SG/SM/7376

LE SECRETAIRE GENERAL SOULIGNE LES MOYENS PAR LESQUELS L'AFRIQUE POUVAIT JOUER PLEINEMENT SON ROLE DANS L'ECONOMIE MONDIALE

9 mai 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7376
AFR/221


LE SECRETAIRE GENERAL SOULIGNE LES MOYENS PAR LESQUELS L’AFRIQUE POUVAIT JOUER PLEINEMENT SON ROLE DANS L’ECONOMIE MONDIALE

20000509

On trouvera ci-après le texte de l’allocution que le Secrétaire général, M. Kofi Annan, a prononcée après avoir reçu le titre de docteur honoris causa ès relations internationales de l’Université de Yaoundé II à Yaoundé (Cameroun) le 2 mai 2000 :

Vous m’avez fait un grand honneur en me conférant le titre de « docteur honoris causa » et l’Institut des relations internationales du Cameroun m’en a fait un plus grand encore lorsqu’il a décidé de donner mon nom à sa bibliothèque. Je ferai de mon mieux pour être à la hauteur de ces grandes marques d’estime mais ce ne sera pas chose aisée.

C’est dans les universités et les instituts de recherche comme les vôtres que, grâce au développement du savoir et à la libre circulation des idées entre les chercheurs, se résolvent bien des problèmes auxquels l’humanité se trouve aujourd’hui confrontée. Mais ces précieuses ressources, ces clefs qui ouvriront les portes du monde de demain, sont loin d’être réparties de façon équitable dans le monde d’aujourd’hui.

De nos jours, le domaine du savoir est peut-être celui où le fossé entre pays industrialisés et pays en développement est le plus profond. Parmi les régions du monde en développement, l’Afrique en particulier a désespérément besoin de faire de ses universités des centres d’excellence où trouver des solutions africaines aux problèmes africains. Cela ne signifie pas bien entendu qu’il faille ignorer les progrès réalisés sur d’autres continents. Cela signifie au contraire qu’il faut les étudier de près et s’efforcer d’en tirer tout le parti possible dans un contexte africain. Cela signifie que l’Afrique doit apporter au monde une contribution que les autres continents, à leur tour, ne peuvent pas se permettre d’ignorer.

Il est vital en effet que l’Afrique joue pleinement son rôle dans la communauté des nations et, en particulier, dans la nouvelle économie mondiale – dont elle se trouve aujourd’hui exclue de bien des façons. Elle ne reçoit qu’une fraction infime des flux de capitaux privés mondiaux et, dans certains pays, la fuite des capitaux représente plusieurs fois l’équivalent du produit national brut. Il n’est pas rare que le service de la dette absorbe plus de 25 % des recettes d’exportations. Pour cette raison, sur 1 milliard 200 millions de personnes qui vivent avec moins d’un dollar par jour, 300 millions se trouvent en Afrique – soit une proportion plus élevée que sur n’importe quel autre continent. Et alors que, dans d’autres régions, le revenu moyen augmente, les habitants de l’Afrique subsaharienne demeurent presque aussi pauvres aujourd’hui qu’il y a 20 ans.

Les pays où la croissance est la plus forte sont ceux qui se sont bien intégrés dans l’économie mondiale et ont su attirer les investissements étrangers. En 25 ans, l’Asie a connu un taux de croissance annuel de 7% et l’Amérique latine de 5 %, alors que la plupart des pays africains ont stagné ou enregistré une croissance négative.

Comment remédier à cet état de choses?

Je suis persuadé qu’un bon moyen d’y arriver serait d’utiliser davantage et mieux les technologies de l’information. Nous devons combler le gouffre qui sépare les quelques personnes qui ont la chance d’être connectées à la nouvelle économie mondiale et la moitié de l’humanité qui attend encore de passer ou recevoir son premier coup de téléphone et, à plus forte raison, d’accéder à un ordinateur. À l’heure actuelle, moins d’un demi pour cent des Africains ont navigué sur Internet. Si nous pouvons changer cela, nous pouvons changer tout le reste.

Et ce ne devrait pas être difficile, car les nouvelles technologies de l’information n’exigent pas de vastes réserves de capitaux. Elles demandent surtout un apport en matière grise – la seule matière première à être répartie de façon égale dans l’espèce humaine. Un investissement relativement modeste devrait suffire à débloquer ce capital et à permettre aux sociétés les plus pauvres d’avancer sur la voie du développement en brûlant une partie des longues et pénibles étapes que d’autres pays ont eu à franchir.

Déjà en Inde, la ville de Bangalore s’est transformée en un centre mondial de production de logiciels avec plus de 300 sociétés de haute technologie. L’an dernier, le Costa Rica a atteint le plus fort niveau de croissance d’Amérique latine – 8,3 % – grâce à ses exportations de microprocesseurs. Maurice – un pays africain – fait connaître son industrie textile dans le monde entier grâce à Internet. Et dans de minuscules villages du Bangladesh, des femmes se servent de téléphones portables achetés à l’aide de petits prêts de la Graamen Bank puis loués à d’autres villageoises, pour vendre des produits textiles de leur fabrication sur le marché mondial.

Je suis bien sûr que les villageoises camerounaises en feront autant, et plus encore, lorsqu’elles auront-elles aussi accès à des moyens de communication modernes. J’espère qu’elles y seront aidées par l’UNITES, ce groupe d’associations bénévoles que nous sommes en train de mettre sur pied et qui interviendra dans les pays en développement pour y dispenser une formation à l’utilisation et aux applications possibles des technologies de l’information.

Mais la première chose à faire pour débloquer et mobiliser le capital intellectuel du monde en développement, c’est d’investir dans l’enseignement. L’éducation est le véritable moteur de la nouvelle économie parce que tout repose sur elle, développement, progrès social et liberté. Et pourtant près d’un milliard d’adultes dans le monde sont analphabètes et même les estimations les plus circonspectes indiquent que 113 millions d’enfants en âge de fréquenter l’école primaire ne sont pas scolarisés.

Notre première priorité doit être d’offrir à tous un enseignement primaire de qualité parce qu’une personne privée d’éducation perd la possibilité de développer son potentiel et de jouer pleinement son rôle dans la société. La plupart des adultes analphabètes sont des femmes et les deux tiers des enfants non scolarisés sont des filles. Manifestement, nombre de familles et à dire vrai, bien des sociétés, pensent encore qu’il importe moins d’éduquer les filles que les garçons.

Cette inégalité de traitement n’est pas seulement une forme de discrimination inacceptable, qui dénie aux filles et aux femmes l’exercice des droits que leur reconnaît la loi. Elle procède aussi d’un mauvais calcul économique et d’une piètre politique sociale. L’expérience a montré, maintes et maintes fois, qu’investir dans l’instruction des filles est un placement dont les effets bénéfiques se font sentir directement et rapidement : amélioration de la nutrition et des soins de santé pour toute la famille, baisse de la fécondité, réduction de la pauvreté et meilleure performance de l’économie dans son ensemble.

C’est pourquoi j’ai lancé la semaine dernière à Dakar, lors du Forum mondial sur l’éducation, une nouvelle initiative des Nations Unies – « Les filles à l’école, tout de suite! ». Notre objectif est de faire en sorte qu’à l’horizon 2015, tous les enfants du monde aient achevé leur éducation primaire et que filles et garçons aient accès, sur un pied d’égalité, à tous les niveaux d’instruction.

Troisièmement, nous devons soulager les peuples d’Afrique du poids écrasant de la maladie qui non seulement oblige les familles à ponctionner leurs maigres ressources mais les enferme dans un cercle vicieux entretenu par des taux de mortalité et de fécondité élevés et une pauvreté sans issue.

Ce fardeau revêt bien des formes mais de nos jours, la plus effroyable est sans conteste le VIH/sida. Sur les 36 millions de personnes qui vivent actuellement avec le VIH/sida dans le monde, 23 millions sont ici, en Afrique subsaharienne. Dans 10 ans, la région comptera 40 millions d’orphelins – et ces enfants auront beaucoup plus de mal que les autres à poursuivre des études ou à se faire vacciner et beaucoup plus de chances de souffrir d’une forme grave de malnutrition. Et pourtant avant même d’avoir 15 ans, nombre d’entre eux devront déjà prendre en charge leurs jeunes frères et soeurs et assurer leur subsistance.

Le sida fauche déjà toute une génération de jeunes adultes africains instruits et qualifiés. Il n’atteint pas seulement l’Afrique d’aujourd’hui dans ses forces vives, il met en péril l’Afrique de demain. C’est pourquoi nous avons réuni, dans un partenariat stratégique de lutte contre le sida en Afrique, des gouvernements, des pays donateurs, le secteur privé, des organisations non gouvernementales et l’ensemble du système des Nations Unies. Et c’est pourquoi aussi, dans mon rapport du millénaire, publié le mois dernier, j’ai recommandé des objectifs spécifiques afin de déjouer la conspiration du silence autour de cette maladie, de sensibiliser pleinement les jeunes à la question et, au bout du compte, d’enrayer la pandémie et de la faire reculer.

Quelques pays africains – notamment le Sénégal et l’Ouganda – ont d’ores et déjà démontré que c’était possible. Mais l’Afrique a besoin de l’aide des pays industrialisés. C’est à ces pays qu’il appartient d’accélérer, en collaboration avec leur industrie pharmaceutique et d’autres partenaires, la mise au point d’un vaccin efficace et abordable. Faute d’un tel vaccin, des millions d’autres jeunes sont condamnés chaque année à une longue maladie et à une mort prématurée.

Quatrièmement, nous devons mettre fin aux conflits qui font rage dans tant de pays d’Afrique. Rien n’entrave davantage la réalisation des objectifs de croissance et de réduction de la pauvreté que les conflits armés. Vous êtes bien placés pour le savoir puisque, ici, au Cameroun, vous avez dû accueillir des réfugiés venus de trois pays limitrophes en proie aux hostilités – la République centrafricaine, la République du Congo et le Tchad. Vous ne connaissez que trop les conséquences des conflits, même sur les pays qui ne sont pas directement touchés. La réputation d’instabilité de l’Afrique, qui rejaillit sur vous, décourage injustement les investissements dans presque tout le continent.

Vous savez donc que l’intérêt bien compris de tous les Africains est de s’aider mutuellement à régler leurs différends par des moyens pacifiques. De fait, vous et vos frères nigérians avez donné le meilleur des exemples en soumettant à la Cour internationale de Justice l’affaire de la péninsule de Bakassi.

Si les conflits perpétuent la pauvreté, la pauvreté à son tour complique la prévention et le règlement des conflits. Voilà le cercle vicieux que nous avons à briser, nous les Africains. L’ONU tente d’aborder le problème sous les deux angles. D’un côté, elle s’efforce d’aider les Africains à régler leurs conflits et à mettre au service du développement les énergies ainsi libérées. De l’autre, elle s’emploie à éliminer les causes à long terme des hostilités en favorisant le développement économique et social.

Chez votre voisin, la République centrafricaine, elle a mené une opération de maintien de la paix qui a contribué à stabiliser la situation et rétablir la sécurité. Sa tâche accomplie, la mission a été remplacée par un bureau d’appui pour la consolidation de la paix. L’expérience nous a appris en effet qu’aider un pays déchiré par la guerre à parvenir à une paix durable est une entreprise de longue haleine, dans laquelle le moindre progrès doit être maintenu au prix d’efforts constants. Les médias mondiaux peuvent porter leur attention ailleurs quand les tueries s’arrêtent. L’Organisation ne le peut pas et elle ne le fera pas.

En dernière analyse pourtant, seuls les citoyens d’un pays peuvent faire régner la paix à l’intérieur des frontières nationales. Avec leur gouvernement, ils sont les seuls à pouvoir protéger leur nation des luttes intestines. L’expérience a montré – et les travaux de recherche l’ont confirmé – que si les risques sont plus grands pour les pays riches que pour les pays pauvres, la pauvreté par elle-même n’est pas source de conflit. Même des nations relativement prospères peuvent être précipitées dans l’abîme si elles ont à leur tête des hommes qui, pour servir leurs propres intérêts, jouent sur les craintes et les griefs de populations divisées. Et nombre de pays pauvres vivent paisiblement en dépit de leur pauvreté, grâce à des dirigeants éclairés. À la longue, ces pays-là ont bien entendu plus de chances de vaincre la pauvreté.

Aussi, pour abattre les barrières qui empêchent l’Afrique d’atteindre la prospérité, ma quatrième et dernière consigne est-elle d’y améliorer la gestion des affaires publiques. Il est en effet de plus en plus évident que la qualité de la gouvernance est un facteur déterminant de la réussite d’un pays, quel qu’il soit.

Dans un pays où ceux qui détiennent les rênes du pouvoir n’ont de compte à rendre à personne et en profitent pour monopoliser la richesse, exploiter leurs concitoyens et réprimer toute expression pacifique d’avis divergents, les conflits ne sont que trop prévisibles et les investissements seront peu nombreux. Mais dans un pays où les droits de l’homme et les droits de propriété sont protégés, où le gouvernement est tenu de rendre des comptes et où les intéressés ont voix au chapitre dans le processus de prise de décisions, on est fondé à espérer réduire la pauvreté, éviter les conflits et mobiliser les capitaux nécessaires tant à l’intérieur que sur le marché international.

Dès lors qu’un pays – ou, mieux encore, une région tout entière – s’attaque de la sorte à ses propres problèmes, il est plus facile de persuader des tiers de lui apporter leur concours – qu’il s’agisse de lui offrir une aide au développement, de remettre sa dette extérieure ou d’ouvrir des marchés à ses produits.

Je m’emploie sans relâche depuis trois ans à convaincre les pays les plus riches de venir en aide à l’Afrique et à l’ensemble du monde en développement sur ces trois fronts à la fois. Je suis encore revenu à la charge tout récemment dans mon rapport du millénaire. Dans ce rapport, j’ai demandé à tous les gouvernements, ceux des pays industrialisés comme ceux des pays en développement, de placer la lutte contre la pauvreté au tout premier rang de leurs priorités et de réduire de moitié d’ici 15 ans la proportion de la population mondiale qui vit dans une pauvreté extrême.

Les autres objectifs que je viens d’énumérer figurent aussi dans le rapport. Ils revêtent à mon avis une importance fondamentale, à la fois en eux-mêmes et en tant que moyens d’atteindre l’objectif principal de la réduction de la pauvreté. Pour que chacun de ces objectifs soit atteint, il faut que les gouvernements collaborent. Mais il faut aussi qu’ils puissent compter sur les ressources du secteur privé et mobilisent les compétences et l’énergie de tous les citoyens. C’est pourquoi l’Organisation se tourne à la fois vers les transnationales et vers les organismes bénévoles et organisations non gouvernementales pour forger de nouveaux partenariats.

L’élan doit toutefois venir de nos États Membres. Leurs dirigeants auront une occasion magnifique, lorsqu’ils se réuniront à New York en septembre, de prouver au monde qu’ils sont bien décidés à s’attaquer aux vrais problèmes que connaissent leurs peuples au jour le jour. Je suis persuadé qu’ils sauront relever le défi si ceux-ci – c’est-à-dire des gens comme vous ici présents – leur disent haut et clair que le monde compte sur eux.

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