DSG/SM/95

LA VICE-SECRETAIRE GENERALE DES NATIONS UNIES PRESENTE LE RAPPORT DU MILLENAIRE AU COLLOQUE "RAOUL DANDURAND" A MONTREAL

5 mai 2000


Communiqué de Presse
DSG/SM/95


LA VICE-SECRETAIRE GENERALE DES NATIONS UNIES PRESENTE LE RAPPORT DU MILLENAIRE AU COLLOQUE "RAOUL DANDURAND" A MONTREAL

20000505

Vous trouverez ci-après le texte du discours que la Vice-Secrétaire générale des Nations Unies, Mme Louise Fréchette, a prononcé lors du colloque "Raoul Dandurand" qui se tient à Montréal le 5 mai:

Je suis heureuse et honorée d'être des vôtres. Raoul Dandurand, le grand diplomate et homme politique à qui nous rendons hommage aujourd'hui était bien, comme vous n'avez pas manqué de le souligner, un visionnaire.

Le mot est bien choisi, car l'époque de Raoul Dandurand était, à bien des égards, différente de la nôtre : la plupart des Etats actuels vivaient encore sous le joug colonial; les conflits étaient presque toujours internationaux; la croissance démographique n'était pas un motif de préoccupation; et la nature -- on ne parlait pas encore d'environnement -- était perçue comme quelque chose d'immuable, un réservoir de ressources inépuisables.

Pourtant, Raoul Dandurand a pressenti, bien avant l'avènement des technologies de l'information, que notre planète ne pouvait que devenir plus "petite", que les peuples étaient appelés à "être, de moins en moins, étrangers les uns aux autres". Cet homme clairvoyant a compris, avant beaucoup d'autres, que la paix supposait la justice et le respect des minorités, que la sécurité devait être assurée par la coopération, que tous les peuples étaient égaux en droits et que les différends devaient être réglés par des moyens pacifiques. Humaniste, internationaliste convaincu, il a défendu des idéaux et embrassé des causes qui font de lui le devancier naturel des onusiens. Ses préoccupations n'ont d'ailleurs rien perdu de leur actualité. J'en veux pour preuve qu'elles se retrouvent en bonne place dans le Rapport du Millénaire, un document que le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies vient de consacrer aux grandes questions de notre temps et dont j'aimerais vous parler plus longuement.

Ce rapport, qui s'intitule "Nous les peuples : le rôle des Nations Unies au XXIème siècle", s'articule autour de deux idées maîtresses :

D'une part, l'Organisation des Nations Unies est au service des peuples: l'être humain doit donc être au coeur de son action;

D'autre part, la plupart des problèmes de notre époque ont une dimension mondiale; comme tels, ils exigent une prise de conscience universelle et une action concertée, énergique et soutenue au niveau planétaire.

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que si l'ONU est une organisation d'États, la Charte des Nations Unies, elle, a été écrite au nom des peuples. Dans son préambule, les peuples du monde proclament leur foi dans la dignité et la valeur de l'être humain et se disent résolus à favoriser le progrès économique et social, dans une liberté plus grande.

La responsabilité première de l'ONU est donc envers les peuples du monde; c'est pour répondre à leurs besoins et à leurs espoirs qu'elle a été créée. Et, si l'on pense aux buts qui sont énoncés à l'Article premier de la Charte - maintenir la paix et la sécurité internationales, développer des relations amicales entre les nations et réaliser la coopération internationale - il est clair que ce ne sont pas des fins en soi. En dernière analyse, il s'agit toujours et avant tout d'améliorer la vie des gens, où qu'ils se trouvent.

Que veulent les peuples du monde? Comme vous et moi, ils veulent vivre à l'abri du besoin et de la peur, et léguer à leurs enfants une planète qui soit à la fois vivable et viable.

Pour ce qui est de vivre à l'abri du besoin, trop de gens se débattent encore dans une pauvreté désespérante. Près de la moitié de l'humanité tente de survivre avec moins de deux dollars par jour. Dans certains pays, les pauvres représentent plus de 90% de la population. Pour des millions de personnes, l'accès à l'eau potable et aux services d'assainissement demeurent un luxe apparemment inaccessible, et ce même en milieu urbain, où bidonvilles et taudis ne sont souvent desservis par aucun service public.

Un si grand dénuement offre évidemment un terreau favorable à l'instabilité, aux tensions sociales ou ethniques et aux conflits meurtriers, qui, à leur tour, ne font qu'aggraver la misère.

L'éducation est un des meilleurs moyens de briser le cercle vicieux. Or, bien que le niveau d'instruction ait progressé de manière spectaculaire dans les pays en développement, l'analphabétisme continue d'y sévir, surtout parmi les femmes. Cette situation risque malheureusement de se perpétuer, car trop de petites filles ne vont toujours pas à l'école et n'ont aucun moyen d'acquérir une éducation de base.

Par ailleurs, les maladies continuent de faire leurs ravages. Le sida, en particulier, se propage à une vitesse effrayante. Chaque jour, 5 500 Africains meurent du sida. Chaque minute, quatre jeunes Africains de plus sont infectés. Et la situation n'est guère plus brillante dans certaines régions d'Asie ou du Pacifique, où les taux de contamination ne cessent d'augmenter.

C'est une génération tout entière que l'épidémie est en train de faucher, choisissant ses victimes parmi les plus jeunes, souvent aussi les plus instruits et les plus productifs. C'est donc non seulement le présent, mais aussi l'avenir des communautés touchées qui se trouve dangereusement hypothéqué.

Quant au désir de vivre dans un monde libéré de la peur, on est encore, hélas, loin du compte. Si les guerres entre Etats se font plus rares, les conflits internes se sont multipliés, en particulier dans les pays pauvres. Alimentés par la cupidité ou l'opportunisme, ils sont parfois entretenus par les trafiquants d'armes et de drogues.

Les armes de destruction massive, dont les armes nucléaires, continuent de faire planer une grave menace sur l'humanité tout entière. La prolifération des armes légères prolonge les conflits, déstabilise les gouvernements et profite au terrorisme et à la criminalité organisée.

Enfin, la nécessité de préserver les écosystèmes dont dépend notre subsistance et celle des générations futures est manifeste: l'accroissement de la population, conjugué à des pratiques industrielles et agricoles nuisibles, risque de causer des dommages irréparables. L'érosion des sols, la pénurie d'eau douce, l'épuisement des ressources et le réchauffement de la planète sont autant de problèmes qui nous concernent tous et appellent une attention urgente.

S'il est un phénomène, en ce début de XXIème siècle, qui prête à débat et à controverse, c'est bien la mondialisation. La mondialisation n'est pas un choix, c'est un état de fait, engendré par l'abolition des distances et la révolution technologique; c'est la toile de fond sur laquelle s'inscrit notre action ou notre inaction.

Porteuse d'espoirs et de promesses pour les uns, la mondialisation est synonyme d'exclusion et de marginalisation pour les autres. Il est vrai que ses fruits demeurent concentrés dans un petit nombre de pays, à l'intérieur desquels ils sont inégalement répartis.

D'autres contrastes apparaissent clairement. Ainsi, s'il a été aisé d'adopter des réglementations favorisant l'expansion des marchés, bien peu d'attention a jusqu'à présent été accordée à des objectifs sociaux pourtant tout aussi essentiels au bien-être des peuples. Par ailleurs, si l'ouverture des frontières et les progrès technologiques constituent de puissants moteurs de croissance, ils profitent également aux terroristes et aux criminels de tout poil qui se livrent au trafic international des drogues, des armes ou même des êtres humains.

Le défi est aujourd'hui de gérer avec succès ces tensions inhérentes à toute transformation de notre société humaine, de faire en sorte que la mondialisation tienne ses promesses tout en en jugulant les effets néfastes. Il ne s'agit donc pas de remettre en cause un fait accompli en prônant un isolationnisme dépassé et synonyme d'inertie, mais d'"humaniser" la mondialisation, de la "démocratiser" par une action concertée à l'échelle planétaire. Le succès de cette action dépend, à mon sens, d'un certain nombre de facteurs.

Premièrement, la communauté internationale doit se doter d'objectifs clairs et réalistes - ce qui ne veut pas dire timides - pour répondre aux aspirations fondamentales des peuples du monde que j'évoquais tout à l'heure. C'est ce qu'a voulu amorcer le Secrétaire général dans son Rapport du Millénaire.

Concrètement, il propose que des mesures soient prises pour réduire de moitié, d'ici à 2015, le nombre de pauvres et de personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable; pour faire baisser d'un quart, d'ici à 2010, le taux d'infection par le VIH chez les jeunes; ou encore pour garantir une instruction primaire complète à tous les enfants d'ici à 2015. Dans d'autres domaines tout aussi importants, il exhorte par exemple les Etats Membres à agir énergiquement pour mettre un frein aux transferts illicites d'armes légères, et prône l'adoption de nouvelles règles éthiques pour protéger la planète.

L'interdépendance étant désormais une donnée incontournable, la concrétisation des objectifs adoptés passe nécessairement par la coopération et la solidarité entre les peuples.

Pour les pays développés, cela suppose un effort accru sur le plan de l'ouverture des marchés, de l'allégement de la dette, de l'aide publique au développement et du transfert des technologies, afin d'aider les pays plus pauvres à se faire les acteurs de leur propre développement.

Pour les pays en développement, cela suppose un engagement plus ferme en faveur de la bonne gouvernance, de l'état de droit et des droits de l'homme, de sorte à donner les meilleures chances possibles à la croissance et à la stabilité.

Deuxièmement, la communauté internationale doit se donner les moyens de ses ambitions. Pour une meilleure gouvernance, tant nationale qu'internationale, il faut des Etat forts dotés d'institutions efficaces.

Mais les institutions internationales, au travers desquelles les Etats gèrent ensemble leurs problèmes communs, ont également un rôle important à jouer. Elles doivent donc être en mesure de réagir efficacement aux problèmes de leur temps. Ainsi, on a beaucoup parlé récemment - et à juste titre - de la nécessité de réformer les institutions de Bretton Woods pour qu'elles contribuent plus efficacement à la lutte contre la pauvreté et que les pays en développement aient davantage voix au chapitre.

L'ONU, elle aussi, doit continuer à s'adapter au nouveau contexte mondial afin d'être à la hauteur des attentes placées en elle. Cela veut dire revoir ses structures, en particulier la composition et le mode de fonctionnement du Conseil de sécurité, et moderniser ses méthodes de gestion.

Mais pour être à même de répondre aux crises politiques, militaires ou humanitaires qui ne manqueront malheureusement pas de se déclencher à nouveau, les Nations Unies doivent aussi pouvoir compter sur le soutien de l'ensemble des Etats Membres. Si ceux-ci n'acquittent pas leurs quotes-parts, ignorent ses demandes de contributions volontaires ou lui refusent leur appui politique, l'Organisation n'aura aucune chance de s'acquitter de ses missions.

Troisièmement, les nouvelles technologies de l'information doivent être mises au service du développement. Nul ne peut douter aujourd'hui de l'immense potentiel qu'elles recèlent, que ce soit pour le commerce, la diffusion des connaissances ou même la consolidation des démocraties. L'analphabétisme électronique sera demain - s'il n'est déjà aujourd'hui - un handicap trop lourd à porter pour que quiconque y soit condamné. A tout prix, nous devons donc empêcher que le fossé numérique ne se creuse encore davantage entre les privilégiés qui ne peuvent déjà plus s'imaginer la vie sans l'Internet ou le courrier électronique et les millions d'autres qui n'ont jamais ni donné ni reçu un coup de téléphone.

Enfin, tous les secteurs de la société, sans exception, doivent être associés à la gestion des problèmes planétaire et au progrès de l'humanité. En effet, qui dit bonne gouvernance dit participation et responsabilités accrues, à tous les niveaux. C'est pourquoi, sans jamais vouloir affaiblir les Etats - bien au contraire - il faut associer de nouveaux acteurs à la gestion des affaires

internationales, notamment à travers l'Organisation des Nations Unies. Au nombre de ces acteurs figurent les organisations de la société civile, le secteur privé, les pouvoirs locaux, les associations scientifiques et les universités.

Les entreprises qui opèrent à l'échelle planétaire occupent une place à part dans cette nouvelle constellation. Plus que quiconque, ce sont elles qui ont créé l'espace économique unique dans lequel nous vivons. Leurs décisions influent sur les perspectives économiques de populations, voire de nations entières, et leurs droits se sont considérablement élargis.

Ce serait donc se leurrer que de vouloir gérer la planète sans les prendre en compte. Et les prendre en compte, c'est non seulement veiller à ce qu'elles puissent nourrir la croissance, mais aussi promouvoir la notion d'un civisme mondial des entreprises.

C'est de là qu'est venue l'idée du Pacte mondial lancé par le Secrétaire général au début de l'année dernière. Ce Pacte a pour but d'encourager les entreprises à adopter des normes de travail équitables, à respecter les droits de la personne et à protéger l'environnement. Il part du principe qu'en intégrant ces valeurs universelles dans leurs pratiques, elles donneront plus de chances à la mondialisation de se poursuivre harmonieusement car elles favoriseront la réalisation d'objectifs sociaux tout en facilitant l'ouverture des marchés.

Quant à la société civile et aux organisations non gouvernementales, elles ont à maintes reprises démontré qu'elles avaient la volonté et les moyens d'aider l'humanité à se débarrasser de la peur et du besoin. Elles l'ont fait et continuent à le faire en défendant avec succès des causes telles que l'interdiction des mines terrestres ou l'allégement de la dette des pays pauvres, mais aussi en intervenant rapidement et efficacement sur le terrain lorsque la guerre ou les catastrophes naturelles plongent des milliers d'êtres humains dans la violence et le dénuement. Nous aurions donc bien tort de ne pas chercher à en faire nos partenaires à part entière.

Apprendre à gouverner mieux et à gouverner mieux ensemble sur la base d'un vaste consensus, c'est pour les gouvernants le seul moyen de mériter la confiance des peuples en répondant à leurs aspirations profondes. Dans son rapport du millénaire, Kofi Annan offre aux dirigeants de la planète, qui se réuniront en septembre prochain à l'occasion du Sommet du millénaire, des pistes de réflexion qu'il assortit de propositions concrètes et d'objectifs chiffrés. Il est à espérer qu'ils saisiront l'occasion pour prendre ensemble des engagements sérieux et, surtout, que ceux-ci se reflèteront dans les politiques nationales qui influencent directement la vie quotidienne des habitants de la planète, présents et à venir.

* *** *

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.