En cours au Siège de l'ONU

DSG/SM/96

POUR FAIRE MIEUX EN MATIERE DE MAINTIEN DE LA PAIX, L'ONU A BESOIN DE RESSOURCES SUPPLEMENTAIRES, AFFIRME LA VICE-SECRETAIRE GENERALE

8 juin 2000


Communiqué de Presse
DSG/SM/96


POUR FAIRE MIEUX EN MATIERE DE MAINTIEN DE LA PAIX, L’ONU A BESOIN DE RESSOURCES SUPPLEMENTAIRES, AFFIRME LA VICE-SECRETAIRE GENERALE

20000608

On trouvera, ci-après, le discours adressé par la Vice-Secrétaire générale, Mme Louise Fréchette, à l’Institut canadien des affaires internationales et l’Association canadienne pour les Nations Unies ce jeudi 8 juin:

Je vous suis très reconnaissante, à vous et à Geoffrey Pearson, de me donner l’occasion de rencontrer simultanément des membres de l’Institut canadien des affaires internationales et de l’Association canadienne pour les Nations Unies. Le Canada n’est pas un pays particulièrement élitiste, et je m’en réjouis, mais s'il existe une « élite de la politique étrangère » canadienne, je suppose qu'elle est en grande partie réunie ici. Cette rencontre est pour moi une l'occasion idéale de vous faire part de certaines réflexions auxquelles nous nous livrons actuellement au Siège de l’ONU, en particulier sur le maintien de la paix. Mais il me sera encore plus utile d’entendre vos points de vue lors de la discussion.

Le choix du thème d'aujourd'hui - le maintien de la paix - ne nécessite ni explication, ni justification. Je sais que vous, en tout cas, ne risquez pas de tomber dans le piège classique – auquel les médias n'échappent pas souvent – qui consiste à penser que le maintien de la paix est la seule activité que mènent ou devraient mener les Nations Unies.

Si vous examinez le Rapport du millénaire que le Secrétaire général a récemment publié, vous vous rendrez compte que ce document met autant l’accent sur la lutte contre la pauvreté et sur l'environnement que sur les problèmes de paix et de sécurité.

Même dans le domaine de la paix et de la sécurité, l’ONU est loin de limiter ses activités au maintien de la paix. Nous sommes très actifs dans la maîtrise des armements et le désarmement, la recherche de méthodes plus efficaces pour prévenir les conflits et, bien entendu, les opérations humanitaires visant à porter secours aux victimes des conflits. Nous nous employons également à renforcer le respect des droits de l’homme et du droit humanitaire partout dans le monde. Et un débat animé s'est engagé - avec la participation du Secrétaire général lui-même - au sujet des moyens coercitifs dont dispose le Conseil de sécurité, y compris l'intervention armée et les sanctions économiques.

En bref, le maintien de la paix – aussi large que soit sa définition – n’est pas et ne doit pas être le seul instrument dont se sert l’ONU pour préserver et renforcer la paix et la sécurité internationales. Néanmoins, c’est l’une de nos activités essentielles, et c’est celle que le public associe le plus souvent aux Nations Unies – ce qui tient notamment au fait que c’est à l'ONU et par son intermédiaire que les modalités et la notion même de maintien de la paix ont vu le jour durant la guerre froide.

Toutefois, c’est là que résident certaines des causes de nos problèmes actuels. Le maintien de la paix tel qu’on le concevait jusqu’à il y a environ 10 ans - le maintien de la paix de Lester Pearson, si vous voulez - consistait généralement à interposer des forces neutres et légèrement armées entre les armées de deux États en conflit. Il supposait le consentement des deux parties et leur coopération, dans la mesure où elles avaient signé des accords allant dans ce sens. La mission dépêchée au Congo au début des années 60 était bien entendu un cas à part, mais l'expérience avait été tellement traumatisante pour toutes les parties concernées qu’elle avait généralement été considérée comme l'exception qui confirme la règle – un précédent qui ne devait jamais se répéter.

Or, depuis 1990 environ, nous évoluons dans un monde très différent, un monde dans lequel l’expérience congolaise fait désormais beaucoup moins figure d’exception – et est plutôt considérée comme un prototype. La situation typique est un conflit civil, l’une ou plusieurs des parties n'étant pas des gouvernements reconnus mais des chefs de guerre qui peuvent faire très peu de cas des principes internationaux ou de l’autorité du Conseil de sécurité.

Pendant la guerre froide, l’ONU ne s’ingérait habituellement pas dans de tels conflits. Mais à l’ère de la mondialisation, elle est y est souvent poussée. Chaque fois que la violence et la souffrance deviennent hautement visibles, chose qui à l’ère des communications électroniques instantanées arrive fréquemment, le public considère qu’il est impératif, sur le plan humanitaire, de « faire quelque chose ». En outre, nombreuses sont les élites politiques qui ressentent le besoin d'au moins « circonscrire » les conflits lorsque ces derniers ne peuvent être ni prévenus ni résolus. « Circonscrire » s’entend généralement des efforts visant non seulement à empêcher le conflit de s’étendre, mais aussi à en limiter les retombées sur d’autres pays, par exemple en limitant l’exode de réfugiés à l’étranger, voire, lorsque c'est possible, en permettant aux réfugiés de rentrer chez eux.

À ce jour, il n'existe pas vraiment de consensus sur les conditions précises dans lesquelles la communauté internationale devrait intervenir dans des conflits essentiellement internes, ni même sur la forme qu’une telle intervention devrait revêtir.

Alors que certains États plaident ardemment en faveur de ce qu’il est convenu d’appeler le droit d’« ingérence humanitaire », la majorité des pays continuent de défendre vigoureusement le caractère absolu de la souveraineté nationale et de son corollaire, le devoir de non-ingérence.

Toutefois, dans la pratique, dans certains cas précis, il arrive souvent que ce soit des pays de la deuxième catégorie qui réclament l’intervention, tandis que les États de la première catégorie se montrent réticents à déployer des forces suffisamment nombreuses ou à les doter de règles d’engagement suffisamment fermes pour rendre l’intervention efficace. En Bosnie par exemple, bon nombre d’États non alignés ont été les premiers à reprocher à l’ONU de s’être montrée trop timorée face à des violations abominables des droits de l’homme et du droit humanitaire, tandis que certains États d’Europe occidentale sont restés en retrait ou ont cherché à se cantonner dans un rôle neutre et strictement humanitaire.

Ces derniers temps, bien entendu, les États d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord sont devenus beaucoup plus interventionnistes dans les Balkans. Toutefois, ces pays et l’ONU ont été critiqués par les Africains, qui leur reprochaient de n’avoir pas su empêcher le génocide au Rwanda. En outre, au Libéria et en Sierra Leone, ce sont des Africains de l’Ouest qui sont intervenus avec vigueur, tandis que certains pays aux ressources beaucoup plus importantes se sont montrés peu enclins à le faire.

Les arguments ainsi avancés quant à ce que l’ONU devrait ou ne devrait pas faire soulèvent bien des passions. Mais ils n’ont guère d’intérêt pratique tant que l’on ne se pose pas sérieusement la question de savoir ce qu’elle peut faire.

Je ne prétends certes pas que le Secrétariat n’ait rien à se reprocher. Au contraire, dans les affaires du Rwanda et de Srebrenica, le Secrétaire général a admis très franchement nos insuffisances. Mais même dans ces cas, et assurément dans d’autres cas où l’on a le sentiment que l’ONU a échoué, je pense qu’il est juste de dire que le manque de moyens a constitué un facteur important sinon le facteur le plus important.

Certains commentateurs ont réagi à ces échecs en affirmant que l’ONU n’était pas faite pour accomplir d'autre tâche que le maintien de la paix « traditionnel », et que toute activité plus musclée devrait être laissée aux organismes régionaux ou aux « coalitions de parties intéressées ». C’est peut-être vrai lorsqu’il s’agit d’opérations offensives de grande échelle telles que la guerre du Golfe, mais entre ce type d’opérations et les opérations de maintien de la paix classiques, il existe un large éventail de situations et de solutions possibles qui sont moins nettement définies. Il n’y a aucune raison pour que l’ONU soit toujours moins bien équipée que les organismes régionaux pour accomplir ces tâches. Il n’est pas réaliste non plus d’imaginer qu’il y aura toujours un organisme régional ou sous-régional capable de s’en charger.

Je suis lasse, je l’avoue, d’entendre et de lire les critiques dirigées contre ce qu’on appelle « le déploiement insensé d'agents de maintien de la paix là où il n’y a pas de paix à maintenir ». En fait, il y a presque toujours une paix ou, au moins, un accord de cessez-le-feu en vigueur au moment où les Casques bleus se déploient (la Bosnie, entre 1992 et 1995, est la seule exception importante qui me vienne à l’esprit). Mais ces accords ne s’appliquent pas d’eux- mêmes. Si c’était le cas, on n’aurait nul besoin d’agents de maintien de la paix.

L’Organisation des Nations Unies devrait en fait être capable d’exécuter un mandat tel que celui que le Conseil de sécurité lui a donné en Sierra Leone. En d’autres termes, nos forces devraient être capables de se défendre avec vigueur si on les attaque et de défendre leur mandat avec la même énergie s’il est contesté. On sait depuis longtemps que, lorsque des forces ont clairement cette capacité, elles risquent beaucoup moins d'être attaquées. L’OTAN a appliqué cette leçon en Bosnie après Dayton et au Kosovo l’année dernière, tout comme l’a fait l’INTERFET au Timor oriental. C’est également ce qui a valu à l’ONU son succès dans l’exécution de son mandat en Slavonie orientale.

Que devons-nous changer pour appliquer cette leçon aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies en général? Cinq éléments me viennent à l’esprit:

1. Notre capacité de planification doit être nettement améliorée: l’ONU doit renforcer sa capacité d’analyse et les États Membres doivent communiquer de façon plus libérale les renseignements politiques et militaires pertinents dont ils disposent.

2. Nous devons disposer d'un personnel – à savoir de militaires, de policiers et de civils – qui possède les plus hautes capacités professionnelles. Les États Membres doivent non seulement prévoir des contingents susceptibles d’être appelés par les Nations Unies, mais aussi faire en sorte que ces contingents et leur matériel répondent aux normes convenues au niveau international; dans la mesure du possible, ces contingents devraient avoir la possibilité de suivre un entraînement en commun. Il est inacceptable que des soldats puissent arriver sur le théâtre d’opérations sans disposer d’un matériel adéquat – et cela ne devrait pas être accepté.

3. Nous devons pouvoir nous déployer plus rapidement. En d’autres termes, il faut non seulement que le matériel soit prêt à être emporté, mais aussi que nous ayons prévu les moyens de le transporter, et nous devons pouvoir disposer d’un état-major de mission à déploiement rapide. Je constate avec plaisir que ce dernier point – fruit d’une initiative canadienne – semble à présent recueillir l’agrément de l’ensemble du Conseil de sécurité. Et les fonds devraient être disponibles pour planifier nos missions et procéder aux préparatifs logistiques avant que le Conseil de sécurité ne décide de procéder au déploiement. À l’heure actuelle, il nous est interdit de dépenser le moindre sous tant qu’une résolution n’a pas été adoptée. Pourtant, lorsqu’une résolution est adoptée, on nous reproche au bout de quelques semaines, voire au bout de quelques jours, de nous déployer trop lentement.

4. Lorsqu’il décide de déployer une mission de maintien de la paix, le Conseil doit autoriser des forces dont l’effectif soit suffisant pour réagir si les parties reviennent sur leurs engagements et décident de mettre à l’épreuve la détermination des Casques bleus. Et les règles d’engagement doivent autoriser clairement une réaction énergique dans ces circonstances. Qui dit impartialité ne dit pas forcément neutralité. Naturellement, les forces des Nations Unies doivent exécuter de façon impartiale le mandat que le Conseil de sécurité leur a donné. Mais cela ne veut pas du tout dire qu’elles doivent rester neutres entre les parties qui respectent leur mandat et celles qui s’y opposent, ou entre celles qui respectent le droit international humanitaire et les droits de l’homme et celles qui les violent de façon flagrante. Le rapport du Secrétaire général sur Srebrenica et le rapport Carlsson sur le Rwanda ont montré que la confusion qui régnait sur ce point a joué un grand rôle dans la façon lamentable dont l’ONU s’est comportée dans le cadre de ces événements tragiques.

5. De toute évidence, aucune de ces améliorations ne sera possible sans moyens financiers importants. Si nous voulons mieux faire, nous avons besoin de ressources supplémentaires non seulement pour chaque mission mais d’une façon permanente, et nous avons besoin de règles plus souples dans le domaine des achats et du recrutement.

Je n'ai esquissé ici que quelques-unes des réformes qui me semblent particulièrement urgentes, compte tenu, en particulier, de la crise en Sierra Leone. Mais je ne voudrais pas donner l’impression que le maintien de la paix est une science purement militaire. Le maintien de la paix doit toujours s’inscrire dans une stratégie politique visant à instaurer une paix durable dans un pays ou une région en conflit. En d’autres termes, la transition entre le maintien de la paix et la consolidation de la paix après le conflit doit se faire sans solution de continuité et les Etats Membres doivent être disposés à mener le processus à son terme. Il ne suffit pas de financer des activités comme le déminage, la formation aux droits de l’homme ou l’assistance électorale, conçues indépendamment les unes des autres. Chacune de ces tâches, si importante soit-elle, ne peut donner des résultats que si l'ensemble du processus de paix suit son cours. Cela suppose, dans la plupart des cas, que les différentes factions armées soient désarmées et démobilisées, et que leurs membres trouvent leur place dans une économie civile viable. Si ces activités ne sont pas financées comme il convient, les sommes dépensées ailleurs n’auront probablement servi à rien.

C’est toute la science du maintien de la paix des Nations Unies, y compris peut-être sa terminologie, qu’il faut revoir de bout en bout. C’est la raison pour laquelle le Secrétaire général a nommé un comité de haut niveau chargé d’étudier l’avenir des « opérations de paix des Nations Unies » – terme choisi pour englober un éventail de tâches aussi large que possible. Il a demandé à ce comité de formuler des recommandations - adressées à lui-même et aux Etats Membres - sur les aspects tant théoriques qu’organisationnels de la question (les deux étant naturellement étroitement liées). Le comité est présidé par Lakhdar Brahimi, qui figure parmi les plus expérimentés et les plus éminents des "onusiens"; il doit présenter un rapport en juillet, ce qui permettra à l’Assemblée du millénaire d’examiner ses propositions. Je n'ai en aucun cas voulu, ce soir, préjuger des conclusions de ce comité. J’espère seulement vous avoir donné une idée des problèmes qu’il s’efforcera de résoudre et de la nature des solutions qu’il convient, à mon avis, de leur apporter.

A présent, je souhaiterais que vous me fassiez part de vos idées. Si vous avez des questions à me poser, je ferai de mon mieux pour y répondre. Je vous remercie.

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