plus de 16 000 Allemands de souche ont quitté le pays pour l'Allemagne, près de 164 000 Tatars de Crimée se sont installés en Crimée, plus de 45 000 personnes sont parties en Russie et environ 12 000 autres au Kazakhstan. Une situation extrêmement complexe s'est mise en place dans pratiquement tous les pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI). Des experts occidentaux estiment que plus de deux millions de personnes ont quitté leur lieu de résidence pour des raisons sociales, économiques ou politiques.
Déclaration de la délégation
M. AKMAL SAIDOV, Directeur du Centre national pour les droits de l’homme de la République d’Ouzbékistan, s’est félicité de ce que l’examen du rapport de son pays survienne le jour du 25ème anniversaire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il a rappelé que l’Ouzbékistan est le berceau d’une des civilisations les plus anciennes, située sur la Route de la Soie et dont l’histoire couvre plus de trois millénaires. Il a attiré l’attention sur la grande variété des nationalités et des religions représentées en Ouzbékistan, ainsi que sur le fait que cette coexistence ne s’était pas traduite par des tensions raciales.
L’Ouzbékistan est passé d’un système autoritaire à un système démocratique où prévaut le respect des droits de l’homme, a-t-il également rappelé. Pour ce faire, des priorités ont été dégagées: la priorité de l’économie sur la politique; le rôle de l’Etat dans la transition démocratique, la primauté du droit, une politique sociale forte, le passage progressif vers une société démographique. Pour réaliser cela, la stabilité de l’Etat est nécessaire et nous sommes inquiets, en Ouzbékistan, à l’égard de l’extrémisme religieux et du terrorisme qui y est lié. Nous sommes fiers d’avoir pour notre part pu maintenir la paix civile.
L’Ouzbékistan a ratifié sans réserve le Pacte et le Protocole facultatif du 31 août 1995 ainsi que les six traités fondamentaux des Nations Unies et 57 autres instruments internationaux dans le domaine des droits de l’homme, a précisé
M. Saïdov. Une analyse de la Constitution ouzbèke montre que celle-ci est alignée sur les dispositions du Pacte. L’Assemblée nationale a par ailleurs adopté cinq codes et seize lois dans le domaine des droits civils et 33 lois dans le domaine politique, tous conformes aux dispositions du Pacte. En cas de contradictions avec les lois nationales, ce sont les dispositions internationales qui prévalent. Il a été également mis en place un mécanisme de défense des droits de l’homme. Pour notre Etat indépendant qui a survécu à des années de régime autoritaire, il était particulièrement important de se doter d’un appareil de protection des droits de l’homme, a-t-il fait remarquer. Un programme national destiné à élever le niveau de la culture juridique du pays a été adopté. En outre, un cours sur les droits de l’homme a été créé à l’université ainsi que des chaires d’enseignement des droits de l’homme dans différentes institutions d’enseignement supérieur.
Nous sommes conscients que l’adoption de lois ne représente que 50% de la protection des droits civils et politiques. C’est pour cela qu’a été élaboré un plan d’action et un système de suivi de la mise en œuvre de cette législation et du respect des droits civils et politiques. Un suivi parlementaire existe également. Une formation sur la manière de rédiger les rapports sur la situation des droits de l’homme a été fournie aux organisations non gouvernementales (ONG). Très nombreuses, les ONG ouzbèkes jouent un rôle de plus en plus important dans ce domaine. Il a indiqué que les partenaires principaux de son pays dans le domaine des droits de l’homme étaient l’Organisation des Nations Unies et ses institutions spécialisés notamment le PNUD, l’Union européenne, l’OSCE, la Fondation Soros, et le Comité international de la Croix-Rouge.
Je n’ai pas l’intention de laisser penser qu’il n’y a pas de problèmes, a déclaré le délégué, faisant observer que les principaux obstacles qui freinent la mise en œuvre des dispositions du Pacte sont liés aux conséquences de la période de transition et aux problèmes environnementaux. Les problèmes existent et ils ne sont pas tous liés à l’héritage du passé totalitaire.
Réponses aux questions écrites
M. AKMAL SAIDOV, Chef de la délégation ouzbèke, a ensuite expliqué que sa délégation a préparé un document de 70 pages en russe, l’une des langues officielles des Nations Unies, contenant les réponses détaillées du Gouvernement ouzbèk aux questions écrites préalablement soumises par les experts du Comité.
M. Saidov a expliqué que le statut du Pacte dans le droit interne ouzbek lui accorde la priorité sur la législation nationale. Les dispositions du Pacte s’imposent lorsque celles de la législation nationale contreviennent au Pacte. L’ombudsman se réfère aux droits énoncés par le Pacte dans ses rapports annuels.
En ce qui concerne le Commissaire aux droits de l’homme de l’Oliy Majlis,
M. Saidov a expliqué qu’il s’agit de la seule institution d’ombudsman de toute l’Asie centrale. L’ombudsman est chargé des enquêtes sur le respect des droits de l’homme en Ouzbékistan. Il est responsable devant le Parlement, dont il est également député. Il possède le droit à l’initiative législative et a le droit de procéder à des enquêtes de son propre chef. Ses activités sont reflétées dans les comptes rendus qu’il présente régulièrement au Parlement. Dans la majorité des cas, les citoyens portent plainte pour violations de dispositions légales et d’abus dans la mise en œuvre des décisions de l’Etat. Les tribunaux sont également accusés de prononcer des jugements manquant d’objectivité. M. Saidov a indiqué que l’ombudsman a reçu 5 000 plaintes sur lesquelles 120 cas ont été résolus. L’analyse des plaintes montre qu’elles portent en majorité sur les défaillances des services sociaux, notamment en matière de logements. Les allégations d’irrégularités lors des enquêtes préliminaires sont très nombreuses. Dans son rapport pour l’an 2000, l’ombudsman note le grand nombre de plaintes sur les atteintes à la dignité des citoyens commises lors des enquêtes préliminaires.
Les règles qui régissent l’état d’urgence définissent les droits de la population dans des situations extraordinaires telles que des catastrophes naturelles. Les droits et obligations des citoyens dans des situations aux conséquences extraordinaires ont été définis clairement. Toutes les personnes qui estiment que leur sécurité est menacée ont le droit de porter plainte. La nature de la menace contre la sécurité de la personne n’est pas un critère pour porter plainte. Par ailleurs, il existe une ligne téléphonique ouverte par les organes d’application de la loi pour répondre aux questions du public. L’Ouzbékistan reconnaît la compétence du Comité des droits de l’homme en ce qui concerne l’examen de communications de particuliers estimant que leurs droits civils et politiques ont été lésés. Dans ce cadre, le gouvernement juge très important que les Etats parties au Pacte soient aidés sous la forme de consultations officieuses. M. Saidov a assuré les experts que l’Ouzbékistan est tout à fait prêt à ouvrir un dialogue constructif avec le Comité.
Le Chef de la délégation a ajouté que la peine capitale existe en Ouzbékistan pour les personnes ayant commis des peines particulièrement graves mais est de moins en moins appliquée. Son application est aujourd’hui restreinte à 8 articles du Code pénal, contre 35 articles pendant le régime soviétique. Il existe des dispositions permettant de commuer la peine capitale en peine de prison.
M. Saidov a déclaré qu’il n’y pas eu de plainte pour disparitions forcées ou involontaires au cours des trois dernières années. Ni l’ombudsman ni le Bureau du Procureur général n’ont reçu de plainte émanant de détenu ou de citoyen au sujet d’actes de torture ou de mauvais traitement. Un prisonnier souffrant de fractures et d’hémorragie interne a été examiné par des autorités médicales spécialisées. Cet homme ayant affirmé qu’il n’avait pas été torturé, cette affaire n’a pas eu de suite.
S’agissant des dispositions législatives qui régissent l’arrestation, le Code pénal établit que peuvent être arrêtées les personnes prises en flagrant délit ou vues par des témoins, ou encore portant sur elles ou leurs vêtements des signes laissant penser qu’elles ont commis un crime. Les fonctionnaires de la milice ou d’autres organes publics peuvent procéder à l’arrestation à condition que la personne corresponde à ces conditions préalables. Les autorités doivent dresser un rapport détaillé récapitulant les conditions et les motivations de l’arrestation. Le suspect est immédiatement informé de ses droits. Si un suspect est recherché, le procureur de sa localité peut le détenir pendant la période jugée nécessaire, qui peut aller jusqu’à dix jours. L’accès des suspects ou des accusés à un avocat ou à un conseiller juridique est garanti. Les droits et les
obligations des avocats sont régis par le Code de procédure pénale. L’accusé a accès à la défense dès que le crime dont il est soupçonné lui a été exposé. Si l’avocat ou le conseiller choisi par le suspect ou l’accusé n’est pas disponible pendant plus de 24 heures, les autorités judiciaires peuvent proposer à l’accusé les services d’un avocat de remplacement. Dans certains cas ou circonstances particulièrement complexes, notamment lorsque l’accusé est sourd et muet ou ne parle pas la langue nationale, les autorités judiciaires peuvent s’adjoindre les services de conseillers légaux.
Il n’existe pas de lieu de détention à l’intérieur du Ministère de l’intérieur. En revanche, à l’extérieur, il existe des centres de détention provisoire, a indiqué le délégué en réponse à une question écrite des experts sur les conditions actuelles de détention dans les prisons. Les cas où des personnes sont détenues sont prévus dans différentes dispositions de la législation conformément aux normes de l’Organisation des Nations Unies. Les personnes placées en détention ne font l’objet d’aucune discrimination. Certains détenus comme les mineurs, sont placés dans des centres spéciaux. Il peut y avoir des centres spécialement créés lorsque l’on manque de place, a-t-il précisé. Mais les détenus disposent tous d’un lit et de couvertures et bénéficient de soins de santé. Des maternités sont assurées dans les prisons de femmes; des centres de traitement de l’alcoolisme et de la toxicomanie existent dans certains cas. 100% des personnes figurant dans les quotas spéciaux ont fait l’objet de dépistage médical, ce qui nous a permis de limiter les effets de la dysenterie et de la syphilis. Cependant, on a constaté une augmentation de la prévalence de la tuberculose et de l’hépatite virale. Cela a également permis de dépister les cas de VIH/sida. Les problèmes qui se posent sont liés à la vétusté des locaux. Détenus et condamnés peuvent recevoir des visites d’une durée de deux à quatre heures de leur famille ou d’autres personnes sur autorisation judiciaire. Dans les colonies éducatrices, il peut être accordé une sortie exceptionnelle en compagnie de la famille. Les centres de détention sont équipés de radios - certains d’entre eux de téléviseurs - et les détenus ont accès à des journaux et périodiques. Ils peuvent exercer leur droit au culte quelle que soit leur religion. Pour encourager une bonne conduite et leur sens des responsabilités, une série d’encouragements y compris la libération anticipée sont prévus par la législation pertinente. Une fois qu’ils sont libérés, les anciens détenus sont transmis s’ils en éprouvent le besoin à des centres d’adaptation sociale, qui leur fournissent des informations sur les possibilités qui s’ouvrent à eux.
En réponse aux questions écrites des experts sur le centre de détention de Jasluk, le délégué a indiqué qu’il avait été ouvert en 1999 pour les détenus pour lesquels les juges ont demandé un régime sévère. La capacité en 2001 est de 800 places et un peu plus de 400 personnes y séjournent actuellement. Son fonctionnement n’est pas différent des autres centres de détention. Une enquête a été réalisée et discutée en 2000 et une aide a été débloquée. Des représentants du Comité international de la Croix-Rouge ont visité Jasluk en mars 2001. Pour réduire le nombre de personnes des contingents ou quotas spéciaux et se conformer aux normes de l’Organisation des Nations Unies, des travaux de reconstruction des centres de détention sont entrepris chaque année. Le dernier lieu d’isolement a été construit en 1966, du temps de l’Union soviétique, et le dernier centre de détention en 1980. Certaines prisons datent du XVIIIe siècle. Des reconstructions sont achevées, un centre pour les tuberculeux a été mis en place et d’autres opérations de reconstruction sont en cours.
Le délégué a précisé qu’il y avait eu un seul cas de décès à Jasluk en juillet 2000, malgré les soins médicaux apportés. Il s’agissait d’une personne née en 1961 dont l’expertise médico-légale a conclu à une ischémie de l’estomac, une artériosclérose et une pleurite sur fond de tuberculose. Il n’a pas été établi que la force ait été employée.
Concernant l’emprisonnement de personnes en raison de leurs convictions religieuses, le délégué a répondu que la liberté de conscience et religieuse est garantie par la législation, qu’il existe cependant des organisations religieuses qui exercent des activités illégales en Ouzbékistan et que certaines organisations comme l’Eglise baptiste évangélique ou les Témoins de Jéhovah, n’acceptent pas de se soumettre à l’enregistrement imposé par les autorités. Elles ont été convoquées mais aucune sanction n’a été prise. La création de partis politiques sur des bases religieuses n’est pas reconnue. 1 346 affaires pénales ont été traitées en 2000 et 2 382 personnes ont été poursuivies devant les juridictions répressives. Il n’y pas de statistiques concernant l’extrémisme religieux, a conclu le délégué sur cette première série de questions.
Questions des experts
Les experts du Comité ont salué cette présentation d’un rapport initial, qui indique que l’Ouzbékistan a rejoint les rangs des Etats qui ont choisi de s’acquitter de leurs obligations en vertu du Pacte des droits civils et politiques. Tout en rappelant que ce rapport était dû en 1996, les experts ont reconnu que l’Ouzbékistan a traversé une situation politique difficile. Le Comité attendait beaucoup de ce rapport et espérait qu’il indiquerait une amélioration de la situation. Bien qu’un certain nombre de réformes aient été menées à bien, il semble cependant que des problèmes subsistent dans la pratique. Un expert a eu l’impression que les informations fournies ce matin par la délégation ouzbèke ne donnaient pas un reflet fidèle de la réalité. Il a ajouté qu’il aurait été préférable de laisser une place plus importante à la perspective des organisations non gouvernementales sur la situation en Ouzbékistan. L’expert a fait valoir que toutes les sources dont dispose le Comité notent à l’unanimité une détérioration de la situation des droits civils et politiques. Selon le rapport d’une ONG, un tiers de la population ouzbèke estime que les droits de l’homme ne sont pas du tout ou pas assez respectés en Ouzbékistan. Cette accusation portée contre l’Etat devrait le pousser à tout mettre en œuvre pour améliorer cette situation.
Les experts ont demandé des précisions sur la peine de mort en estimant qu’il est insuffisant de restreindre le nombre de crimes pouvant être punis par la peine capitale. Ils ont demandé de communiquer le nombre d’exécutions qui ont eu lieu récemment. Les conditions de détention des condamnés à mort les ont aussi préoccupés, ainsi que le fait que les biens du condamné à mort soient confisqués et que la personne exécutée soit enterrée dans un lieu secret. Un expert a cité de nombreuses allégations de morts suite à des exécutions extrajudiciaires ou de mauvais traitements dans les prisons mais aussi en divers endroits de l’administration judiciaire, y compris dans les cellules se trouvant au ministère de l’intérieur. Les familles des victimes ont rapporté des signes de mauvais traitements sur les corps de ces personnes, notamment des côtes brisées. L’expert a demandé des précisions sur les mesures prises par l’Etat pour éviter ce type de violation. Selon de nombreux témoignages, il semblerait également que l’accès à un avocat n’est pas toujours garanti.
Par ailleurs, le Comité a reçu des informations alarmantes selon lesquelles le Gouvernement ouzbek va déplacer de force des milliers de Tadjiks vers des villages situés dans les steppes, à 250 km du lieu de résidence actuel. Ces personnes seront obligées d’abandonner tous leurs biens et leurs troupeaux. Elles seront évacuées en hélicoptère pour être installées dans des villages où aucun service de base n’est assuré.
Un autre expert a souligné que le but d’un dialogue constructif n’est pas d’accuser un gouvernement mais de faire le point de la situation des droits de l’homme et de ses éventuels points faibles. Il a demandé d’indiquer la manière dont l’Ouzbékistan détermine les droits et intérêts de ses citoyens, et de préciser si les citoyens peuvent, par exemple, critiquer le Président. Il a demandé d’indiquer le champ d’application d’autodétermination interne des habitants de la république de Karakalpakstan et de préciser si elle peut légiférer. Qui décide des frontières qui existent entre les deux républiques, a-t-il été demandé. La Constitution stipulant que tout différend doit être réglé par des voies pacifiques, un expert a demandé des précisions sur le mode de conciliation prévu et sur la procédure de sécession, si cette dernière peut être envisagée.
Un complément d’informations sur la compétence de la Cour supérieure économique, ainsi que sur les mesures concrètes prises par le gouvernement pour améliorer la vie des personnes qui vivent dans la mer d’Aral et sont confrontées à une raréfaction de l’eau et des poissons.
Le Comité a noté une volonté de rupture avec le passé, et apprécié les efforts de l’Ouzbékistan, qui doit surmonter une situation de transition. Toutefois, il a eu l’impression que cette volonté n’est pas excessive et que l’aspiration à construire une nouvelle société est entravée par des pesanteurs du passé. La condition de la femme constitue un autre paradoxe car elle est soumise dans le contexte familial tout en étant à la pointe de l’emploi dans certains secteurs. Le Comité a estimé que l’un des problèmes les plus importants auxquels l’Ouzbékistan est confronté est l’instrumentalisation politique de la religion. Cette question mérite d’être expliquée de manière franche et concrète afin que l’on sache de manière claire comment le Pacte est envisagé. Les violations inadmissibles du Pacte ne sauraient cependant être justifiées à elles seules par les questions religieuses. L’extrémisme religieux est évoqué à plusieurs reprises dans le rapport, et il n’y a pas lieu de tolérer l’intolérable, mais il faut cependant savoir ce que l’Etat partie entend par «extrémisme» et «fanatisme». Lorsque la liaison est établie entre extrémisme et terrorisme, il est fondamental de tirer au clair les définitions de chacun de ces termes. Les excès du passé expliquent peut-être cette résurgence de la religion et non pas uniquement des influences extérieures.
Le Comité a qualifié d’«énigmatique» le paragraphe 259 du rapport sur les individus ou les groupes animés de fanatisme et leur pouvoir déstabilisateur sur la société. Il a également trouvé étrange que 301 organisations non gouvernementales n’aient pas reçu l’agrément du gouvernement et demandé des précisions sur les critères du comité s’occupant de ces questions. Les experts ont également demandé des précisions sur la perte de nationalité, la notion de secret d’Etat, le régime de la liberté de réunion, la représentation des minorités ethniques dans la fonction publique. En outre, étant donné les allégations de guerre civile dans ce pays, accompagnées, semble-t-il, de violences importantes, un expert s’est demandé pourquoi l’état d’exception conformément à l’article 4 du Pacte n’a pas été décrété.
Prenant à son tour la parole, M. SAIDOV a apprécié grandement le souhait du Comité de comprendre la situation en Ouzbékistan. Il s’est dit conscient de l’existence de problèmes dans son pays. Ces problèmes seront d’abord résolus par ce pays; toutefois, l’appui du Comité permettra d’attirer l’attention du Gouvernement ouzbek sur des questions qui ne paraissaient peut-être pas importantes de l’intérieur. M. Saidov a dit accueillir les critiques du Comité de façon positive car le Pacte constitue l’instrument fondamental dans le domaine des droits civils et politiques. Il a assuré les membres du Comité que l’Ouzbékistan s’efforcera de donner une réponse détaillée et ouverte à toutes les questions concernant son application.
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