SG/SM/7360

LE SECRETAIRE GENERAL EXAMINE LES ENSEIGNEMENTS TIRES DE LA ôDECENNIE DES SANCTIONSö A L'OCCASION DU SEMINAIRE DE L'ACADEMIE INTERNATIONALE POUR LA PAIX

18 avril 2000


Communiqué de Presse
SG/SM/7360


LE SECRETAIRE GENERAL EXAMINE LES ENSEIGNEMENTS TIRES DE LA “DECENNIE DES SANCTIONS” A L’OCCASION DU SEMINAIRE DE L’ACADEMIE INTERNATIONALE POUR LA PAIX

20000418

On trouvera ci-après le texte de l’allocution d’ouverture prononcée le 17 avril à New York par le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, à l’occasion du séminaire organisé sur les sanctions par l'Académie internationale pour la paix:

Je suis très heureux de me joindre à vous ce matin à l'occasion de ce séminaire qui examine une question d’une importance critique pour les Nations Unies : le rôle et l’importance des sanctions. Les sanctions sont une affaire sérieuse, et c’est seulement en améliorant leur efficacité que nous pouvons espérer mieux les utiliser à l’avenir.

Permettez-moi de commencer par féliciter les auteurs de l’étude publiée aujourd’hui sous le titre “La Décennie des sanctions”. Ils ont non seulement formulé un titre convainquant mais ont également conduit une analyse perçante. Le monde pourra effectivement en conclure que l’utilisation des sanctions comme instrument du Conseil de sécurité, et de ses Etats Membres, est l'une des caractéristiques qui définit la période de l'après Guerre froide.

J'accueille avec grande satisfaction le fait que le Canada, au cours de son mandat en tant que membre du Conseil de sécurité, et l'Académie internationale pour la paix, sous la direction novatrice de David Malone, consacrent autant de temps et de ressources à cette question. Au cours de la “Décennie des sanctions”, les Nations Unies ont mis en place un nombre jamais égalé auparavant de régimes de sanctions. Ce fait justifierait à lui seul la réalisation de l'étude. Les sanctions représentent pour le Conseil de sécurité un instrument important afin de faire respecter ses décisions.

Elles représentent plus qu’une simple condamnation verbale et moins qu'un recours à la force armée. Traditionnellement, la gamme des sanctions disponibles comprend l’embargo sur les armes, l’imposition de restrictions financières et commerciales, l’interruption de relations par voie aérienne et maritime et l’isolation diplomatique. Généralement, l'objectif visé est de changer de manière spécifique le comportement d’un gouvernement ou d’un régime qui menacerait la paix et la sécurité internationales et, en situation de conflit, de diminuer la capacité des protagonistes à soutenir un combat prolongé.

Toutefois, au même titre que nous reconnaissons l’importance des sanctions en tant qu'instrument visant à faire respecter la volonté de la communauté internationale, nous reconnaissons aussi que les sanctions restent un instrument imparfait qui fait souffrir de nombreuses populations qui n'en étaient pas les cibles premières. Les sanctions doivent par ailleurs être affinées si l'on veut éviter qu'elles soient considérées à l'avenir comme des instruments de façade. D’où l'importance accrue accordée récemment aux sanctions ciblées visant à interdire le voyage ou à geler les comptes bancaires étrangers d’individus ou de catégories d’individus – que l'on appelle les « sanctions intelligentes ».

Comme le fait remarquer le Ministre Axworthy dans le préambule de ce livre, « les sanctions ont trop souvent servi de substitut à une action plus ferme et à des solutions plus durables », et souvent « le fait de prendre des sanctions à bon escient a été un objectif moins contraignant que celui de les faire adopter ».

L'étude « Décennie des sanctions » met sérieusement en doute non seulement l’efficacité des sanctions mais aussi leur portée et leur degré de sévérité dans des situations où des civils innocents deviennent les victimes à la fois de leur propre gouvernement et de l’action de la communauté internationale.

Le Secrétariat a entamé l’examen des enseignements tirés des récents régimes de sanctions en se penchant particulièrement sur la nécessité de protéger les communautés vulnérables des effets des sanctions tout en améliorant le ciblage spécifique des élites. Cet examen a également illustré le besoin de mécanismes crédibles de contrôle pour les régimes de sanctions et l’importance de disposer des ressources nécessaires pour les administrer avec efficacité.

La « Décennie des sanctions » nous fournit des leçons importantes. Comme nous l’avons vu récemment par le biais du rapport sur le régime des sanctions en Angola, la prolifération des acteurs sur la scène internationale a rendu les régimes traditionnels incomplets et vulnérables face aux nouvelles menaces. Dans le cas de l’Iraq, le régime des sanctions qui a joui de succès considérables en ce qui concerne sa mission de désarmement a été accusé d’aggraver la crise humanitaire à titre de conséquence involontaire de ce régime de sanctions. Dans le cas de la guerre en Bosnie, nous avons été témoins d’un embargo sur les armes qui a été perçu par un certain nombre d'Etats comme favorisant l’agresseur et comme niant à un Etat Membre son droit à la légitime défense garantie par la Charte.

De façon plus générale, peu ou aucun effort n'a été déployé afin de mettre en place dans certains cas des régimes visant à surveiller et à faire appliquer les sanctions, lesquelles se sont par conséquent révélées inefficaces puisqu'elles ont fait l'objet de nombreuses violations. Dans certains cas, les pays voisins qui subissent en grande partie les pertes économiques et commerciales liées au respect des ces sanctions n'ont pas obtenu de compensation de la part du reste de la communauté internationale et ont ainsi failli au plein respect de ces sanctions.

L'Article 50 de la Charte stipule clairement que les pays voisins confrontés, je cite, "à des difficultés économiques particulières dues à l'exécution" de mesures coercitives ont un rôle spécifique à jouer dans la résolution ultime des problèmes. Je souhaite souligner ce principe car je pense que l'on n'accorde pas suffisamment d'attention aux répercussions sur les partenaires économiques et voisins et aux compensations des victimes des régimes de sanctions qui sont les victimes non intentionnelles de ces mesures.

Cela me conduit à aborder un défi plus large mais que j'estime d'une importance tout aussi grande, à savoir le manque général de compréhension et le scepticisme qui règnent dans le grand public au sujet de la logique et de l'utilité des sanctions. L'expression de ce scepticisme est bien sûr plus marquée au sein des populations d'Etats auxquels des sanctions ont été imposées. Mais une méfiance grandissante face à cet instrument et à sa capacité d'apporter un changement à un prix qui soit juste se fait également sentir au sein des Etats qui ne se sont pas vus imposer de sanctions

Nous aux Nations Unies et la communauté internationale dans son ensemble devons déployer des efforts plus importants pour faire en sorte que lorsque des sanctions sont imposées à un Etat Membre, nous soyons en mesure d'expliquer clairement et avec conviction leur nécessité et leur but ultime.

Lorsque des sanctions économiques globales et sévères sont adressées à des régimes autoritaires, le problème que nous rencontrons est différent. Dans ces situations, ce sont en principe les peuples qui souffrent tragiquement et non les élites politiques dont l'attitude est à l'origine des sanctions.

En effet, ceux qui sont au pouvoir non seulement font subir les coûts au moins privilégiés mais aussi tirent souvent profit de façon perverse de telles sanctions par leur capacité à contrôler et à profiter des activités du marché noir, en contrôlant la distribution des ressources limitées et en les exploitant sous le prétexte d'éliminer les sources internes d'opposition politique. Dans certains cas, l'existence d'un régime de sanctions a produit les effets les plus négatifs sur une société, en assistant à l'escalade au haut de l'échelle socio- économique de ceux qui se soustraient aux sanctions, des contrebandiers et d'autres personnes impliquées dans des activités similaires, en raison de leur capacité à manipuler la situation à leur avantage.

Il est clair que la prolifération des régimes de sanctions au cours de la décennie passée et la large gamme de buts pour lesquels ils ont été utilisés ont imposé à la communauté internationale la lourde obligation de faire en sorte que cet instrument soit utilisé avec une grande précaution et une connaissance précise de ses effets, à la fois intentionnels et non intentionnels.

Au cours des années passées le Conseil de sécurité a commencé à demander des évaluations de l'impact humanitaire qu'auraient les sanctions avant de les imposer. J'espère qu'aujourd'hui et à l'avenir le Conseil de sécurité examinera de façon plus large les questions que soulèvent les régimes de sanctions et qu'il prendra en considération les récentes études de la Suisse et de l'Allemagne visant à mieux cibler les sanctions financières et à améliorer les embargos sur les armes.

Mais permettez-moi de suggérer qu'il ne suffit pas simplement de rendre les sanctions plus "intelligentes". Le défi consiste à parvenir à un consensus sur les buts précis et spécifiques des sanctions, à adapter les instruments en conséquence et à mettre ensuite les moyens nécessaires à disposition. Pour y parvenir, le Conseil de sécurité et les Etats Membres doivent, pour leur part, faire preuve de bonne volonté pour s'attaquer non seulement aux questions d'ordre technique et opérationnel mais aussi aux questions politiques plus générales quant à la manière d'assurer au mieux le respect le plus large et le plus global de la volonté de la communauté internationale par les Etats récalcitrants.

Je le reconnais, cet ordre du jour pose un grand défi mais je le soulève car j'estime que nous ne pourrons croire au succès des sanctions que lorsque nous serons disposés et capables de répondre également aux questions plus larges. Il n'est simplement pas suffisant d'adopter des sanctions à titre de réponse immédiate et facile et d'espérer ensuite que tout ira pour le mieux. Les sanctions ne sont pas quelque chose que l'on peut "mettre en place puis oublier". Tel est tout au moins l'enseignement que nous aurons tiré de la Décennie des sanctions.

Je suis persuadé que ce séminaire contribuera à répondre à ces questions et je vous souhaite à tous des délibérations couronnées de succès.

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