En cours au Siège de l'ONU

PI/1245

L'ONU CELEBRE LA JOURNEE MONDIALE DE LA LIBERTE DE LA PRESSE EN SOULIGNANT LE ROLE DES JOURNALISTES DANS LA PROMOTION DE LA PAIX

3 mai 2000


Communiqué de Presse
PI/1245


L’ONU CELEBRE LA JOURNEE MONDIALE DE LA LIBERTE DE LA PRESSE EN SOULIGNANT LE ROLE DES JOURNALISTES DANS LA PROMOTION DE LA PAIX

20000503

“Les journalistes haïtiens ont le choix entre la mort, la corruption et la pauvreté. J’ai choisi la pauvreté. Si vous aux Nations Unies ne faites rien, je vais être assassinée”. Ces mots sont ceux de Mme Ghislène Méance, journaliste haïtienne, qui évoquait, ce matin à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse, son expérience professionnelle dans un pays en proie à la violence depuis la chute de la dictature en 1986. Avec les autres journalistes invités à participer à la table ronde organisée par le Département de l'information sur le thème “Le reportage dans un monde dangereux : le rôle des médias dans la résolution des conflits, la réconciliation et l’établissement de la paix”, Mme Méance a dénoncé les pressions, allant parfois jusqu’à l’agression physique et aux menaces de mort, que subissent les journalistes dans de nombreux pays. M. Refik Hodzic, ancien journaliste de Bosnie-Herzégovine, a expliqué que dans son pays, les médias reflètent encore, à l’heure actuelle, dans une grande mesure, les divisions ethniques qui ont conduit à la guerre, tandis que des pressions sont exercées sur les journalistes indépendants qui s’efforcent par leur travail de contribuer au processus de réconciliation en cours. Au Salvador, a expliqué le journaliste salvadorien Carlos Dada, de nombreux journalistes sont devenus des propagandistes durant la guerre civile. Mme Suha Amer, journaliste libanaise, a souligné pour sa part les difficultés qu’il y a à couvrir avec objectivité des événements éprouvants comme le massacre de Canaa en 1996. L’objectif des journalistes doit être d’apaiser les conflits et non de les attiser, a rappelé le journaliste nigérian Jemi Ekunkunbor. Les journalistes peuvent accélérer le processus de réconciliation et aider la population à se faire entendre. Ils occupent une position stratégique dans la mesure où ils peuvent influencer les événements.

M. Sorious Samura, réalisateur de la Sierra Leone, a présenté son documentaire “Cry Freetown” sur les violences commises dans cette ville au début de la guerre en Sierra Leone. Un court documentaire tourné pour la télévision des Philippines sur la participation des journalistes à la chute de la dictature de Ferdinand Marcos a été présenté par la journaliste philippine Vicky Morales. La table ronde était animée par Richard Roth, correspondant permanent de CNN à l'ONU.

La célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse, organisée par le DPI et co-parrainée par la Friedrich Ebert Foundation, marquait également le 20ème anniversaire du lancement du Programme de formation de journalistes et commentateurs de radio et de télévision de pays en développement mené par le DPI. Accueillant les participants, M. Kensaku Hogen, Secrétaire général adjoint à la communication et à l’information, a rappelé que la Journée mondiale de la liberté de la presse est célébrée depuis 1993 et a expliqué que le Programme annuel de formation de journalistes et commentateurs de radio et de télévision de pays en développement, auquel ont participé tous les journalistes invités ce matin, avait permis de créer un réseau de professionnels sur le terrain, qui s'intéressent au travail des Nations Unies.

Dans un message vidéo enregistré pour l'occasion, le Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, a engagé les pays à protéger le droit des journalistes de faire leur travail. “Leur liberté est notre liberté et notre sécurité dépend de la leur”, a-t-il dit. Le Directeur du Programme international pour le développement de la communication de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), M. Claude Ondobo Nozana, a estimé que les médias pouvaient faire en sorte que toutes les parties aient accès à l’information, cela afin de faciliter le dialogue. Les médias peuvent aussi contribuer à créer un environnement favorable au processus de négociation et réduire le climat de méfiance entre les parties. Ils peuvent permettre aux acteurs d'un conflit de s'exprimer autrement que par la violence et aider à faire comprendre que toutes les parties ont des chances égales à la table de négociations. Enfin, les médias, en assurant une couverture impartiale, aident à délimiter les enjeux et à faire connaître les compromis qui ont été faits. Ils donnent la possibilité aux parties de faire connaître à un large public les solutions qu’elles proposent. La liberté de la presse est en définitive la meilleure garantie du changement et du progrès. Il n’y a pas de liberté sans démocratie et il ne saurait y avoir de démocratie sans liberté de la presse, a affirmé pour sa part M. Shashi Tharoor, Directeur de la communication et des projets spéciaux au Cabinet du Secrétaire général. M. Tharoor a souligné l’impact des médias sur les opinions publiques et sur les décideurs et a engagé les journalistes à couvrir plus largement et de manière plus équilibrée les différentes parties du monde, ainsi que les efforts et les succès de l’ONU en faveur du développement et de la paix.

Message du Secrétaire général

M. KOFI ANNAN, Secrétaire général des Nations Unies, a observé, dans un message vidéo, que la vérité est souvent la première victime de la guerre. Trop souvent les hommes et les femmes dont le travail est de dire la vérité sont les premières victimes. Les journalistes ne sont pas des victimes accidentelles mais sont de plus en plus souvent des cibles délibérées. Ceux qui font la guerre ont souvent intérêt à museler la vérité et tuent ou cherchent à intimider les journalistes. En empêchant les journalistes de faire leur travail, ceux qui font la guerre dénient à leurs compatriotes le droit de savoir ce qui se passe. Sans information, il est encore plus difficile de mettre fin à la guerre et de rapprocher les protagonistes. Le droit des journalistes de faire leur travail doit être protégé. Il faut protéger leur liberté car leur liberté est notre liberté et notre sécurité dépend de la leur.

Remarques liminaires

M. CLAUDE ONDOBO NOZANA, Directeur du Programme international pour le développement de la communication à l’UNESCO, a indiqué que le thème de cette année, “le reportage dans un monde dangereux” a une résonance particulière pour l’UNESCO dont le mandat a pour objectif, entre autres, de renforcer la coopération internationale par l’écrit et par l’image. Il a regretté que les journalistes soient trop souvent la cible de ceux qui sont prêts à recourir à la violence pour arriver à leurs fins. L’UNESCO, a-t-il rappelé, notamment par le programme pour le développement de la communication, apporte son soutien aux journalistes dans les situations de conflits. Il a cité l’action entreprise par son organisation pour rassembler les journalistes lors du génocide au Rwanda, grâce à la création de la “Maison de la presse”. Il a fait part d’actions similaires au Burundi, de missions techniques en Sierra Leone, au Libéria, en République démocratique du Congo et au Lesotho. Il a précisé que l’objectif de cette assistance aux journalistes est de leur permettre de continuer à exercer leur métier sans entrave, en toute liberté et avec impartialité.

S'agissant du rôle des journalistes dans la résolution des conflits, M. Ondobo a évoqué deux positions antagoniques : la première, qui consiste à impliquer les journalistes dans le processus de réconciliation s'apparente à la manipulation, et la seconde selon laquelle les journalistes, en tant que membres de la société, ont un rôle à jouer pour s’assurer que cette société ne sombre pas dans la violence. Un tel débat n’aurait pas de fin et il importe de se demander quel rôle peuvent effectivement jouer les journalistes pour aider à promouvoir la réconciliation. A cet égard, il a mentionné quelques idées avancées par Rob Manoff, Directeur du Centre de l’Université de New York travaillant sur le thème « la guerre, la paix et les médias ». Les médias peuvent faire en sorte que toutes les parties aient accès à l’information, ce qui faciliterait le dialogue. Ils peuvent contribuer à créer un environnement favorable au processus de négociation et réduire le climat de méfiance entre les parties. Les médias permettent aux acteurs d'un conflit de s'exprimer autrement que par la violence et aident à faire comprendre que toutes les parties ont des chances égales à la table de négociations. Enfin, les médias, en assurant une couverture impartiale, aident à délimiter les enjeux et à faire connaître les compromis qui ont été faits. Ils donnent la possibilité aux parties de faire connaître à un large public les différentes solutions qu’elles suggèrent.

En conclusion, il a rappelé que l’UNESCO est l’institution des Nations Unies la plus engagée dans la mise en oeuvre de l’initiative spéciale pour l’Afrique dans sa composante information et promotion de la paix. A cet égard, il a indiqué que les efforts de réconciliation en Afrique sont sapés par la marginalisation de la population et que le programme de l’UNESCO vise à diffuser des messages aidant à la promotion d’une culture de la réconciliation. Il a également mentionné les efforts de l’UNESCO en faveur des journalistes du Moyen-Orient, afin de les aider à lutter contre les stéréotypes répandus de la région.

M. SHASHI THAROOR, Directeur de la communication et des projets spéciaux au Cabinet du Secrétaire général, a rappelé que la liberté de la presse est un droit fondamental dont dépend le respect de nombreux autres droits. Il a évoqué les problèmes particuliers que peuvent rencontrer les journalistes des pays en développement où la liberté de la presse n’est pas toujours un droit reconnu. Une presse libre marque souvent la différence entre une société capable de protéger les droits de l’homme et une société répressive, a-t-il souligné. La liberté de la presse est en définitive la meilleure garantie du changement et du progrès. Il n’y a pas de liberté sans démocratie et il ne saurait y avoir de démocratie sans liberté de la presse, a-t-il affirmé.

Du point de vue des Nations Unies, la liberté de la presse est un pont, le véhicule indispensable pour l’échange d’idées entre les nations et la base d’une véritable coopération et entente entre les civilisations, un objectif au cœur du travail de l’ONU. La liberté de la presse est essentielle pour assurer la transparence, une bonne gouvernance et la primauté du droit. On ne saurait la supprimer sans conséquence dangereuse et l’absence de liberté de la presse peut conduire à la guerre. Lorsque l’on examine ces dangers, il faut dans le même temps examiner aussi ce que l’on peut faire positivement après un conflit en matière de liberté de la presse. Dans le monde d’aujourd’hui, on ne peut échapper à la mondialisation du monde des médias favorisée par le développement des nouvelles technologies de l’information. Cette mondialisation soulève une série de questions, comme l’inégalité de perspectives de la presse. On constate que toutes les situations ne sont pas couvertes de la même manière. Ce qui incite à s’interroger sur la responsabilité des médias dans notre nouveau monde et sur les perspectives de solution qui offre Internet. L’Internet un outil démocratisant car tout un chacun peut l’utiliser pour transmettre des informations, mais il ne touche qu’un nombre limité de personnes car seule une minorité possède un ordinateur. Si l’on compte sur l’Internet, on risque donc de marginaliser une majorité de la population mondiale. De nombreuses questions se posent mais toute une série de possibilités existent. L’accès à l’information rendu possible par le développement des nouvelles technologies ouvre tout un éventail de possibilités nouvelles. Il suffira à l’avenir d’un seul journaliste et d’une ligne téléphonique pour faire passer un article. Mais les journalistes et les éditeurs doivent faire un choix dans leur couverture des évènements

A l'ONU, on continue de s’interroger sur l’impact de la couverture des médias sur la façon dont le monde fonctionne. En 1992, pour la première fois, on a dit que CNN était le 16ème membre du Conseil de sécurité. Comme on l’a constaté à plusieurs occasions, les médias sont souvent plus rapides que le Secrétariat pour diffuser une information que ce dernier est sensé fournir. Les événements qui ont marqué la fin de la guerre froide ont été montrés en direct par les médias. C’est cette couverture en direct et les appels de l’opinion publique qu’elle a suscités qui nous ont dicté notre agenda. La télévision incite la communauté internationale à réagir à ce qui se passe et permet à l’opinion mondiale d’appeler ses dirigeants à faire quelque chose. Les médias ne créent pas la politique, mais ils peuvent pousser les décideurs, il est vrai, parfois, dans une mauvaise direction. Il en est ainsi de la tragédie de Mogadiscio, montrée à la télévision, qui a eu pour conséquence le retrait des troupes américaines et le démantèlement de l’opération des Nations Unies. Il faut donc envisager la situation dans sa juste perspective et tenir compte du rôle prédominant de la télévision.

On constate, aujourd'hui, que la télévision fait passer de moins en moins d'informations étrangères. Ainsi, aux Etats-Unis, à l'exception de CNN, la télévision est dominée par les informations nationales. En outre, la télévision montre davantage les conflits et les tragédies qu'elle ne rend compte des réussites. Il en est ainsi des efforts de l'ONU dans la résolution des conflits ou dans d'autres domaines où l'Organisation a réussi. On sait que les bonnes nouvelles ne sont pas captivantes. C'est la raison pour laquelle les réussites des Nations Unies passent inaperçues dans la presse. Tout en encourageant le respect de la liberté de la presse, les Nations Unies voudraient aussi encourager les médias à faire davantage. Le Secrétaire général a proposé, il y a quelques années un journalisme préventif qui consisterait à couvrir les situations susceptibles de se détériorer de façon à mieux les maîtriser. Mais cela est peut être un rêve puisque les journalistes sont là pour diffuser l'information et non la créer. Ils ont cependant un rôle important à jouer vu l’impact de la couverture médiatique sur l’opinion publique et sur les décideurs. Elle est disposée à aider les journalistes et la presse et souhaite faire de ceux-ci des partenaires dans sa lutte contre la pauvreté et la création d’un monde nouveau par les Nations Unies. L’ONU est déterminée à promouvoir la transparence et à faciliter l’accès à l’information. L’ONU est déterminée à collaborer avec la presse. Mais nous devons essayer d’obtenir une couverture plus large de pays lointains sur les écrans de télévision des pays riches, a conclu M. Tharoor.

Présentation du documentaire "Cry Freetown"

M. RICHARD ROTH, Cable News Network (CNN), présentant le réalisateur du documentaire “Cry Freetown”, a plaisanté sur l’absence de journalistes aux réunions du Conseil de sécurité auxquelles ils ou elles n'ont pas la liberté d'assister. Il a abordé, plus sérieusement, la situation des journalistes qui travaillent, dans des conditions souvent dangereuses, sur le terrain. Il a fait l’éloge du film de Sorious Samura, “Cry Freetown”, et a rappelé la situation des journalistes qui sont encore prisonniers en Sierra Leone. Selon les informations, la Sierra Leone est le pays le plus dangereux actuellement pour les journalistes.

M. SORIOUS SAMURA, réalisateur de “Cry Freetown”, a invité les participants à l’accompagner quelques mois dans son travail pour mesurer l’importance réelle de la liberté de la presse, particulièrement en Afrique où la vie humaine ne vaut pas très chère aujourd’hui. Il importe que les journalistes par leurs reportages indépendants puissent participer à la formation d’un monde libéré de la guerre. Il a rappelé que les journalistes doivent pouvoir exercer en toute sécurité et bénéficier d’une complète égalité de traitement, quel que soit le journal qu’ils représentent, leur sexe ou leur statut. A ce propos, il a souligné l’ironie qui fait qu'en Afrique, en raison des conditions épouvantables dans lesquelles travaillent les journalistes africains, on est mieux informé des évènements internationaux que régionaux. La pauvreté elle-même est exploitée pour justifier les entraves à la liberté des journalistes qui sont souvent obligés de quitter leur pays après la fermeture de leurs journaux. Il a également cité le cas des journalistes nigérians qui ont été arrêtés, torturés et emprisonnés pendant de longues années. Citant le cas du Zimbabwe où la situation s'est détériorée en raison de la politique de réforme agraire en cours, il a rappelé que c’est un journaliste étranger qui avait été accusé d’avoir bombardé un grand organe de presse de ce pays.

Il a fait part de son expérience personnelle, rappelant que tous ses articles étaient relus par les autorités militaires avant d’être publiés. Parmi les menaces et les intimidations, il a indiqué avoir été menacé à bout portant par des militaires, avoir même été attaqué par un soldat de l’ECOMOG qui avait été filmé torturant un jeune garçon. Il a regretté qu’aucun appel n'ait été lancé pour qu'une solution soit trouvée à l'entrave à la liberté de la presse et à la sécurité des journalistes qui s’efforcent de faire connaître la situation des hommes et des femmes du monde.

Plusieurs questions ont ensuite été posées sur la situation en Sierra Leone, particulièrement sur la position des Nations Unies, le rôle de l’ECOMOG, le rôle des médias occidentaux tant au début de la guerre qu’au moment de la sortie du film, et sur la position de M. Samura par rapport au Gouvernement légitime de la Sierra Leone. Le représentant du Nigéria lui a demandé des précisions sur le général nigérian qui aurait déclaré que M. Samura était un homme dangereux qui serait en danger s’il rentrait dans son pays. Ainsi le représentant de la Sierra Leone, reconnaissant les qualités professionnelles de M. Samura, son objectivité et sa loyauté par rapport à son Gouvernement, a regretté que le film ne présente que les atrocités commises par l’ECOMOG et non celles dont sont responsables les rebelles. Il a relaté qu’à la sortie du film, de ce fait, il avait été critiqué comme un reportage unilatéral manquant d’objectivité. Il faut savoir que Freetown n’était pas la seule victime des rebelles, a-t-il ajouté, en estimant qu’il aurait été utile de signaler l’ampleur de la situation réelle et de montrer les atrocités commises par toutes les parties. Le représentant de l’Inde a mis l’accent sur la difficulté pour les journalistes de rester neutres dans les conflits et a demancè l'intime conviction de M. Samura sur cette question.

Pour sa part, le représentant de l’Arabie Saoudite a souhaité recevoir des précisions sur la réception du film par les médias occidentaux qui sont toujours prêts à dénoncer l’absence de liberté de la presse dans les pays en développement. Il s’est étonné de leur silence devant un tel documentaire et a également posé une question concernant le rôle de CNN au début de la guerre en Sierra Leone.

Répondant à ces questions, M. Samura a demandé si ses détracteurs auraient eu le courage de faire ce qu’il a fait pour dénoncer la guerre en Sierra Leone. Il a regretté que certaines interprétations de son film viennent de ce que le public fait souvent plus attention aux images en ignorant le texte d'accompagnement. Il a précisé que les scènes de violence sont authentiques et a ajouté qu’il n’avait pu filmer les mêmes scènes lorsqu’il avait été capturé par les rebelles, car il était à ce moment-là menacé de mort. Il a ajouté qu’il avait alors choisi de montrer ce qu’il avait pu filmer, c’est-à-dire les atrocités commises par les soldats de l’ECOMOG. Reconnaissant toutefois qu’il est difficile de rester neutre sur le plan affectif, M. Samura a indiqué qu’il se plie volontiers à la déontologie de sa profession. Quant à la distribution de son film, M. Samura a expliqué que les salles de rédaction dans lesquelles le film a été présenté lui ont demandé de le nettoyer un peu. Il a ajouté que si ce film avait pu atteindre le grand public, il aurait sûrement aidé à mobiliser l’opinion publique internationale. Revenant sur la question de sa neutralité, M. Samura a réitéré qu’il avait essayé de présenter la guerre dès son début. Il a rappelé son arrivée à Freetown, sa capture par les rebelles et les dangers auxquels il avait été exposé lorsqu’il s’était enfui et avait couru vers les soldats de l’ECOMOG.

Sur sa décision de ne pas rentrer en Sierra Leone, M. Samura a indiqué qu’on lui avait rapporté que le Commandant de la force nigériane de l’ECOMOG avait déclaré qu’il était un homme dangereux qui risquait de créer des remous. En conclusion, M. Samura a regretté que la situation en Afrique n'ait jamais été examinée en profondeur. Il a estimé que l’accord de paix en Sierra Leone a été signé à la demande de puissances occidentales qui attendent souvent que la situation se détériore avant d’envoyer des forces. Il a insisté sur les responsabilités des journalistes qui doivent s’efforcer de rester objectifs et faire leur travail.

Table ronde

Mme SUHA AMER, Journaliste à l'Agence nationale de presse du Liban, a expliqué que c'est pour trouver une réponse à l'interrogation que pose la guerre qu'elle est arrivée au journalisme. La guerre a éclaté au Liban en 1975. C'est une tâche difficile que d'être journaliste dans une situation que l'on a qualifiée de guerre civile. En réalité, il s'agissait véritablement d'une guerre menée par d'autres sur le territoire du Liban. De nombreux médias appartenant à des Libanais, eux-mêmes sous la coupe d'étrangers, ont contribué à attiser la guerre et les médias sont devenus une arme. Les médias étrangers n'ont pas fait mieux dans la couverture de la guerre du Liban. Aujourd'hui, les médias n'appartiennent plus au seigneurs de la guerre. Evoquant son expérience personnelle, Mme Amer a indiqué que l'un des incidents les plus mémorables et les plus terribles de sa carrière de reporter avait été la tragédie de Canaa en avril 1996 lorsque des centaines de civils ont été tués par un obus des forces israéliennes. La couverture officielle a manqué d'objectivité. On peut se demander comment couvrir de telles horreurs de manière objective : il y avait des bébés décapités, des cadavres par terre. Une photograhie aurait suffi pour montrer la réalité, en un mot décrire ce qui s'était passé. Après Canaa, les médias ont commencé à se concentrer sérieusement sur une couverture plus objective de la situation. Aujourd'hui, les choses ont changé et les médias se concentrent sur des questions telles que la souveraineté du pays, la question des réfugiés etc… On est conscient qu'in ne suffit pas de reconstruire les bâtiments et les infrastructures mais aussi de construire des ponts humains entre les communautés qui constituent le véritable chemin vers la paix.

M. CARLOS DADA, journaliste à la Prensa Gràfica de El Salvador, a rappelé que la mission du journaliste consiste à défendre les intérêts du public. L'Accord de paix au Salvador a été signé en 1992. C'est vrai qu'il est difficile d'être journaliste dans une région aussi violente que l'Amérique latine. C'est un ferment d'informations pour le journaliste, et la plupart des journalistes couvrent la guerre civile avec objectivité, mais plusieurs d'entre eux sont malheureusement devenus des propagandistes. Aujourd'hui, la guerre est finie et la plupart de ceux qui ont couvert cette guerre ont vu le sang couler. Le rôle des journalistes, aujourd'hui, est d'aborder les nouvelles réalités, comme la réconciliation, avec la plus grande circonspection et de poser des questions éthiques à propos du passé : la réconciliation veut-elle dire oublier le passé et laisser les auteurs de crimes impunis? Les journalistes doivent être gardiens de la société civile qui n'a pas toujours les moyens de se faire entendre.

Mme JEMI EKUNKUNBOR, journaliste au Vanguard Newspapers du Nigéria, a rappelé que la tâche de diffuser l'information est devenue de plus en plus complexe, en raison notamment de l’accélération de la transmission grâce au développement des nouvelles technologies En Afrique, des conflits s’éteignent, de nouveaux s'allument avec leur cortège de malheurs et de réfugiés. Lorsqu’il couvre de tels événements, l’objectif du journaliste doit être d’apaiser les conflits et non de les attiser. Les journalistes peuvent promouvoir la réconciliation une fois que le conflit est éteint. Ils peuvent aider la population à se faire entendre. Ils occupent une position stratégique en influençant les événements. Les journalistes sont les gardiens de l’information, laquelle contribue dans une grande mesure à réorienter la société. Parfois il faut se battre pour bien couvrir les nouvelles, en particulier lorsqu’il y a une présence militaire. Mais, c’est toujours vers les médias que la population se tournera pour connaître la vérité. En ce qui concerne la responsabilité sociale des médias, il ne faut pas être trop optimiste et croire qu’ils peuvent assumer cette responsabilité à tout moment, même si c’est l’objectif vers lequel les journalistes doivent tendre.

La complexité du Nigéria, notamment, d’un point de vue ethnique, rend la situation difficile à couvrir. Aujourd’hui, il existe 11 régions où des conflits non résolus se poursuivent. Dans la couverture de la plupart de ces conflits, les médias nigérians se sont montrés à la hauteur des événements, transmettant les nouvelles venant de toutes les parties. En s’acquittant de leur fonction sociale, toutes les organisations de journalistes n’avaient pas d’assurance pour couvrir leurs reporters. De toute façon, dans ce type de situation, il est clair que les journalistes risquent leur vie. La situation la plus horrible est dans la région du Delta du Niger. Il y a quelques années, plusieurs groupes de pression ont été formés et le Vanguard a décidé d’ouvrir une page pour que l’opinion publique puisse s’exprimer sur cette question. Les groupes minoritaires ont profité de cette opportunité pour faire connaître leur opinion aux autorités. A l’heure actuelle, deux pages du Vanguard sont consacrées aux nouvelles de la région du Delta du Niger. Cela a permis d’obtenir des avantages pour la région a dit M. Ekunkunbor en conclusion en soulignant le rôle des femmes à la promotion de la paix

M. REFIK HODZIC, porte-parole de l’Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental et ancien journaliste à DANI, Bosnie-Herzégovine, a expliqué que plus de 4 ans après la guerre de Bosnie, on est toujours en train d’essayer de rétablir la paix dans le pays. Un groupe de journalistes indépendants constitue l’un des piliers de ce processus. A l’heure actuelle, les médias, dans une grande mesure, reflètent encore les divisions ethniques qui sont à l'origine de la guerre. Quelques 430 médias existent en Bosnie-Herzégovine servant une population d’à peine 4 millions de personnes. Une grande majorité de ces médias servent leur propre groupe ethnique. La plupart de ces entreprises ont un caractère commercial et préfèrent les variétés à l’information, ayant donc un rôle marginal dans le rétablissement de la paix. Les trois grandes télévisions ne peuvent pas être encore considérées comme des facteurs de poids en ce qui concerne la réconciliation car elles sont soumises à des influences politiques et manquent souvent de crédibilité au sein de la population. Il existe un petit groupe de médias indépendants qui ont été les premiers ponts entre les ethnies en guerre, cherchant à préserver la vérité lorsqu’ils rapportaient les nouvelles, cela à un moment où ne pas critiquer l’ennemi était inacceptable. Bien souvent ils ont lancé des débats que même la communauté internationale hésitait à aborder. Les pressions financières qui pesaient sur eux ont été diminuées grâce à l’aide internationale à la presse libre dans le monde, mais les pressions physiques pesant sur ces journalistes n’ont pas disparu, comme l’ont montré divers incidents récents. Les dernières élections qui se sont tenues en Bosnie ont montré que les partis modérés recevaient un appui plus large là où les médias indépendants pouvaient atteindre les populations.

M. Hodzik s’est interrogé sur le succès que l’on peut attendre de la lutte menée par les journalistes indépendants. Quel est le rôle du journaliste? Que dire de ceux qui ont joué un rôle moins qu’honorable lors de la guerre de Bosnie? Quelle est leur place, alors que certains d’entre eux continuent d’occuper des postes d’éditeurs, à diriger des journaux et des radios, en Bosnie? Le sacrifice des journalistes agressés ou tués sera-t-il vain? Ceux qui continuent de pouvoir exercer leur métier ont pour responsabilité de montrer du doigt ceux qui abusent de leur rôle pour influencer négativement l’opinion de faire en sorte que ceux qui se sont battus pour une presse libre ne voient pas leur réputation ternie par ceux qui osent encore s’appeler journalistes.

Mme GHISLENE MEANCE (Haïti), journaliste à Radio Galaxie, a estimé qu’il est de la responsabilité des journalistes de diffuser les conséquences des conflits. Reconnaissant qu’une meilleure information sur les conséquences de la violence pourrait contribuer à la faire reculer, elle a toutefois déclaré qu’un tel journalisme préventif est difficile à réaliser pour la simple raison que la violence éclate souvent sans crier gare. S’agissant de la situation dans son pays, elle a précisé que la presse haïtienne avait pris position contre la dictature et que c’est la raison pour laquelle il y avait eu tant de victimes parmi les journalistes. Malheureusement la presse s’est vue impuissante face à la montée de la violence. Depuis l’introduction du thème de la réconciliation dans la politique haïtienne, la presse est souvent prise dans les mailles des filets des opposants politiques et les journalistes qui s’éloignent des positions partisanes acceptées sont souvent menacés de mort, a-t-elle souligné avant de préciser qu’aujourd’hui la presse a perdu plus de liberté puisqu’elle ne sait plus qui "la frappe".

Poursuivant, elle a demandé pourquoi la majorité de la population est laissée à l’ombre des projecteurs alors que la minorité qui se bat pour le pouvoir est en plein champ. La responsabilité des journalistes est de rendre compte des souffrances des populations et non de hanter les salles de réception des ministres, a-t-elle insisté. Regrettant la mort récente d’un collègue journaliste, elle a déclaré que les journalistes haïtiens ont le choix entre la mort, la corruption et la pauvreté. Elle a ajouté qu’elle avait choisi la pauvreté et comptait sur l’aide des Nations Unies pour que ce choix n’entraîne pas sa mort.

Mme VICKY MORALES (Philippines), journaliste à GMA Network Incorporated, s’est remémorée avec émotion sa participation au programme de formation des journalistes organisé par le Département de l’information. Elle a vanté ce programme qui lui avait fait prendre conscience que le monde n’était qu’un. Indiquant qu’en écoutant ses collègues elle se félicitait de la liberté de la presse qui règne dans son pays depuis la fin de la dictature, elle a présenté un reportage tourné pour la télévision des Philippines qui montre la participation des journalistes à la chute de la dictature ainsi que plusieurs exemples du travail de journalistes libres de témoigner sur le monde tel qu’il est et dont les reportages conduisent souvent à améliorer la situation.

Dialogue

Une première question a été posée sur le travail de la presse au Liban, particulièrement depuis l’annonce du retrait israélien. D’autres questions ont porté sur les différents types de couverture, notamment sur l’avantage de la télévision qui permet de montrer des images et sur celui de la radio. Il a également été demandé si l’on pouvait déjà mesurer l’impact de l’Internet sur la liberté de la presse dans les pays en développement.

Le représentant de la Bosnie-Herzégovine a rendu compte de la couverture médiatique dont a bénéficié son pays et a demandé comment trouver l’équilibre entre la liberté de la presse et les responsabilités des journalistes. Il a comparé les journalistes aux médecins qui ne sont jamais critiqués par leurs collègues avant de demander comment la presse peut défendre son intégrité et se censurer elle-même.

Une dernière série de questions a porté sur la formation de l’esprit critique des lecteurs. Comment, en effet, demander aux lecteurs de juger de la validité des sources, que ce soit sur l’Internet ou à la télévision? Quels sont les dangers d’un lectorat trop crédule?

En réponse aux questions sur les différents types de vecteurs d’information, les panélistes ont indiqué qu’ils s’accommodaient du vecteur avec lequel ils travaillent. Si la télévision est plus parlante, il faut se souvenir qu’elle n’est pas accessible à tous ou à toutes. A cet égard, Mme Méance, journaliste radio, a ajouté qu’en Haïti, en raison des fréquentes coupures d’électricité, il est même difficile d’atteindre ses auditeurs. A la question portant sur le travail de la presse au Liban en ce moment, Mme Amer a indiqué que la presse est bien accueillie par le Gouvernement libanais.

Plusieurs panélistes ont également pris la parole pour répondre aux questions portant sur l’équilibre entre la liberté et les responsabilités des journalistes. Ils ont estimé qu’il importe notamment de veiller à ce que les journalistes ne reçoivent pas de pots de vin, même si ceux-ci disent les remettre à leurs éditeurs. Il faut également veiller à ne pas tomber dans le journalisme sensationnel. A cet égard, Mme Morales a cité l’exemple de journaux qui ont fermé aux Philippines après avoir été mis en cause pour avoir fait des reportages à sensation. M. Dada d’El Salvador, rendant compte de la couverture des élections dans son pays, a reconnu que les médias sont quelquefois utilisés pour reproduire des erreurs. Il a demandé à savoir comment il est possible de remédier à ce problème sans pour autant utiliser ce procédé de correction pour juguler les journalistes.

S’agissant de l’impact de l’Internet, M. Hodzic, de Bosnie-Herzégovine, a reconnu que l’Internet permet à des magazines qui ont été interdits en Yougoslavie d’atteindre leurs lecteurs. Il en est de même pour les stations de radio. L’Internet peut contourner la censure, mais aussi contribuer à la diffusion de rumeurs non confirmées. Il importe donc que les lecteurs de l’Internet s’assurent de la validité et de la légitimité des sources qu’ils consultent, car il en va de même pour tous les médias, tous n’ont pas la même crédibilité. En ce qui concerne la crédulité des lecteurs, Mme Amer a indiqué qu’au Liban, il est arrivé souvent que les habitants croient et colportent des informations erronées qui ont contribué à attiser les conflits.

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