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DR/D/923

LE SECRETAIRE GENERAL INVITE LES CHEFS D’ETAT ET DE GOUVERNEMENT A METTRE EN PLACE LES STRUCTURES ET LA LEGISLATION ADEQUATES POUR PREVENIR LES DISCRIMINATIONS

31/08/2001
Communiqué de presse
DR/D/923


LE SECRETAIRE GENERAL INVITE LES CHEFS D’ETAT ET DE GOUVERNEMENT A METTRE EN PLACE LES STRUCTURES ET LA LEGISLATION ADEQUATES POUR PREVENIR LES DISCRIMINATIONS


Durban, le 21 août -- S’exprimant à l’ouverture de la table ronde consacrée cet après-midi à la lutte contre le racisme et présidée par le chef de l’Etat sud-africain, M. Thabo Mbeki, le Secrétaire général des Nations Unies,

M. Kofi Annan, a lancé un appel aux chefs d’Etat et de gouvernement afin qu’ils prennent conscience de la responsabilité qui leur incombe dans la mise en œuvre des engagements qui seront pris ici à Durban.  M. Annan les a invités à mobiliser leurs structures administratives et gouvernementales et à mettre en place des normes législatives et constitutionnelles de nature à prévenir les discriminations, estimant qu’ils étaient en mesure de «s’attaquer aux problèmes qui alimentent l’intolérance, tels que le chômage». 


En ouvrant les travaux, le Président Mbeki a suggéré que les débats de la table ronde se concentrent essentiellement sur le rappel des pratiques et des manifestations de nature raciste, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance observées par le passé, d’examiner les sources, les causes et les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance et de se tourner vers le futur en tirant les leçons du passé et en identifiant des mesures concrètes et réalistes à prendre pour lutter contre le racisme. 


Evoquant l’histoire récente de la lutte contre le racisme, de nombreux intervenants ont salué, à l’instar du Président algérien, M. Abdelatif Bouteflika, l’exemple symbolique que constitue l’expérience de l’Afrique du Sud qui est parvenue à triompher de l’apartheid.  M. Bouteflika a rappelé «qu’après des décennies de lutte, l’apartheid avait cédé à la voix de la justice grâce au combat mené par les leaders historiques de l’ANC tels qu’Oliver Tambo, Walter Sisulu, Nelson Mandela et Govan Mbeki».  Tout en saluant « ces défenseurs de la dignité humaine, ces combattants, ces penseurs, ces justes », M. Bouteflika a estimé qu’il fallait aussi reconnaître que leur victoire reste incomplète et fragile car certaines plaies restent béantes du fait que, durant des siècles, des pratiques ignobles ont nié l’homme dans ses droits les plus élémentaires.  « Je tiens à rappeler ici que l’esclavage et le colonialisme n’ont jamais été qualifiés pour ce qu’ils ont été en réalité, c’est-à-dire un crime contre l’humanité » a ajouté le Président algérien avant de dénoncer des séquelles héritées du passé qui autorisent aujourd’hui la persistance du racisme et d’injustices flagrantes. 


Intervenant à son tour pour mettre en lumière les formes contemporaines de racisme, le Président Abdoulaye Wade du Sénégal a dénoncé le racisme intellectuel qui est le fait de certains historiens qui, comme le Professeur Bernard Lugan de l’Université de Lyon lll (France), donnent une fausse interprétation de l’histoire en affirmant que toutes les thèses soutenues par des écrivains africains ne sont pas fondées et que la contribution des Noirs à l’histoire de l’Afrique est dérisoire.  Evoquant les déformations historiques qui ont causé du tort à l’Afrique, le Président du Rwanda, M. Paul Kagame, a fait observer que le génocide qui a coûté la vie à un million de Rwandais en 1994 était le résultat de théories et de mythes dont certains ont été introduits par les colonisateurs qui soutenaient que certains Rwandais venaient d’Abyssinie, d’autres du Cameroun tandis que d’autres auraient été au Rwanda bien avant.  Il a dénoncé le caractère absurde d’une autre théorie raciale développée par le colonisateur qui «distinguait les Rwandais en deux groupes, identifiant ceux qui étaient plus intelligents que les autres en se basant sur la morphologie, la forme du crâne, la couleur de peau, la taille et étaient donc faits pour dominer».  M. Kagame a estimé que cette théorie visait surtout à légitimer l’idée que les Blancs étaient plus intelligents que tous les autres et à servir leur domination.  Ces propos faisaient écho à ceux du Président ougandais, Yoweri Kaguta Museveni, qui observait que «le racisme n’est rien de plus qu’une vision obscurantiste qui ne sert qu’à masquer l’exploitation puisque, dans la réalité, tous les êtres humains proviennent du continent africain à partir duquel ils ont ensuite émigré vers les autres continents.  Il est ironique que certains viennent maintenant nous narguer en nous disant que nous sommes inférieurs alors que nous fûmes les premiers sur Terre et que tous les êtres humains sont nos descendants», a ajouté M. Museveni. 


Dans le cadre de cette table ronde, des déclarations ont été faites par Mme Vaira Viko-Freibeiga, Présidente de la Lettonie; M. Olusegun Obasanjo, Président du Nigéria; M. Pedro Verona Rodrigues Pires, Président du Cap-Vert; M. Yasser Arafat, Président de l’Autorité palestinienne; M. Fidel Castro, Président de Cuba; M. Didjob Divungi Ndingue, Vice-Président du Gabon; M. Jozo Krizanovic, Président de la Bosnie-Herzégovine; M. Pascoal Manuel Mocumbi, Premier Ministre du Mozambique; et M. Denis Sassou Nguesso, Président de la République du Congo. 


Concluant la table ronde, le Président Mbeki a déclaré que le racisme n’avait pas de fondement scientifique, philosophique ou moral mais qu’il s’agissait bien d’un instrument utilisé pour exploiter et opprimer.  Il a déclaré qu’il fallait «agir ensemble pour étouffer toutes les manifestations de ce phénomène» et a appelé les participants à la Conférence à agir dans le même sens pour bâtir une unité au plan mondial dans la lutte contre le racisme, souhaitant que ces engagements soient clairement reflétés dans les documents finaux. 


Ces interventions ont été suivies d’un débat interactif avec les délégués et les représentants d’organisations non gouvernementales présents dans la salle et qui a essentiellement porté sur la situation des Palestiniens au Moyen-Orient, sur celle des travailleurs migrants à travers le monde ainsi que sur le système des castes en Inde et dans certains pays d’Afrique de l’Ouest.  La représentante d’une ONG américaine a demandé que la Conférence aborde la question de réparation étant donné que l’esclavage et les pratiques racistes, ainsi que la colonisation représentent un crime contre l’humanité. 


Le Président de la table ronde a indiqué que le Président tunisien, M. Zine El Abidine Ben Ali, avait adressé un message à la Conférence par lequel il transmettait ses meilleurs vœux de succès.


La Conférence mondiale contre le racisme entamera son débat général demain à 10 heures. 


CONFÉRENCE MONDIALE CONTRE LE RACISME, LA DISCRIMINATION RACIALE, LA XÉNOPHOBIE ET L’INTOLÉRANCE QUI Y EST ASSOCIÉE


Table ronde des chefs d’Etat et de gouvernement


M. KOFI ANNAN, Secrétaire général des Nations Unies : Je tiens à souligner brièvement ici la responsabilité qui vous incombe dans la mise en œuvre des engagements qui seront pris à Durban.  Grâce à votre pouvoir, vous pouvez mobiliser vos structures administratives et gouvernementales et mettre en place de normes législatives et constitutionnelles de nature à prévenir les discriminations.  Vous êtes en mesure de vous attaquer aux problèmes qui alimentent l’intolérance, tels que le chômage par exemple.  En tant que dirigeants, vous avez les moyens d’engager un dialogue au niveau national contre le racisme et d’encourager certaines initiatives en participant par exemple à des événements et festivals organisés par des groupes minoritaires, afin de démontrer qu’elles sont importantes dans la société.  La voie à suivre doit être celle du dialogue, constructif et qui comprendra toutes les composantes, dans un esprit de respect mutuel et de compréhension.  Mais, au-delà d’un accord final sur un document ici à Durban, les progrès réels devront être observés au quotidien, dans les conditions de vie des populations.  J’émets l’espoir que chacun d’entre vous s’engagera et impliquera son appareil administratif dans cette lutte et je vous remercie de votre appui dans le succès de cette Conférence. 


M. THABO MBEKI, Président de l’Afrique du Sud : Nous allons modifier notre façon de procéder et de rendre notre séance moins formelle et plus interactive.  Le processus que nous lançons ici aujourd’hui doit être porteur d’espoir pour l’avenir, répondre aux attentes et conduire à la mise en œuvre de mesures concrètes qui bénéficient aux populations.  Je suis convaincu que la vision, la détermination et le leadership des participants à cette table ronde permettront à nos travaux de déboucher sur des avancées considérables.  Je vous propose donc que les débats portent sur trois thèmes principaux : un rappel des pratiques et des manifestations de nature raciste, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance connues dans le passé, ainsi qu’un examen des sources, des causes et des formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance et une projection sur l’avenir en tirant les leçons du passé et en identifiant des mesures concrètes et réalistes à prendre.


Mme VAIRA VIKE-FREIBERGA, Présidente de la Lettonie : En venant ici, je peux dire que le racisme est inacceptable.  C’est pourquoi, il nous appartient de nous unir pour y faire obstacle et en éliminer les conséquences.  La discrimination n’est pas véritablement une question de couleur.  Elle revêt de nombreuses formes d’injustice.  Il faut éliminer tout étiquetage visant à instaurer des différences entre les populations.  En Lettonie, nous avons retrouvé notre indépendance et sommes déterminés à défendre nos droits.  Tous les peuples colonisés doivent rétablir leur passé.  En réaffirmant les principes que nous défendons ici, nous marquons un pas positif en faveur d’une lutte commune contre le racisme et la discrimination.


M.OLUSEGUN OBASANJO, Président du Nigéria : Mon optique sera quelque peu différente, car quelle que soit la religion qu’il pratique, l’être humain pense que ses semblables sont le fruit d’une création divine.  La religion chrétienne et la Bible évoquant l’homme et la femme en affirmant qu’ils sont à l’image de Dieu et que c’est Dieu qui les a créés.  Or, en créant les êtres humains, Dieu les a faits différemment.  C’est pourquoi toute discrimination à l’encontre d’un être humain doit être considérée comme un péché contre Dieu lui-même.  L’important aujourd’hui serait de parvenir à faire passer ce message.


M. ABDOULAYE WADE, Président du Sénégal : En ce qui concerne l’esclavage, la thèse la plus courante est que les Noirs ont vendu des Noirs et les marchands d’esclaves n’en sont pas responsables.  Dans mon livre «Un destin pour l’Afrique», j’ai souligné que l’Afrique a subi plusieurs siècles d’esclavage par notamment le Portugal, la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Italie, et ensuite le colonialisme.  Je voudrais que l’on retienne de l’histoire que l’Afrique a été vaincue sans toutefois abandonner les armes.  Aujourd’hui, le Professeur Bernard Lugan de l’université Lyon III (France) a renversé l’histoire, soulignant que tout ce qui a été soutenu par des écrivains africains est faux.  C’est ce que je qualifie de racisme intellectuel.  Plusieurs civilisations existaient en Afrique, contrairement à ce qui est avancé par le Professeur Lugan qui prétend que la contribution des Noirs est dérisoire.  Des scientifiques américains insistent sur le fait que les «nègres» sont inférieurs aux autres.  L’assistance aux personnes défavorisées au sein de la communauté noire américaine est inutile car du fait de leur infériorité intellectuelle les personnes ne pourront jamais jouer un rôle crucial dans le pays.  Il y a une bataille intellectuelle à mener contre le racisme et la discrimination.


M. PEDRO VERONA RODRIGUES PIRES, Président du Cap-Vert : Nous sommes réunis ici en un haut lieu de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale qui a longtemps été caractérisé par l’apartheid.  Le racisme n’est pas un fait normal mais constitue un problème dont nous devons comprendre les causes et les conséquences et il est inacceptable que le racisme soit abordé comme une fatalité.  Il faut faire l’effort de saisir les racines culturelles et politiques du racisme et, dans le cadre des travaux de cette conférence et dans la perspective de la Déclaration qui sera adoptée, nous considérons qu’il est utile de se pencher sur le phénomène de l’apartheid et nous pensons que ce serait rendre justice à ce pays que de rappeler les efforts consentis par ce peuple et d’utiliser cette nation symbole dans la lutte contre le racisme. L’abolition de l’apartheid est une victoire pour l’ensemble de l’humanité car ce système a mis en œuvre de valeurs injustes qui font affront à la dignité de l’être humain. 


Mon pays le Cap-Vert a été, dès le 15ème siècle, un des hauts lieux de l’esclavage et de la traite négrière et cela fait partie de notre patrimoine.  Sur la souffrance de nos peuples s’est construite la fortune de maintes nations du monde riche.  Les séquelles racistes persistent dans de nombreuses régions et le racisme et l’exclusion hérités du passé ne peuvent disparaître que si elles deviennent une cause d’Etat et une cause politique.  Le phénomène raciste touche beaucoup de peuples sous toutes les latitudes et exige une mobilisation de tous tournés vers les valeurs universelles de tolérance, de démocratie et de dignité humaine et aussi de respect des minorités.  Je souhaiterais citer ici Amilcar Cabral qui a écrit, à propos de notre pays, que «les peuples de Guinée et des îles du Cap-Vert ont donné une contribution anonyme au monde lors de l’esclavage». 


M. YOWERI KAGUTA MUSEVENI, Président de l’Ouganda : Le racisme est une notion absurde puisque tous les êtres humains proviennent du continent africain à partir duquel ils ont ensuite émigré vers les autres continents.  Il est ironique que certains viennent maintenant nous narguer en nous disant que nous sommes inférieurs alors que nous fûmes les premiers sur Terre et que tous les êtres humains sont nos descendants.  Le racisme n’est donc qu’une vision obscurantiste qui ne sert qu’à masquer l’exploitation.


M. YASSER ARAFAT, Président du Comité exécutif de l’Autorité palestinienne : La Conférence mondiale marquera un tournant historique dans la lutte contre le racisme et la discrimination.  Les attaques perpétrées contre le peuple palestinien que l’on prive de ses terres sont la manifestation flagrante d’une conspiration colonialiste d’agression.  Le Gouvernement d’Israël a usurpé les droits et ressources des Palestiniens et a fait de la majorité de la population des réfugiés qui ne peuvent exercer leur droit au retour. 


Un siège est imposé au peuple palestinien sur le plan social et économique.  Le peuple palestinien résiste chaque jour à l’intervention militaire dirigée par le Premier Ministre Ariel Sharon et à la construction de colonies de peuplement dans les territoires qui lui appartiennent.  L’agression menée par le Gouvernement israélien contre le peuple palestinien vise seulement à perpétuer l’occupation sur les terres palestiniennes.  L’objectif de sécurité invoqué par Israël est sans fondement.  Le peuple palestinien veut une paix juste et durable.  Cette paix est tout aussi indispensable pour tous les pays de la région. 


M. PAUL KAGAME, Président de la République rwandaise : Cette Conférence revêt une importance particulière pour le Rwanda et la région des Grands Lacs.  Nous connaissons l’horreur et la destruction que peut causer le racisme et les difficultés de se relever de tels préjudices.  Nous savons que la paix et la stabilité futures dépendent de notre capacité de faire progresser les valeurs de tolérance.  Cette Conférence a lieu dans un pays symbolique, dans une Afrique du Sud, qui est arrivée à trouver des solutions aux problèmes du racisme après des décennies d’apartheid.  Je pense que le Président de l’Ouganda a clairement démontré que le racisme est un fait absurde mais je tiens à signaler qu’il constitue néanmoins une menace persistante dans le monde où nous vivons alors nous devons unir nos efforts pour faire en sorte que le racisme ne coûte plus la vie à des millions de personnes innocentes.  Certains pensent encore que des êtres humains sont supérieurs aux autres parce qu’ils n’ont pas la même couleur.  Supposons qu’il soit vrai que les gens qui ont une peau blanche soient plus importants et plus intelligents que ceux qui ont la peau noire! ce qui est évidemment faux.  Est-ce pour autant une raison pour les priver de leurs droits?  Cela est inacceptable et personne ne peut s’attaquer au caractère sacré de la dignité humaine. 


Au Rwanda, par exemple, en 1994, nous avons connu un génocide qui, en trois mois, a coûté la vie à 1 million de personnes.  Ce génocide est le résultat de théories et mythes, dont certains ont été introduits par le colonisateur qui soutenait que certains Rwandais venaient d’Abyssinie, d’autres du Cameroun tandis que d’autres auraient été au Rwanda bien avant.  En 1994, les responsables Hutus qui ont été à l’origine du génocide et ont encouragé au massacre des Tutsis parce que soit disant ils étaient arrivés après eux ont oublié, si l’on s’en tient à leur théorie, qu’eux-mêmes sont arrivés après les Twa, qui sont la troisième composante de notre population.  Une autre théorie développée par le colonisateur distinguait les Rwandais entre deux groupes, identifiant ceux qui étaient plus intelligents que les autres en se basant sur la morphologie, la forme du crâne, la couleur de la peau, la taille et étaient donc faits pour dominer.  Cette théorie visait surtout à légitimer le fait que les Blancs étaient plus intelligents que tous les autres et à servir leur domination.  Certes il peut y avoir des différences entre les groupes mais aucun groupe n’a pour autant le droit de discriminer ou de persécuter un autre groupe.  Nous devons saisir l’occasion de cette Conférence mondiale pour agir de concert et lutter contre les injustices et la discrimination raciale.


M. FIDEL CASTRO, Président de Cuba : Je suis plein d’admiration face aux nombreuses idées qui viennent d’être exprimées.  Je rejoins en particulier ce qu’a dit le Président de l’Ouganda au sujet de la base scientifique du racisme et il est vrai qu’au départ, l’être humain est parti de l’Afrique.  Il semblerait que l’on oublie parfois que le colonialisme n’a pas sévi qu’en Afrique sub-saharienne.  Les pays arabes, par exemple, ont aussi été colonisés durant l’époque moderne.  Chacun sait que Napoléon est allé jusqu’en Egypte et que la civilisation nord-africaine existait depuis des millénaires, bien avant que l’Europe ne soit traversée par des barbares ne sachant ni lire ni écrire et alors même que les Egyptiens envoyaient sur ce continent des maîtres en alphabétisation.  De l’autre côté de l’Atlantique, nombre de peuples ont aussi été colonisés et anéantis, comme en témoignent les exemples des esquimaux de l’Alaska et du Groenland qui ont été «civilisés» à fort renfort d’alcool. 


Selon la terminologie consacrée, l’Asie aurait été découverte - avant d’être conquise et colonisée - comme si les peuples d’Asie, tout comme d’ailleurs les Indiens d’Amérique, n’existaient pas avant qu’on les découvre.  Lorsque l’on a plus tardivement «découvert» les Japonais, c’est à coups de canons que leur fut imposé le néolibéralisme en vigueur à l’époque.  Il n’est pas possible d’analyser le phénomène du racisme en faisant l’impasse sur les conquêtes, sur le colonialisme et sur l’exploitation des plus faibles par les plus puissants. 


Depuis quelques temps, a été décryptée la carte du génome humain qui atteste qu’il n’existe aucune différence entre les êtres humains.  Cette découverte corrobore les informations scientifiques selon lesquelles nous provenons tous du même arbre et de la même région.  Pour ce qui est de l’intelligence, il convient de rappeler qu’elle peut s’exprimer et se manifester de différentes manières.  La science a par ailleurs prouvé que la couleur de la peau provient de rayons ultra-violets et étant donné que la couche d’ozone est en train de disparaître, il est probable que nous allons tous devenir noirs.  


Depuis 1975, des millions de médicaments ont été conçus à travers le monde dont seuls treize concernent des maladies qui affectent les pays du tiers monde.  Dans mon pays, nous avons eu la chance d’agir en toute liberté pour réduire la mortalité infantile ainsi que d’autres maladies et ce, en dépit de l’embargo dont ce pays fait l’objet.  On ne peut aborder les questions à l’ordre du jour de la présente conférence sans traiter des questions relatives aux conquêtes, à la colonisation, à l’esclavage et au pillage dont nos peuples sont victimes car tous ces phénomènes sont indissociables.  L’heure a sonné pour que l’on analyse les problèmes dans le but de sensibiliser chacun aux questions en jeu.  Je ne nourris aucun ressentiment à l’égard de quelque peuple que ce soit.  Il est simplement impossible d’admettre que ce qui nous attend dorénavant puisse être pire que ce qui s’est déjà produit.


M. DIDJOB DIVUNGI DI NDINGE, Vice-Président du Gabon : Nous avons une mémoire qui nous permette de qualifier de manière claire le racisme et la discrimination raciale telles qu’ils ont été pratiqués tout au long de l’histoire, notamment l’esclavage et la traite des êtres humains.  Il nous faut comprendre les véritables phénomènes mutants qui ne sont pas seulement connus de certains pays mais s’étendent à un grand nombre d’autres.  Il incombe aux gouvernements participant à la Conférence de faire preuve de responsabilités pour vaincre les problèmes figurant à l’ordre du jour.


M. ABDELAZIZ BOUTEFLIKA, Président de l’Algérie : Dans leur quête d’émancipation, dans leur quête de développement, les peuples du monde se sont toujours concertés.  Par conséquent, cette Conférence n’est ni un début, ni une fin, mais bien un jalon dans la construction de l’humanité.  Au-delà des résultats auxquels peut parvenir cette conférence, il est important de souligner que ses avancées seront essentielles pour un monde si cruellement divisé.  Un monde divisé par les pratiques coloniales et esclavagistes du passé, un monde divisé par la persistance des séquelles du passé qui compromettent notre présent.  Un présent où le droit cynique du plus fort continue d’opprimer le droit du plus juste, en particulier en Palestine.  Un présent qui condamne les plus pauvres à la misère tandis que les plus riches accumulent toujours plus de richesse. 


Cette Conférence est un cadre privilégié pour mettre fin aux injustices et prendre en compte la multitude des inégalités d’aujourd’hui et répondre aux séquelles du passé.  Certes, l’esclavage et la traite des noirs ont été abolis, le colonialisme a abdiqué, le nazisme s’est effondré.  Certes, dans ce pays après des décennies de lutte, l’apartheid cédait à la voix de la justice grâce au combat mené par les leaders historiques de l’ANC tels que Oliver Tambo, Walter Sisulu, Nelson Mandela et Govan Mbeki que Dieu vient de rappeler à lui mais dont la lutte reste dans nos mémoires.  Ils nous faut en effet saluer ici tous ces défenseurs de la dignité humaine, ces combattants, ces penseurs,


ces justes mais il nous faut reconnaître aussi que leur victoire reste incomplète et fragile car certaines plaies restent béantes.  Ces victoires restent fragiles et incomplètes parce que durant des siècles, des pratiques ignobles ont nié l’homme dans ses droits les plus élémentaires et je tiens à rappeler ici que l’esclavage et le colonialisme n’ont jamais été qualifiés pour ce qu’ils ont été en réalité, c’est-à-dire un crime contre l’humanité.  Cette repentance, que sa Sainteté le Pape Jean-Paul II est le seul à avoir exprimé, permettrait de refermer les plaies de l’histoire la plus sombre de l’humanité.  Les séquelles héritées du passé autorisent aujourd’hui la persistance d’injustices flagrantes qui continuent par exemple de priver de leur destin les Palestiniens privés d’un Etat ou comme le peuple du Sahraoui privé de son indépendance. 


La mondialisation pour sa part asservit davantage les pays pauvres et ces larges inégalités qui sont le fruit des injustices du passé s’accompagnent à leur tour d’exodes vers des pays du Nord qui génèrent des réflexes xénophobes.  Cette survivance du racisme et de toutes les formes de xénophobie qui l’accompagnent doivent cesser.  Certes, cette conférence ne doit pas être le lieu d’une confrontation, pas plus que le lieu d’une psychothérapie collective mais elle doit juste nous aider à forger un partenariat, conscient des séquelles du passé et tourné résolument vers l’avenir. 


M. JOZO KRIZANOVIC, Président de la Bosnie-Herzégovine : La lutte persistante des forces démocratiques comme celle qui a prévalu dans un pays comme la Bosnie-Herzégovine a permis de vaincre les discriminations fondées sur la race.  Petit Etat européen victime de graves violations des droits de l’homme, comme le nettoyage ethnique qui a coûté la vie à plus de 100 000 personnes, la Bosnie-Herzégovine s’interroge sur ce qui perpétue ce type de violations dans d’autres régions du monde.  On a pu voir ce que les médias ont pu faire pour sensibiliser le public aux graves violations des droits de l’homme.  Peut-être serait-il utile d’organiser un Forum des médias axé sur ces questions.  Il faudrait prévoir, dans les textes qui seront adoptés par la Conférence, des dispositions sur des mécanismes qui contribueraient à régler la question des personnes disparues et des personnes victimes de préjudices et de discrimination.


M. PASCOAL MANUEL MOCUMBI, Premier Ministre du Mozambique : Il n’existe plus d’Etat dont la Constitution soit fondée sur la discrimination raciale, ce qui ne signifie pas pour autant que la discrimination raciale ait cessé d’exister.  Le racisme est un problème dont l’étude ne doit pas se limiter aux seules perspectives ethniques.  Il convient également de se pencher sur les racines et les causes profondes du phénomène afin d’éviter la résurgence de certains événements qui se sont produits dans le passé. 


La pauvreté est à la base de nombre de manifestations du racisme puisqu’elle engendre non seulement des migrations mais aussi des maladies et nombre d’actes de violence.  Il est donc indispensable de lutter contre la pauvreté, mais nous manquons de ressources à cette fin.  D’une manière générale, il convient de veiller à ce que les phénomènes de discrimination et de marginalisation ne se généralisent pas.  En tant qu’Africains, nous devons en outre reconnaître la nécessité de procéder à un certain nombre de changements, notamment au niveau culturel.  Nous avons par exemple tous grandi en nous entendant dire que les hommes sont supérieurs aux femmes.  Ce qui a été fait à l’encontre des populations africaines ne doit en aucun cas se reproduire.


M. DENIS SASSOU NGUESSO, Président de la République du Congo : Lors du Sommet du Millénaire tenu en septembre dernier à New York, j’avais demandé que la traite négrière soit considérée comme crime contre l’humanité non pas pour demander une quelconque réparation mais plutôt pour que l’on se souvienne du déplacement forcé de milliers de personnes vers d’autres continents dans le but


de profiter à l’économie des pays destinataires.  En faisant abstraction de réparation, je pensais que les pays et peuples qui ont profité des ressources humaines venues d’Afrique réagiraient et adopteraient des mesures pour soutenir les peuples d’Afrique qui, aujourd’hui, luttent et adoptent des mesures vigoureuses pour corriger les erreurs du passé.  Il serait vain de continuer de nier la traite des nègres et l’esclavage.  La Conférence doit donc se prononcer en faveur d’un véritable pacte en faveur de l’Afrique en parlant de justice et non plus de réparation.


Échanges de vues


Un jeune étudiant du Canada a mis l’accent sur le rôle joué par les jeunes dans la lutte contre le racisme.


La Jamahiriya arabe libyenne a rendu hommage au combat mené par le peuple sud-africain ainsi qu’à tous les dirigeants qui ont su maintenir de solides liens d’amitié avec la Libye.  La Libye se réjouit de la création récente de l’Union africaine.  Elle se dit préoccupée par l’islamophobie que l’on constate dans certains médias ainsi que par l’image des Africains, caricaturés en barbares, qui se dégage de certains films.  L’Islam est une religion tolérante alors que certains médias s’efforcent d’alimenter à son encontre des préjugés négatifs.


Le Népal a souligné que si les sociétés humaines se rapprochent de plus en plus, les comportements de l’être humain ne sont pas toujours à la hauteur de la rapidité des changements enregistrés, comme en témoigne l’insuffisance de notre capacité de changer la société humaine en société pacifique.


L’Espagne, dont le délégué s’est identifié comme gitan, a rappelé que la communauté rom compte douze millions de membres à travers le monde.  Ce sont 500 000 Roms d’Europe qui ont été exterminés durant la Seconde Guerre mondiale et des centaines de milliers de Roms ont dû fuir l’ex-Yougoslavie en raison de la haine et du nettoyage ethnique qui les visaient dans ce pays, a-t-il été rappelé.


A la Jamaïque qui préconisait l’audition des organisations non gouvernementales (ONG) durant la présente table ronde, le Président de cette réunion a rappelé que cet échange de vues n’était absolument pas fermé aux ONG comme en témoigne la suite de la liste des orateurs.


Poursuivant, la représentante de la Women’s International League for Peace and Freedom, organisation non gouvernementale des Etats-Unis, a souligné que le colonialisme et l’esclavage constituent des crimes internationaux et figurent dans les textes qui seront adoptés par la Conférence.  Ces graves violations des droits de l’homme doivent être reconnues et donner lieu à réparation.  Son ONG demande à ce que la question de la réparation soit confiée au Comité de rédaction afin qu’elle figure dans le programme d’action et dans la déclaration finale de la Conférence. Pour sa part, le représentant de la Palestine Law Society a rappelé qu’en Israël, les Arabes israéliens continuent d’être considérés comme des citoyens de seconde classe et qu’un régime d’apartheid est en train d’être installé en Palestine.  Les Palestiniens ne peuvent pas se déplacer librement pour se rendre à leur travail ou vaquer à toute activité quotidienne.  Nous ne sommes pas antisémites mais simplement opposés à ceux qui s’arrogent le droit de faire des victimes.  La construction de colonies de peuplement constitue une occupation coloniale étrangère sur les territoires palestiniens. 


Intervenant à son tour, le représentant de la National Campaign on Dalit Human Rights a évoqué le cas d’un jeune couple appartenant à des castes différentes qui souhaitait se marier alors que les familles respectives s’y opposaient.  Le système des castes dans les pays d’Asie du Sud-Est, qui a été considéré comme une forme d’apartheid pendant  très longtemps, vient enfin d’être aboli du moins par la législation indienne.


La représentante des Philippines a demandé s’il est possible d’obtenir un compte rendu des suggestions et commentaires formulées dans le cadre de la table ronde.


La Convention internationale sur les travailleurs migrants et leurs familles, adoptée en 1990, exige encore une vingtaine de ratifications pour entrer en vigueur, a rappelé le représentant du Mexique, tout en soulignant son importance cruciale.  Faisant remarquer qu’une île de son pays continue de subir le colonialisme, le représentant des Comores a demandé si la communauté internationale était prête à aider les pays colonisés à retrouver leurs terres. 


S’agissant du rôle de la jeunesse dans la lutte contre le racisme, la Présidente de la Lettonie a dit espérer que la jeunesse sera désormais différente de la jeunesse antérieure et aboutira dans ses efforts pour vaincre l’esprit de haine qui a trop souvent prévalu jusqu’à présent.  Le Président de Cuba a souligné qu’il est essentiel de former et d’éduquer les jeunes car c’est précisément dans le domaine de l’éducation que les préjugés et les phénomènes de racisme et d’intolérance sont enseignés.  Il existe 64 bantoustans en Palestine, a rappelé M. Fidel Castro, faisant observer que ce qui se passe dans ces bantoustans est pire que ce qui s’est passé ici, en Afrique du Sud.


En ce qui concerne la question des castes, une conférence telle que cette troisième Conférence mondiale contre le racisme ne saurait faire l’impasse sur un tel problème, a poursuivi le Président cubain.  Il s’est par ailleurs dit sensible aux propos tenus par le délégué gitan de l’Espagne qui a rappelé le génocide dont a été victime le peuple rom.


Pour ce qui est des questions relatives aux travailleurs migrants, le Président cubain a indiqué ne pas savoir si son pays a signé la Convention internationale sur les droits des travailleurs migrants et des membres de leurs familles.  Il a assuré que son pays étudierait ce traité.  Il est fort possible que Cuba soit le 17ème pays à accéder à cet instrument, a ajouté le Président cubain.  Il a attiré l’attention sur le sort des Mexicains qui perdent la vie en tentant de franchir la frontière nord de leur pays.  Le nombre de personnes qui ont succombé en tentant de franchir cette frontière entre le Mexique et les Etats-Unis est d’ores et déjà supérieur au nombre de victimes tombées au mur de Berlin.


Le Président sud-africain, qui présidait la table ronde, a souligné que par manque de temps, il n’est pas possible de répondre à ceux qui ont abordé des questions telles que celles soulevées par les Comores, celle de la Palestine ou encore celle des Dalits.  A la suite de cet échange de vues, la plupart des intervenants se sont accordés pour reconnaître que le racisme n’a aucun fondement philosophique ou scientifique et n’est qu’un instrument utilisé pour opprimer et exploiter autrui. 


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