En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/7570

LE SECRETAIRE GENERAL DES NATIONS UNIES S'ADRESSE AU COMITE EXECUTIF DU HAUT COMMISSARIAT POUR LES REFUGIES

2 octobre 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7570


LE SECRETAIRE GENERAL DES NATIONS UNIES S'ADRESSE AU COMITE EXECUTIF DU HAUT COMMISSARIAT POUR LES REFUGIES

20001002

Il salue le travail du HCR au cours de dix années de défis redoutables qui ont vu les populations civiles devenir à la fois une arme et une cible dans les conflits

Le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, a fait aujourd'hui la déclaration suivante à la cinquante et unième session du Comité exécutif du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, en présence de la Haut- Commissaire, Mme Sadako Ogata:

«Je tiens tout d'abord à vous remercier, Sadako, de la déclaration que vous venez de faire car elle est de celles qui touchent les coeurs tout en stimulant les esprits. Vous y avez soulevé plusieurs questions d'importance, qui seront, je l'espère, examinées avec le plus grand sérieux par le système des Nations Unies comme par les États Membres.

Je voudrais aussi prêter ma voix aux millions de déshérités qui, de par le monde, vous sont reconnaissants du dévouement héroïque avec lequel vous avez servi leur cause pendant 10 ans.

Au cours de ces dix années, les défis n'ont certes pas manqué et ils ont été redoutables. Nous avons vu changer la nature même des conflits et les populations civiles devenir à la fois une arme et une cible pour les belligérants.

Dans plusieurs endroits de la planète, des dirigeants politiques, s'appuyant sur divers sentiments d'appartenance identitaire - linguistique, religieuse ou culturelle - ont dressé les uns contre les autres des groupes de population, qui en sont venus à se craindre et à se haïr.

Ainsi, la crainte et la haine prennent de nouveau racine. Et une fois qu'elles prennent racine, ceux qui ont la «mauvaise» identité sont perçus comme un problème, voire un péril mortel. C'est ainsi que les populations sont déplacées non plus au gré des aléas de la guerre, mais délibérément, avec une brutalité savamment calculée.

C'est le scénario auquel nous avons assisté dans l'ex-Yougoslavie, dans certaines parties de l'ex-Union soviétique et dans la région des Grands Lacs, en Afrique.

Ailleurs, où l'ethnicité ne joue pas un rôle prépondérant, les conflits sont en partie une séquelle du colonialisme ou de l'occupation étrangère et en partie le résultat des rancoeurs et des convoitises qui ne manquent pas de s'accumuler quand la gestion économique d'un pays est livrée à l'incurie d'un gouvernement faible et corrompu. Et cela est peut-être d'autant plus vrai pour les pays qui, tout en étant désespérément pauvres, regorgent de ressources naturelles prêtes à être exploitées.

Dans tous ces conflits, où l'on se bat surtout à l'arme légère, les batailles rangées entre armées adverses sont l'exception. Les seigneurs de la guerre ont plus à gagner, tant sur le plan politique que sur le plan économique, en semant la terreur parmi la population civile.

Dans un tel contexte, il devient pratiquement impossible de gagner sa vie honnêtement. Les options « raisonnables » se réduisent bientôt à deux.

Pour les jeunes et les bien-portants, la guerre est la seule activité économique envisageable. Les autres prennent la fuite, s'ils le peuvent.

Leur fuite les emmène parfois au-delà des frontières nationales mais ce n'est pas toujours le cas. Pour ceux qui fuient, cela ne fait guère de différence; il arrive d'ailleurs qu'ils ne sachent pas très bien dans quel pays ils sont lorsqu'ils trouvent enfin asile.

Les réfugiés de l'intérieur ont tout aussi désespérément besoin de protection et de secours que les autres. Ceux qui se réfugient à l'étranger sont parfois accueillis par des populations dont le sort est encore moins enviable que le leur, puisqu'elles ne bénéficient pas des programmes d'assistance réservés aux réfugiés.

À pareille époque, ma chère Sadako, comment s'étonner que le Haut- Commissariat pour les réfugiés ait dû relever des défis sans précédent, tant par leur ampleur que par leur nature?

Le HCR a été créé voilà 50 ans pour garantir à ceux que les persécutions chassaient de leur pays la protection juridique à laquelle ils avaient droit. Aujourd'hui, il mène aux quatre coins de la planète une action humanitaire dont le fil conducteur est certes la détresse mais aussi la solidarité humaine. Il s'occupe d'une population dont la taille est beaucoup plus importante que celle de bon nombre de nos États Membres.

Or, le HCR est censé s'acquitter de sa mission sans pouvoir souverain ni budget ordinaire.

Vous êtes censés, sans recourir aux armes, maintenir l'ordre dans des camps qui servent souvent de base à des mouvements de résistance violents, obnubilés par le retour ou la vengeance.

Vous êtes aussi censés assurer à des millions de personnes, sinon la pleine protection d'un État-providence, du moins des services sociaux minimum, et financer cette action grâce aux contributions volontaires des États, dont les ressources font l'objet de bien d'autres sollicitations.

On vous accuse parfois de faire la besogne des nettoyeurs ethniques. C'est le cas lorsque votre mandat vous prescrit de procurer un havre et des moyens de transport sûrs à ceux qui sont exposés aux massacres et aux viols en restant sur place.

À d'autres moments, on vous accuse de pratiquer un légalisme étroit. C'est le cas lorsque votre mandat ne vous autorise pas à offrir la même protection aux déplacés qu'à ceux que le droit international qualifie de réfugiés.

Et lorsque vous recevez explicitement pour mandat de venir en aide aux déplacés, cette responsabilité est rarement assortie des moyens correspondants.

Cette question mérite plus ample réflexion mais, surtout, elle nous impose une action plus énergique, plus efficace et mieux coordonnée.

Francis Deng - que la plupart d'entre vous connaît - a ouvert la voie en élaborant d'excellents principes directeurs. Comme vous le savez, je viens de charger Dennis McNamara d'examiner, en liaison avec le HCR et les organismes apparentés, les moyens de garantir que les déplacés seront traités avec le respect et la dignité qui leurs sont dus.

Mais quelles que soient les solutions envisagées, nous n'échapperons pas à la conclusion à laquelle vous êtes parvenue, Sadako, dans l'intéressant discours que vous avez consacré à la question en juillet dernier. Je vous cite : «Pour améliorer vraiment le sort des déplacés, il faudra un apport de ressources aussi massif que soutenu.»

Trop souvent, quand il s'agit de financer telle ou telle de vos activités, les décisions des gouvernements donateurs sont empreintes d'arrière-pensées politiques. On use, ou plutôt on abuse, de votre travail humanitaire, dont on fait le substitut de l'action politique nécessaire pour s'attaquer aux causes profondes des exodes.

Vous êtes devenus un des éléments d'une stratégie d'endiguement, par laquelle les pays les plus puissants et les plus nantis cherchent à tenir à distance les problèmes des déshérités.

Comment expliquer, sinon, la disparité existant entre la relative générosité avec laquelle le monde prospère vient en aide aux pays proches de ses frontières et les secours bien plus chiches qu'il réserve aux populations en détresse dans des contrées plus lointaines comme l'Asie ou l'Afrique?

Comment expliquer, sinon, le contraste existant entre l'abnégation attendue des pays pauvres lorsque, par centaines de milliers, des réfugiés traversent leurs frontières et les précautions prises pour garantir que les demandeurs d'asile soient aussi peu nombreux que possible à atteindre les pays riches ?

Bon nombre de ces défis, Sadako, il nous a fallu les relever ensemble.

Nous avons appris ensemble, à la dure école de la Yougoslavie et des Grands Lacs, qu'il est parfois impossible de maintenir la paix et de soulager la souffrance, sans armes et sans la volonté de faire pièce aux fauteurs de guerre.

Plus récemment, depuis que j'occupe les fonctions de Secrétaire général, nous avons lutté côte à côte dans bien des combats.

Nous avons travaillé ensemble pour rendre le système des Nations Unies plus cohérent; pour rappeler aux États Membres que les mandats qu'ils nous confèrent doivent être assortis des ressources et de la volonté politique congrues; et pour établir de nouveaux partenariats avec la société civile et le secteur privé.

Nous ne pouvons hélas prétendre avoir gagné sur tous les fronts. Notre échec le plus cuisant est sans doute de ne pas avoir été capables de garantir la sécurité de nos collègues sur le terrain. En fait, nous en sommes probablement moins capables aujourd'hui qu'il y a 10 ans.

J'espère et je veux croire que les États Membres ont compris la gravité de la situation, qu'ils l'ont comprise littéralement au plus haut niveau, puisqu'une coïncidence tragique a voulu que le meurtre des trois membres du HCR au Timor oriental survienne le jour même de l'ouverture du Sommet du Millénaire à New York. Ce jour-là, je ne connaissais pas encore le nom des victimes. Mais le fait est que, le jour où ils sont morts, Samson Aregahegn, Carlos Caceres et Pero Simundza ont reçu l'hommage de 147 chefs d'État et de gouvernement et de 42 hauts représentants qui, à l'annonce de la terrible nouvelle, se sont levés et ont observé une minute de silence.

Moins de deux semaines plus tard, un autre de nos collègues, Mensah Kpognon, a été tué au cours d'une attaque en Guinée.

Ceux qui sont morts, vos collègues et les miens, étaient des civils et ne portaient pas d'arme. Mais, comme de n'importe quel soldat mort au front, on peut dire qu'ils sont tombés au champ d'honneur, en sacrifiant leur vie au service de leurs semblables.

Il y a eu beaucoup trop de morts. Nous nous devons, dans tout le système, que nous soyons membres du personnel ou États Membres, de faire en sorte que nos collègues courent moins de risques à l'avenir.

La dette que nous avons envers Sadako est énorme, et nous avons tellement pris l'habitude de travailler avec elle qu'elle sera extrêmement difficile à remplacer.

Heureusement, plusieurs excellents candidats ont déjà été pressentis pour assurer sa succession, et j'espère pouvoir faire une recommandation à l'Assemblée générale dans un mois.

Aujourd'hui et au cours des trois prochains mois, nous serons nombreux à rendre hommage à Sadako. Mais, à mon sens, s'ils sont sincères, ces hommages ne devraient pas se résumer à des mots. Ils devraient se traduire par un soutien actif au HCR et à sa mission. C'est là, je pense, la seule façon de perpétuer l'oeuvre de Sadako.

Il est trois domaines dans lesquels ce soutien est particulièrement nécessaire.

Nous devons tout d'abord renforcer la notion d'asile, socle sur lequel repose notre action en faveur des réfugiés. Il faut que les États résistent à la tentation de régler leurs problèmes d'immigration -- ou ce qu'ils perçoivent comme tels -- en restreignant la protection qu'ils accordent aux réfugiés et en barrant l'accès aux demandeurs d'asile.

Je me félicite de la proposition du HCR de lancer des consultations mondiales au niveau gouvernemental en vue de raffermir le régime de protection et de réaffirmer le caractère central de la Convention de 1951. J'espère que cette proposition sera acceptée et que tous les gouvernements participeront aux consultations de façon constructive.

Il y a ensuite la question du soutien financier, qui demeure cruciale. Des millions de personnes en détresse dépendent du HCR pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. C'est de la communauté internationale que le HCR détient son mandat ; pourtant, c'est la même communauté internationale qui lui dénie les moyens d'accomplir sa mission.

Le HCR a déjà procédé à plusieurs coupes budgétaires, parfois très douloureuses, puisqu'elles l'ont contraint à suspendre ou à interrompre des activités qui revêtent une importance vitale pour les réfugiés. Malgré ces restrictions, le HCR sera encore aux prises avec un grave déficit budgétaire à la fin de l'année.

S'il est un voeu que Sadako voudrait voir exaucé, c'est, j'en suis sûr, de pouvoir léguer à celui ou celle qui lui succédera un système de financement plus efficace et plus prévisible que celui dont elle a dû s'accommoder.

Enfin, j'exhorte à nouveau tous les États à en faire plus pour assurer la sécurité de tous les travailleurs humanitaires qui opèrent sur leur territoire, qu'ils relèvent des organismes des Nations Unies, d'autres organisations ou des organisations non gouvernementales.

De toute évidence, notre travail comportera toujours des risques. Mais comme je l'ai dit au personnel du Siège à New York il y a une semaine, nous devons absolument changer ce qui peut l'être. Je vais présenter très prochainement à l'Assemblée générale un rapport sur les modifications à apporter à notre conception de la sécurité du personnel, qu'il s'agisse du nombre des effectifs, de la formation qu'ils reçoivent, des services qu'ils rendent, de l'équipement qu'ils utilisent et, plus important encore, des décisions qui déterminent où et quand ils seront déployés.

Tout cela coûtera bien sûr de l'argent. Mais la sécurité n'est ni un luxe ni une option.

Permettez-moi d'ajouter quelque chose : nos collègues au Timor oriental n'ont pas été tués par accident. Ce ne sont pas de simples victimes des risques inhérents au travail de terrain. Tout comme les fonctionnaires du Programme alimentaire mondial et de l'UNICEF qui ont été tués au Burundi l'année dernière, ils ont été délibérément pris pour cible, précisément parce qu'ils étaient là pour protéger et aider des populations dans le besoin et non en dépit de ce fait.

Les États Membres doivent s'acquitter de leurs responsabilités non seulement en assurant la sécurité du personnel mais aussi en traduisant en justice ceux qui y portent atteinte. Et c'est bien le moins que ceux qui servent la communauté internationale sont en droit d'attendre».

* *** *

Les communiqués de presse du Service de l'information sont destinés à l'information; ils ne constituent pas des documents officiels.

Ils peuvent être consultés sur le site Internet de l'Office des Nations Unies à Genève : http://www.unog.ch

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.