SG/SM/7439/Rev.1

LA DISCRIMINATION N'EST PAS UNE FATALITE, AFFIRME LE SECRETAIRE GENERAL DEVANT LE COMITE ARABO-AMERICAIN DE LUTTE CONTRE LA DISCRIMINATION

9 juin 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7439/Rev.1


LA DISCRIMINATION N’EST PAS UNE FATALITE, AFFIRME LE SECRETAIRE GENERAL DEVANT LE COMITE ARABO-AMERICAIN DE LUTTE CONTRE LA DISCRIMINATION

20000609

On trouvera ci-après l’allocution prononcée aujourd’hui par le Secrétaire général, M. Kofi Annan, à la dix-septième Convention du Comité arabo-américain de lutte contre la discrimination :

C’est pour moi un grand plaisir d’être parmi vous à l’occasion de votre convention annuelle, et de rendre hommage à l’important travail que vous accomplissez.

Des organisations comme la vôtre ont un rôle essentiel à jouer dans le monde d’aujourd’hui. La conduite des affaires mondiales a connu une véritable révolution au cours des dix dernières années. Alors que les relations internationales étaient auparavant le domaine quasi exclusif des gouvernements, les portes de l’Organisation des Nations Unies s’ouvrent aujourd’hui, plus que jamais auparavant, à de nouveaux partenaires : entreprises privées, organisations non gouvernementales et groupes de pression jouent souvent un rôle de premier plan dans les efforts menés en vue de résoudre des problèmes mondiaux d’importance cruciale. De nouvelles formes de diplomatie ont vu le jour. Et l’action du Comité arabo-américain en est un élément essentiel.

Je suis également heureux d’avoir l’occasion de vous dire qu’il existe une corrélation étroite et une affinité naturelle entre la cause que vous défendez – celle des droits civiques – et le travail de l’Organisation des Nations Unies.

C’est la diversité des femmes et des hommes qui peuplent notre planète qui donne à la mondialisation un visage humain. C’est elle qui donne à l’humanité son dynamisme et c’est elle qui renferme ses promesses. Je suis profondément convaincu que les différences d’opinions, de cultures et de modes de vie sont source de richesse et de vitalité. De nos jours, les sociétés sont trop interdépendantes et les armements trop destructeurs pour que les relations entre les peuples aient d’autres fondements que la tolérance et le respect de la dignité humaine. C’est ce que proclame l’Organisation des Nations Unies; c'est ce pour quoi elle se bat et continuera de se battre. C’est le pacte fondamental que nous avons conclu avec les peuples du monde. Tout le reste – la paix, la prospérité, la justice – en dépend.

Et pourtant, comme vous ne le savez que trop, la discrimination continue de faire payer un très lourd tribut à l’humanité : elle ralentit le développement économique; elle alimente la violence politique; elle déchire les sociétés.

Les auteurs d’une importante étude publiée l’année dernière par l’Université des Nations Unies, à Tokyo, ont constaté que les conflits armés trouvaient leur origine dans les différences entre les gens – mais pas dans les différences auxquelles vous penseriez au premier abord, ni dans celles que décrivent habituellement les médias.

Les auteurs de l’étude ont conclu que les situations les plus explosives résultaient de l’inégalité horizontale – c’est-à-dire lorsque le pouvoir et les ressources sont inégalement répartis entre des groupes sociaux qui se différencient aussi par d’autres facteurs comme la race, la religion ou la langue. Les conflits dits ethniques éclatent lorsqu’un de ces groupes se sent victime de discrimination ou craint de perdre les privilèges dont il jouit. À partir de là, il suffit souvent de peu de chose pour qu’un groupe commence à propager des mythes déshumanisant l’autre groupe, mythes qui sont alimentés par la haine et amplifiés par les médias. Des incidents mineurs peuvent alors mettre le feu aux poudres et déclencher des explosions de violence qui livrent des communautés entières à la haine et à la peur.

Ce que cette analyse met en évidence, c’est que ce ne sont pas les différences en elles-mêmes qui sont la cause des conflits, mais la manière dont elles sont traitées dans un contexte politique, social et économique plus large. Trop souvent, elles sont manipulées et exploitées par des dirigeants cherchant à asseoir leur propre pouvoir ou à le conserver. Dans un pays bien gouverné - c’est- à-dire dans lequel aucun secteur de la société ne se sent exclu ou laissé sur la touche - les conflits peuvent être évités. Quelles qu’en soient les causes, la discrimination n’est pas une fatalité. Les antagonismes entre peuples et entre nations ne durent pas éternellement. La plupart des haines dites ancestrales ne sont en réalité que de la peur et de l’ignorance déguisées.

Mais je ne vous apprends rien, car les Arabes, même ceux qui sont maintenant américains, ont connu leur lot d’intolérance. Le monde arabo-islamique a apporté une contribution inestimable au patrimoine scientifique et artistique de l'humanité. Pourtant, sa culture et son histoire demeurent méconnues, et souvent mal comprises, surtout en Occident. Les Moyen-orientaux ont été enfermés dans des stéréotypes et des clichés. Les Américains d’origine arabe ont été la cible d’actes de violence. Les compagnies aériennes voient trop souvent en eux des terroristes en puissance. On leur a parfois dénié le droit de s’exprimer à cœur ouvert. Il faut absolument combattre de tels préjugés, qui nuisent au dialogue entre les peuples. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le dialogue entre les pays arabes et leurs voisins a toujours été si difficile.

Et si, aux préjugés que je viens d’évoquer, nous ajoutons l’intolérance dont sont victimes des groupes appartenant à d’autres cultures et ayant d’autres origines ethniques, ainsi que la discrimination à laquelle est en butte la moitié de l’humanité – les femmes et les filles – comment s’étonner que le monde dans lequel nous vivons soit si divisé? Or, c’est une chose que nous ne pouvons nous permettre en cette ère d’interdépendance, à l’heure où nous tentons d'édifier une société planétaire fondée sur la tolérance et des valeurs partagées pour relever ensemble les défis qui nous concernent tous.

C'est ce que vous essayez de faire, et c’est aussi une de nos principales vocations, en vertu de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’année prochaine, une conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée se tiendra en Afrique du Sud. C’est aussi en 2001 que sera célébrée l’Année des Nations Unies pour le dialogue entre les civilisations. Pour ma part, je n’envisage pas le dialogue entre les civilisations dans le sens où on l’entend habituellement : l’interdépendance du monde est telle que les civilisations n’existent plus, comme autrefois en tant qu’entités distinctes. Je pense qu’un tel dialogue offrira à des gens de cultures et de traditions différentes, qu’ils vivent aux antipodes les uns des autres ou dans la même rue, la possibilité de mieux se connaître.

Personne - je dis bien personne - ne peut nier que l’intolérance et les atteintes aux droits de l’homme, en particulier aux droits des Palestiniens, expliquent en grande partie la violence qui déchire de longue date votre région d’origine, le Moyen-Orient. Je sais que nombre d’Arabes, dans ce pays et ailleurs, voient dans la façon dont le monde envisage les problèmes de la région une autre forme de discrimination.

D’aucuns ont l’impression que le droit international et les droits de l’homme ne s’appliquent pas à tous de la même façon, et que le Conseil de sécurité de l’ONU est plus exigeant à l’égard de certains pays que d’autres, ce qui ne va pas sans faire obstacle aux activités que mène l’Organisation au Moyen-Orient et ailleurs. Il nous est très pénible que notre crédibilité, notre intégrité et notre rôle de médiateur honnête soient ainsi mis en question.

Dès ses débuts, l’Organisation des Nations Unies a été présente au Moyen- Orient. Les opérations de maintien de la paix qu’elle y a menées ont assuré une certaine stabilité dans la région et créé les conditions nécessaires à la poursuite du dialogue. Des fonctionnaires de l’ONU, civils et militaires, y ont laissé leur vie. Et l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche Orient, dont on célèbre cette année le cinquantième anniversaire, a assuré la subsistance de millions de Palestiniens. Aucun autre programme de l’Organisation n’a été associé aussi étroitement, et aussi longtemps, à l’histoire d’un seul peuple.

Tous ces efforts convergent vers un seul but : la recherche d’une paix juste, globale et durable pour l’ensemble de la région. Comme mes prédécesseurs, je me suis employé à soutenir le processus de paix, notamment en insistant sur la nécessité de respecter les droits fondamentaux des deux parties. Lorsque je me suis rendu au Moyen-Orient, il y a deux ans, j’ai constaté combien des dizaines d’années de conflit avaient causé de souffrances et de privations.

À Gaza, j’ai vu que l’Autorité palestinienne assumait ses responsabilités, pour écrasantes qu’elles soient. J’ai rencontré des familles de réfugiés palestiniens qui vivaient, parfois depuis plusieurs générations, dans des camps où, malgré la misère et les restrictions, hommes, femmes et surtout enfants faisaient tout pour préserver leur dignité.

En Israël, j'ai vu des gens avides de paix et de sécurité. Au Liban et sur le Golan, des villageois m’ont dit leur espoir que leurs champs ne servent plus jamais de champs de bataille. Nous nous réjouissons tous qu’Israël se soit retirée du Liban. Nous travaillons en étroite collaboration avec les pays intéressés - les deux pays directement concernés, les pays de la région et d'autres pays - pour mener le processus à son terme. J'espère pouvoir, dans un délai relativement bref, confirmer le retrait complet d'Israël du territoire libanais. Et je dois souligner quelque chose d'important: tout est incroyablement calme à la frontière. Tout se passe dans le calme parce que les dirigeants ont joué leur rôle et parce que les parties font preuve de retenue. Mon vœu le plus cher est que la frontière israélo-libanaise soit désormais aussi calme que celles qui séparent Israël de l’Égypte et de la Jordanie.

Certes, il est urgent que les négociations israélo-syriennes et israélo- palestiniennes progressent. Nous devons parvenir à une paix globale dans la région. Je me félicite que le Président [Clinton] collabore avec le Président Yasser Arafat et le Premier Ministre Ehoud Barak pour faire avancer le processus de paix israélo-palestinien. Et j'espère que ces efforts porteront bientôt leurs fruits. J'espère aussi que les négociations israélo-syriennes ne resteront pas trop longtemps au point mort, car je crois que les différents entre les parties sont relativement mineurs.

Les parties doivent redoubler d’efforts pour obtenir la paix. Nous avons tous ici le devoir de tout faire pour les encourager et les aider afin que revienne la paix si longtemps attendue. Je tiens à vous assurer que je continuerai de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour faciliter le processus de paix.

J'ai parlé du Liban mais je n'ai pas mentionné le développement économique et social. C'est aussi un domaine dans lequel nous collaborons avec le Gouvernement. Nous travaillons avec la Banque mondiale et le Programme des Nations Unies pour le développement, et nous envisageons d'organiser une conférence internationale de donateurs pour aider le Gouvernement libanais à financer la reconstruction.

Laissez-moi à présent dire un mot du Moyen-Orient en général. Il faut que la région dans son ensemble retrouve la paix, la sécurité et les conditions de vie normales dont elle a si cruellement besoin. La situation reste bloquée en Iraq où, selon certains, le régime des sanctions aurait pour effet pervers d’aggraver la crise humanitaire qui y sévit. Ce qui ne fait pas de doute – et c’est tragique – c’est que le développement économique, social et sans doute politique du pays s’en trouve paralysé. J’espère de tout coeur que l’Iraq décidera très bientôt de se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité et que ses relations avec la communauté internationale reprendront un cours normal.

Lorsque la paix règnera au Moyen-Orient, les pays de la région pourront consacrer toute leur énergie à la poursuite d’un objectif plus porteur d’espoir – le développement économique et social – et jouir d’une plus grande prospérité et de plus de liberté. Ils exerceront une plus grande influence sur la scène internationale et seront davantage respectés. Longtemps, ces objectifs ont semblé désespérément hors d’atteinte. Mais il est maintenant possible de changer réellement le cours des choses. Je suis convaincu que, tout comme moi, vous espérez que les dirigeants et les peuples concernés sauront saisir cette chance. Bien sûr, la communauté internationale a elle aussi une responsabilité dans la recherche d'une paix globale pour la région. Chaque jour, les distances qui séparent les peuples du monde deviennent un peu plus courtes. La mondialisation des échanges et des communications, la prolifération des armements, la propagation des maladies, et des problèmes touchant la planète toute entière, comme la dégradation de l’environnement, font que certains choix s'imposent à nous.

Nous formons une communauté mondiale. Chaque collectivité, chaque ville et chaque nation est soudée par des valeurs communes. Notre communauté mondiale doit l'être aussi: des valeurs telles que la liberté, la tolérance, la non-violence et le respect du droit international, langage commun à tous, doivent nous aider à gérer l’espace que nous partageons et à y vivre en paix.

En tant qu’Américains d’origine arabe, vous connaissez l’importance de la solidarité mondiale. En tant que membres d’une diaspora entreprenante et dynamique, vous savez ce que veut dire garder des racines dans une partie du monde et en planter de nouvelles ailleurs. Vous savez ce que c’est que d’appartenir à plusieurs cultures. En cela, je me sens proche de vous car je suis, moi aussi, un déraciné, vivant loin de mon pays natal, le Ghana. J’ai appris à m’habituer à des endroits et à des cultures qui n’étaient pas les miens, mais qui m’ont enrichi et m’ont permis de mieux comprendre les autres et de mieux travailler avec eux.

Edward Saïd a récemment abordé ces sujets dans son émouvante autobiographie, « Out of place ». Mais il n’est pas le seul auteur américain d’origine arabe à l’avoir fait. L’un des premiers, Ameen Rihani, a consacré sa vie à rapprocher l’Orient et l’Occident. « Nous ne sommes ni des Orientaux, ni des Occidentaux » écrivait-il, « aucune barrière n’existe dans nos coeurs : nous sommes libres ». C’est bien la même idée qui s’exprime dans votre slogan : vous êtes « d’authentiques Arabes, et des Américains à part entière ».

J’ajouterai que vous êtes aussi de vrais citoyens du monde et des partenaires respectés de l’Organisation des Nations Unies. L’Organisation se félicite de vos travaux et souhaite que vous participiez aux alliances pour le changement que nous nous efforçons de mettre en place pour le XXIe siècle.

Je vous remercie. Choukran. Maa Salaam.

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