L'EDUCATION DES FILLES N'EST PAS UNE OPTION MAIS UN IMPERATIF AU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE, SOCIAL ET POLITIQUE DES SOCIETES, ESTIME LE SECRETAIRE GENERAL
Communiqué de Presse
SG/SM/7369
LEDUCATION DES FILLES NEST PAS UNE OPTION MAIS UN IMPERATIF AU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE, SOCIAL ET POLITIQUE DES SOCIETES, ESTIME LE SECRETAIRE GENERAL
20000426On trouvera, ci-après, lallocution que le Secrétaire général a prononcée le 26 avril 2000 à Dakar (Sénégal), à loccasion du Forum mondial sur léducation, « Un partenariat pour léducation des filles » :
Je vous remercie, Monsieur le Président. Il est encourageant de voir que tant d'États participent à cette importante manifestation, et à un niveau si élevé, et que tant dorganisations non gouvernementales y sont représentées. Je tiens d'emblée à remercier le peuple sénégalais pour deux choses : la tenue délections libres et régulières, qui ont inspiré le continent et impressionné le monde, et lattachement indéfectible du Sénégal à la cause de léducation dont il apporte une fois de plus la preuve en accueillant le Forum mondial. Cest d'ailleurs un auquel votre pays est fidèle depuis les premières heures de son indépendance.
Cette conférence est un test pour la communauté internationale. Il y a 10 ans, à Jomtien, nous nous sommes fixé comme objectif dassurer une éducation de base pour tous. Or, nous sommes encore loin du but. À louverture de cette conférence, engageons-nous à tout mettre en uvre pour l'atteindre.
En ce début de XXIe siècle, nous pouvons certes nous enorgueillir de certains acquis : le niveau d'instruction s'est considérablement amélioré dans de nombreux pays en développement, tandis que la proportion dadultes analphabètes na cessé de reculer dans le monde; l'explosion technologique a ouvert à des millions de personnes de nouvelles possibilités dapprentissage. Nous comprenons mieux comment renforcer les capacités afin d'assurer une éducation de base pour tous. Cela étant, il y a encore 880 millions dadultes analphabètes dans le monde, dont la plupart sont des femmes. Un fossé béant sépare ceux qui ont accès aux nouvelles technologies et ceux qui en sont exclus. Deux cent cinquante millions denfants travaillent, souvent dans des conditions dangereuses et insalubres. Plus de 110 millions denfants dâge scolaire ne vont pas à l'école.
Ces enfants sont non seulement privés de quelque chose que nous tenons pour acquis, on leur dénie aussi un droit fondamental inscrit dans des instruments internationaux auxquels leurs gouvernements ont souscrit, tels que la Déclaration universelle des droits de lhomme et la Convention relative aux droits de lenfant, à savoir le droit à léducation.
Bien plus, en se privant ainsi d'une main d'uvre en bonne santé, instruite et performante, sans laquelle elles ne pourront assurer leur développement ni s'intégrer à l'économie mondiale, les sociétés où vivent ces enfants hypothèquent leur avenir. Mais le plus tragique et le plus injuste c'est que les deux tiers des 110 millions denfants qui ne sont pas scolarisés sont des filles. Leurs droits fondamentaux sont ainsi doublement violés, puisqu'on leur dénie un droit inscrit dans le préambule de la Charte des Nations Unies : légalité entre les hommes et les femmes.
Qu'il s'agisse de questions de moralité ou de mortalité, les filles sont privées de leurs droits dès leur plus tendre enfance. S'il faut choisir entre éduquer un garçon et éduquer une fille, cest souvent la fille que lon garde à la maison. S'il faut accroître les revenus de la famille, cest souvent la fille que lon envoie travailler. Et même lorsque les filles vont à l'école, elles doivent souvent soccuper des travaux ménagers au détriment de leurs devoirs. Lorsquelles sont enceintes, elles sont souvent contraintes à abandonner leurs études. Les parents ont tendance à voir dans léducation des filles un obstacle au mariage et à la maternité plutôt quun avantage. Et lorsque survient une catastrophe quil sagisse dune maladie, dun conflit ou dun exode ce sont généralement les femmes, quel que soit leur âge, qui subviennent aux besoins du ménage et empêcher la famille de se désagréger.
Rien nillustre mieux le fardeau de responsabilités qui retombe sur les filles que les répercussions du VIH/sida. Cest le plus souvent aux filles quil revient de soccuper dun membre de la famille atteint par la maladie et dassurer la subsistance du ménage. Privées dune éducation de base, elles ne reçoivent aucune information sur les moyens de se protéger contre le virus; elles risquent aussi dêtre contraintes à des relations sexuelles précoces et d'être ainsi contaminées. Cest donc à plus d'un titre que les filles sont durement pénalisées par le manque d'éducation.
Léducation de base pour tous est loutil qui peut nous permettre de briser le cercle vicieux du sida et de lignorance, de faire sauter tous les verrous qui font obstacle à l'éducation des filles de la pauvreté aux conflits en passant par les inégalités.
On dit souvent que léducation favorise lémancipation des filles en leur donnant confiance et en leur permettant de prendre des décisions en connaissance de cause. Et la question ne se pose pas tant en termes de diplômes universitaires, de revenus ou de carrière, comme nous qui participons à ce type de conférence serions tentés de le croire. Pour la plupart des filles dans le monde, la question est beaucoup plus fondamentale. Il sagit pour elles déchapper au piège du travail et des grossesses précoces; d'espacer les naissances pour qu'elles ne mettent pas en danger leur santé, leurs moyens dexistence ou leur vie; de veiller à ce que leurs enfants puissent, à leur tour, exercer leur droit à léducation.
Il sagit pour elles d'avoir des revenus, alors que les femmes qui les ont précédées nen avaient pas; de se protéger contre la violence et dexercer des droits dont les femmes des générations précédentes navaient même pas conscience; de participer aux décisions économiques et politiques, et enfin, dapprendre à leurs enfants à suivre la même voie. Il sagit de briser la spirale infernale de la pauvreté et de limpuissance, qui semblait ne jamais devoir prendre fin.
Il nest pas de meilleure stratégie de développement que de donner un rôle central aux femmes. Les avantages en sont immédiats sur les plans de la nutrition, de la santé, de lépargne et des réinvestissements, tant à léchelon de la famille quà ceux de la collectivité et du pays. En dautres termes, léducation des filles est un outil efficace de développement social. Cest un placement à long terme dont le rendement est exceptionnellement élevé.
Bien plus, cest un outil de prévention des conflits et de consolidation de la paix. De génération en génération, les femmes transmettent une culture de paix. Quand des tensions ethniques provoquent ou exacerbent des conflits, les femmes ont plutôt tendance à construire des passerelles qu'à élever des murs. Quand elles pensent à la guerre, les femmes craignent non seulement pour elles-mêmes mais aussi pour lavenir de leurs enfants. Éduquer les filles et constituer ainsi un électorat féminin prêt à prendre son avenir en main, voilà peut-être linvestissement le plus rentable que lon puisse faire au titre de la défense.
À lévidence, tout cela exige des ressources financières. Rien ne remplace de bons enseignants, et il faut les rémunérer, ni de bons manuels, et il faut les acheter. Toutefois, le problème ne se résume pas aux dépenses quil faut faire. Il nous faut éliminer les raisons qui poussent les parents à priver leurs filles d'une éducation de base. Il nous faut veiller à ce que les filles puissent librement tirer parti des possibilités dapprentissage, en les élevant dans un environnement sain, sûr et stable. Il nous faut associer la famille et la collectivité à des méthodes denseignement informel efficaces pour les filles qui nont pas la possibilité dêtre scolarisées et prévoir des passerelles pour leur intégration dans le système scolaire. Une fois que les filles sont scolarisées, il faut veiller à ce que lécole les prépare à la vie, concevoir des programmes et des manuels qui mettent laccent sur les compétences pratiques dont elles auront besoin et encourager les enseignants à mettre l'accent sur de telles compétences.
Nous devons aussi ouvrir aux filles un autre domaine de compétence dont elles auront besoin au XXIe siècle : linformatique, qui est devenue un outil indispensable dapprentissage, de communication et de développement.
La première étape consiste à reconnaître que léducation des filles nest pas une option mais un impératif. Or, pour bien des familles qui sont aux prises avec des difficultés quotidiennes, cela suppose des choix douloureux. Nous devons faire en sorte que les familles reçoivent le soutien nécessaire de la part des collectivités et des gouvernements, avec le concours de la communauté internationale, pour qu'elles puissent envoyer tous leurs enfants, filles et garçons, à l'école.
Il existe des exemples encourageants, dont plusieurs en Afrique, du soutien offert par des organismes locaux, nationaux, intergouvernementaux et non gouvernementaux. Ainsi, en Guinée, on a fourni aux familles des puits et des moulins mécaniques pour alléger la charge de travaux imposée aux filles. Le Malawi a réduit le coût de la scolarisation pour les parents en supprimant les droit d'inscription et le port obligatoire de luniforme. Au Ghana, l« Alliance for Community Action » gère un programme de crédits pour léducation des filles destiné à aider les parents à payer les manuels et les frais de scolarité.
On peut trouver encore bien des exemples dans dautres régions du monde en développement. Au Cambodge, on a créé des écoles flottantes pour les familles qui vivent sur des bateaux et, pour que les filles puissent y aller plus facilement, on leur donne le choix entre deux horaires. Dans certaines régions du Brésil, le programme Bolsa Escola verse des mensualités sur un compte familial qui reste gelé jusquà ce que lenfant garçon ou fille ait été à lécole pendant quatre ans. Au Bangladesh, une organisation non gouvernementale appelée BRAC a ouvert, dans les communes les plus pauvres, des écoles qui sont aussi fréquentées par des filles. Dans la province du Baluchistan, au Pakistan, grâce à un programme itinérant de formation denseignantes dans la province, 14 000 filles sont scolarisées dans des écoles où lenseignement est dispensé par des femmes issues de leur propre communauté. Je suis dailleurs heureux de saluer dans la salle une femme qui vient du Baluchistan et qui a commencé sa carrière comme professeur. Aujourdhui, elle est Ministre de léducation.
Toutes ces initiatives sont encourageantes. Je pourrais en citer bien d'autres, mais nous ne devons pas en rester là. Nous devons nous en inspirer et faire en sorte qu'elles soient transposables à léchelon national. Il faut que tous ceux qui peuvent faire changer les choses s'unissent et forment une alliance mondiale pour léducation des filles. Cest pourquoi lONU lance une nouvelle initiative à cette fin. J'ai choisi d'y donner le coup denvoi ici, à Dakar, car elle sinscrit directement dans laction menée à léchelle mondiale en faveur de léducation pour tous, devise et raison dêtre de notre conférence.
Les objectifs de cette initiative sont simples à énoncer : réduire sensiblement, dici à 2005, lécart entre garçons et filles sur le plan de la scolarisation dans le primaire et le secondaire; faire en sorte que dici à 2015 tous les enfants du monde, garçons et filles, puissent terminer le cycle primaire; et garantir à cette date la parité quant à laccès à l'éducation, à tous les niveaux.
Pour atteindre ces objectifs, il faudra du bon sens, de limagination et de la détermination. Cette gageure mettra à lépreuve toute la communauté internationale.
Elle mettra à lépreuve les organismes des Nations Unies et leur capacité de venir en aide aux États Membres. Une dizaine de ces organismes, UNICEF en tête, se sont déjà mobilisés. Je suis sûr que dautres rejoindront le mouvement, car nul ne saurait rester indifférent à cette cause. Il nous faut veiller à collaborer harmonieusement, sans nous mettre de bâtons dans les roues.
Avec les principaux pays concernés, nous nous sommes fixé pour objectif délaborer, dici à lannée prochaine, un plan daction en matière d'éducation pour promouvoir légalité entre les sexes à tous les niveaux : politiques de scolarisation; programmes d'enseignement; sensibilisation des enseignants; composition du corps enseignant; promotion d'un environnement où les filles se sentent en sécurité et ne sont pas en butte au sexisme et au harcèlement sexuel; information, appui et écoute pour que les filles puissent choisir en connaissance de cause qu'il s'agisse de procréation ou de prévention du VIH/sida; et, enfin, accès aux technologies nouvelles.
Quelle que soit la qualité du plan que nous élaborerons, il naboutira que si tous les pays concernés font preuve de la volonté politique voulue et y consacrent les ressources nécessaires. Nous aiderons les pays à dégager des fonds pour léducation des filles, en les conseillant sur la façon de tirer un meilleur parti de la coopération pour le développement, sur les politiques à mettre en uvre pour réformer l'enseignement et sur les moyens d'alléger l'écrasant fardeau de la dette.
Jespère aussi que nous ferons de léducation des filles une des premiers tests de lefficacité dUNITeS, un groupement de bénévoles spécialistes des techniques de pointe créé sous l'égide de lONU. Cette association, dont jai annoncé la création dans mon rapport du millénaire, a pour vocation de former à lutilisation des techniques de linformation dans les pays en développement.
Mais, à elle seule, lONU ne peut rien. Elle doit créer et développer des partenariats avec les gouvernements, la société civile et le secteur privé. Les uns et les autres devront être à la hauteur du défi.
Les gouvernements des pays en développement devront montrer qu'ils sont résolus à faire de léducation des filles une réelle priorité. Les pays donateurs devront apporter la preuve de leur capacité de mobiliser les fonds nécessaires.
Les organisations non gouvernementales et la nouvelle génération des militants auxquels lInternet ouvre de nouvelles possibilités ne seront pas en reste. Chacune dans son domaine, diverses ONG ont apporté des contributions remarquables au progrès de léducation dans bien des pays, et maintenant elles sallient pour mener une campagne à léchelle mondiale. Aujourdhui, je dis aux ONG : sans vos compétences, votre énergie et votre présence dans les régions les plus reculées, nous ne pouvons pas gagner la bataille de léducation des filles. Et je vous le promets, nous vous écouterons.
De même, UNITeS sera un défi pour le secteur privé. Déjà, le monde de lentreprise semploie, en partenariat avec les organismes des Nations Unies, à promouvoir lapplication des meilleures pratiques dans les domaines de lenvironnement, de la réglementation du travail et des droits de lhomme. Des fondations comme celles de Ted Turner et de Bill et Melinda Gates donnent des millions de dollars pour financer des initiatives en faveur de la santé et des campagnes de vaccination dans le monde en développement. Nous avons besoin de leur aide pour accomplir, dans le domaine de léducation, les progrès quils ont aidé à réaliser dans celui de la santé.
Dans le secteur informatique, on sest rendu compte quil fallait que la prochaine génération de logiciels trouve son complément dans une nouvelle génération de savoir-faire. Ce secteur a un rôle considérable à jouer dans léducation. Dailleurs, il a besoin dune population instruite, puisqu'il lui faut des travailleurs qualifiés et des consommateurs avisés. Il est donc tout naturel qu'il épouse la cause de léducation des filles. Et si les entreprises de ce secteur ne savent pas par où commencer, elles seraient bien inspirées d'offrir leurs services à UNITES.
Enfin, cette initiative sera un défi pour les collectivités et les familles, qui devront comprendre que léducation est un atout, plutôt quun frein, pour préserver l'unité et le bien-être de la structure familiale et quelle est la clef du succès pour les générations suivantes. Je voudrais à présent vous parler d'une des filles bien-aimées de Dakar : Mariama Bâ. Elle a dû, elle aussi, surmonter le handicap de son sexe. Il y a 60 ans, bravant la volonté de sa famille et encouragée par un professeur qui croyait en elle, elle s'est battue pour faire des études. Sortie de l'École normale avec la meilleure note de ce qui était alors lAfrique occidentale française, elle est devenue une enseignante hors pair. On a dit de son roman Une si longue lettre qu'il brossait le tableau le plus poignant de la condition féminine en Afrique. Aujourdhui encore, près de 20 ans après sa mort, elle reste une source d'inspiration pour plusieurs générations de femmes, en Afrique et dans le reste du monde.
Comme la dit Mariama Bâ peu avant sa mort, la nation est constituée de familles et cest parmi les enfants quelle recrute ses chefs.
Les aspirations que jai évoquées aujourdhui sont celles de tous les enfants, dans tous les pays. C'est sur elles que repose notre conférence vouée à lidéal de Léducation pour tous. Elles mettent en jeu des questions qui ont trait à la qualité, à linégalité et au financement, dont vous allez débattre les trois prochains jours. Elles figurent dans le Plan-cadre daction que vous allez adopter à lissue de cette conférence, auquel lUNESCO et ses partenaires apporteront leur appui et dont ils assureront le suivi. Elles font partie des recommandations que jai faites aux dirigeants du monde entier en prévision du Sommet du millénaire qui aura lieu en septembre. Cest en donnant une éducation aux enfants daujourdhui quon apprendra aux générations futures à maîtriser leur destinée.
Tel est le défi que doit relever la communauté internationale. Cest un pari que nous devons absolument gagner. Et nous ne réussirons que si les enfants du monde entier acquièrent une éducation de base, ainsi que les compétences dont ils ont besoin pour affronter la vie.
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