CS/1174

SUR LA BASE DU RAPPORT DE LA COMMISSION D'ENQUETE INDEPENDANTE, LES MEMBRES DU CONSEIL DE SECURITE TIRENT LES ENSEIGNEMENTS DE L'ECHEC DE L'ONU AU RWANDA

14 avril 2000


Communiqué de Presse
CS/1174


SUR LA BASE DU RAPPORT DE LA COMMISSION D'ENQUETE INDEPENDANTE, LES MEMBRES DU CONSEIL DE SECURITE TIRENT LES ENSEIGNEMENTS DE L'ECHEC DE L’ONU AU RWANDA

20000414

"Nous avions la responsabilité d'agir et nous n'avons pas su le faire", a déclaré le Président de la Commission d'enquête indépendante sur les actions des Nations Unies lors du génocide au Rwanda, M. Ingvar Carlsson, ce matin, devant le Conseil de sécurité. L'ancien Premier Ministre de la Suède présentait ainsi les 19 conclusions et les 14 recommandations de l'enquête de six mois qu'il a menée, à la demande du Secrétaire général, en compagnie des deux autres membres de la Commission, M. Han Sun-Joo, ancien Ministre des affaires étrangères de la République de Corée et le général Rufus M. Kupolati du Nigéria. Il en ressort que l'échec des Nations Unies au Rwanda est essentiellement dû à l'insuffisance de ressources et de volonté politique. M. Carlsson a appelé les Etats Membres à prendre cette question très au sérieux car l'ONU est la seule organisation qui peut apporter une légitimité mondiale au maintien de la paix. Le véritable défi consiste à tenir compte des enseignements que l'on peut tirer de la tragédie au Rwanda pour la planification, au jour le jour, des activités de maintien de la paix, a-t-il estimé. C'est pourquoi, la Commission d'enquête recommande au Secrétaire général de mettre en place un plan de prévention spécifique du génocide, envisageant notamment toutes les mesures concrètes qui pourraient être prises.

Pour le représentant du Rwanda, c'est l'utilisation qui sera faite de ce rapport qui importe le plus aux victimes comme au monde entier. Le Rwanda et ses survivants ont le droit à la justice, au redressement, à la réhabilitation, à la réintégration et à une véritable compensation de la part des membres du Conseil, aux pays respectifs de ceux-ci et du reste des membres de cette Organisation. Un miniplan Marshall, unique en son genre, est requis pour assurer la reconstruction de son pays meurtri, a déclaré le représentant.

Examinant pour la première fois depuis sa parution, publiquement et formellement, le rapport, les Etats Membres ont salué l'initiative historique et courageuse prise par le Secrétaire général en constituant une Commission d'enquête. "Ayons ensemble le courage de regarder la vérité en face", a enjoint le représentant de la France, alors que plusieurs membres ont reconnu que le Conseil avait commis des erreurs, comme l'insuffisance du mandat accordé à la Mission d'assistance des Nations Unies au Rwanda (MINUAR) et le manque de réaction face aux changements dramatiques de la situation sur le terrain. Certains, dont le représentant du Royaume-Uni, ont toutefois fait observer qu'il y avait eu de réels manquements en matière de circulation de l'information, y compris à destination du Conseil.

(à suivre – 1a) - 1a - CS/1174 14 avril 2000

Les représentants se sont accordés pour souligner le devoir moral qu'a la communauté internationale de tout mettre en œuvre pour qu'une telle tragédie ne se reproduise plus. Au titre de la contribution que le Conseil peut apporter à cet effet, le Ministre des affaires étrangères du Canada, M. Lloyd Axworthy, qui présidait la séance, a jugé impératif de renforcer des arrangements prévisionnels, notamment en se dotant d'un état-major de mission à déploiement rapide, et en prévoyant des règles d'engagement claires. De manière générale, les intervenants ont estimé que les opérations de maintien de la paix doivent aussi disposer de toutes les ressources nécessaires, et de mandats suffisamment clairs, voire musclés et flexibles, afin de leur permettre de répondre aux brusques changements de la situation sur le terrain. La représentante de la Jamaïque a, par exemple, suggéré que les commandants des forces disposent d'une marge de manœuvre suffisante pour décider de leur action lorsque nécessaire. Il a été jugé utile d'élargir la gamme des interlocuteurs du Conseil et de ses sources d'information pour détecter les signes avant-coureurs de génocide ou de violation massive des droits de l'homme. L'expérience malheureuse au Rwanda doit servir de leçon, en premier lieu, face au conflit qui sévit dans la région des Grands Lacs et notamment, en République démocratique du Congo, ont déclaré des représentants dont celui des Etats-Unis. Pour lui, il est temps en effet que tous les Etats de la région se réunissent pour trouver une solution commune aux problèmes des groupes rebelles qui s'excluent de l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka.

Nombreux ont été les intervenants qui ont jugé que les prochains Sommet et Assemblée du millénaire offriront l'occasion unique aux dirigeants de la communauté internationale de mobiliser la volonté politique suffisante pour prévenir une telle tragédie.

Les membres du Conseil sont intervenus dans le débat: Pays-Bas, Ukraine, Etats-Unis, Mali, Royaume-Uni, Argentine, Fédération de Russie, Malaisie, Tunisie, Chine, France, Namibie, Bangladesh, Jamaïque et Canada. Le représentant du Rwanda a participé à la discussion.

Lettre datée du 15 décembre 1999, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général (S/1999/1257)

Par cette lettre, le Secrétaire général transmet le rapport de la Commission d'enquête indépendante sur les actions de l'Organisation des Nations Unies lors du génocide au Rwanda en 1994, présidée par l'ancien Premier Ministre suédois, M. Ingvar Carlsson, et composée de l'ancien Ministre des affaires étrangères de la République de Corée, M. Hang Sung-Joo, ainsi que du général Rufus M. Kupolati du Nigéria. Constituée en mai 1999, la Commission a eu pour mandat d'enquêter sur les actions de l'ONU dans son ensemble. Elle a ainsi étudié les actions de la Mission d'assistance de l'ONU pour le Rwanda (MINUAR), du Secrétaire général et du Secrétariat, de même que celles des Etats Membres de l'Organisation et des organes politiques dans lesquels ils sont représentés. La Commission a aussi mis l'accent sur l'influence que les acteurs régionaux ont exercée. Des archives de l'ONU qu'elle a consultées et des documents émanant de sources gouvernementales et non gouvernementales auxquels la Commission a également eu accès, lui ont permis d’aboutir à l’élaboration d’un rapport de près de 90 pages, 19 conclusions et de formuler 14 recommandations, faisant office d'enseignements à tirer.

Quelque 800 000 personnes, hommes, femmes et enfants, ont été victimes du génocide qui a sévi au Rwanda entre avril et juillet 1994. Les Rwandais ont tué des Rwandais, décimant avec férocité la population tutsie du pays, mais s'attaquant aussi aux Hutus modérés. La Commission d'enquête conclut que l'intervention de l'ONU avant et pendant le génocide a échoué sous plusieurs aspects fondamentaux, ce qui la mène à parler "d'échec absolu". Si l'ONU n'a pas pu empêcher et arrêter le génocide, la responsabilité en incombe à plusieurs acteurs, en particulier le Secrétaire général, le Secrétariat, le Conseil de sécurité, la MINUAR et les Etats Membres de l'Organisation. Cette responsabilité internationale justifie que l'Organisation et les Etats Membres concernés présentent des excuses sans équivoque au peuple rwandais. La carence première a consisté à ne pas mobiliser les ressources et l'engagement politique qu'appelaient les événements du Rwanda et la présence des Nations Unies dans le pays. Les Etats Membres ont persisté à ne pas témoigner de la volonté politique voulue et à se refuser d'agir de façon suffisamment résolue. Ces pesanteurs, qui ont influé sur l'action du Secrétariat et la prise de décisions du Conseil de sécurité, ont également transparu dans les difficultés qu'il a maintes fois fallu surmonter afin d'obtenir les troupes nécessaires à la MINUAR. La Commission d'enquête fait aussi observer que de graves erreurs ont été commises dans l'affectation des moyens mis à la disposition de l'ONU.

En ce qui concerne la responsabilité des Rwandais qui ont planifié, encouragé et exécuté les actes de génocide contre leurs compatriotes, la Commission d'enquête estime que les efforts doivent se poursuivre pour les traduire en justice devant le Tribunal criminel international pour le Rwanda et devant les instances nationales au Rwanda.

Au titre des recommandations, la Commission d'enquête estime que le Secrétaire général devrait lancer, à l'échelle du système des Nations Unies, un plan d'action pour prévenir le crime de génocide qui aurait aussi pour objectif de fournir une contribution à la Conférence mondiale de 2001 contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. Des efforts renouvelés devraient être fournis pour améliorer la capacité de l'ONU en matière de maintien de la paix, y compris en mettant les ressources nécessaires à sa disposition. La volonté politique d'agir dans ce sens devrait être mobilisée dans le cadre du Sommet et de l'Assemblée du millénaire. Pour chaque opération de maintien de la paix, les règles d'engagement applicables devraient aussi être clairement indiquées et faire l'objet d'une approbation formelle du Siège. L'ONU, et notamment le Conseil de sécurité et les pays fournisseurs de troupes, doivent être disposés à passer à l'action pour prévenir des actes de génocide ou des violations massives des droits de l'homme en quelque endroit qu'ils puissent avoir lieu. La volonté politique d'agir ne doit pas être assujettie à deux poids deux mesures. La Commission d'enquête juge aussi que la capacité d'alerte précoce de l'Organisation doit être améliorée grâce à une meilleure coopération avec les acteurs extérieurs, y compris les organisations non gouvernementales et la communauté universitaire, et au sein du Secrétariat.

Parallèlement, des efforts doivent être faits pour améliorer la protection des populations civiles dans les situations de conflit. La sécurité des personnels de l'ONU et associés doit faire l'objet d'améliorations supplémentaires. Il conviendrait d'examiner l'opportunité de modifier les règles en vigueur afin de permettre l'évacuation hors des zones de crise du personnel recruté localement. Il conviendrait aussi d'assurer une coopération effective entre les fonctionnaires responsables de la sécurité des différentes catégories de personnel sur le terrain. Les opérations d'évacuation nationales doivent être coordonnées avec les missions de l'ONU sur le terrain.

Pour la Commission d'enquête, il conviendrait aussi d'organiser une diffusion et une meilleure circulation de l'information au sein du système des Nations Unies. Par exemple, de nouvelles améliorations devraient être apportées pour alimenter le Conseil de sécurité en informations. Il conviendrait, en outre, d'améliorer la circulation de l'information en matière de droits de l'homme.

Il faudrait étudier plus à fond l'opportunité de suspendre la participation du représentant d'un Etat Membre du Conseil de sécurité lorsque prévalent des circonstances aussi exceptionnelles que la crise du Rwanda. Le fait que le Rwanda, représenté par le Gouvernement Habyarimana, était membre du Conseil de sécurité depuis janvier 1994, a compliqué, en effet, la tâche du Conseil.

Pour sa part, la communauté internationale devrait appuyer les efforts fournis par le Rwanda pour reconstruire la société après le génocide, en prêtant plus particulièrement attention aux besoins en matière de reconstruction, réconciliation et respect des droits de l'homme, et en gardant à l'esprit les besoins respectifs des rescapés, des réfugiés revenus au pays et des autres groupes affectés par le génocide.

Enfin, l'ONU devrait reconnaître sa part de responsabilité pour n'avoir pas fait assez pour prévenir ou interrompre le génocide au Rwanda. A cet égard, la Commission recommande au Secrétaire général de rechercher activement un nouveau départ dans les relations entre l'Organisation et le Rwanda.

Commission d'enquête sur les actions de l’ONU au Rwanda en 1994

M. INGVAR CARLSSON, Président de la Commission d'enquête sur les actions des Nations Unies lors du génocide au Rwanda et ancien Premier Ministre de la Suède, s'est félicité de voir le Conseil de sécurité examiner le contenu du rapport. Six années se sont écoulées depuis le début du génocide au Rwanda, 6 années depuis que des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants ont été massacrés en quelque 100 jours et ce sous les yeux de la communauté internationale et des Nations Unies. "Nous avions la responsabilité d'agir et n'avons pas réussi à le faire", a observé M. Carlsson, ajoutant qu'aujourd'hui il convient de déterminer ce que l'on peut envisager afin de faire en sorte que ce qui s'est produit au Rwanda ne se reproduise plus jamais. Il a rappelé que la Commission d'enquête qu'il a présidée avait deux tâches principales: d'une part, établir l’action des Nations Unies pendant le génocide et, d'autre part, formuler des recommandations. Pour ce faire, la Commission s'est rendue au Rwanda et dans plusieurs pays d'Afrique ainsi qu'en Europe et a rencontré des survivants, les familles de soldats belges tués ainsi que de nombreux fonctionnaires de l'Organisation. Ceci lui a permis de mieux comprendre la situation. Les défaillances des Nations Unies ont ainsi été identifiées et 14 recommandations ont été établies.

Le Conseil aurait pu prévenir une partie des erreurs commises au Rwanda et il peut surtout éviter que ces erreurs ne se reproduisent plus, a poursuivi M. Carlsson. L'enquête a établi que l'échec des Nations Unies a été dû essentiellement à l'insuffisance de ressources et de volonté politique. « La Mission d'assistance des Nations Unies au Rwanda (MINUAR) n'a-t-elle pas été souvent appelée une "opération orpheline" se fondant sur une évaluation par trop optimiste du processus de paix au Rwanda », a rappelé le Président de la Commission d'enquête. Toutefois, les 2 500 hommes présents au Rwanda au début du génocide auraient pu arrêter, ou pour le moins limiter, l'ampleur des massacres. Parmi ces hommes, certains ont agi avec héroïsme, mais d'autres sont demeurés en retrait. En vérité, la responsabilité de ce qui s'est produit est partagée par tous les Etats Membres et pas seulement par les pays qui ont contribué en troupes et en matériel à la Mission. La volonté politique est en fait l'élément clef de ce drame et de l'action de l'Organisation et son absence peut s'avérer l'obstacle le plus difficile à la réalisation des mandats de l'ONU, a constaté M. Carlsson.

Le constat d'échec est d'autant plus total que quelques semaines après le début du génocide et en dépit des preuves claires qui lui ont été fournies, le Conseil a décidé de réduire substantiellement la MINUAR, a noté l'ancien Premier Ministre suédois. Il convient d'améliorer sensiblement la capacité des Nations Unies dans le domaine du maintien de la paix. C'est une question à prendre très au sérieux car l'ONU est la seule Organisation susceptible d’apporter une légitimité mondiale au maintien de la paix, a insisté M. Carlsson, avant de reconnaître que le revers de la médaille de cette responsabilité unique est que tout échec est plus retentissant. Pour garantir un maintien de la paix efficace, il faut donc accorder à l'ONU toutes les ressources financières nécessaires, développer sa capacité de déploiement rapide et faire montre de la même volonté politique où que se trouve le conflit. Le Secrétariat doit, pour sa part, absolument évaluer et dire de manière franche les besoins sur le terrain pour une opération de la paix.

Désormais, le véritable défi consiste à tenir compte des enseignements que l'on peut tirer de l'échec au Rwanda pour la planification au jour le jour des activités de maintien de la paix, a estimé M. Carlsson. Le Sommet du millénaire devrait donner l'occasion aux chefs d'Etat et de gouvernement d'insuffler un nouvel élan dans ce domaine. Puisque les horreurs systématiques n'ont pas été reconnues et les mises en garde pas suffisamment prises en compte, une autre leçon à tirer est que toute information relative à une menace d'extermination d'un peuple entier doit être circulée et diffusée. Il faut améliorer la coopération et l'information entre les départements concernés du Secrétariat. Les Membres des Nations Unies et surtout du Conseil doivent recevoir davantage d'informations et avoir des réunions avec les fonctionnaires les plus qualifiés de l'Organisation, notamment ceux responsables des droits de l'homme, un indicateur des plus utiles en matière de génocide. Les mandats des opérations de maintien de la paix doivent inclure explicitement la protection des civils. Deux autres enseignements à tirer du génocide est qu'il ne peut y avoir aucune neutralité face à un génocide ou à une violation massive et flagrante des droits de l'homme, et qu'une mission des Nations Unies crée des attentes parmi la population civile qui s'attend à être protégée par l'Organisation, a fait observer M. Carlsson. Il faut donc prendre ces facteurs en considération lorsque l'on déploie une mission et que l'on élabore son mandat. La prévention du génocide est à la fois un devoir et un effort, c'est pourquoi la Commission d'enquête recommande au Secrétaire général de mettre en place un plan de prévention spécifique du génocide, envisageant notamment toutes les mesures concrètes qui pourraient être prises. Le personnel militaire et humanitaire doit, par exemple, être formé pour déceler tous les signes avant-coureurs d'un génocide. Le Président de la Commission d'enquête a espéré que le rapport permettra d'améliorer les relations entre l'ONU et le Rwanda.

M. PETER VAN WALSUM (Pays-Bas) a salué le Ghana et la Tunisie qui ont autorisé leurs troupes à rester au Rwanda tout au long des terribles semaines du génocide, en dépit du retrait d'autres contingents. Poursuivant, le représentant a fait valoir que la question de la faisabilité dépend du moment où elle se pose. Une action qui est en effet faisable à un jour précis ne l'est peut-être pas le mois prochain. Notre intention n'est pas de trouver des responsables, étant donné que nous vivons presque tous dans une maison de verre en ce qui concerne l'action ou l'inaction dans le domaine du maintien de la paix, a souligné M. Van Walsum. Il a jugé déconcertant le fait que, même bien après le début du génocide, de nombreux protagonistes aient continué à se concentrer sur le risque de mettre en danger l'Accord de paix d'Arusha comme si cet accord était d'une plus grande valeur que les milliers de personnes qui étaient en train d'être tuées. Le 28 avril 1994, l'Ambassadeur Gambari du Nigéria s'était plaint qu'une trop grande attention était consacrée aux négociations pour un cessez-le-feu alors que l'on ne s'intéressait pas suffisamment aux massacres. Deux jours plus tard, le 30 avril, le Conseil rendait publique une déclaration présidentielle qui admettait pour la première fois que des meurtres de civils avaient eu lieu spécifiquement dans les zones sous contrôle de ceux qui ont fait partie du Gouvernement provisoire du Rwanda ou de ceux qui l'ont soutenu. Cependant, a ajouté le représentant, même dans cette déclaration le mot "génocide" n'est pas apparu. Un certain nombre d'enseignements doivent être tirés de ce rapport, a poursuivi M. Walsum. Il faudrait tout d'abord ne pas traiter un processus de paix comme un impératif d'une plus grande valeur que le sort des populations concernées. Il conviendrait également de ne pas s'accrocher à un processus de paix qui a cessé d'être pertinent. Il faudrait par ailleurs prêter une plus grande attention aux NGO, la plupart d'entre elles disposant d'une richesse d'informations actualisées sur le terrain. Une quatrième leçon à tirer ce de rapport est que l'impartialité n'est pas une vertu dans une situation de génocide.

M. Van Walsum a indiqué que sa délégation n'a pas d'objection à la recommandation concernant le développement des études sur la possibilité de suspendre la participation du représentant d'un Etat membre du Conseil de sécurité lorsque prévalent des circonstances similaires à celles du Rwanda. Il serait cependant difficile de définir la nature et la portée de l'évènement qui pourrait justifier une telle suspension, a-t-il fait remarquer. Sa délégation approuve la recommandation selon laquelle l'ONU devrait reconnaître sa part de responsabilité pour n'avoir pas fait assez pour prévenir ou interrompre le génocide au Rwanda. La communauté internationale tout entière devrait reconnaître sa part de responsabilité. Mais le meilleur moyen d'y parvenir aujourd'hui est de se montrer compréhensif face aux préoccupations légitimes d'ordre sécuritaire exprimées par le Rwanda. Les Pays-Bas souscrivent pleinement aux recommandations par lesquelles la communauté internationale devrait également appuyer les efforts visant à reconstruire la société rwandaise après le génocide, en prêtant plus particulièrement attention aux besoins en matière de reconstruction, de réconciliation et de respect des droits de l'homme.

M. VALERY KUCHINSKY (Ukraine) a estimé que le rapport de la Commission constitue une contribution remarquable aux activités de l'Organisation, en particulier à sa principale tâche de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Un débat honnête et franc sur les échecs et les erreurs de l'Organisation pourrait renforcer la crédibilité des Nations Unies, a-t-il ajouté. Il a salué le courage et l'autocritique de la part du Secrétariat et du Secrétaire général qui ont demandé l'établissement d'un tel document qui contribue à l'ouverture, à la transparence et à la démocratisation de l'Organisation. L'Ukraine, qui a connu des temps difficiles dans son histoire, a fait part de ses sincères condoléances au peuple rwandais. Que ce soit au Rwanda ou en Ukraine, la communauté internationale était consciente des événements mais n'a rien fait pour enrayer la tragédie, a souligné M. Kuchinsky. Aucune considération politique ou financière ne doit empêcher la communauté de prendre des mesures sans aucun compromis face à de telles catastrophes. Le représentant a fait remarquer que le rapport Carlsson suscitera une meilleure façon d’envisager les activités de maintien de la paix de l’ONU.

Le représentant de la paix de l’ONU a rendu hommage au courage du Général Dallaire dont l'attitude honnête et dévouée au cours de la tragédie rwandaise n'a pas reçu une réponse adéquate de la part de New York.

M. RICHARD HOLBROOKE (Etats-Unis) a estimé que le rapport établit clairement qu'au Rwanda la communauté internationale a échoué. Les Etats-Unis reconnaissent leurs propres défaillances au cours de cette période difficile. Si ce document est critique, il appelle surtout à une action pour éviter qu'une telle violence ne se reproduise. Les atrocités du Rwanda, a indiqué le Représentant, furent perpétrées par un petit groupe d'assassins utilisant la haine pour préserver leur emprise sur le pouvoir. Ces personnes devraient en être tenues responsables et la communauté internationale en demeurant impassible face à de tels actes, devra partager la responsabilité, a fait remarquer le Représentant. Il a indiqué que la prévention d'un autre génocide en Afrique centrale était l'un des éléments centraux de la politique des Etats Unis dans la région des Grands Lacs et l'un des défis les plus importants pour l'Organisation.

Le cercle de l'impunité doit être brisé dans cette région, a souligné M. Holbrooke, et les discussions d'aujourd'hui devraient servir à renforcer un soutien en faveur des sanctions des Nations Unies contre les anciennes forces armées du Rwanda et les milices Interhamwe. Il faut prévoir la démobilisation et la réintégration d'autres groupes armés de la région des Grands Lacs, a-t-il ajouté. Les Etats-Unis appuient le Tribunal international pour le Rwanda et continuent de demander des réformes visant à le rendre plus efficace. De même ils sont en faveur d'un système judiciaire interne au Rwanda et ont alloué 25 millions de dollars pour aider à renforcer la primauté du droit dans la région des Grands Lacs.

Le représentant a fait remarquer que de nombreux meurtriers du Rwanda se cachent en République démocratique du Congo dont le Gouvernement n'est pas en mesure d'empêcher l'utilisation de son territoire par des groupes armés, cela dépasse leur capacité politique et logistique. Il est temps que tous les Etats de la région se réunissent pour trouver une solution commune aux problèmes des groupes rebelles qui s'excluent de l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka, a-t-il recommandé. Des groupes angolais, rwandais, burundais et soudanais opèrent dans l'impunité sur le territoire de la RDC et toute solution dépend de ces pays et du pays abritant ces groupes. La solution au problème du Rwanda ne peut être trouvée uniquement grâce à des actions menées à l'intérieur de la RDC; de même ces problèmes ne peuvent être résolus sans que ne soit prise en compte la présence de milices génocidaires dans les états voisins. M. Holbrooke a estimé que seuls l’application effective de l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka, de systèmes judiciaires local et international ainsi que d'institutions pour prévenir d'autres conflits ou génocides au Rwanda ou en RDC, seraient en mesure de constituer des éléments de solution au problème.

M. MOCTAR OUANE (Mali) s'est félicité du rapport « lucide et courageux » présenté ce matin et a rappelé que l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) a, elle aussi, mis en place une Commission d'enquête composée de personnalités éminentes chargées de faire toute la lumière sur le génocide au Rwanda. La principale conclusion à tirer de l'enquête menée par M. Carlsson est que l'Organisation et ses Etats Membres n'ont pas réussi à prévenir ou arrêter le génocide et ce, faute de capacité d'analyse et de volonté politique. Mais le rapport va au-delà de ces seules constatations et tire les enseignements de la tragédie rwandaise tout en fournissant de nombreuses recommandations donnant l'occasion d'une réflexion ouverte et constructive.

Concernant la capacité de l'ONU en matière de maintien de la paix, le représentant a mis l'accent sur l'importance de la mobilisation des ressources, la définition des mandats, la coordination et la coopération entre les activités de l'ONU et celles des organisations régionales et des organisations non gouvernementales. Il a appuyé les recommandations contenues dans le rapport. Le représentant a abordé la question de la prise de décisions au sein du Conseil. Il a mis l'accent sur l'équité et la volonté politique d'agir dont le Conseil doit toujours faire montre, où que soit située la région où il faut agir. Il faut arrêter la propension à mettre en avant des intérêts nationaux ou régionaux et en finir avec la politique des deux poids deux mesures. La capacité d'alerte précoce de l'Organisation ainsi que sa capacité d'analyser l'information doivent être améliorées. A cet égard, l'information et, notamment, celle relative aux droits de l'homme, doit être mieux circulée. La communauté internationale doit poursuivre son soutien au Rwanda dans ses efforts de reconstruction. Il faut donner un nouveau départ aux relations entre l'ONU et le Rwanda.

Sir JEREMY GREENSTOCK (Royaume-Uni) a reconnu que l'Organisation a besoin d'envisager les moyens d'éviter toute nouvelle catastrophe humanitaire telle que celle du Rwanda. Pour le Royaume-Uni, il faudra envisager l'avenir du peuple du Rwanda. Pour cela, il faut un véritable engagement politique et une assistance pratique à leurs efforts en vue de reconstruire le pays. Le Rwanda, de son côté, doit restaurer l'Etat de droit et s'attaquer aux effets dévastateurs du génocide sur l'économie. Abordant les défaillances identifiées dans le rapport de la Commission d'enquête et les recommandations qui y sont formulées, le représentant a reconnu que les erreurs sont flagrantes concernant l'insuffisance du mandat de la MINUAR et le manque de réaction du Conseil de sécurité face aux changements dramatiques de la situation sur le terrain. M. Greenstock a déclaré qu'il y avait eu de réels manquements en matière de circulation de l'information, y compris à destination du Conseil. Mais, il semble que l'on a eu l'impression que les membres du Conseil dans leur ensemble n'avaient pas le "cran" politique d'entendre la vérité, aussi crue fût-elle, et d'y réagir. Ceci est, pour le Royaume-Uni, un point fondamental et le Conseil a impérativement besoin de recevoir des informations précises et non filtrées, le plus rapidement possible. Parallèlement, le Conseil et tous ses membres, doit démontrer sa volonté politique d'agir sur la base de ces informations, aussi déplaisantes soient-elles, pour faire face à toute urgence humanitaire complexe.

Dans une Organisation forte de 188 Etats Membres égaux, il n'est pas toujours si aisé de parvenir à une meilleure capacité de réaction et à une plus grande flexibilité, a poursuivi M. Greenstock. Toutefois, le Conseil de sécurité se doit d'être clair et reconnaître qu'aucun mandat de maintien de la paix est sacré et que les changements opérationnels font partie de sa mission. Pour qu'une mission fonctionne, il faut qu'il y ait une paix à sauvegarder et il est juste que toute opération repose sur l'engagement des parties à respecter un accord de paix. Mais, il faut dans le même temps reconnaître que des fissures dans les accords de paix interviennent toujours et qu'à long terme elles affectent non seulement les acteurs politiques et militaires mais aussi la population. Ce principe s'applique à la plupart des opérations de maintien de la paix, et notamment actuellement à celle en Sierra Leone et en République démocratique du Congo. Il faut aussi être prêt à reconnaître les signes de changement majeur, a déclaré le représentant. Ceci implique que toute opération soit dotée d'une capacité en matière d'analyse politique et d'analyse des droits de l'homme. Le représentant a souligné l'importance de la capacité de réaction rapide de l'Organisation. Il a insisté sur la nécessité de tirer les enseignements du drame rwandais. Selon les rapports sur le Rwanda et sur Srebrenica, deux situations inextricablement liées à la question de maintien de la paix et de l'action humanitaire préventive de l'Organisation, des enseignements devront être tirés. Autant de questions qui ne concernent pas seulement le Conseil de sécurité, mais aussi d'autres organes du système, a-t-il fait remarquer. C'est pourquoi, il s'est félicité de l'intention du Secrétaire général de s'attaquer à ces problèmes dans le cadre d'un rapport complet sur les opérations de maintien de la paix qui paraîtra cet été.

M. ARNOLDO M. LISTRE (Argentine) a estimé exemplaire la décision du Secrétaire général, d'établir une Commission d'enquête indépendante sur les actions de l'Organisation des Nations Unies lors du génocide au Rwanda en 1994. Il a salué le rapport de la Commission qu'il a jugé complet et objectif. Il a appelé le Conseil de sécurité, les Nations Unies et la communauté internationale dans leur ensemble à réfléchir aux erreurs qu'ils ont commises ainsi qu'au manque d'action et de détermination qu'ils ont manifesté en ce qui concerne le Rwanda. Nous devons faire preuve d'humilité et d'un profond sens de l'autocritique, a dit M. Listre, car les Nations Unies n'ont pas fait le nécessaire pour prévenir ou arrêter le génocide au Rwanda. Nous avons abandonné le peuple rwandais au moment où il avait le plus besoin de nous, a-t-il déclaré.

Le représentant a estimé que la tragédie du Rwanda nous amène à examiner trois questions fondamentales et liées entre elles : la prévention des conflits, les opérations de maintien de la paix et le renforcement des normes internationales en matière de protection des droits de l'homme et du droit humanitaire.

"Les principales stratégies à court et à moyen terme, qui visent à empêcher que des affrontements dégénèrent en guerre et que des hostilités passées éclatent de nouveau, comprennent trois volets: la diplomatie, le déploiement et le désarmement à titre préventif", a déclaré M. Listre, citant le rapport du Secrétaire général sur l'activité de l'Organisation en 1999. Les Nations Unies du XXIe siècle doivent progressivement devenir une source de mesures préventives, a préconisé le représentant. Mener une diplomatie préventive requiert une analyse correcte des faits, des moyens économiques et une volonté politique. Le représentant a été d'avis que ces éléments faisaient défaut en 1994, dans le cas du Rwanda.

En ce qui concerne les opérations de maintien de la paix, M. Listre a jugé essentiel qu'elles aient un mandat clair et réaliste et reçoivent l'appui politique, militaire et moral nécessaire et que leur financement soit prévisible et suffisant; que le personnel de ces opérations ait des garanties de sécurité raisonnables. Le représentant a recommandé que, dans le cas du Rwanda, le mandat des opérations de maintien de la paix comprenne des dispositions claires sur la protection des civils. Les Nations Unies ne sauraient rester indifférentes face à une tentative délibérée de perpétrer de graves attaques contre la population civile. Dans un contexte pareil, agir est un devoir moral, a souligné le représentant. A cet égard, M. Listre a estimé que la résolution 1270 sur la situation en Sierra Leone, qui crée la Mission des Nations Unies en Sierra Leone, et la résolution 1291 qui proroge le mandat de la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC), représentent une avancée. Un faux concept d'impartialité ne saurait prévaloir dans les situations de génocide ou de crimes contre l'humanité.

Il ressort du rapport de la Commission, présidée par M. Ingvar Carlsson, ancien Premier Ministre suédois, qu'en dépit de certaines restrictions, la communauté internationale dispose d'un corps normatif approprié, a poursuivi M. Listre. Toutefois, il y a un décalage entre la norme juridique et son respect. Il faut impérativement établir des mécanismes nationaux et internationaux appropriés pour lutter contre l'impunité. La justice est indispensable pour le maintien d'une paix stable. Le génocide du Rwanda et les autres crimes perpétrés contre l'humanité ne peuvent rester impunis.

Le représentant a cité une déclaration du Général Romeo Dallaire, Commandant de la Force de la Mission des Nations Unies au Rwanda (UNAMIR), reproduite dans un quotidien argentin. Evoquant le génocide du Rwanda de 1994, le Général déclare: "Je sais que Dieu existe car j'ai tenu la main du diable". L'engagement pris par les Nations Unies de mettre fin aux conflits dans le monde n'exclut pas les jugements moraux, au contraire, il en exige, a conclu M. Listre, en reprenant une déclaration faite par le Secrétaire général au sujet de la chute de Srebrenica.

M. ANDREI E. GRANOVSKY (Fédération de Russie) a estimé qu'il convient de tirer les enseignements du passé pour que les événements du Rwanda ne se reproduisent jamais. A cet égard, la Russie souhaite que le Conseil étudie de manière approfondie l'analyse faite des événements qui indiquent toutefois que les possibilités du Conseil de sécurité ne sont pas illimitées. La Russie accorde la plus grande importance à l'établissement de mesures relatives à la protection des civils dans les zones de maintien de la paix de l'ONU, notamment afin d'éviter de faire naître des illusions sur les capacités réelles des forces de l'ONU. Ainsi, c'est ce que vise la proposition du Président de la Russie visant à étudier les aspects juridiques de l'intervention internationale, a déclaré le représentant. Il est nécessaire que la communauté internationale octroie une aide aux Rwandais qui leur permettent de surmonter les conséquences du génocide et d'arrêter les responsables de ce génocide. La Russie appelle toutes les parties au conflit à déposer les armes et à intensifier leurs efforts pour trouver un règlement politique à ce conflit.

M. MOHAMMAD KAMAL YAN YAHAYA (Malaisie) s’est félicité du fait que l’Organisation examine enfin ses manquements et a estimé qu’il faut maintenant s’employer à restaurer la crédibilité de l’ONU et contribuer au processus de réconciliation du peuple rwandais. Il a établi un parallèle avec le rapport sur Srebrenica, publié à la même date, qui lui aussi éclaire la voie vers une action internationale plus efficace dans le cas où des situations similaires viendraient à se reproduire. Il importe d’établir des critères et des directives clairs sur la mise en œuvre et la coordination des actions des Nations Unies dans le domaine de la paix et de la sécurité. Le rapport montre clairement les limitations du mandat de la MINUAR et de son application sur le terrain pour arrêter le génocide. Il a rappelé qu’en dépit de l’aggravation de la situation qui demandait une intervention plus solide, aucune mesure n’a été prise pour renforcer le mandat de la MINUAR. Ainsi, a-t-il ajouté, il est évident que les Membres du Conseil - certains plus que d’autres – ont une part de responsabilité dans cette tragédie. Ils n’ont pas mobilisé la volonté politique de recourir à toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils en danger, alors qu’il apparaît clairement qu’un déploiement suffisant de troupes aurait permis d’éviter ce drame. Reconnaissant que l’exemple de la Somalie, où des officiers de maintien de la paix ont trouvé la mort, a eu un effet limitatif sur le Secrétariat, en ce qui concerne les risques à prendre sur le terrain et l’interprétation des mandats, le représentant a estimé qu’une grande majorité des Etats Membres de l’ONU, n’étant pas prêts à envoyer des troupes ni du matériel au Rwanda doivent également assumer leur part de responsabilité.

Se félicitant de la rédaction et de la discussion de ce rapport, le représentant a regretté que toute la lumière ne soit pas faite sur l’identité des coupables de l’attentat qui a coûté la vie aux chefs d’Etat du Rwanda et du Burundi, ainsi que celle de leurs éventuels complices et qui, selon le rapport, a servi de catalyseur au génocide. En outre, le rapport se fonde sur des informations recueillies auprès d’une seule partie au conflit, le Front patriotique rwandais, alors qu’il aurait été utile de s’entretenir avec des personnalités en exil parmi lesquelles on compte plusieurs membres des deux gouvernements de transition qui ont précédé l’assassinat du Président Habyarimana, ainsi que de membres du premier gouvernement formé par le Front patriotique rwandais qui ont dû fuir le pays. Il se serait sans doute avéré utile d’inclure dans les recommandations la mise en place d’une commission d’enquête plus large sur le génocide du Rwanda, afin de rendre compte non seulement de la mort des Tutsis et des Hutus modérés en 1994, mais aussi de prendre en considération les Hutus et les Tutsis qui ont été assassinés avant et après cette date. Une telle enquête, a-t-il souligné, contribuerait au processus de réconciliation entre les deux groupes ethniques indispensable pour la paix future et la stabilité de la région.

Si le représentant s’est félicité de l’amélioration de la communication entre le Secrétariat et le Conseil de sécurité qui permettra peut-être aux rapports de la Commission des droits de l’homme à Genève de parvenir jusqu’aux fonctionnaires en charge du maintien de la paix, il a insisté sur le fait que la capacité des Nations Unies de répondre aux crises dépend principalement de la volonté de ses membres de fournir à l’Organisation les ressources nécessaires. En outre, il a estimé regrettable que l’échec du Conseil de sécurité à prévenir les massacres au Rwanda ait soulevé la question de sa sélectivité. Il importe donc que ce rapport, publié à la veille du prochain millénaire, amène un changement dans l’Organisation sur laquelle les populations en danger, où qu’elles se trouvent, doivent pouvoir compter. Il faut tirer les leçons de la tragédie

du Rwanda et de Srebrenica et, pour ce faire, accorder toute l’attention nécessaire aux 14 recommandations formulées dans ce rapport, qui permettraient d’éviter la répétition d’une erreur aux conséquences aussi dévastatrices.

M. OTHMAN JERANDI (Tunisie) a rappelé que la communauté internationale et, en particulier, l'organisation des Nations Unies n'a pas réagi à temps pour arrêter le génocide. Il a estimé que le rapport de M. Carlsson ne manquerait pas de servir de base pour une réflexion approfondie sur la manière de prévenir et d'empêcher tout drame de ce type. Le constat fait aujourd'hui n'altère en rien la bravoure, le courage et le sens du devoir des membres de la MINUAR dont les casques bleus tunisiens qui, sur instruction du Gouvernement tunisien, sont restés à leur poste pendant les « terribles » semaines où se produisait le génocide, a souligné M. Jerandi. Comme l'a constaté la Commission d'enquête, des mesures ont déjà été prises, ces dernières années, pour améliorer la capacité de l'ONU à réagir face aux conflits. Toutefois des mesures supplémentaires doivent être prises à cet égard. La volonté politique et le soutien de la communauté internationale sont essentiels pour la réussite d'une telle entreprise.

M. WANG YINGFAN (Chine) a estimé que la Commission indépendante d'enquête a déployé des efforts fructueux et il l'a remerciée de son travail diligent. La communauté internationale n'a pas su prévenir la tragédie du Rwanda et il faut en tirer toutes les leçons nécessaires notamment pour améliorer la capacité de l'ONU en matière de maintien de la paix et l'autorité du Conseil quant au règlement des crises. La coopération entre les départements concernés de l'Organisation en même temps que la volonté politique des Etats Membres doivent être améliorées. Les recommandations du rapport doivent être étudiées de manière approfondie dans le contexte du renforcement du rôle des Nations Unies au XXIème siècle, a déclaré le représentant. La leçon à tirer de la tragédie du Rwanda permettra à l’ONU de progresser dans sa quête d’amélioration de ses opérations de maintien de la paix.

M. JEAN-DAVID LEVITTE (France) a déclaré que le débat d'aujourd’hui donne l'occasion de réfléchir aux enseignements à tirer du génocide rwandais, car il faut faire en sorte que l'Organisation ne reste, plus jamais, inactive ou impuissante face à de telles tragédies. "Ayons ensemble le courage de regarder la vérité en face", a-t-il insisté. Il a rappelé que le contexte de l'année 1994 était particulièrement tendu, puisque les Nations Unies avaient déployé environ 70 000 Casques Bleus dans le monde et que plusieurs missions étaient confrontées à des difficultés. "Il n'en reste pas moins que le constat d'ensemble est celui d'un échec; l'ONU n'ayant pas su venir en aide aux Rwandais, ce dont nous portons tous la lourde responsabilité", a affirmé le représentant. L'incapacité des Etats membres du Conseil à l'époque d'utiliser des informations qui devaient se révéler cruciales compte pour beaucoup dans son incapacité à empêcher le génocide. Face au génocide du printemps 1994 et constatant les retards et les difficultés rencontrées pour renforcer la MINUAR, la France a, au mois de juin 94, apporté une aide aux populations menacées et ce, dans la transparence et avec l'autorisation du Conseil de sécurité, a rappelé M. Levitte. Il a qualifié d'injustifiées les critiques adressées à cette "Opération Turquoise", se demandant s'il fallait vraiment encore une fois rester les bras croisés.

Il nous faut désormais tirer les enseignements de cette tragédie, a poursuivi le représentant, qui a estimé que l'ONU n'a pas su non plus faire face aux crises qui se sont succédées dans la région des Grands Lacs depuis 1994, comme la crise du Kivu en 1996 où là encore la communauté internationale est restée inactive face à de nouveaux massacres dont l'ampleur n'a pu être entièrement mesurée. Le représentant a évoqué la guerre en République démocratique du Congo à laquelle le Conseil est confronté depuis 1998. "Nous devons donc tirer les conséquences du rapport pour l'action des Nations Unies dans la région des Grands Lacs", a-t-il insisté. A l'égard du Rwanda, il a appuyé l'appel lancé par la Commission d'enquête en faveur d'une aide pour la reconstruction, la réconciliation, le respect des droits de l'homme et la justice. Concernant la région des Grands Lacs, il a rappelé que le Conseil vient d'autoriser le déploiement de la deuxième phase de la mission des Nations Unies en RDC et a estimé qu'il convient désormais que cette mission reçoive tous les moyens nécessaires, en particulier les financements prévus. Ce déploiement effectif témoignera de la volonté de la communauté internationale d'apporter sa contribution au rétablissement de la paix en RDC et dans toute la région. M. Levitte a évoqué la situation au Burundi et a déclaré que la communauté internationale doit, depuis que les sanctions ont été levées contre ce pays, accompagner le processus de paix par une reprise rapide de l'aide économique indispensable aux populations.

Mais au-delà, c'est aux moyens de renforcer l'action des Nations Unies face aux situations de crise qu'il importe de réfléchir, a ajouté le représentant. C'est pourquoi, la France approuve l'orientation des recommandations formulées dans le rapport de la Commission d'enquête. S'agissant des travaux du Conseil, la France estime que deux points méritent une attention toute particulière. Il faut au moment de la création de nouvelles opérations mieux préparer les décisions du Conseil. Ainsi l'information donnée par le Secrétariat devrait être complétée par d'autres données, notamment historiques, afin de permettre une meilleure compréhension des situations. Il faut également améliorer le suivi par le Conseil des missions, car l'expérience montre qu'une fois déployées, la mise en œuvre de leur mandat ne fait pas toujours l'objet d'un examen attentif. Cela suppose qu’il faille rencontrer les travaux sur les situations de crise et les opérations des Nations Unies et sans doute de consacrer moins de temps à l'examen des sujets dits thématiques, a suggéré le représentant. L'objectif doit être que le Conseil soit mieux en mesure d'apprécier les risques auxquels sont exposées les missions et d'adapter leur mandat et leurs moyens. "Nous ne pensons pas que le Conseil, dûment informé, peut rester immobile et divisé face à des violations massives des droits de l'homme", a ajouté M. Levitte, avant d'appeler les Etats à poursuivre le débat lancé aujourd'hui.

M. MARTIN ANDJABA (Namibie) a rappelé que le rapport de M. Carlsson attribue la responsabilité du génocide rwandais à un manque de volonté politique de la part de la communauté internationale. L'échec des Nations Unies, et en particulier du Conseil de sécurité, représente une très grave erreur, a-t-il ajouté. La Namibie soutient pleinement la création du Tribunal international pour le Rwanda qui doit traduire en justice les responsables de cette tragédie. Elle demande à tous les Etats de remettre, à ce tribunal, tous ceux qui ont été mis en accusation.

Le représentant a fait remarquer qu'il est essentiel que l'Organisation concentre ses ressources à l'examen des causes profondes des conflits et son énergie à les empêcher en premier lieu. Les Etats Membres doivent faire preuve de suffisamment de volonté politique pour traiter les conflits en temps voulu et de manière adéquate quelque soit l'endroit où ceux-ci se produisent. Il est absolument nécessaire que chaque opération de maintien de la paix des Nations Unies soit dotée d'un mandat adéquat ainsi que de personnel et de matériel suffisants. Selon le représentant, il est vital que chaque opération fasse l'objet d'une planification minutieuse accompagnée du soutien technique et politique nécessaire. Il faut ainsi s'assurer que la mission gère la situation de manière effective sur le terrain. En outre, la protection des civils doit faire partie des mandats des opérations de maintien de la paix, a estimé le représentant qui s'est réjoui que la question intitulée "protection des civils dans les conflits armés" sera abordée la semaine prochaine au Conseil. M. Andjaba a regretté que certaines mesures problématiques ayant contribué à l'inaction au Rwanda soient encore actuellement appliquées.

La Namibie approuve la proposition faite au Secrétaire général visant à développer un Plan d'Action destiné à prévenir le génocide. Elle appelle la communauté internationale à aider la société rwandaise dans ses efforts de reconstruction et de développement, une attention particulière devant être accordée à une véritable réconciliation nationale et au respect des droits de l'homme. Le représentant a rendu hommage au Général Dallaire et a salué le personnel de la Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR) et d'autres programmes et organismes présents qui ont sauvé la vie de nombreuses personnes.

M. SHAMIM AHMED (Bangladesh) a estimé que le rapport constitue un document historique réalisé de manière objective. L'expérience rwandaise doit être gardée à l'esprit au cours des processus de décision, a-t-il ajouté. L'ONU a été créée « pour épargner les générations futures du fléau de la guerre », les guerres civiles n'étaient, à l'époque, même pas envisagées à l'époque de la création des Nations Unies, a fait remarquer le représentant. Ce qui s'est produit au Rwanda n'aurait pas dû se produire et le génocide aurait pu être évité. Si la communauté internationale n'a pas su agir à l'époque, elle doit aujourd'hui soutenir les efforts de reconstruction du Rwanda. La meilleure façon de montrer que la communauté internationale est consciente de ses erreurs dépend des ses actions dans le futur.

Mme PATRICIA DURRANT (Jamaïque) a félicité le Secrétaire général, M. Kofi Annan, pour l'initiative historique et courageuse qu'il a prise en constituant la Commission d'enquête. Les analyses et les conclusions présentées aujourd'hui dressent un tableau « terrible » des événements et soulignent que la tragédie aurait pu être vraisemblablement évitée. "Nous devons nous concentrer sur la façon dont cet organe peut élaborer des mesures préventives auxquelles on pourrait recourir pour éviter les conflits. Nous devons faire preuve de volontarisme et ne pas attendre qu'un grand nombre d'individus soit décédé avant d'intervenir" a déclaré Mme Durrant. Il appartient au Conseil de faire face aux violations et aux ruptures de la paix et le Conseil ne peut se soustraire à ce devoir. L'efficacité du Conseil est constamment mise à l'épreuve aujourd'hui, alors que des conflits sévissent partout sur la planète et il faut absolument passer des recommandations à l'action afin que les 800 000 Rwandais massacrés en 1994 n'aient pas péri en vain. De l'avis de la Jamaïque, la défaillance majeure du Conseil a été de ne pas vraiment avoir voulu comprendre les signes avant- coureurs du génocide. Une vigilance extrême à tous ces signes doit être accordée lors de la préparation de toute opération de maintien de la paix, a estimé la représentante.

Dans la mesure où l'action de la MINUAR a été entravée par l'absence de ressources nécessaires et le manque de clarté de son mandat, il convient de prendre en compte deux facteurs fondamentaux pour les missions futures. Les opérations doivent être conçues de manière à tenir compte du changement rapide des circonstances. On doit pouvoir déployer rapidement une mission d'évaluation sur le terrain lorsque des changements interviennent. La politique de déployer un nombre minimum de personnels ne répond nullement à la réalité sur le terrain, a insisté la représentante. Les mandats doivent donc être formulés clairement et en coopération étroite avec toutes les parties au conflit. En outre, les commandants des forces doivent disposer d'une marge de manœuvre suffisante pour décider de leur action si nécessaire et ce tout en préservant l'autorité du Conseil. Les Etats ne doivent pas unilatéralement retirer leurs contingents sans en référer à une autorité centrale. Mme Durrant a estimé que le Sommet et l'Assemblée du millénaire fournira la parfaite occasion de mobiliser la volonté politique suffisante. Le Conseil et le système des Nations Unies, ainsi que toute la communauté internationale, ont l'obligation morale de faire en sorte qu'un tel génocide ne se reproduise plus, a-t-elle insisté, avant de rappeler que le Rwanda, quant à lui, aura toujours besoin de l'aide internationale dans ses efforts de reconstruction.

M. LLOYD AXWORTHY, Ministre des affaires étrangères du Canada, a rappelé que la brutalité non réprimée des génocidaires a, une fois de plus, enlevé toute crédibilité à l'engagement de "jamais plus". La présence du personnel de maintien de la paix de l'ONU sur le terrain avait conduit les civils à croire qu'ils seraient à l'abri de la violence, a-t-il souligné. Pourtant le fait que ces militaires aux bérets bleus, dont les appels à l'aide ont été si soigneusement ignorés, soient, malgré tout, arrivés à sauver des dizaines de milliers de vies est une source de fierté et d'inspiration. Des actes de courage individuels comme ceux du lieutenant-général Dallaire donnent à espérer que les objectifs de l'Organisation se réaliseront un jour. La meilleure façon d'honorer les victimes consiste à s'engager fermement à ne plus tourner le dos aux civils touchés par les conflits armés mais plutôt à mobiliser l'énergie et l'attention nécessaires pour les protéger.

Le Ministre a insisté sur le fait qu'il faut mettre un terme à la culture de l'impunité. La création par le Conseil, de tribunaux pour l'ex-Yougloslavie et le Rwanda a fait avancer ce processus. Les membres du Conseil ont la responsabilité de veiller à ce que le statut de la Cour soit rapidement ratifié et qu'il soit appliqué efficacement, a-t-il fait remarquer. Il a estimé que le Conseil de sécurité doit continuer d'élargir la gamme de ses interlocuteurs et de ses sources d'information. Plus diversifiés seront ses canaux de communication, meilleures seront les chances qu'il détecte les signes avant-coureurs de danger.

M. Axworthy a noté la faiblesse de la capacité de l’ONU à gérer des missions complexes, cependant que se multiplient les demandes de contingents pour aider à protéger les civils. Pour inverser cette tendance, il est impératif de renforcer des arrangements prévisionnels, notamment en se dotant d'un état-major de mission à déploiement rapide tout comme est impérative une approche coordonnée et intégrée en vue d'identifier, de mobiliser et d'engager des ressources militaires. Dans ce contexte, le Conseil doit assurer que les opérations de l'ONU ont le financement voulu, les ressources nécessaires, des mandats suffisamment musclés et des règles d'engagement claires pour s'acquitter des tâches que nous leur assignons. Et il semble que le Conseil prenne actuellement cette leçon à cœur, a ajouté le représentant.

Dans des situations particulièrement exceptionnelles, la protection des civils commande de recourir à la force si nécessaire pour appuyer notre volonté d'intervenir, a estimé M. Axworthy. L'intervention militaire n'est indiquée que dans les cas les plus graves: le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les violences massives et systématiques des droits humains et du droit humanitaire. Selon le représentant, le but de l'intervention n'est pas de menacer l'intégrité territoriale de l'Etat mais de mettre un terme aux souffrances généralisées. Toute discussion concernant l'utilisation de la force pour atténuer les formes extrêmes de la souffrance humaine doit prendre en compte trois considérations: la justification de l'intervention, les lignes directrices d'intervention et le cadre d'action. A cette fin, il faut s'assurer que la sévérité de la crise est pleinement corroborée, que la force militaire peut contribuer et contribuera effectivement à mettre fin aux souffrances et aux pertes de vie à grande échelle, que le degré de force utilisé est adapté aux circonstances, que l'utilisation de la force est multilatérale et bénéficie de larges appuis et qu'elle s'insère dans une stratégie à long terme destinée à instaurer et à soutenir la paix.

M. JOSEPH W. MUTABOBA (Rwanda) a transmis, au nom du Gouvernement et du peuple du Rwanda, ses remerciements au Secrétaire général Kofi Annan pour avoir demandé, au nom de l'Organisation, la rédaction d'un rapport si courageux. Il faut se tourner vers l'avenir, a souhaité M. Mutoboba, s'interrogeant sur les mesures et les politiques que le Conseil de sécurité avait l'intention de mettre en place pour garantir que ce qui s'est produit au Rwanda n'ait plus jamais lieu où que ce soit sur la planète. Le rapport montre que la communauté internationale a laissé tomber le Rwanda. Le peuple du Rwanda est reconnaissant envers ceux qui ont su présenter leurs excuses au nom de leur peuple et de leur gouvernement pour avoir laisser tomber le Rwanda, a-t-il indiqué. Tout citoyen rwandais, tous les amis du Rwanda ont été les victimes de ce qui s'est produit, victimes qui souffrent cruellement de blessures physiques et psychologiques post-traumatiques. Le Représentant a souligné que les conclusions du rapport Carlsson méritent d'être réexaminées et ses recommandations 13 et 14, qui ont attiré l'attention des membres du Conseil peuvent conduire à faire souffler le vent du changement.

Selon le Représentant, un miniplan Marshall, unique en son genre, est requis pour le Rwanda comme beaucoup le mentionnent officieusement et à titre individuel. Il est possible de surprendre encore l'humanité mais en faisant quelques chose de complètement positive, en tant qu'individu mais aussi en tant que nations appartenant à un même monde. Le Rwanda et ses survivants ont le droit à la justice, au redressement, à la réhabilitation et à la réintégration, à une véritable compensation de la part des membres du Conseil, de leur pays respectif et du reste des membres de cette Organisation. M. Mutaboba a souligné que l'utilisation de ce rapport était ce qui importait vraiment au monde et aux victimes.

Si le gouvernement et le peuple du Rwanda peuvent aider les membres du Conseil à mieux les aider, le Représentant a réitéré le plein soutien et la pleine collaboration de son pays à cette entreprise. La réticence à reconnaître qu'un génocide était en train d'avoir lieu au Rwanda manifestait le manque de désir des puissants de prendre leurs responsabilités, a-t-il ajouté.

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