En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/7565

LE SECRETAIRE GENERAL DEMANDE AUX JURISTES DE HARVARD DE S'ATTACHER A MIEUX FAIRE COMPRENDRE LES AVANTAGES DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE

29 septembre 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7565


LE SECRETAIRE GENERAL DEMANDE AUX JURISTES DE HARVARD DE S’ATTACHER A MIEUX FAIRE COMPRENDRE LES AVANTAGES DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE

20000929

On trouvera ci-après le texte d’une communication faite hier à New York par M. Kofi Annan, à l’occasion du dîner du Conseil de la Harvard Law School :

C’est avec grand plaisir que je me joins à vous ce soir afin de débattre de la primauté du droit dans les relations internationales. Je tiens tout particulièrement à remercier l’Ambassadeur Staehelin d’avoir organisé ce dîner, et lui sais gré de reconnaître l’importance que la primauté du droit revêt dans l’oeuvre de l’Organisation des Nations Unies.

En tant qu’avocats, chercheurs et juges, vous mesurez sans nul doute la valeur du droit interne pour le bon fonctionnement et la stabilité d’un pays quel qu’il soit. Ce que l’on reconnaît mieux aujourd’hui, me semble-t-il, c’est l’importance de la primauté du droit dans notre village planétaire, à une époque où les échanges ignorent de plus en plus superbement les frontières nationales. Quelles règles et normes devraient réglementer les échanges internationaux? Comment ceux- ci peuvent-ils gagner en ampleur et s’intensifier? Comment le droit peut-il aider à faire en sorte qu’ils se déroulent en bon ordre et de façon productive pour le bien de tous?

Ce sont là des question qui se posent à l’ONU chaque jour, et qui méritent toute votre attention. De même que les autres grandes facultés de droit, la Harvard Law School peut jouer un rôle primordial, non seulement en invitant les étudiants à y réfléchir, mais aussi en s’attachant à mieux faire comprendre l’importance que revêt la primauté du droit sur la scène internationale.

Les États-Unis, qui jouissent actuellement d’une période de prospérité et de puissance telle que certains de leurs citoyens en viennent à mettre en doute l’utilité même d’un droit international, se doivent en tout état de cause de donner l’exemple à cet égard. Comme vous le savez en effet, cette puissance et cette prospérité reposent sur des bases juridiques. Il en va de même, vous le savez aussi, pour la prospérité et le progrès dans le monde.

Ces 10 dernières années, l’ONU a pris des mesures décisives pour faire concrètement et efficacement appliquer le droit international. C’est dans le domaine du droit pénal international que l’évolution est la plus marquée. Il existe aujourd’hui une multiplicité de normes et d’institutions internationales ayant pour fonction de protéger et promouvoir les droits de l’individu. En outre, le droit international jouera également un rôle décisif dans l’élaboration du cadre universel indispensable pour que la mondialisation devienne, comme nous le souhaitons tous, un moteur de progrès et de prospérité à l’échelon planétaire.

À dire vrai, le commerce, les services et l’investissement ne peuvent franchir les frontières nationales que si le droit les franchit également. La condition sine qua non à remplir pour ce faire est que le commerçant et l’investisseur sachent que leurs droits de propriété seront respectés, que les contrats seront honorés, et qu’en cas de litige une méthode de règlement préétablie sera suivie. Dans une économie mondiale, il est d’importance primordiale que des règles simples et claires soient connues de tous et appliquées par tous. Voilà qui constitue aujourd’hui une vérité d’évidence dans le monde des affaires.

Ce que l’on sait moins bien, cependant, c’est que des règles applicables en l’espèce existent dans bien des cas déjà, de même que les institutions nécessaires pour les faire prévaloir. Ce que l’on ignore davantage encore, c’est que nombre de ces règles et institutions ressortissent au système des Nations Unies. Permettez-moi de vous en donner quelques exemples :

– Les bateaux qui sillonnent les mers et les détroits internationaux sont protégés par des règles énoncées dans les conventions de l’ONU.

– Partout dans le monde, marques et brevets son enregistrés par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

– L’Organisation mondiale de la santé établit des critères de qualité pour l’industrie pharmaceutique du monde entier, et uniformise les noms de médicaments.

La prestation de ces services dont beaucoup d’entre nous n’ont même pas conscience n’est possible, pourtant, que grâce à une trame serrée de conventions et de règles internationales. Plus l’espace économique s’unifiera, plus ces règles nous seront nécessaires.

Et ces règles doivent être l’expression de valeurs communes. En dernier ressort, ce sont les valeurs communes qui assurent la cohésion d’une société, et c’est d’une société mondiale qu’il est réellement question ici. En outre, une société doit avoir une langue. La langue de la société mondiale, c’est le droit international. Il va de soi que cette société n’est pas complètement uniforme, et ne doit pas l’être. La merveilleuse diversité des cultures est d’une valeur inestimable en soi, et constitue la principale source du dynamisme humain. Préservons-la soigneusement. Pour que différentes traditions puissent coexister en paix, il faut cependant qu’elles partagent certaines valeurs, un fond d’humanité commun. Nulle part notre défense de cette humanité commune n’importe autant que dans la lutte contre l’impunité du génocide et des crimes contre l’humanité.

Comme nous le savons, le XXe siècle a été celui d’horreurs inqualifiables, commises à une échelle précédemment inconcevable. Ce ne sont pourtant pas les règles qui nous ont fait défaut. Au fil des cent dernières années, les États ont mis sur pied un vaste ensemble d’instruments juridiques internationaux visant à prévenir les atrocités et les crimes contre l’humanité. C’est la volonté de faire respecter ces textes qui a par trop souvent manqué. De graves violations du droit international humanitaire sont restées impunies, ce dont certains ont forcément conclu à la possibilité de l’impunité.

La décision que le Conseil de sécurité a prise en 1993 de créer un tribunal international contre les crimes de guerre commis dans l’ex-Yougoslavie depuis 1991 a bouclé le lamentable bilan de l’inaction. Face à des actes d’une sauvagerie inimaginable, dignes des pages les plus sombres de l’histoire de l’humanité, pour reprendre le constat d’un juge de grande renommée, le Conseil de sécurité a pris les mesures nécessaires afin de poursuivre en justice ceux qui violent les règles du droit international humanitaire. Un an plus tard, le Conseil a créé un autre tribunal pénal international, chargé, celui-là, de juger les responsables du génocide rwandais.

L’un et l’autre pleinement opérationnels, le Tribunal international pour l’ex- Yougoslavie et le Tribunal international pour le Rwanda rendent des jugements, examinent les recours et administrent un régime de droit pénal international dont ils s’emploient à assurer l’application. Si les peuples du monde exigent aujourd’hui que soient respectées les valeurs fondamentales d’humanité et de primauté du droit dans le règlement des conflits armés, c’est dans une large mesure grâce à l’action que mènent ces deux tribunaux. Ce qui continue cependant de faire trop souvent défaut, c’est la volonté que devraient avoir les États Membres d’arrêter les personnes mises en accusation et de les traduire en justice.

L’oeuvre de ces deux tribunaux a également joué dans l’initiative que les États Membres ont prise en mettant sur pied un projet historique : la création d’une Cour pénale internationale permanente. Cent douze États ont maintenant signé le Statut, qui entrera en vigueur lorsque 60 États l’auront ratifié. On compte d’ores et déjà 20 ratifications.

Je reconnais que certains gouvernements demeurent circonspects face à cette entreprise. Cela étant, je suis convaincu que leur scepticisme ne provient pas d’un quelconque désaccord sur la nécessité de faire respecter le droit international humanitaire, ni d’une opposition de principe à la notion selon laquelle il importe de juger et punir ceux qui se sont rendus coupables de certains des crimes les plus abominables connus de l’humanité.

J’encourage ceux qui, comme vous, ont dédié leur vie à la cause de la primauté du droit, à s’efforcer de mieux faire comprendre à leurs concitoyens le rôle que joue le droit international humanitaire, et en particulier l’intérêt qu’une Cour internationale de justice présenterait pour tous. Je suis en effet fermement convaincu que les États qui ne respectent pas le droit international se condamnent eux-mêmes à subir la loi de la jungle. Voilà qui ne saurait être dans l’intérêt de la puissance même la plus grande du monde, car le pouvoir a ses limites, tant dans l’espace que dans le temps. Je tiens qu’une démocratie séculaire, si fermement attachée à la primauté du droit sur le plan national, aurait moins intérêt encore à agir de la sorte.

L’influence prédominante que la plus grande démocratie du monde exerce dans l’ordre international contemporain devrait être considérée comme un atout majeur pour l’humanité, de même que pour les citoyens américains eux-mêmes, alors que s’offre la possibilité d’établir la primauté du droit à l’échelle de la planète. La Harvard Law School et l’Assemblée que vous constituez vous-mêmes aujourd’hui peuvent nous aider de façon décisive à saisir cette occasion. Je suivrai avec intérêt la progression de vos travaux dans les années à venir.

* *** *

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.