En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/7485

LES AFRICAINS ONT BESOIN DU RESTE DU MONDE MAIS ILS ONT EGALEMENT BEAUCOUP A LUI OFFRIR

10 juillet 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7485
AFR/253


LES AFRICAINS ONT BESOIN DU RESTE DU MONDE MAIS ILS ONT EGALEMENT BEAUCOUP A LUI OFFRIR

20000710

Vous trouverez, ci-joint, le texte du discours du Secrétaire général, M. Kofi Annan, à l’occasion du Sommet annuel des Chefs d’Etat et le gouvernement de l’Organisation de l’unité africaine.

Permettez-moi tout d'abord de joindre ma voix à celle de tous ceux qui ont remercié le peuple et le Gouvernement du Togo pour leur généreuse hospitalité.

Laissez-moi aussi remercier votre Organisation pour son engagement constant aux côtés des Nations Unies.

C'est un grand honneur pour moi de m'adresser à nouveau à votre Assemblée. Je suis pleinement conscient de le faire à deux titres : en qualité de Secrétaire général des Nations Unies, bien sûr, mais aussi en tant qu'Africain.

Depuis ma nomination comme Secrétaire général, je n'ai cessé de plaider dans le monde en faveur d'un soutien à l'Afrique.

J'ai mis l'accent, en particulier, sur l'obligation qu'ont les pays industrialisés de veiller à ce que l'Afrique puisse soutenir la concurrence qui s'exerce dans la nouvelle économie mondiale sur un pied d'égalité avec les autres régions en développement :

• En ouvrant leurs marchés aux produits africains;

• En mettant fin aux subventions aux exportations qui mènent les agriculteurs africains à la faillite;

• En inversant la tendance honteuse à la diminution de l'aide publique au développement;

• En annulant les dettes, de façon à ce que les gouvernements des pays africains n'aient plus à en assurer le service et à les rembourser aux dépens de la santé et de l'éducation de leurs peuples.

Je n'ai malheureusement pas été aussi bien entendu que je ne l'espérais. Sans doute n'ai-je été suffisamment convaincant, mais des difficultés objectives y sont aussi pour quelque chose.

Premièrement, bien des idées erronées circulent au sujet de l'Afrique dans le reste du monde. Le fait est que ce sont toujours les mauvaises nouvelles qui retiennent l'attention. Le fait est que les ressources, qui affluent lorsqu'il s'agit de mettre fin au « nettoyage ethnique » et d'aider les réfugiés en Europe, font défaut lorsqu'il arrive pis encore en Afrique.

Je ressens l'injustice de ces deux poids, deux mesures, au même titre que tout autre Africain. Mais je sais aussi que la sévérité avec laquelle l'Afrique est perçue n'est pas toujours indue. Un trop grand nombre des problèmes du continent sont imputables à l'Afrique elle-même.

Je me suis activement employé à répandre la bonne nouvelle. Mais la rhétorique de la « renaissance » africaine est accueillie avec scepticisme, voire dérision, souvent par les Africains eux-mêmes - en particulier les jeunes, qui voient leurs propres pays reculer.

Mes amis, ayons le courage de faire face à quelques vérités douloureuses :

• L'Afrique est la seule région du monde où les conflits ne sont pas en diminution.

• L'Afrique compte près de la moitié des réfugiés et déplacés du monde.

• L'Afrique, selon le Rapport sur le développement humain de cette année, demeure à la traîne pour ce qui est de la qualité de la vie.

• Et c'est en Afrique que se trouvent encore 33 des 48 pays les moins avancés du monde.

Pour réduire de moitié le nombre de personnes qui vivent dans l'extrême pauvreté d'ici à 2015 - objectif que j'ai suggéré dans mon rapport du millénaire, et que bon nombre jugent trop modeste - il faudrait en Afrique un taux de croissance annuel de 7 ou 8%.

L'impact du VIH/sida rend à lui seul un succès sur ce plan peu plausible, notamment en Afrique australe, où les statistiques sont tout simplement terrifiantes. L'épidémie menace aujourd'hui l'avenir tout entier de cette région. C'est bien pour cela que le Conseil de sécurité de l'ONU a inauguré le millénaire par une réunion portant non pas sur la question des conflits, mais sur celle du sida en Afrique. Et effectivement, cette maladie ne peut être dissociée des autres menaces pesant sur la paix et la sécurité : rien qu'au cours de l'année écoulée, elle a emporté bien plus d'Africains que n'en ont abattu les conflits.

En un mot, les forces économiques qui transforment le reste du monde ne se font guère sentir en Afrique. Seules les ressources naturelles, dont nous disposons en abondance, paraissent intéresser l'économie mondiale. Mais au lieu d'être exploitées au bénéfice de nos peuples, celles-ci ont été si mal gérées et pillées avec tant d'audace qu'elles constituent aujourd'hui la source de tous nos malheurs.

Ce n'est pas là quelque chose que d'autres nous ont fait. C'est quelque chose que nous nous sommes fait à nous-mêmes. Si l'Afrique est délaissée, c'est parce que nous ne sommes pas assez nombreux à défendre des politiques qui favoriseraient le développement et préserveraient la paix. Voilà des décennies que nous gérons mal nos affaires; maintenant, nous subissons les effets cumulés de cette incurie.

Nous ne pouvons nier les faits. Le mieux que nous puissions faire est d'affirmer avec insistance que tout ne va pas mal, que l'Afrique est un continent vaste et divers, où les mauvaises nouvelles n'excluent pas forcément les bonnes.

D'ailleurs, les constats encourageants ne manquent pas.

Le Sénégal, par exemple, a montré qu'un pays d'Afrique peut se protéger contre le VIH/sida grâce à une campagne d'éducation dynamique et bien ciblée. Fait plus encourageant encore, sans doute, l'Ouganda a montré que le taux d'infection peut être réduit, même après que la maladie a pris des proportions épidémiques.

Au sortir d'une longue nuit de ségrégation et d'injustice, l'Afrique du Sud continue de se transformer - de façon plus harmonieuse que quiconque n'osait l'espérer - en une démocratie non raciale.

La démocratie se porte au demeurant fort bien dans nombre de pays d'Afrique. Elle a pris racine au Bénin, au Botswana, à Djibouti et au Sénégal, et se consolide actuellement au Nigéria. Le Zimbabwe aussi est venu nous rappeler avec force l'attachement des Africains au pluralisme, et leur courage à le défendre.

Malheureusement pour nous, même les pays qui pratiquent la bonne gouvernance sont souvent pénalisés par les agissements malencontreux de leurs voisins.

Que pouvons-nous faire pour modifier cet état de choses? Nous devons travailler ensemble pour mieux gouverner, et gérer mieux nos ressources. Comme l'a fait observer l'écrivain sénégalais Hamidou Kane, « le temps des destinées distinctes est révolu ».

Dans bien des domaines, les États d'Afrique s'entraident d'ores et déjà.

La CEDEAO, la SADC et le COMESA sont en train de créer des réseaux sous-régionaux pour le commerce et la coopération. Les pays du bassin du fleuve Sénégal ont décidé de partager leurs ressources limitées en eau de façon à ce que les périodes de sécheresse dans cette région ne causent plus de famines. Et le Traité portant création de la Communauté économique africaine a été signé.

Les dirigeants des pays d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale mettent en place de nouvelles structures de sécurité afin d'aider à régler les conflits dans leur région et d'éviter qu'il n'en éclate de nouveaux. Ces institutions pourront tirer les enseignements de l'expérience si douloureusement acquise par les membres de la CEDEAO, qui ont porté secours au Libéria et à la Sierra Leone.

Le Mali et ses voisins limitent le commerce des petites armes. Les conflits en République centrafricaine, en Guinée-Bissau et au Niger ont été réglés avec l'aide de pays voisins, moyennant des élections multipartites qui ont conduit à des transferts pacifiques du pouvoir. Le Botswana et la Namibie ont réglé leur différend frontalier par l'entremise de la Cour internationale de Justice.

Mais il reste encore beaucoup à faire.

Dans la plus grande partie de l'Afrique, les réseaux de transports et de communication demeurent terriblement limités. Dans ce domaine, la Banque africaine de développement et, bien entendu, la Banque mondiale ont assurément un rôle à jouer.

Le moment est peut-être venu de lier plus étroitement l'économie et la sécurité. L'Union européenne, qui offre probablement l'exemple le plus réussi en matière de prévention des conflits au cours des 50 dernières années, a commencé comme une communauté économique, à savoir une communauté du charbon et de l'acier. Après les ravages de la Deuxième Guerre mondiale, la France et l'Allemagne ont décidé de rendre une autre guerre impossible en gérant conjointement des ressources qui étaient alors le « nerf de la guerre ». Est-il inconcevable que les Africains puissent travailler ensemble dans le même sens? Pourquoi ne pas créer une « Communauté africaine du pétrole et du diamant »?

En tout état de cause, cette organisation, l'OUA, doit jouer le rôle central qu'implique son appellation.

Cette assemblée a déjà fait un grand pas en avant, l'année dernière à Alger, lorsqu'elle a décidé que ceux qui accèdent au pouvoir par des moyens non constitutionnels ne seront plus les bienvenus en son sein. J'attends avec impatience le jour où l'Assemblée générale des Nations Unies adoptera la même position de principe.

Cette année, l'OUA a fait preuve d'une grande persévérance, en s'employant à faire la paix entre deux de ses membres dans la corne de l'Afrique. Nous avons pour cela une dette de reconnaissance spéciale à l'égard du Président Bouteflika.

Nous ne pourrons toutefois pas réaliser grand-chose à travers les institutions internationales si nous ne libérons pas les énergies de nos peuples.

Ceux-ci sont notre plus grande ressource. Ils ne cessent jamais de nous inspirer par leur enthousiasme et leur esprit d'entreprise au milieu des calamités et des privations. Contre toute attente, ils continuent de faire marcher la société grâce à une solidarité sans faille avec leurs familles élargies et leurs communautés et grâce à leur générosité, y compris vis-à-vis des réfugiés et des personnes déplacées. Ils sont un modèle, et un reproche, pour les autres parties du monde, en particulier les plus riches. Ce sont eux qui ont maintenu la paix dans la plus grande partie du continent, et ce malgré tant de privations. Ce sont eux qui se sont libérés des conflits et ont consolidé la paix au Mozambique, en Ouganda, en Afrique du Sud et dans de nombreux autres pays.

Si nous investissons dans les gens, si nous leur donnons l'éducation et la liberté dont ils ont besoin pour choisir leur propre voie, il n'y a rien que nous ne puissions réaliser.

Cela signifie que nous devons surtout investir dans l'éducation.

Au cours de ma dernière visite en Afrique, à l'occasion du Forum mondial sur l'éducation à Dakar, j'ai annoncé une initiative des Nations Unies visant à promouvoir l'éducation des filles. Il s'agit d'un programme mondial mais celui- ci n'est nulle part plus important qu'en Afrique. Les femmes instruites peuvent en effet jouer un rôle décisif dans la recherche de solutions aux problèmes de l'Afrique.

Malheureusement, dans les sociétés africaines où les revenus sont bas et les études coûteuses, l'éducation des filles est souvent sacrifiée. Il vous appartient, Excellences, Mesdames et Messieurs, en tant que dirigeants et guides de vos peuples, de faire entendre votre voix et de changer ces priorités mal définies.

Une fois instruits, les jeunes des deux sexes doivent être pouvoir trouver du travail. Leurs chances seront beaucoup plus élevées si nous pouvons mettre les technologies de l'information à leur portée.

Bien entendu, ces technologies ne pourront à elles seules régler les problèmes de l'Afrique. Mais leurs avantages potentiels, notamment leur capacité d'améliorer les soins de santé et l'éducation, de rendre la gouvernance plus transparente, et d'appuyer l'agriculture et le commerce, deviennent de plus en plus évidents. Je pense qu'elles offrent aux pays africains une chance sans précédent de « sauter » les phases initiales du développement.

Mais l'accès à ces technologies est crucial. Les pays dans lesquels la plupart des habitants n'ont pas accès aux technologies de l'information ne peuvent pas jouer un rôle à part entière dans la nouvelle économie mondiale. Et plus longtemps ils demeureront en dehors de l'économie mondiale, plus il leur sera difficile et coûteux de rattraper le retard.

Le « fossé numérique» doit être comblé avant qu'il ne soit trop tard. Il nous incombe de faire en sorte que d'ici à la fin de 2004, tout agriculteur africain puisse atteindre un point d'accès en une demi-journée, à pied ou en charrette. C'est tout à fait possible comme l'a indiqué un consultant de l'ONU le mois dernier.

J'écris en ce moment aux dirigeants du Groupe des huit pays les plus industrialisés qui vont se réunir au Japon dans quelques jours, pour les presser de prendre l'initiative au niveau mondial sur cette question et de s'engager à y consacrer des ressources importantes. Mais parallèlement, je vous exhorte à faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que vos populations ne ratent pas le coche.

L'Organisation des Nations Unies et la Commission économique pour l'Afrique sont déterminées à apporter leur concours. J'ai déjà annoncé trois initiatives concrètes dans mon rapport du millénaire, toutes soutenues par des ressources considérables du secteur privé. Les grandes sociétés internationales de technologies de l'information sont de plus en plus intéressées par l'établissement de partenariats avec l'Organisation des Nations Unies pour aider les pays en développement. Je suis certain que d'autres initiatives suivront bientôt.

L'Organisation des Nations Unies est prête à aider l'Afrique, partout où elle le pourra et de quelque manière qu'elle puisse le faire. Elle consacre d'ores et déjà de plus en plus de son temps et de ses ressources aux questions africaines.

Le Conseil de sécurité a manifesté un vif intérêt pour le suivi du rapport que j'avais présenté il y a deux ans sur les causes des conflits en Afrique, dans lequel j'avais indiqué clairement que la paix et le développement étaient indivisibles.

Il a autorisé de nouvelles opérations de maintien de la paix sur le continent et se prépare actuellement à en envoyer une autre pour assumer le rôle qui lui est confié dans l'accord entre l'Éthiopie et l'Érythrée.

Le Conseil a également mené une enquête sur le financement illicite du conflit en Angola et envisage de faire de même pour la Sierra Leone et la République démocratique du Congo. Je lui ai recommandé d'examiner d'une manière plus générale les moyens de réduire l'exploitation illégale des ressources naturelles et d'autres sources d'enrichissement qui alimentent de si nombreux conflits.

Dans l'ensemble, je crois que la communauté internationale est disposée à apporter son aide à l'Afrique, en particulier lorsqu'elle sait qu'il en sera fait bon usage. Nous l'avons vu dans le cas du Mozambique, quand une catastrophe a frappé ce pays en février dernier. Non seulement il y a eu un élan de sympathie et l'aide humanitaire a afflué de toutes les parties du monde, mais lorsqu'il s'est agi de reconstruire et de remettre le Mozambique sur la voie du développement, ses résultats en matière de bonne gouvernance ont été récompensés. Les donateurs se sont mobilisés pour promettre leur appui.

Les Africains ont besoin de l'aide du reste du monde mais ils ont également beaucoup à lui offrir. Cette réalité m'est revenue à l'esprit ces dernières semaines, lorsque je me débattais avec les problèmes à la frontière entre Israël et le Liban où une force des Nations Unies sous le commandement d'un Africain, mon compatriote le général Obeng, joue un rôle crucial, comme l'ont fait de nombreux autres soldats africains de maintien de la paix dans des zones de conflit sur d'autres continents.

Je crois qu'il est tout à fait indiqué que la Conférence internationale des démocraties nouvelles et rétablies de cette année et la Conférence mondiale contre le racisme l'année prochaine se tiennent toutes les deux en Afrique, respectivement au Bénin et en Afrique du Sud. Ces rencontres seront l'occasion, non seulement de consolider la démocratie et la tolérance raciale en Afrique, mais aussi, pour les Africains, d'aider les populations d'autres continents qui rencontrent les mêmes problèmes. J'ai eu la chance de grandir pendant la lutte du Ghana pour l'indépendance et de voir ce combat aboutir. Peu après, un premier ministre britannique a reconnu que le « vent du changement » soufflait à travers l'Afrique.

Mes chers amis, je sens que le vent du changement souffle de nouveau aujourd'hui. Cette fois-ci, il s'agit des vents de la démocratie, du respect de la dignité individuelle et de la règle du droit.

Je suis convaincu que ce processus est irréversible. Nous devons y prêter attention et respecter la volonté des peuples, qui insistent de plus en plus pour que leurs votes soient comptés honnêtement et que leur voix soit clairement entendue. Je vous remercie.

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